Réacteur à eau pressurisée et assemblage combustible
Parmi les réacteurs nucléaires en service dans le monde, les REP (PWR pour « Pressurized Water Reactors » en anglais) sont les plus répandus en Europe (100% en France, 80% en Europe), aux ÉtatsUnis et au Japon (soit environ 60% dans le monde). En France, il existe actuellement 57 tranches en fonctionnement.
Une centrale nucléaire de type REP est constituée de trois circuits : le circuit primaire, le circuit secondaire et le circuit de refroidissement également appelé circuit de condensation. Les réactions de fission nucléaire ont lieu au sein des gaines de combustible localisées au cœur de la cuve du réacteur. Celles-ci transfèrent l’énergie générée par les réactions de fission se produisant dans les pastilles de combustible, sous forme de chaleur, qui chauffent l’eau du circuit primaire à environ 330°C à la sortie de la cuve. Un pressuriseur est utilisé pour contrôler et imposer la pression dans le circuit primaire à 155 bars afin que l’eau soit maintenue à l’état liquide. L’eau du circuit primaire traverse ensuite le générateur de vapeur à l’intérieur de tubes où elle transfère sa chaleur avec l’eau du circuit secondaire, puis elle retourne à la cuve, entraînée par la pompe primaire. La vapeur d’eau sortant du générateur de vapeur dans le circuit secondaire permet de faire tourner les turbines des turbo-alternateurs pour la production d’électricité. Ensuite, la vapeur est refroidie via le circuit de refroidissement et condensée dans un condenseur, puis l’eau est réinjectée dans le circuit secondaire à l’aide de la pompe secondaire. L’eau du circuit de refroidissement qui circule dans le condenseur provient de la mer ou de rivières à haut débit. Elle est dans certains cas refroidie à l’aide d’une tour aéroréfrigérante. Dans les REP, la source de chaleur provient du cœur via les réactions de fission dans le combustible nucléaire qui est constitué de pastilles cylindriques de dioxyde d’uranium UO2 ou de MOX empilées et confinées dans un gainage métallique ; l’ensemble pastilles-gainage forme un crayon de combustible. Les crayons (et les tubes guides, à l’intérieur desquels peuvent coulisser les barres de contrôle permettant de réguler la réaction nucléaire) sont regroupés et arrangés dans des assemblages de combustible carrés 17×17 (pour le parc EDF : 157 assemblages dans les réacteurs de 900 MWe, 193 dans ceux de 1300 MWe et 205 pour les 1450 MWe). Chaque assemblage dans les réacteurs 900 MWe contient 264 ou 265 crayons combustibles. Une surpression de quelques dizaines de bars d’hélium est introduite à froid dans les tubes avant de les boucher, de telle sorte que la pression interne soit de plusieurs dizaines de bars à la température de fonctionnement, ce qui permet de compenser pour partie, en début de vie, la pression externe de 155 bars qui règne dans le circuit primaire. Par ailleurs, durant le fonctionnement du réacteur, les produits de la réaction de fission, surtout les gaz, induisent une augmentation de la pression interne des gaines.
Le gainage se trouve sous la forme de tubes d’environ 4 m de long, 9,5 mm de diamètre externe et 570 µm d’épaisseur. La gaine, qui constitue la première barrière de confinement des produits radioactifs, doit respecter les exigences principales suivantes (Mardon, 2008) :
− assurer le maintien de la colonne combustible,
− isoler le combustible du fluide caloporteur pour le protéger de son action corrosive,
− permettre de transférer la chaleur du combustible au réfrigérant/caloporteur,
− assurer le confinement des produits de fission.
Zirconium et alliages
Actuellement, les gaines des crayons combustibles des REP sont en alliages de zirconium du fait de leur :
− faible section d’absorption de neutrons thermiques,
− bonne résistance à la corrosion dans le milieu primaire,
− bonne tenue mécanique en condition de fonctionnement,
− bonne stabilité sous irradiation.
Zirconium
Le zirconium , de numéro atomique 40 (configuration électronique [Kr] 4d2 5s2) et de symbole Zr, est un métal de transition appartenant à la colonne IV-b de la classification périodique des éléments chimiques de Mendeleïev avec le titane et le hafnium. La masse atomique du zirconium est de 91,2. Le zirconium a une section efficace de capture des neutrons thermiques de 0,185 barn par atome, contre 2,55 barns pour Fe, 3,1 barns pour Cr et 4,43 barns pour Ni (Barberis, 2016). En d’autres termes, le zirconium présente une bonne transparence aux neutrons. C’est l’une des principales raisons pour laquelle il a été choisi comme matériau de gainage pour remplacer les aciers .
Parmi les métaux, le zirconium est l’un de ceux qui possèdent l’enthalpie de formation de l’oxyde la plus élevée, soit 1093,1 kJ.mol-1 pour la zircone monoclinique (Barberis, 2015), conduisant à une réactivité relativement importante avec l’oxygène, et à une bonne stabilité de l’oxyde de zirconium une fois qu’il est formé.
Le zirconium peut exister sous deux formes allotropiques solides en fonction de la température :
− phase αZr stable en-dessous de 864°C (pour le zirconium pur, à l’équilibre et à pression atmosphérique). Cette phase a une structure hexagonale compacte dont le groupe d’espace est P63/mmc avec un rapport c/a = 1,593 à température ambiante.
− phase βZr cubique centrée dont le groupe d’espace est ??3̅? stable à HT, au-dessus de la température de transition αZr/βZr, soit 864°C à pression atmosphérique, jusqu’à la température de fusion, de l’ordre de 1855 °C.
Matériaux étudiés
Durant cette thèse, la plupart des caractérisations tant métallurgiques que mécaniques a été réalisée sur deux alliages industriels de zirconium : le Zircaloy-4 (bas étain) ou Zy4, qui a été utilisé par EDF à partir des années 1980, et le M5Framatome de Framatome, qui constitue dorénavant l’un des principaux matériaux de gainage des REP français. L’alliage M5Framatome présente des propriétés de résistance à la corrosion en fonctionnement nominal améliorées par rapport au Zy4, et une hydruration modérée (Mardon et al., 2010).
Le zirconium est allié à d’autres éléments chimiques pour notamment améliorer la tenue mécanique et la résistance à la corrosion du matériau de gainage. Les éléments d’addition du Zy4 et du M5Framatome sont classés en deux catégories : α-gène ou β-gène, selon leurs affinités thermodynamiques respectives avec chacune des deux phases allotropiques du zirconium. Les éléments α-gènes (Sn et O) ont tendance à conduire à une augmentation de la température de transition αZr+βZr/βZr et ainsi à élargir le domaine de stabilité de la phase αZr en température. Inversement, les éléments β-gènes comme Nb et H (et dans une moindre mesure Fe et Cr) stabilisent la phase βZr et conduisent à une diminution de la température de transus αZr/αZr+βZr.
L’étain (Sn) est un élément α-gène. À température ambiante et tant que sa teneur ne dépasse pas la limite de solubilité dans la phase αZr, il est en solution solide sur les sites de substitution de αZr (cas du Zy4). À basse température, en-dessous de ~350°C d’après le diagramme de phase binaire Zr – Sn (ToffolonMasclet, 2000), la solubilité de Sn dans Zr est très faible et des précipités Zr4Sn sont observés. L’ajout de Sn permet d’améliorer les propriétés mécaniques de l’alliage telles que la limite d’élasticité (Kaufmann and Baroch, 1974) et la tenue en fluage (Mac Inteer et al., 1989). En revanche, une augmentation trop importante de la teneur en Sn conduit à une baisse de la tenue à la corrosion. Donc, sa teneur a été réduite à 1,3%-mass. dans la nuance dite Zy4 bas étain, contre 1,5 %-mass. pour le Zy4 haut étain (Mardon, 2008). Cependant, une augmentation de la fraction relative d’hydrogène absorbée pendant la corrosion en conditions nominales de fonctionnement a été remarquée avec la diminution de la teneur en Sn dans le Zy4 (Mardon, 2008; Wei, 2012), mais cette augmentation peut être compensée par la corrosion moindre des alliages à plus basses teneurs en Sn.
L’oxygène est aussi un élément α-gène. Il est en solution solide à basse température, comme Sn, et présente une solubilité très élevée dans la phase αZr, jusqu’à près de 30 %-at. . Il est ajouté dans l’alliage sous forme de poudre d’oxyde lors de l’élaboration du matériau. L’ajout d’oxygène, jusqu’à 0,18 %- mass., permet d’augmenter la résistance mécanique du matériau ; par exemple, l’ajout de 0,1 % mass. d’oxygène conduit à 130 MPa d’augmentation de la limite d’élasticité à température ambiante (Tricot, 1990). Au-delà de 0,18 %-mass., l’oxygène peut entraîner une réduction importante de la ductilité et de la ténacité du matériau.
Le fer (Fe) et le chrome (Cr) sont des éléments β-gènes. Ils sont solubles dans la phase βZr ; à l’inverse, ils sont quasiment insolubles dans la phase αZr. En effet, leur limite de solubilité dans la phase αZr est très faible, de l’ordre de 120 ppm-mass. pour le fer à 800°C et environ 200 ppm-mass. pour le chrome à 860°C (Charquet et al., 1988; Cox, 1998). Ils précipitent donc sous forme de phases intermétalliques de structure hexagonale de type Laves Zr(Fe,Cr)2 inter- ou intra granulaires de 150 – 200 nm de diamètre dans la matrice αZr (Serres, 2008). Moyennant une optimisation de leur fraction et de leur distribution en taille, ils contribuent à améliorer la résistance à la corrosion du matériau.
Le niobium (Nb) est un élément d’addition de type β-gène dans le M5Framatome. À basse température, une partie du Nb est soluble dans la phase αZr, avec une limite de solubilité maximale de l’ordre de 0,6 %- mass. à 600°C (Van Effenterre, 1972). Ainsi, pour un alliage contenant 1 %-mass , on peut observer une microstructure homogène de la matrice αZr constituée de grains équiaxes avec une répartition quasi-uniforme de précipités de phase βNb riches en Nb, de quelques dizaines de nanomètres de diamètre, et quelques précipités Zr(Nb,Fe)2 de taille supérieure, de l’ordre de quelques centaines de nanomètres. À HT, le niobium est en solution solide sur les sites de substitution dans la phase βZr. Moyennant l’utilisation d’une gamme de fabrication optimisée, sa présence permet d’augmenter la résistance à la corrosion ainsi que les propriétés mécaniques de l’alliage.
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Table des matières
Introduction générale
I. Contexte, objectifs et démarche de l’étude
I.1. Réacteur à eau pressurisée et assemblage combustible
I.2. Zirconium et alliages
I.2.1. Zirconium
I.2.2. Matériaux étudiés
I.3. Gaine de combustible en conditions de fonctionnement nominales
I.4. Accident de perte du réfrigérant primaire
I.4.1. Scénario APRP
I.4.2. Hydruration secondaire
I.5. Objectifs et démarche de l’étude
II. Étude bibliographique sur les propriétés des alliages de zirconium
II.1. Oxygène dans les alliages de zirconium
II.1.1. Système zirconium-oxygène
II.1.2. Diffusion de l’oxygène
II.2. Hydrogène dans les alliages de zirconium
II.2.1. Système zirconium – hydrogène
II.2.2. Limite de solubilité de l’hydrogène dans le zirconium
II.2.3. Différentes phases d’hydrures de zirconium
II.2.4. Absorption et diffusion de l’hydrogène dans les alliages de zirconium
II.3. Oxydation à HT de la gaine de combustible
II.3.1. Cinétique d’oxydation à HT
II.3.2. Évolution métallurgique de la gaine en conditions APRP et lors de son oxydation sous vapeur d’eau à HT
II.4. Transformation de phases βZr → αZr depuis les HT
II.4.1. Mécanisme de transformation de phases βZr → αZr et microstructure ex-βZr
II.4.2. « Partitioning » des éléments d’alliage
II.5. Effets de l’oxygène, de l’hydrogène et du scénario de refroidissement sur les propriétés métallurgiques et mécaniques « post-oxydation » de la gaine
II.5.1. Effet de l’oxygène
II.5.1.a. Aspects métallurgiques
II.5.1.b. Aspects mécaniques
II.5.2. Influence de l’hydrogène
II.5.2.a. Aspects métallurgiques
II.5.2.b. Aspects mécaniques
II.5.3. Comportement mécanique de la phase (ex-)βZr enrichie en oxygène et en hydrogène
II.5.4. Effet du scénario de refroidissement
II.6. Conclusions
III. Obtention et caractérisations préliminaires des matériaux « modèles » contenant différentes teneurs en oxygène et en hydrogène
III.1. Introduction
III.2. Protocole d’obtention des matériaux « modèles » chargés en hydrogène et en oxygène
III.3. Chargement en hydrogène
III.3.1. Chargement en hydrogène à haute température
III.3.2. Chargement en hydrogène à basse température
III.4. Oxydation sous vapeur d’eau à haute température
III.5. Traitement thermique d’homogénéisation de l’oxygène
III.5.1. Protocole
III.5.2. Caractérisations préliminaires des matériaux « modèles » chargés en hydrogène et en oxygène
III.5.2.a. Désorption éventuelle et homogénéité de la répartition de l’hydrogène
III.5.2.b. Absorption et homogénéité de la répartition de l’oxygène
III.5.2.c. Microstructure des échantillons à l’issue des traitements thermiques
III.6. Conclusion
IV. Influence de la teneur en hydrogène sur les évolutions métallurgiques des matériaux au cours du refroidissement depuis le domaine βZr
IV.1. Introduction
IV.2. Prévisions thermodynamiques à l’équilibre
IV.3. Étude globale et indirecte des évolutions métallurgiques par calorimétrie
IV.3.1. Matériaux et conditions expérimentales
IV.3.2. Évolution typique du flux de chaleur
IV.3.3. Hypothèses et choix faits pour l’analyse semi-quantitative des résultats
IV.3.4. Températures de disparition (au chauffage) et d’apparition (au refroidissement) des hydrures
IV.3.5. Évolution des fractions de phases en fonction de la température
IV.4. Étude des évolutions métallurgiques par diffraction de neutrons et de rayons X
IV.4.1. Introduction
IV.4.2. Matériaux et conditions expérimentales
IV.4.2.a. Diffraction de neutrons
IV.4.2.b. Diffraction de rayons X
IV.4.2.c. Dépouillement des diffractogrammes de neutrons et de rayons X
IV.4.3. Évolutions métallurgiques en température au cours du refroidissement
IV.4.4. Analyses quantitatives des fractions des phases au cours du refroidissement
IV.4.5. Influence de la teneur en hydrogène et du scénario de refroidissement sur la précipitation de l’hydrogène et de la phase βZr*(Nb,H)
IV.4.6. Variation des paramètres de maille en fonction de la température au refroidissement
IV.4.6.a. Évolution des paramètres de maille de la phase αZr
IV.4.6.b. Discussion : effets microchimiques sur l’évolution des paramètres de maille de la phase αZr
IV.4.6.c. Évolution du paramètre de maille de la phase βZr
IV.4.6.d. Évolution des paramètres de maille des hydrures
IV.4.6.e. Évolution du paramètre de maille de la phase βZr enrichie en Nb (et en H)
IV.4.7. Évolution des paramètres de maille à la température ambiante en fonction de la teneur en hydrogène et du scénario de refroidissement
IV.5. Conclusions
Conclusion générale