Soutenance mémoire
Rationalité économique et culture
La question de la rationalité économique à été étudiée par les économistes et les sociologues, comme Vilfredo Pareto ou Max Weber. La nouvelle sociologie économique vient repositionner la question dans un environnement marqué par les réseaux personnels ou professionnels, l‟encastrement en est le mot clé.
Nous reprenons les concepts apportés par ces différentes disciplines pour le besoin de notre analyse. Nous pourrons ainsi repositionner les entrepreneurs issus de l‟immigration maghrébine en France par rapport aux environnements juridiques, sociaux, culturels etc. Il y a lieu, en ce sens, de distinguer les concepts d‟entrepreneur, d‟entreprise, d‟hommes d‟affaires et de bourgeoisie il sera alors possible de situer nos interlocuteurs entrepreneurs par rapport aux autres acteurs de la société.
L’entrepreneur
Il est légitime de se rapprocher du concept de l‟entreprise et de son rôle dans la société, pour en déduire le rôle de l‟entrepreneur lui-même. F.Perroux définit l‟entreprise comme un ensemble relativement stable et organisé d‟éléments et de relations en vue d‟accomplir des actes de production et d‟échanges. Max WEBER a montré comment une telle organisation a pu se détacher progressivement de l‟univers d‟autres institutions de la société telle que la famille. Il a approfondi son approche en évoquant la question de la séparation des facteurs travail et capital comme constituant une étape vers la réalisation de profit au niveau d‟une entreprise privée.
En corollaire à cette définition, le même auteur propose deux approches complémentaires de l‟entreprise .
« …la première en tant que forme d‟organisation d‟activités professionnelles par laquelle sont couverts certains besoins d‟un groupe humain, et notamment, en fonction des possibilités offertes par le marché et en fonction de la rentabilité. La deuxième en tant que forme d‟exploitation capitaliste rationnelle dans la mesure où elle est dotée d‟un compte de capital (…) Il s‟agit alors d‟une entreprise lucrative qui contrôle sa rentabilité de manière chiffrée au moyen de la comptabilité moderne et de l‟établissement d‟un bilan. » .
Bien que cette définition relie l‟entreprise au capitalisme, Max Weber relativise nettement cette manière d‟analyser les choses et explique historiquement comment l‟entreprise peut être plus ou mois rattachée au capitalisme selon qu‟elle représente une exploitation familiale ou une forme d‟organisation industrielle (atelier) dans une logique de plus en plus ancrée dans l‟exploitation. Toutefois, nombre de sociologues et d‟économistes accordent plus d‟intérêt au rôle et à la nature de l‟entrepreneur. Ainsi le sociologue allemand W. Sombart avance une définition qui semble fort intéressante pour délimiter notre population. Il précise que l‟entrepreneur capitaliste est celui qui combine l‟esprit d‟entreprise et l‟esprit bourgeois :
« l‟esprit d‟entreprise renvoie à la synthèse entre la passion de l‟argent, l‟amour de l‟aventure et l‟esprit de l‟invention chez un individu ; alors que l‟esprit bourgeois c‟est l‟addition de qualités telles que la prudence réfléchie, la circonspection qui calcule, la pondération raisonnable, l‟esprit d‟ordre et d‟économie » . « Seulement l‟auteur rappelle que réussir à combiner ces deux esprits est rare du fait d‟une partielle contradiction entre les deux esprits». Cette contradiction est bien explicitée par le politologue français H. Weber , qui précise :
« …loin de s‟y combiner, l‟esprit bourgeois peut entraver, atrophier, étouffer l‟esprit d‟entreprise : on a alors un patronat rentier avide de profit gras et assuré. Inversement, l‟esprit d‟entreprise peut refouler l‟esprit bourgeois : on a alors des aventuriers économiques accumulant des risques et voués tôt ou tard au dépôt de bilan… » .
Schumpeter propose un point de vue plus globalisant et il insiste sur la notion d‟innovation qui se présente comme une combinaison opérée par l‟entrepreneur et qui peut prendre plusieurs formes dont : « …
– La fabrication d‟un bien nouveau c’est-à-dire qui n‟est pas encore familier au cercle des consommateurs.
– L‟introduction d‟une nouvelle méthode de production c’est-à-dire qui n‟est pas encore connue dans la branche de l‟industrie ou du commerce considérée.
– La conquête d‟un nouveau débouché.
– La conquête d‟une nouvelle source de matière première.
– La réalisation d‟une nouvelle organisation de production » .
A travers les théories présentées plus haut sur la rationalité ou l‟irrationalité de l‟entrepreneur, est-il justifiable alors de qualifier ainsi les entrepreneurs maghrébins? Nous reprenons les analyses de quelques auteurs arabes qui sont allés dans le sens de la vulgarisation des propos de Schumpeter en ce qui concerne le rôle que jouent ces individus dans les économies et les sociétés dans lesquelles ils opèrent. La question paraît aussi simple que complexe si nous prenons en considération le terrain accidenté sur lequel opèrent les entrepreneurs du Maghreb. Il ne s‟agit plus d‟un environnement propice aux inventions et aux innovations avec un pouvoir d‟achat très élevé, ce qui est le cas de la France. Nous désignons par terrain accidenté , un environnement économique et social marqué par des traditions et une culture d‟entreprise qui sont, c‟est le moins que l‟on puisse dire, peu favorables à une accélération du rythme des innovations. Dans un tel contexte les réseaux d‟alliances familiales constituent un important outil pour l‟installation des entreprises . Ainsi que l‟expose Eric GOBE : « …Le caractère familial de l‟entreprise permet aux entrepreneurs de mettre en œuvre une bonne stratégie d‟adaptation pour faire face aux problèmes économiques et politiques engendrés par un environnement fluctuant. Elle constitue un moyen d‟échapper au système de menace par lequel le pouvoir conserve le contrôle sur les entrepreneurs… » .
Le système de valeurs
Dans son étude sur les immigrés africains, Yao Assogba, retient la définition de la culture d‟émigré proposée par Rochebrune, qui, à notre avis, s‟adapte le mieux aux communautés maghrébines vivant en France :
«En tant qu‟émigrés, les Africains, à l‟instar des autres peuples d‟émigrés, développent ce qu‟on peut appeler la « culture d‟émigré » dont les valeurs fondamentales sont : l‟importance de la communauté d‟appartenance, les ambitions saines de réussite pour soi-même et sa progéniture, la valorisation de l‟éducation, la propension à l‟épargne, l‟esprit de sacrifice, la débrouillardise, l‟esprit d‟initiative (de Rochebrune, 1996) » .
Notre recherche met l‟accent, entre autres, sur le rôle essentiel de la culture dans l‟orientation des comportements des individus. Plusieurs théories ont contribué à définir et à donner à la culture son vrai rôle dans les sociétés. Selon Gert Hofstade.
« …chacun d‟entre nous porte en lui des modes de pensées, de sentiments et d‟actions potentiels qui sont le résultat d‟un apprentissage continu. Une bonne partie a été acquise au cours de la petite enfance, période le vie la plus propice à l‟apprentissage et à l‟assimilation… » .
Partant de ce constat, notre thèse sur les chefs d‟entreprises prend en considération le lieu de naissance et de l‟enfance de l‟individu pour comprendre leurs points de vue sur différents sujets. Les différents environnements sociaux que rencontre un individu au cours de sa vie et qui sont successivement la famille, le quartier, l‟école et le lieu de travail, marquent sans aucun doute le profil professionnel de toute personne. Cette sorte de « programmation mentale « (Hofstede) que subit l‟individu est désignée selon Hofstade par le terme de « la culture » .
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Dans un contexte multiculturel, les entrepreneurs prennent appui sur leur pays d’origine
2. Problématique : les PME et l’encastrement de l’économique et du social
3. Méthodologie et hypothèses de travail
Comment analyser les réseaux
Procédures de reconstitution
Procédures de positionnement des acteurs dans la structure
Comment repérer les élites
Par la méthode positionnelle
Par la méthode réputationnelle
Comment avons nous repéré les entrepreneurs ?
Démarche d’analyse et la question de l’échantillonnage
Hétérogénéité et diversité du paysage entrepreneurial
Elites dominantes ou élites dirigeantes
Typologies des entrepreneurs
La circulation des élites
Perspectives et atouts
– La perspective psychologique
– La perspective socio-économique
Première partie : Rationalité économique et culture
1. L’entrepreneur
Hybridité et hétérogénéité des entrepreneurs au Maghreb
2. Le système de valeurs
Les manifestations de la culture
Place du travail dans les systèmes de valeurs
L’iconographie et l’identité diasporique
Deuxième partie : Esquisse typologique et portraits d’entrepreneurs
Figure 1. Typologie des entrepreneurs issus de l’immigration maghrébine dans la métropole parisienne
I. Entrepreneurs créateurs d’entreprises dans le pays d’origine
1. Motivations d’ordre économique
2. Motivations d’ordres culturel et identitaire
3. Entrepreneurs membres de réseaux associatifs
4. Entrepreneurs non associatifs et inscrits dans des réseaux personnels
II. Entrepreneurs partenaires circulaires dans le pays d’origine
1. Motivations d’ordre économiques
2. Motivations d’ordre culturel et identitaire
3. Entrepreneurs membres de réseaux associatifs
4. Entrepreneurs non associatifs et inscrits dans des réseaux personnels
III. Entrepreneurs opérant des transferts de revenus pour le pays d’origine
1 .Entrepreneurs membres de réseaux associatifs
2. Entrepreneurs non associatifs et inscrits dans des réseaux personnels
Troisième partie : Insertion économique de l’entreprise dans le tissu entrepreneurial de la métropole parisienne
1. Aperçu du paysage entrepreneurial des immigrés en France
Démographie et marché de l’emploi en France (le pays d’accueil)
Evolution du statut d’immigré maghrébin en France
Contribution des entrepreneurs maghrébins à l’économie de la France
Influence du caractère temporaire du séjour
2. Les difficultés économiques rencontrées
Dans la constitution, et dans l’organisation interne de l’entreprise
Les crises économiques en France
Le mimétisme : le cas du commerce
2. Marchés de l’entreprise
Clientèle ciblée : de la clientèle française aux réseaux maghrébins
Clientèle internationale
4. Le choix du secteur d’activité
Aperçu de l’entreprise ethnique en France
En ce qui concerne d’une part le côté lexical de la notion d‘entrepreneuriat ethnique
En ce qui concerne d’autre part la situation de l’entreprise ethnique en France
La politique du choix du secteur d’activité
Le travail indépendant entre qualification et compétence
Les qualifications
Les compétences
La nouvelle fracture sociale dans le monde du travail
Les diasporas maghrébines et le domaine de la science et de la technologie de communication
Quatrième partie : Mode de gouvernance interne et externe de l’entreprise
1. Réponse à l’agressivité commerciale des concurrents
Le secteur des nouvelles technologies de l’information et de communications
Les autres secteurs
2. Mode de gestion du personnel et point de vue sur la discrimination
Mode de recrutement du personnel
Durée de travail flexible
Des entreprises assez fragiles
Le caractère stratégique de la gestion des ressources humaine
La discrimination à l’embauche
3. Relations et transactions avec les partenaires professionnels ou le choix difficile: le capital social
Activité associative et participation à des regroupements
Types d’associations
Résultats escomptés
Rôle de la famille et soutien familial
Soutien indirect ou par dynamisme
Soutien moral et direct
Relations intra communautaire
Un soutien humanitaire éphémère
Des relations plus réfléchies avec le pays d’origine
Les réseaux d’affaires
Le choix difficile du partenaire
Critères du choix du partenaire économique
Identification des réseaux
Les réseaux transnationaux
L’efficacité des réseaux
Transformer un réseau en une entreprise
Efficacité relative des réseaux
Réseaux transfrontaliers particulier / administration, ou la prospection par le haut
4. Explication de la réussite ou l’autocritique
Utiliser les handicaps
Nous n’avons pas réussi
Logique individuelle
Logique collective
Cinquième partie : Effets des activités entrepreneuriales sur le pays d’origine
1. Globalisation et régionalisation
La globalisation : nouveau cadre des activités économiques
Parcours de la globalisation
Questions de nomenclatures
La question du retour et le double entrepreneuriat entre pays d’origine et France
Pragmatisme du nouveau style du double entrepreneuriat
Le rôle de la globalisation dans la décision de retour
La régionalisation : une issue de secours
Ambivalence dans le choix
Les formes du retour entrepreneurial
Entreprises NTIC au sein des Clusters
Entreprises en gazelles
2. Effets économiques
Les notions des effets économiques directs et indirects sur l’économie nationale
La prise en compte de l’environnement entrepreneurial tunisien
Intégration ou désintégration économique : est-ce une opportunité ?
Positionnement théorique de la notion d’intégration économique
Comment cerner l’intégration
L’intégration par les consommations intermédiaires
Examen du parc national tunisien des entreprises Au niveau de l’emploi, la formation professionnelle et les salaires
Les conditions technico-économiques de production
Quelles opportunités pour les maghrébins venus de France ?
Impact de la politique économique sur le retour entrepreneurial
Le dysfonctionnement dans la répartition du marché du travail est-il une opportunité pour les MVF
Rôle des organisations et des associations dans le développement local
Le tissu associatif dans le pays d’origine : le cas de la Tunisie
Vers un univers instrumental ouvert
Les transferts de revenus
Problèmes de définition et d’évaluation
Volume et importance des transferts
Impact des entreprises sur le marché du travail local
La nature du marché du travail tunisien
Politiques salariales
CONCLUSION
