Introduction générale
Le carbone et le silicium ont des similarités, notamment structurales (valence, géométrie). Il est donc facile d’imaginer la substitution d’un atome carbone par un atome de silicium au sein d’une molécule. Cette substitution a été exploitée pour synthétiser de nouvelles molécules à propriétés olfactives ou à visée thérapeutique. Dans ce contexte nous avons choisi de nous intéresser à la formation de composé polycyclique incorporant un atome de silicium dans leur squelette. Pour cela, nous avons choisit comme cible les 10-silastéroïdes, dont aucune approche à ce jour n’a été décrite, afin d’introduire un silicium en position 10, à savoir en jonction de cycle. Dans le premier chapitre, nous exposerons un historique de la chimie du silicium et plus particulièrement des organosilanes. Ensuite les applications de ces derniers en tant qu’analogues silylés d’explosifs, de molécules olfactives ou d’agents thérapeutiques seront décrites. Le second chapitre discutera de l’accès aux stéroïdes par cascade cycloaddition [2+2+2]/[4+2] et plus particulièrement du benzocyclobutène intermédiaire. Celui-ci nous amènera aux extensions de cycles tendus, qu’ils soient entièrement carbonés ou silylés. Cette étude bibliographique débouchera sur la stratégie proposée pour accéder aux 10-silastéroïdes. Celle-ci consiste en l’utilisation d’une cascade cycloaddition [2+2+2]/extension de cycle régiosélective d’un silane polyinsaturé pour conduire au squelette de 10-silastéroïdes. (Schéma 1). Pour cela trois défis sont à relever. Le premier est le contrôle de la régiosélectivité de l’extension de cycle dans la liaison Si‒Csp3 afin d’obtenir le silapolycycle angulaire, cette régiosélectivité dépendant de l’addition oxydante du métal dans le cycle tendu silylé. Le second défi est la formation du benzosilacyclobutène par cycloaddition [2+2+2]. Le troisième défi est la préparation des silanes polyinsaturés permettant cette cascade. Le troisième chapitre portera sur les différentes synthèses des substrats nécessaires à notre cascade, ou au développement de la première étape de notre cascade. Le défi de préparer des silanes possédants quatre groupements différents ainsi que le développement de synthèses efficaces ont nécessité une certaine créativité. Dans le quatrième chapitre, nous présenterons l’étude et le développement d’un nouvel accès aux benzosilacyclobutènes par cycloaddition [2+2+2]. Pour cela, il fallu nous concentrer sur les catalyseurs efficaces à température ambiante de différents métaux (Ru, Ir,Co, Rh, Nb). Cette voie de synthèse innovante ouvre l’accès à des benzosilacyclobutènes hautement fonctionnalisés que se soit sur le silicium ou sur le noyau aromatique, et cela avec de bons rendements ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent (Schéma 2). Au cours du dernier chapitre, nous nous intéresserons à l’extension de cycle et plus particulièrement au contrôle de la régiosélectivité de l’addition oxydante du métal dans le benzosilacyclobutène. Toutefois, afin de présenter uniquement les résultats pouvant être rationalisés nous ne présenterons que l’étude en version intramoléculaire. En effet, une première étude en version intermoléculaire de l’extension de cycle nous a conduits à des résultats peu reproductibles et surtout peu rationalisables. Ainsi, la version intramoléculaire plus proche de notre but final y sera décrite, avec l’utilisation d’un benzosilacyclobutène modèle possédant une fonction alcène en bout de chaîne, et ce avec différents métaux de transition. Pour finir, la cascade cycloaddition [2+2+2]/extension de benzosilacyclobutène catalysée avec des catalyseurs au cobalt, palladium et rhodium sera discutée.
La place du silicium dans la Nature
La chimie organique, historiquement la chimie de la vie, est maintenant considérée comme la chimie du carbone. Celui-ci, par sa tétravalence, sert d’élément de base aux molécules organiques. Cette importance du carbone peut paraître paradoxale lorsque l’on compare son abondance dans la croûte terrestre (0,09%) à celle d’un autre élément tétravalent autrement plus présent : le silicium. Ce dernier est le second élément le plus abondant (28%) après l’oxygène et aurait donc pu jouer un rôle plus important dans la chimie de la vie. Ainsi, les seules espèces vivantes présentant le silicium comme constituant majeur recensées dans la littérature sont les horta, les mynocks, les limaces de l’espace et les trolls appartenant aux univers de Star Trek, Star Wars et Discworld de Terry Pratchett. Le silicium se fait plus discret dans notre univers, ce qui peut s’expliquer par sa forme naturelle, SiO2, qui est un solide inerte et peu soluble dans l’eau. En solution aqueuse le silicium est principalement sous la forme d’acide orthosilicique Si(OH)4, forme sous laquelle il va entrer dans le cycle de la vie. Dans la mer il est un constituant essentiel des diatomées. Ces algues enveloppées par un squelette de silice forment le premier maillon de la chaîne alimentaire marine. Leur croissance et leur développement dépendent directement de la concentration en silicium dissous (DSi) dans l’eau de mer. Cette croissance consomme également du carbone et est responsable de 40% de la séquestration de carbone dans l’océan. Ce phénomène de capture du CO2 de l’atmosphère par les diatomées de l’océan est appelé « biological Si pump ». Les algues ayant un exosquelette de calcite ne participent pas à ce phénomène. Dans le monde végétal on trouve une quantité moyenne de silicium dans les plantes de 1 à 3% (dans la matière sèche), voire plus pour certaines espèces comme le riz (10%).Le silicium a un rôle dans la croissance, et est impliqué dans les phénomènes de résistance mécanique ou aux moisissures et erbivores. Ceci est parfaitement illustré par lsi1, un riz mutant qui accumule moins de silicium, celui-ci est par conséquent plus sensible aux parasites et maladies. Cela se traduit par une production de grains dix fois plus faible qu’un plant de riz normal. Le même rôle crucial sur la croissance a été observé chez les animaux. Chez la souris et le rat, la concentration en silicium se trouve très élevée au niveau des zones de croissance des os alors que sa concentration est à la limite de la détection dans l’os mature.5 Une étude comparative entre des poulets qui suivaient un régime enrichi ou appauvri en silicium a également été menée. Après 23 jours, il a pu être observé que les poulets suivant le régime enrichi pesaient en moyenne 116 g alors que les poulets suivant le régime appauvri pesaient 76 g. Les os de ces derniers sont plus courts, fins et fragiles, le bec est souple et l’on peut noter l’absence de crête (Figure 1). Les tissus sous-cutanés présentent également une couleur marron-jaune très différente des tissus plus classiques de couleurs blanc-rosé.6 L’influence de la concentration en silicium dans l’alimentation sur la croissance a également été montrée chez le rat. Chez l’Homme, le silicium n’est pour l’instant pas considéré comme nécessaire. Il est vu comme un élément à l’état de trace dans notre organisme et aucun apport minimal n’est recommandé même si la teneur des aliments en silicium est de plus en plus étudiée. À ce titre, la bière est reconnue comme l’aliment le plus riche en silicium biodisponible. Le silicium est présent dans le corps à hauteur de 7 g, inégalement réparti en fonction des organes. Il se concentre principalement dans les os,8 surtout aux zones de croissance, ainsi que dans les tissus contenant du collagène comme le cartilage, les artères ou la peau.9 De récentes études confèrent au silicium un effet bénéfique pour lutter contre l’adsorption d’aluminium, qui pourrait justifier son utilisation préventivement pour lutter contre la maladie d’Alzheimer.10 Il interagit avec les métaux in vivo et va ainsi diminuer la biodisponibilité de l’aluminium et augmenter celle du fer. Il peut également interagir avec des diols. Ces interactions sont faibles (liaisons hydrogènes) et ne sont possibles que dans des milieux basiques (pH=9). Cette contrainte explique le fait qu’aucun organosilane n’ait été isolé à partir d’un organisme vivant. Ainsi de manière générale, les formes prépondérantes du silicium dans la nature sont : la silice SiO2 et sa forme hydratée Si(OH)4.
Extension de benzosilacyclobutène par voie photochimique ou thermique
Une étude de la réactivité de benzosilacyclobutènes avec des cétones dans des conditions photochimiques a permis de démontrer que le mécanisme n’impliquait pas de passage par l’intermédiaire silaquinone. Le benzosilacyclobutène réagirait en fait avec la cétone dans son état triplet. Pour expliquer cela, les auteurs avancent trois arguments. Tout d’abord, la réaction a toujours lieu même si plus de 99% de l’irradiation est absorbée uniquement par la cétone grâce au filtre d’une solution aqueuse de sulfate cuivrique. Le second argument est la caractérisation d’un second produit lors de la réaction entre le diphénylbenzosilacyclobutène et l’acétone. Celui-ci ne peut provenir que de l’attaque diradicalaire de l’acétone dans son état triplet. 171 Le troisième argument est l’inhibition quasiment totale de la réaction en présence d’oxygène, reconnu pour être un extincteur efficace de l’état triplet de l’acétone (Schéma 117).
Les catalyseurs au rhodium
Un autre catalyseur communément utilisé (concurrent de toujours du cobalt) est le catalyseur de Wilkinson RhCl(PPh3)3, utilisé pour la première fois en cycloaddition [2+2+2] par Grigg.216 Tout comme le cobalt, énormément d’exemples d’utilisation du catalyseur de Wilkinson existent dans la littérature, que ce soit pour la synthèse de noyaux benzèniques,217 de pyridines 218 ou en synthèse d’analogue de produit naturels. 219 Par exemple, pour sa synthèse de la Viridine, Sorensen a utilisé celui-ci pour former les cycles C et D, ainsi qu’un cycle à quatre chaînons qui deviendra par la suite le cycle B du composé final (Schéma 187).
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Table des matières
Introduction générale
Les organosilanes : histoires, synthèses et applications comme bioisostères
1 Introduction
2 La place du silicium dans la Nature
3 Silicium de synthèse
4 Synthèse d’organosilanes
5 Formation de cycles silylés
A Création de liaison C-C
B Création de liaison Si‒C
6 Les silaisostères et bioisostères
A Isostérie et bioisostères
B Sila-isostères : les sila-explosifs
C Sila-bioisostères : les sila-odorants
D Sila-biosisostères : les sila-drogues
E Exemples d’utilisation de composés silylés bioactifs
F Les silastéroïdes
G Conclusions
Benzo(sila)cyclobutènes pour l’accès aux (sila)-stéroïdes
1 Bibliographie
A Extensions de cycles carbonés
B Extension de silacycles
2 Travaux préliminaires sur les benzosilacyclobutènes
3 Stratégie
Synthèses des substrats
1 Approche par le NBS
2 Première synthèse : diéthoxyméthylsilane
3 Deuxième synthèse : dichlorométhylsilane et TMOP
4 Troisième synthèse : dichlorométhylsilane et TMOP optimisée
5 Conclusions
Accès aux benzosilacyclobutènes par cycloaddition [2+2+2]
1 Stratégie
A Historique et champ d’application de la cycloaddition [2+2+2]
B Mécanisme
C Les catalyseurs usuels
D Systèmes catalytiques efficaces dans des conditions douces
2 Résultats
A Identification du système catalytique
B Optimisation avec NbCl3.DME
C Champ d’application
3 Conclusions
Extension de benzosilacyclobutènes
1 Travaux précédents – Synthèses de substrats
2 Résultats
A Synthèse des substrats
B Etude de l’extension de benzosilacyclobutènes
C Cascade cycloaddition [2+2+2]/ extension de benzosilacyclobutène
3 Conclusions
Conclusions générales
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