Le xénon (Xe) est le gaz noble stable au plus haut numéro atomique avec Z = 54. Il est présent en traces dans l’atmosphère terrestre (Ozima et Podosek, 2001 ; 87 ppb). Sa classification découle de sa configuration électronique avec une couche externe complètement remplie à l’instar des autres gaz nobles, hélium (He), néon (Ne), argon (Ar), krypton (Kr) et radon (Rn). Cette configuration électronique particulière confère à ces éléments une inertie chimique, n’ayant nul besoin de partager un ou plusieurs électrons avec un autre atome pour augmenter leur stabilité. Ces gaz devraient donc subsister à l’état monoatomique. Néanmoins, des réactions chimiques impliquant les gaz nobles ont été observées. A température ambiante, le fluor (F) permet d’oxyder Kr et Xe (Bartlett, 1962 ; Howard et Andrews, 1974). N’étant pas le seul à être capable de réactions chimiques, le Xe fait tout de même figure d’exception parmi les gaz nobles. Son nuage électronique le plus étendu et sa polarisabilité la plus élevée parmi les gaz nobles (CCCBDB Database, 2022b) permettent au Xe d’entrer dans la composition de solides à pression et température ambiante (Britvin et al., 2015 ; e.g. pérovskite KCa(XeNaO6 )). Aussi, il présente la plus grande variété de composés dont des oxydes à l’ambiante (Templeton et al., 1963 ; XeO3 ) et à haute pression (Dewaele et al., 2016 ; Xe2O5 , Xe3O2 ).
En géochimie, à l’instar des autres gaz nobles, le Xe est utilisé comme traceur géochimique (Ozima et Podosek, 2001) et comme géochronomètre relatif absolu avec l’isotope 129Xe, témoin du rapport initial d’isotopes de l’iode (couple 129I-127I). L’utilisation actuelle des isotopes du Xe dans ces applications présuppose son inertie chimique. En effet, dans les géosciences, les 5 gaz nobles stables ont toujours été considérés comme inerte. Cependant, le Xe est un cas particulier puisqu’il est impliqué dans le paradoxe du Xe. Ce paradoxe concerne son abondance élémentaire trop faible et son fractionnement isotopique dans les atmosphères terrestre et martienne. En effet, comparé aux chondrites carbonées, considérées comme la source principale du Kr et du Xe terrestre et martien, la quantité totale de Xe est 24 fois plus faible qu’attendu (Anders et Owen, 1977). Krummenacher et al. (1962) constatent quant à eux que la composition isotopique du Xe des atmosphères terrestre et martienne est fractionnée par rapport aux chondrites. Qui plus est, l’écart des planètes à la signature isotopique des chondrites est du même ordre dans les deux cas, 35 et 42 ‰ par unité de masse atomique (u), pour la Terre et Mars, respectivement, au lieu de 10 pour les chondrites carbonées, normalisé au vent solaire (VS). De plus, l’analyse d’inclusions fluides dans des échantillons datés d’environ -3,6 milliards d’années (Ga) à nos jours montrent que la signature isotopique du Xe de l’atmosphère a évolué depuis au moins -3,6 Ga jusqu’à atteindre la valeur actuellement observée depuis environ 2,2 Ga (Avice et al., 2018 ; Ardoin et al., 2022).
Réactivité chimique d’un gaz monoatomique
Prédispositions atomistiques
Energie d’ionisation
Au sein d’une colonne du tableau périodique, l’énergie d’ionisation décroît avec la taille du nuage électronique. Ceci est dû à l’écrantage du noyau pour les électrons des couches externes par les électrons des couches internes (Sevin et al., 2012). Ainsi, les électrons externes du Xe sont moins fortement liés au noyau que les électrons externes des autres gaz nobles. Ceci est illustré par son énergie de première ionisation la plus faible parmi les gaz nobles, 12,13 eV contre 14,00 eV pour le Kr et davantage pour Ar, Ne et He (CCCBDB Database, 2022a). Cette plus faible énergie de première ionisation implique une possible réactivité chimique moins coûteuse en énergie et une stabilité accrue pour les composés du Xe par rapports aux gaz nobles plus légers.
Polarisabilité
La polarisabilité d’un atome est la faculté de son nuage électronique à se déformer et à se déplacer. Plus le nuage électronique est volumineux, plus sa polarisabilité est grande (Politzer et al., 2002 ; Blair et Thakkar, 2014). Alors le barycentre des charges positives et négatives peuvent être spatialement décorrélés. Il en résulte un moment dipolaire. Les interactions de Van der Waals, plus précisément l’interaction de Debye entre un dipôle induit et un dipôle permanent, augmentent la réactivité chimique de l’atome polarisé (Cox et Reusser, 2022). Parmi les gaz nobles, le Xe a la plus grande polarisabilité avec 4,005 Å3 contre 2,498 Å3 pour le Kr et moins encore pour les gaz nobles plus légers (CCCBDB Database, 2022b). Cette propriété favorise sa réactivité chimique relativement aux autres gaz nobles.
Composés de xénon
Pression ambiante et forts oxydants
A la différence des autres gaz nobles, le Xe est à ce jour reporté comme le seul capable de réagir chimiquement à Pa et Ta et de former une variété de solides stables dans les CNTP. Ces solides sont formés avec des éléments particulièrement électronégatifs, l’oxygène (O) et le fluor (F). Le Kr quant à lui, produit principalement des composés solides thermodynamiquement instables à Ta et seuls quelques sels fluorés de Kr subsistent dans les CNTP (Lehmann et al., 2002). Pour l’Ar, des liaisons chimiques n’ont été observées avec d’autres éléments qu’à basse température ou dans des conditions de synthèses hors équilibre, des jets supersoniques de gaz nobles (Grochala, 2007).
Métallo-fluorure de xénon Il y a tout juste 60 ans naît la première preuve de réactivité chimique du Xe (Grandinetti, 2022). En effet, ce gaz habituellement monoatomique prend part à la composition d’un solide jaune-orange obtenu par réaction avec l’hexafluorure de platine (Pt) (PtF6 ) à l’état de vapeur et produit Xe+[PtF6]– (Bartlett, 1962). L’auteur compare ce composé avec l’hexafluoroplatinate (V) de dioxygényl (O +2 [PtF6]– ). Par analogie il estime le degré d’oxydation du Xe à +I. Le produit solide est stable à température ambiante. Il est sublimé sous vide et hydrolysé en présence de vapeur d’eau selon l’équation 1.2.1. Dans cette étude, la composition des gaz produits par hydrolyse a été suivie par spectrométrie de masse. C’est ainsi que la formule du composé a été établie.
2 XePtF6 + 6 H2O → 2 Xe + O2 + 2 PtO2 + 12 HF (1.2.1)
Oxydes de xénon Après la découverte de Xe+[PtF6]–, plusieurs groupes synthétisèrent des oxydes de Xe à pression ambiante. D’abord le trioxyde de Xe (XeO3) fut obtenu par hydrolyse du tétrafluorure de Xe (XeF4) par Templeton et al. (1963). Bien d’autres composés suivirent. Une sélection non-exhaustive est listée dans le Tableau 1.2. Les composés stables à Pa et Ta présentés dans le Tableau 1.2 sont synthétisés par hydrolyse de fluorures de Xe (Templeton et al., 1963 : XeO3 ) ou par réactions entre un fluorure de Xe et un sel (Ibers et al., 1964 : NaXeO6 .6H2O, Na4XeO6 .8H2O ; Britvin et al., 2015 : KCa(XeNaO6 ), KSr(XeNaO6 ), KBa(XeNaO6 ) ; Britvin et al., 2016 : K4Xe3O12). Les oxydes de Xe stables à hautes pression et température sont quant à eux synthétisés en cellules à enclumes de diamant dans lesquelles sont mis en contact les réactifs gazeux ou liquide, Xe, dioxygène (O2) et eau (H2O) (Sanloup et al., 2013 : Xe4O12H12 ; Dewaele et al., 2016 : Xe2O5 , Xe3O2 ).
Clathrates d’eau Les clathrates sont des édifices formés d’une ou plusieurs molécules hôtes formant une cage dans laquelle un atome ou une molécule est piégé par interaction physique ou stérique (Buffett, 2000). Ils peuvent être étudiés par diffractions des neutrons. Par cette méthode, McMullan et Kvick (1990) déterminent la formule du clathrate 3,5Xe.8CCl4 .136D2O. Par ailleurs, par spectroscopie par résonance magnétique nucléaire (RMN) du 129Xe et par mesure de pression partielle résiduelle, deux équipes confirment que l’eau s’organise favorablement autour des atomes de Xe pour former un clathrate, même lorsque l’eau est à l’état solide, sous forme de glace (Pietrass et al., 1995 ; Fray et al., 2010).
De nombreux composés de Xe sont formés à pression et température ambiante. Bien que métastables pour la plupart, leur variété montre la propension du plus lourd des gaz nobles à prendre les degrés d’oxydations +IV (xénites), +VI (xénates) et +VIII (perxénates). Les sections suivantes introduisent une variété de composés produits dans des conditions moins oxydantes mais à haute pression.
|
Table des matières
Introduction générale
Liste des abréviations
1 Du xénon sur la paillasse
1.1 La famille du xénon
1.2 Réactivité chimique d’un gaz monoatomique
1.2.1 Prédispositions atomistiques
1.2.2 Composés de xénon
1.3 Causes d’altération du combustible nucléaire
1.3.1 Le xénon au cœur du réacteur nucléaire, altérateur de structure
1.3.2 Les mécanismes de migration du xénon dans le dioxyde d’uranium et analogues
1.3.3 Composés mixtes cérine-silice
1.4 Le xénon renonce à la noblesse
2 Un traceur géochimique déroutant
2.1 Notions de fractionnement isotopique
2.2 Utilisation des gaz nobles comme traceurs géologiques
2.2.1 L’inertie chimique propice aux bilans de matière
2.2.2 Le xénon comme géochronométre
2.3 Le paradoxe du xénon
2.3.1 Déficit élémentaire
2.3.2 Fractionnement isotopique déviant
2.3.3 Chronologie du fractionnement isotopique
2.4 Formation planétaire
2.4.1 Nébuleuse proto-solaire
2.4.2 Disque proto-planétaire
2.4.3 Accrétion de la poussière jusqu’aux planètes
2.5 Explications proposées pour résoudre le paradoxe du xénon
2.5.1 Hypothèses réfutées
2.5.2 Echappement atmosphérique
2.5.3 Incorporation dans les silicates
2.6 Conclusion
3 Doper les matériaux en xénon et les caractériser
3.1 Compositions minérales utilisées
3.1.1 Sanidines
3.1.2 Péridotite San Carlos
3.1.3 Poudres synthétiques
3.2 Synthétiser sous haute pression et température
3.2.1 Imposer l’environnement chimique
3.2.2 Imposer les conditions physiques
3.3 Observation et caractérisation des échantillons
3.3.1 Microscope électronique à balayage
3.3.2 Microsonde de Castaing
3.3.3 Analyses en spectrométrie de masse au LP2i
3.3.4 Analyse Raman
4 Fractionnement expérimental du xénon
4.1 Micro-analyse et microscopie électronique
4.1.1 Intégrité minérale conservée
4.1.2 Texture des échantillons
4.2 Mesure du fractionnement isotopique du xénon
4.2.1 Xénon incorporé fractionné isotopiquement
4.2.2 Rampe de température et relargage du xénon
4.3 Concentration élémentaire en xénon
4.4 Conclusion
5 La solution chimique au paradoxe du xénon
Article publié
6 Matériaux dopés en xénon
6.1 Introduction
6.2 Occurrence de zones riches en xénon à partir de minéraux naturels
6.3 Tentatives de reproduction des zones riches en xénon
6.3.1 Sanidine dopée en phosphore
6.3.2 Sanidine synthétique
6.4 Transfert aux matériaux d’intérêt nucléaire
6.5 Discussion
6.5.1 Les alcalins xénonphobes
6.5.2 Décalages Raman
6.6 Conclusion
Conclusion générale