Rapport d’une exploration territoriale (ragazzi di vita)

Habiter la Terre, avec Latour

On peut demander à la réflexion de Latour ce qu’Agamben scrupuleusement nous refuse. À savoir de faire une référence plus directe (et pratique) aux questions éco-politiques contemporaines. Dans le cadre de la pensée de Bruno Latour il devient possible, à notre avis, de comprendre les enjeux extrêmement concrets et urgents du travail philosophique (parfois, très profond et troublant) du penseur italien. L’anthropologue français a mené une critique similaire des présupposés cognitifs de notre civilisation à partir d’une analyse du système épistémique (partagée avec Simondon, Stengers…). Dans cette perspective, il a su mettre en évidence les limites théoriques et les risques éthiques du paradigme de l’homo faber, l’homme-maître du monde naturel à l’aide des instruments techniques. À cette conception, il a opposé celle d’une subjectivité comme puissance qui se déroule, dans le régime technique, selon « une exploration toute nouvelle de l’être-en-tant-qu’autre, une nouvelle déclinaison de l’altérité » . Donc, on dirait plutôt un homo fabricatus, une « humanité » (pas du tout idéale) qui se définit par « le choc en retour des techniques. » Comme chez Agamben, dans cet auteur français il ne s’agit pas moins de refuser toute identité idéale et prioritaire à la subjectivité que de racheter l’univers naturel de sa prétendue inertie passive et étrangère.matières, cette altération infinie des puissances cachées que l’astuce seule va y chercher.
Par une redéfinition des conditions d’agentivité (par le concept d’acteur-réseau, par exemple) , il souhaite désactiver l’anthropocentrisme d’un être humain qui prétendrait, par ses ambitions « globales », comprendre et contrôler le réel, sans aucune limite ni lien. Toutefois, en repoussant l’idée de toute réalité post-humaine, il lui impose d’assumer une présence critiquement active (bien que absolument pas exclusive). Si l’horizon de l’histoire et d’une mission historique n’est pas acceptable (comme Agamben avait conclu), la proposition latourienne d’une « géo-histoire » invite la subjectivité à une responsabilité, partagée et environnementale. Dans son plaidoyer pour une éthique anthropocénique, Latour affirme :
Dans le même mouvement, l’Anthropocène ramène l’humain sur scène et dissipe pour toujours l’idée qu’il est un grand agent unifié de l’histoire.
Il faut que l’exercice de notre activité subjective (immunologique) se dépl oie à partir d’une perception des liens et du contexte ambiant. Le sujet imaginé par Latour se conduirait en fonction de son « être-sur-cette-terre », qui n’a rien à voir avec « être humain dans la nature ou « sur le globe »: ses intentions ne se graveraient jamais à l’exterieur d’une démarche relationnelle d’exposition et d’attention (envers la Terre). En tant que « earthbound », sa présence se déploie par le lien événementiel et originaire (climatique…) avec le réel qui l’entoure. Si cet horizon géo-historique impose une tâche aux êtres qui partagent l’espace vivant de Gaïa, elle serait de se concevoir et de se conduire selon un régime de sensibilité et de prudence. Latour avoue que le succès d’un tel parcours politique se joue, aussi, dans un travail esthétique, sur la perception (à développer en une sensibilité accrue envers nos attachements multiples et d’échelles très diverses).Nous avons besoin, c’est la question ouverte qu’il nous confie, de produire et de reconnaître des appareils esthétiques (des moyens) qui soient à la hauteur de ce défi : par lesquels on puisse expérimenter une telle sensibilité et, donc, une pratique convenable de notre subjectivité:
C’est plutôt une fusion lente et progressive de vertus cognitives, émotionnelles et esthétiques, grâce aux moyens par lesquels les boucles sont rendues de plus en plus visibles, par les instruments et les formes d’art de toutes sortes. A travers chaque boucle nous devenons plus sensibles et plus réactifs aux fragiles enveloppes que nous habitons.

Le documentaire en tant que méthode (paradoxale et nihiliste).

Face à cette configuration historico-épistemologique, l’importance de ce qu’on appellera une « méthode documentaire » nous semble intuitivement évidente. Notre point de départ sera, donc, la contextualisation dans cette dimension esthétique de la pratique du documentaire. Il nous reste, toutefois, à déployer davantage les principes théoriques de cette catégorie (pour en développer en suite les implications).
Le documentaire d’abord se présente d’abord comme un art-sans-art : par conséquent, il s’inscrit dans un régime de difficile identification problématique qui a souvent entraîné son exclusion du domaine de l’artistique. Son « manque » d’art s’explique surtout à partir d’une conception mimétique de la production artistique qui relève de la conception représentative traditionnelle. Le documentaire, en effet, se caractérise par une intime réticence envers la construction artificielle d’une fiction qui structurerait le discours autour d’un projet, d’un message ou bien d’une cohérence esthétique (une beauté). Il y manque une volonté subjective qui ordonne le discours selon une forme précise et préméditée. Dans un travail documentaire, d’habitude, tous les paramètres qui ont été définis par l’ordre poétique des arts (l’auteur, l’intrigue, le message, le style…) – afin de rendre un objet artistique descriptible et interprétable – semblent absents ou difficiles à repérer. Parmi ces facteurs, le style en particulier semble faire défaut (en tant que construction téléologique et personnalisante de la communication). L’absence d’art (au sens d’artificialité intentionnelle préméditée) paraît entraîner une absence du style. On ne parlera pas du documentaire sous la catégorie du style (trop compromise avec une conception romantique et idéale de l’artistique) . En faisant référence à la réflexion de Huyghe, on pourra utiliser la notion de « méthode » ne renvoie pas à des « contenus significatifs », mais s’intéresse plutôt à des démarches pratiques et médiales (la disposition des moyens): « qu’est-ce qu’on fait pour le paraître de quelque chose ».Si c’est une dimension d’absence radicale qui le place le documentaire dans le régime esthétique des arts, on serait tenté de qualifier sa méthode de « nihiliste » (par une référence spécifique à la réflexion benjaminienne). Dans son Fragment théologico-politique Benjamin nous a suggéré de penser l’ordre (politique) du monde profane hors de tout fondement a priori, c’est-à-dire hors d’une téléologie (théocratique) : l’existence historique serait une dynamis (puissance) dépourvue de télos (finalisme). En affirmant que le messie « historiquement, n’est pas un but, mais un terme », il revendiquait le nihilisme en tant que méthode (anti-méthodique) pour le monde humain : il inscrivait le salut dans la réception événementielle, au lieu de la confier au contrôle intentionnel. L’activité (éthique) reposerait, selon le philosophe allemand, sur une pratique de l’évanescence, visant le bonheur.
L’encadrement dans un horizon nihiliste ne signifierait que cette suspension systématique des fondements et du principe de souveraineté qui est propre à un régime d’immanence transcendantale. Elle renonce à toute fin a priori qui devrait fonder et gouverner la subjectivité, en apprenant à de-maîtriser la médiation en faveur de l’imprévisible (empirique et multiple) de la réalité vivante.
On pensera donc ici l’opération documentaire comme un effort de pratiquer cette condition par une extrême et scandaleuse franchise. D’abord, si elle relève d’un état de potentialité créative (dynamis), c’est seulement en partant d’une expérience de l’impuissance, de la reconnaissance de ce qu’on peut-ne-pas-faire (la complémentaire adynamia) . En effet, il faut penser cette délicate opération sous la forme paradoxale d’un « œuvrer désœuvré » (operare inoperoso). Car il s’agit d’un acte communicatif et cognitif qui se dépouille de toute in-tention (in-tendere), afin de pouvoir faire at-tention (ad-tendere) à un donné sensoriel: d’un paradigme de réflexivité constructive, on transite vers un paradigme d’attente réceptive. Comme Didi-Huberman l’a bien affirmé à propos de l’expérience eidétique, le manque (d’une signification donnée) est une condition féconde de disponibilité et de recherche:
Défaut c’est désir, en sorte que regarder, coi, revient à une possibilité pour le langage lui-même. Et c’est ainsi que l’expérience muette en vient à ouvrir la possibilité d’une expérimentation sur notre propre regard et notre propre capacité à en dire quelque chose.
Un documentaire est une œuvre qui manque d’un sujet établi à représenter, en fonction duquel on manipulerait les moyens (langue, images, corps…). Par contre il semble être, tout simplement, une expérience – singulière – des moyens.. De ce point de vue, nous pouvons mieux comprendre la définition habituelle du documentaire en opposition au fictionnel qui le décrit, dans le sens commun, à partir de son statut anti-romanesque. Son essence intime, au fond, se manifeste par la dimension d’une noluntas narrandi : un refus de toute narration déterminée par avance et de toute explication (un but) qui puissent a priori piloter le discours selon un pro-gramme démiurgique (une intrigue fictionnelle) rédigé antérieurement à l’expérience et indépendamment de son advenir . Le documentaire préfère, donc, ne pas créer une histoire (plot), des personnages, une morale, une scénographie, un telos narratif… C’est une renonciation qui émerge, peut-être, d’une grande fatigue (celle de Handke, rappelé par Benedetti ) ou bien d’une faiblesse stratégique (« Sa faiblesse témoigne précisément de la non-identité, qu’il a pour tâche d’exprimer » ). Il n’impose pas une forme, ni une signification selon une tendance instrumentale, celle du démiurge. Il construit plutôt son discours, hors d’un ordre prémédité et d’une tâche représentative, à travers le hasard de la rencontre avec ce qu’il y a, tel qu’il est (quodlibet ). Il progresse par une exploration empirique qui laisse le sens (histoire, personnages, messages…) se déployer librement dans son devenir (vivant et éphémère). Même s’il pose bien entendu un cadre dans lequel les rencontres auront lieu (cadrage du champ visuel, programmation de certaines rencontres, orientations idéologiques globales), le documentaire conserve toujours une part de discours enfantin qui demeure dans son dehors indéterminé, le mysterion : réserve inépuisable de sens qui ne survit que dans la réserve discrète de l’auteur . Ainsi, il devient toujours un essai sans prétention de maîtrise démiurgique (romantique) : il relève toujours de l’essai (un essayer-dire, un essayermontrer).

Le documentaire en tant qu’expérience, expérimentale.

Cette configuration de l’auteur et le mode communicationnel du document (deux discours qui s’impliquent mutuellement) peuvent trouver leur point de conjonction dans la catégorie de l’expérience . Penser dans la catégorie d’expérience le sujet entraîne, foncièrement, à concevoir l’activité et la langue par le prisme de l’expérimentation qui désactive les présupposées. La forme n’existe donc que dans l’événement, selon les relations : il n’y aucune conscience, ni aucun texte qui se gardent à l’extérieur du domaine multiple et aléatoire d’un processus vivant.
Si la relation ne se sépare pas des circonstances, si le sujet ne peut pas se séparer d’un contenu singulier qui lui est strictement essentiel, c’est que la subjectivité dans son essence est pratique. Si notre présence ne peut pas être abstraite par rapport à une situation donnée, pratique et environnementale, il est nécessaire de la concevoir et exercer selon un paradigme empirique. Cet empirisme implique, au fond, l’impossibilité d’ancrer la médiation (en même temps le sujet et le réel) dans la nécessité d’une identité mimétique : elle se déroule selon l’ouverture d’un régime présentatif. À partir de l’exposition (documentaire) du donné, la pensée se construit et se met à jour par un effort continu et incontournable. Comme les situationnistes l’ont rappelé, la connaissance ne fonctionnerait pas par la représentation d’un modèle universel, mais (en étant d’abord expérience, expérimentale) elle opère un détournement continu . Elle altère, plie et questionne activement toute « organisation antérieure ». Qu’il n’y a pas de subjectivité théorique et qu’il ne puisse pas y en avoir devient la proposition fondamentale de l’empirisme. Et, à y bien regarder , ce n’est qu’une autre façon de dire : le sujet se constitue dans le donné. Si le sujet se constitue dans le donné, en effet, il n’y a pas d’autre sujet que pratique.
Il n’y a médiation que par un engagement : le sujet est déjà toujours engagé parce qu’il est vivant. La médiation en tant qu’implication relève moins de la maîtrise que du risque et de la tentative : c’est une pratique ouverte. Elle n’est pas un champ de maîtrise, mais d’explorat ion et de changement. Aucune forme (médiation) ne peut faire abstraction de l’immanence singulière (immédiate) d’où elle émane :
Aussi [l’empirisme] se présente-t-il comme pur courant de conscience a-subjectif, conscience préréflexive impersonnelle, durée qualitative de la conscience sans moi. Il peut paraître curieux que le transcendantal se définisse par de telles données immédiates : on parlera d’empirisme transcendantal, par opposition à tout ce qui fait le monde du sujet et de l’objet.
Benjamin nous a rappelé que l’ouverture d’un espace d’expérience ne peut se donner qu’à travers un renoncement à l’expertise (en tant que expérience donnée). Un processus expérimental implique l’absence d’un ordre a priori qui est presque barbare : il débute à partir d’un rien. S’il n’y pas une expérience reçue, présupposée du réel, on est obligé à faire expérience :
Une conception nouvelle, positive de la barbarie. Car à quoi sa pauvreté en expérience amène-telle le barbare ? Elle l’amène à recommencer au début, à reprendre à zéro, à se débrouiller avec peu, à construire avec presque rien, sans tourner la tête de droite ni de gauche.
Il faut pourtant connaître très bien l’ordre établi pour en développer une critique qui aboutit, finalement, à une complète renonciation. Il faut avoir expérimenté le régime identitaire, pour
pouvoir stratégiquement le refuser au nom d’une possibilité nouvelle d’expérience : « Ils récusent précisément toute ressemblance avec l’homme, principe de l’humanisme. »
Ils ne sont pas du reste pas du tout ignorants ou inexpérimentés. On peut souvent dire le contraire : ils ont ingurgité tout cela « la culture » et « l’homme », ils en sont dégoûtes et fatigués.
L’expérience n’est pas guidée par un but, elle ne s’achève jamais si elle veut demeurer dans sa puissance inappropriable: l’expérience est d’abord insuffisance et évanescence d’expérience. Expérimenter – le documentaire nous l’enseigne – signifie exposer radicalement la pauvreté d’expérience, l’impossibilité d’une expertise : Ils aspirent à se libérer de toute expérience quelle qu’elle soit, ils aspirent à un environnement dans lequel ils puissent faire valoir leur pauvreté, extérieure et finalement intérieure, à l’affirmer si clairement et nettement qu’il en sorte quelque chose de valable.
Dans cette perspective le travail expérimental du documentariste se produit, à la fois, par une condition d’inactualité extrême (un nihilisme par rapport aux représentations présentes, aux signifiés reçus…) et d’une renonciation à tout ailleurs (une acceptation sans compromis du réel tel qu’il est).

Paresse ou décroissance d’un auteur

Selon ses propres mots, Pasolini n’a plus envie de jouer: c’est à dire, il est las de représenter et de construire des modèles idéologiques et fictionnels. Il n’a plus envie de raconter (il l’avoue) . Il est bien conscient de renoncer aux remarquables avantages économico-politiques qu’une intégration dans le jeu selon ses règles (par la soumission d’une complicité) pourrait lui apporter :
Non avendo avuto i problemi di Carlo, egli era molto più avanti di lui in quella realizzazione di sè che si chiama carriera. Né il-lusioni, né de-lusioni, lo avevano distolto da quella ‘lusione’, da quel costruire ‘ludico’ che non delude le attese : ed è in sostanza, se così posso continuare ad esprimermi, col-lusione con chi gioca meglio e da più tempo : il potere.
Mais cette perspective ne le séduit point, désormais. Car, au fond de cette renonciation, il y a une grande fatigue (revendiquée), qu’on pourrait aussi percevoir sous la forme d’une profonde faiblesse ou d’une grande « paresse » . Il n’y a plus de force à exhiber, ni assez d’énergie et de conviction pour un engagement à soutenir jusqu’au bout, sans le moindre doute : aucune narration infaillible, aucun sens ultime. Il ne veut pas s’efforcer ni forcer, il préfère se contenter et jouir de ce qu’il y a. Si le discours est un jeu (nietzschéen), Pasolini veut le jouer en tant que tel : sans l’hypocrisie d’une nécessité sérieuse qui tairait son origine ludique (par un partage sacré). Sans aucune réticence, Pasolini écrivait : « mi dichiaro ‘ poeta dilettante ‘. »
Et, encore, d’une étonnante humilité, il se définissait élève éternel : « Ti scrive un figlio che frequenta / la millesima classe delle elementari. »
Il ne veut pas faire semblant (de ne pas feindre). Il préfère renoncer aux tâches (et, donc, aux privilèges) de son rôle d’auteur et d’autorité : en refusant le pouvoir, il refuse aussi ses responsabilités. On pourrait, d’ailleurs, les appeler « ses contraintes ». Les contraintes paradoxales que nous impose l’exercice (obligatoire) du droit de liberté, de goût et d’unicité qui assigne le statut artistique privilégié à un ouvrage et à son créateur. Mais Pasolini semble vouloir se débarrasser de tous ces droits, ces missions avec leurs incontournables nécessités : il vise à une décroissance de sa condition d’auteur. On dirait, en se souvenant des mots de Jacques Rancière (2011), que l’auteur met en place une grève en tant qu’« équivalence exemplaire de l’action stratégique et d’inaction radicale ».
Il reconnaît le piège de cette machine artistique, à individuation contraignante, de la compétition à l’originalité (une rat-race pseudo-libériste dans l’art), qui se cache au fond d’une certaine rhétorique (progressive) de l’art moderne. Par sa réflexion sur Marcel Duchamp, Lazzarato (2014) a essayé de souligner la tendance du système créatif à se faire absorber dans les logiques d’auto-exploitation individualiste et productiviste de l’économie contemporaine.
Le droit au non-mouvement paresseux soutenu par Duchamp, son refus à “être un artiste” représentait, d’abord, une critique radicale de la fausse liberté de l’auteur moderne: entrepreneur de soi-même, sans patron, à la mission de valoriser son capital humain. Il est nécessaire de ne pas se faire écraser par l’épuisante logique de concurrence du système littéraire. Pour découper un espace pratique et effectif de parole (étouffée par le jugement critique), Pasolini affirme son refus de cette fausse liberté – qui est, au fond, obligation à dire et à dire-bien, à dire plus et mieux. Smetto di essere poeta originale, che costa mancanza di libertà : un sistema stilistico troppo esclusivo. Adotto schemi letterari collaudati, per essere più libero.
Naturalmente per ragioni pratiche.
Il ne veut pas s’étouffer par son travail (verbal) – en se faisant épuiser par une certaine idéologie productiviste, dont un exemple serait le mythe du style: jamais « bestia da stile ». Il ne veut que jouir de sa parole, sans s’agiter trop, sans prendre en charge des idéologies encombrantes. Il accepte de ne revendiquer pour son écriture aucune eschatologie, aucun plan téléologique, car il s’agit juste de un « blocco di segni » ou bien d’« una lassa di qualcosa di scritto » (telles sont les humbles définitions qu’il donne de son ouvrage). Pasolini – qui ne cache pas son rôle : « io, onnisciente gestore di questa storia » – accepte explicitement l’impossibilité d’une forme complète et absolue, d’une création idéale et totale : « mai nessuno può dire tutto, ossia essere totalmente onesto.
» Il ne veut pas taire l’impuissance qui enveloppe toujours une possibilité, la condition informe et indicible de laquelle toute parole sort :
Solo fondandosi su cio’ che non è forma, la forma è tale. E l’esclusione della forma é sempre un progetto, un calcolo. Purtroppo al ‘tacito consenso’ io oppongo la verbalità della mia colpa : non so fingere di creare un oggetto, un mistero.

Deuxième digression : une mise-en-abyme de l’ouvrage désœuvré

À ce point de l’analyse il peut être opportun d’arrêter l’étude de la démarche esthétique pasolienne pour faire une brève digression thématique. Il s’agit de se pencher sur le texte, en abordant une lecture plus rapprochée et étendue d’un passage spécifique. On pourra d’une telle manière reconnaître dans les contenus de l’ouvrage la position que Pasolini essaye de développer au niveau structurel et opératoire. Il est possible, donc, mener notre lecture comme une mise-en-abyme de la méthode de travail adoptée et discutée au fil de Petrolio : car ce méta-littéraire correspond constamment au littéraire.
En effet, dans le roman le lecteur est confronté à une réflexion directe à propos des moyens qui vise à mettre en discussion tout usage « économique », c’est-à-dire instrumental.
Une telle réflexion se développe, comme c’est le cas fréquemment chez Pasolini, à partir du moyen-corps et cible le concept de possession. Il possedere un corpo implica la limitatezza di quel corpo. E anche una sua valutazione quasi economica. […] Il corpo posseduto è un’entità che sta tra le braccia ; é misurato dallo sguardo. È uno strumento che finito di usare, si mette da parte per la prossima volta.

Un dispositif performatif

On peut revenir, donc, à notre discours autour de la question esthétique posée par Petrolio. Le projet pasolinien d’accomplir un désœuvrement du discours qui puisse ramener la forme et la vie à un même niveau ne pouvait pas trouver une solution satisfaisante sur un plan représentatif. Il comprend qu’il faut accomplir un décalage vers un plan différent, celui de la présentation. Pasolini admet cette démarche : il ne veut pas écrire quelque chose (ordre du transitif), il veut juste écrire (ordre de l’intransitif). Par conséquent, le résultat de son travail sera moins une histoire (lisible) que la trace (illisible) d’un geste. Ebbene queste pagine stampate ma illeggibili vogliono proclamare in modo estremo – ma che si pone come simbolico per tutto il resto del libro – la mia decisione : che é quella non di scrivere una storia, ma di costruire una forma (come risulterà meglio più avanti) : forma consistente semplicemente in ‘qualcosa di scritto’.

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Table des matières
INTRODUCTION
1. QUELQUES TRAJECTOIRES
1.1. Penser l’immanence, avec Agamben (Foucault, Deleuze et quelques autres…)
1.2. Habiter la Terre, avec Latour
2. POUR UNE METHODE DOCUMENTAIRE
2.1. Un contexte: le régime esthétique
2.2. Le documentaire en tant que méthode (paradoxale et nihiliste)
2.3. De l’auteur documentaire (et de son public)
2.4. A propos du document et de ses modes d’emploi (montage, collection, citation…)
2.5. Le documentaire en tant qu’expérience, expérimentale
2.6. Ce n’est pas une question de genres, c’est une question (de survivance) politique
3. PASOLINI, UNE RECHERCHE DOCUMENTAIRE
PARTIE 1: DEUX ESSAIS D’IMPUISSANCE
PREMIER SEUIL
1. Exploration d’une impuissance
2. Pasolini sans fiction, ni analyse
3. L’empirisme: res sunt nomina
CHAPITRE 1 – RAPPORT D’UNE EXPLORATION TERRITORIALE (Ragazzi di vita) Note introductive
1. Field work: une œuvre déambulatoire
2. L’espace comme geste: une carte du désir
3. Le temps sans Histoire: autour de l’absence du plot
4. Une vocation cinématographique (néoréaliste)
5. Des hommes-sans-contenu: sur les personnages impossibles
Note conclusive: portrait de Ragazzi di vita en Sacro G.R.A.
CHAPITRE 2 – UN DISPOSITIF A PERFORMANCE (TESTAMENTAIRE) (Petrolio)  Note introductive
1. Ceci n’est pas un roman
2. Paresse ou décroissance d’un auteur
3. Pour une littérature impure
4. Montrer le travail / partager le travail
5. Portrait de Petrolio à la manière de Giuseppe Penone (première digression)
6. Deuxième digression: une mise-en-abyme de l’ouvrage désœuvré
7. Un appareil performatif
8. Fracturer la totalité: le devenir survivant d’une pose
9. Un exercice d’interruption
Note conclusive: la fonction testamentaire entre document et geste
PARTIE 2: VERS UN CINEMA DOCUMENTAIRE
DEUXIEME SEUIL 
1. Pourquoi le cinéma? (I)
2. Pourquoi le cinéma? (II)
3. Pour quel cinéma?
CHAPITRE 3 – REPERAGES DE CHASSE (Sopralluoghi in Palestina) 
Note introductive
1. La forme projet: la fiction en tant que prétexte (documentaire)
2. L’objet antérieur: contre la dette
3. La chasse spirituelle
4. Histoire d’un échec: contre l’austérité
5. Evoquer l’histoire: documents et fantômes
6. Sur la voix (documentaire)
7. Pour la pauvreté
Note conclusive: montrer la Terre
CHAPITRE 4 – DOCUMENTER LE SACRÉ (Il vangelo secondo Matteo) 
Note introductive
1. Méthode
1.1. Un scenario inexistant (ou bien antérieur)
1.2. Vérité contre véracité
1. 3. Des techniques documentaires: casting, décor, tournage
1.4. Il vangelo secondo Matteo à la manière de Straub-Huillet
2. Théologie
2.1. L’envers du sacré
2.2. Aucun documentaire sans Mimesis
2.3. L’éthique créaturale (du documentaire)
2.4. Sans oublier Longhi
Note conclusive: sacré évangile du bios
CONCLUSION 
1. Une tradition (ou bien un héritage)
2. Quelques auteurs en archipel
3. …vers un cinéma documentaire
4. Le quattro volte: un exemple
BIBLIOGRAPHIE ET FILMOGRAPHIE
ABSTRACT

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