Depuis la Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD) qui s’est tenue au Caire en 1994, l’intégration des soins de santé est devenue une importante composante de la politique de promotion des populations dans le monde entier [54]. Le Plan d’Action de cette Conférence prescrit parmi les actions prioritaires pour la promotion de la santé des filles et des garçons : « les pays doivent développer une approche intégrée pour les besoins spéciaux en nutrition, santé générale et reproductive en particulier des filles et jeunes femmes, étant donné que ces investissements additionnels peuvent souvent compenser les inadéquations précoces dans leur nutrition et soins de santé » [54]. Ces recommandations furent réitérées lors d’évènements majeurs tels que la Quatrième Conférence Internationale sur les Femmes à Beijing en 1995 [2]. Ces initiatives ont trouvé un écho favorable en Afrique où l’organisation continentale appelée Union Africaine a déclaré à plusieurs reprises son désir de réduire la charge de morbidité et de mortalité à travers la promotion de soins de santé intégrés. Ce désir a rencontré une grande motivation dans le besoin de résorber le retard accusé par la plupart des pays africains dans l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Ainsi, parmi d’autres initiatives, l’Union Africaine a développé la « Feuille de Route pour l’accélération de l’atteinte des OMD relatifs à la santé maternelle et néonatale en Afrique » en 2004, dans laquelle un accent particulier a été porté sur le renforcement de la planification familiale et l’engagement communautaire. Cette composante a été considérée comme étant un moyen efficace de prévention des décès maternels et infantiles [3]. En septembre 2006, à Maputo, cette organisation a consacré une session spéciale de la Conférence des Ministres de la Santé à « l’Accès à des services de santé intégrés concernant la sexualité et la reproduction en Afrique ». Cette réunion a permis l’établissement du Plan d’Action de Maputo pour la mise en œuvre du Cadre Politique Continental pour la Promotion des Droits et de la Santé en matière de Reproduction et de Sexualité en Afrique 2007-2010. Ce plan d’action cible neuf résultats stratégiques, le premier ayant trait à l’Intégration de la Santé Sexuelle et Reproductive et la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), les infections sexuellement transmissibles (IST), le Paludisme dans le cadre des soins de santé primaires [1]. Toutes ces initiatives mentionnées ci-dessus démontrent un fort engagement pour promouvoir la santé des populations à travers des programmes et actions intégrés ; il est à remarquer que ceux-ci s’articulent souvent autour de la santé de la reproduction. Au Sénégal, les conclusions de la Conférence du Caire ont été bien accueillies par le Ministère de la Santé qui décida en 1997 de remplacer le Programme National de Planification Familiale, qui était en cours à l’époque, par le Service National de la Santé de la Reproduction dotée d’une gestion indépendante et qui devait intégrer et coordonner toutes les activités relatives à ces questions ainsi définies par la CIPD. Cette initiative volontariste a été fortement accompagnée par les principaux partenaires du Sénégal en matière de santé. Ainsi, l’UNFPA, parmi d’autres actions, établit un projet afin de développer les soins intégrés de santé de la reproduction à travers des structures appelées Centres Pilotes de Soins Intégrés en Santé de la Reproduction. Ces centres avaient pour objectifs :
– d’offrir un parquet intégré de service de santé de la reproduction aux femmes (contraception, soins prénatals, lutte contre l’infertilité et l’infécondité, prévention et traitement des maladies gynécologiques…), aux hommes (gestion de l’infertilité et les maladies uro-andrologiques…) et aux enfants (immunisation, suivi de la croissance…) dans la même structure avec une approche multidisciplinaire ;
– de devenir des services nationaux de référence pour les services de santé de la reproduction; et
– de mener des activités de formation et de recherche en santé de la reproduction.
Le Centre Pilote de Soins Intégrés en Santé de la Reproduction de la Clinique gynécologique et Obstétricale de l’hôpital Aristide Le Dantec mis en place en 1999 avec l’appui de l’UNFPA. Le but de cette étude était d’évaluer, au niveau dudit centre, le contenu des informations données au cours de la consultation prénatale d’une manière générale et l’intégration de planification familiale au cours des consultations prénatales en particulier.
RAPPELS SUR L’INTÉGRATION DES SERVICES DE SANTÉ DE LA REPRODUCTION
CONCEPT DE SANTÉ DE LA REPRODUCTION
Le Sénégal a adopté le concept de santé de la reproduction tel que défini par la Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD) de 1994 au Caire. La Santé de la Reproduction (SR) est un état de complet bienêtre physique, mental et Social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité, pour tout ce qui touche l’appareil génital, ses fonctions et son fonctionnement. La Santé de la Reproduction suppose qu’une personne peut mener une vie sexuelle responsable, satisfaisante et « sans risque », qu’elle est capable et libre de procréer selon son choix ainsi que d’utiliser les méthodes de régulation des naissances qui ne sont pas contraires à la loi. La conférence du Caire a permis de mettre en évidence neuf (9) composantes minimales :
1. Contraception et santé sexuelle ;
2. Surveillance de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum ;
3. Surveillance de la croissance et de l’état nutritionnel du nourrisson, promotion de l’allaitement maternel exclusif (AME) et des bonnes pratiques de sevrage (BPS) et vaccination ;
4. Lutte contre les IST y compris le VIH/SIDA ;
5. Lutte contre la stérilité ;
6. Prévention des avortements et prise en charge de leurs complications ;
7. Prévention et prise en charge des affections de l’appareil génital, y compris les cancers ;
8. Lutte contre les mutilations génitales et les sévices sexuels et ;
9. Santé reproductive des adolescents.
Au Sénégal, la plupart de ces composantes était déjà prise en charge à travers différents programme ou structures: Programme national de planification familiale (PNPF), Programme national de lutte contre le SIDA (PNLS), etc. …. La naissance du concept SR a conduit à une réorganisation et à une redéfinition des priorités, à savoir:
• la maternité à moindre risque,
• la santé sexuelle et reproductive des adolescents,
• l’élimination des pratiques néfastes à la santé,
• la prévention des grossesses non désirées,
• la lutte contre les IST y compris le VIH/SIDA, et
• la prise en charge des états non infectieux de l’appareil génital.
INTEGRATION DES SERVICES DE SANTE DE LA REPRODUCTION
Les services intégrés de Santé de la Reproduction permettent aux femmes d’accéder à de multiples services en général au même moment, dans le même lieu, et souvent par le même prestataire. Si les services sont bien intégrés, par exemple, une femme venue pour des services de consultation prénatale pourrait ainsi recevoir des services de conseils et dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST y compris le VIH) et un traitement si nécessaire, mais aussi des conseils sur la planification familiale, la nutrition et l’hygiène. Des services intégrés permettent aux femmes d’accéder à une gamme plus large de services, d’informations et de soins au cours d’une même consultation et augmentent ainsi l’utilisation des services tout en améliorant la qualité et l’efficacité de ces services [5]. La question de l’intégration des services au sein des structures de santé est devenue d’actualité avec l’avènement des réformes dans le secteur de la santé des pays, suite à la conférence sur la Population et le Développement du Caire en 1994. Ces réformes peuvent être perçues comme une conséquence du besoin de mise en place d’une approche holistique pour traiter ou prévenir les maladies, mais aussi du besoin d’une nouvelle organisation des services afin de les rendre plus efficients. Ces restructurations des services de santé devinrent alors une exigence pour l’amélioration continue de la qualité des soins [11]. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’offre des services intégrés est définie comme « la gestion et l’offre de services de santé de sorte que les clients reçoivent un continuum de services préventifs et curatifs en fonction de leur besoin dans le temps et à travers différents niveaux du système de santé » [45]. L’intégration des soins consiste á « encourager les parties prenantes á travailler ensemble plus étroitement dans le but d’utiliser les ressources et connaissances disponibles plus efficacement, ce qui va réduire la fragmentation des soins disponibles et augmenter l’efficacité au sein du système de santé » [11]. Pour les clientes ou patientes, le principal objectif est de réduire les occasions manquées de dépister ou traiter d’autres pathologies concomitantes une fois qu’elles se présentent dans les structures sanitaires. Ainsi, l’on peut dire qu’intégrer les soins et services ne consiste pas seulement á les mettre ensemble dans la même structure ; celle-ci suppose de les organiser de telle sorte que chaque patient bénéficie d’un traitement ou d’un dépistage pour plusieurs pathologies liées lors d’une visite dans une structure sanitaire. En général, les hôpitaux disposent de plusieurs unités destinées au diagnostic et au traitement de nombreuses maladies. Cependant, cela ne reflète pas pour autant l’esprit de l’intégration des services. Ce concept signifie par exemple, qu’une patiente qui présente une structure sanitaire pour un besoin spécifique, soit invitée á procéder á un dépistage ou éventuellement,au traitement d’autres pathologies ou aux besoins identifiés lors de cette visite. Même si d’importantes conférences et réunions ont fait la promotion des services de santé, les différents plans d’action tels que celui de la CIPD n’ont pas fourni de plan de mise en œuvre de services de santé de la reproduction complets et intégrés [22]. Par conséquent, il n’existe pas de standard pour l’intégration des soins de santé . Généralement, une approche pragmatique et opportuniste a guidé le choix des soins de santé á intégrer et la manière de réaliser cette intégration. Plusieurs expériences sont basées sur l’intégration d’un nouveau service ou soins á d’autres déjà existants et souvent rencontrent un certain succès. Ce fut le cas de la vaccination contre le papillomavirus (HPV) pour la prévention du cancer de l’utérus intégrée dans différents programmes de santé en cours [36,42]. Les programmes de traitement et de prévention de la tuberculose et des infections sexuellement transmissibles y compris le VIH/SIDA ont été liés avec des programmes de prévention de la Transmission de la Mère à l’Enfant du VIH (PTME) et des centres de counseling et tests intégrés dans l’Andhra Pradesh en Inde [12]. La nouvelle tendance propose tout simplement que la prévention et le traitement du VIH/SIDA soient inclus dans le cadre de la santé sexuelle et reproductive, comme cela fut au début de l’épidémie. Cette opinion trouve sa justification dans le fait que le comportement sexuel est la principale cause de l’infection et aussi dans la reconnaissance de l’importance du risque de transmission du virus de la mère á l’enfant [19,47]. A côté de ces approches, il existe d’autres actions qui ont été élaborées dans le but de réaliser l’intégration de nombreux services. Au niveau stratégique, des programmes tels que le Fond Mondial de lutte contre le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme visent à mettre en œuvre des interventions nationales intégrées et complètes afin de réduire significativement la charge de ces maladies [48]. Au Sénégal, le centre pilote de soins intégrés en santé de la reproduction est un exemple de cette approche dans laquelle, dès le début, plusieurs types de soins sont mis en commun.
MODELES D’INTEGRATION TESTES AU SENEGAL
Avec le soutien financier de l’USAID (Agence Américaine pour le Développement International) et l’appui technique d’Intra Heath et de Population Council, du Réseau Siggil Jigeen et d’Helen Keller International, le Ministère de la Santé et de la Prévention du Sénégal a mis en place un paquet intégré de services de « Santé Maternelle, Néonatale et Infantile, Planning Familial, Lutte contre le Paludisme» (SMNI/PF/PALU). Dans le cadre de la mise en œuvre de ce paquet intégré de services, trois modèles d’intégrations spécifiques ont été expérimentés :
• l’intégration des services de soins de la mère et du nouveau-né ;
• l’intégration de la planification familiale dans tous les services de SR et ;
• l’intégration de la prévention et de la prise en charge du paludisme dans les services de consultation prénatale, néonatale et postnatale.
L’intégration des soins maternels et néonatals est quelque chose de naturel et pratique dans la mesure où la mère et son enfant constituent un binôme où le bien être de l’un dépend étroitement de l’autre. Ainsi, pour répondre simultanément aux besoins de santé des deux, un modèle intégré de services simple et peu coûteux est nécessaire. Au Sénégal, deux activités complémentaires -la Gestion Active de la Troisième Phase de l’Accouchement (GATPA) et les Soins Essentiels du Nouveau né (SENN)- ont été combinées pour assurer un continuum de services pour la prise charge intégrée du couple mère-enfant. Intégrer la planification familiale dans les autres services de SR permet de prendre en charge les besoins habituellement non satisfaits de la femme en matière de contraception au cours de son cycle reproducteur, notamment durant les périodes post-partum et post-abortum. Le paquet « Être Mère » a été le second modèle d’intégration développé pour accroître les connaissances et les capacités des prestataires en matière d’offre de services de planification familiale dans le cadre d’un ensemble intégré de santé de la reproduction. Cette intégration des services de PF dans les autres services de SR a contribué à augmenter l’accès des femmes à l’information et aux services de planification familiale : en 2009, 10.419 femmes ont bénéficié de services de soins post-avortement et 59% d’entre elles ont pu accepter une méthode de planification familiale après leur traitement. Le paludisme a des effets particulièrement nocifs sur les femmes enceintes et leurs enfants, et par conséquent sa prise en charge devrait être possible aux endroits où ces clientes se rendent pour obtenir des soins, particulièrement dans les services de consultation prénatale, néonatale et postnatale. L’intégration de ces services a fortement augmenté l’accès à l’information, ainsi qu’aux services de prévention et de traitement du paludisme chez ces populations à risque. Ainsi, 357.867 femmes ont reçu un traitement préventif intermittent (TPI) et 408.983 femmes ont reçu une prescription de moustiquaire imprégnée d’insecticide durant la période prénatale, ce qui indique une bonne intégration des directives de prévention du paludisme lors de la consultation prénatale. Cette mise en œuvre de l’intégration des interventions majeures initiées dans le cadre du projet SMNI / PF / PALU ont facilité la mise en œuvre de ces nouveaux modèles intégrés et permis de renforcer le système de santé sur lequel ils ont été construits. Deux initiatives spécifiques incluant une approche novatrice de formation du prestataire « Le Tutorat’’, et un système intégré d’information sanitaire ont contribué à consolider cette intégration des services. Contrairement aux approches de formation traditionnelles qui se concentrent sur un type de service ou un ensemble de compétences spécifiques, le tutorat met l’accent sur la fourniture de services intégrés et holistiques, notamment: les compétences en IEC et en counseling, la gestion logistique, et l’assurance qualité. Il met surtout l’accent sur les facteurs de performance qui peuvent influencer la qualité des services (l’équipement, l’organisation des services). De par son approche, le tutorat maintient le prestataire dans son lieu de travail et assure la continuité des services pour les clients des services. Une autre importante caractéristique du « Tutorat » a été l’incorporation de l’approche d’Identification Systématique des Besoins du Client (ISBC). L’ISBC est une stratégie permettant d’augmenter le nombre de services qu’une cliente reçoit lors d’une visite unique, et qui est basée sur l’utilisation d’une simple liste de contrôle permettant à un prestataire de poser des questions à la cliente et de fournir des services complets et intégrés. L’offre de services intégrés, l’environnement de travail, et l’organisation des services se sont considérablement améliorés. Un système d’information sanitaire solide est également nécessaire pour asseoir l’offre de services intégrés. Au Sénégal, la Division de la Santé de la Reproduction (DSR) recueille ses propres données de routine sur les services de SR offerts au niveau des Points de prestations de services ainsi que la liste et les types de données devant être recueillies et consolidées à l’échelle nationale. Ainsi, avec le soutien du projet SMNI / PF /PALU, le SNIS et la DSR se sont réunis et ont procédé à l’harmonisation des données à collecter et des indicateurs de performance du programme SR.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
A – RAPPELS SUR L’INTÉGRATION DES SERVICES DE SANTÉ DE LA REPRODUCTION
I. CONCEPT DE SANTÉ DE LA REPRODUCTION
II. INTEGRATION DES SERVICES DE SANTE DE LA REPRODUCTION
III. MODELES D’INTEGRATION TESTES AU SENEGAL
B-LA CONSULTATION PRÉNATALE ET LA PLANIFICATION FAMILIALE
I. CONSULTATION PRENATALE (CPN)
1. Définition
2. Historique
3. Contenu des consultations prénatales
4. Organisation de la consultation prénatale
5. Organisation de la CPN au Sénégal
II. PLANIFICATION FAMILIALE
1. Définition et concepts
2. Historique
3. Méthodes de planification
DEUXIEME PARTIE: NOTRE ETUDE
1. Cadre d’étude
2. Méthodologie
2.1. Type d’étude
2.2. Durée de l’étude
2.3. Echantillonnage
2.4. Critères d’inclusion
2.5. Critères de non inclusion
2.6. Collecte des données
2.7. Déroulement de l’enquête
2.8. Gestion et analyse des données
3. Résultats
3.1. Enquête auprès des patientes
3.2. Enquête auprès des prestataires
4. Discussion
4.1. Caractéristiques sociodémographiques et obstétricales des gestantes
4.2. Caractéristiques socio-professionnelles des prestataires
4.3. Qualité des informations génériques sur le suivi de la grossesse
4.4. Intégration de la planification familiale aux soins prénatals
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
REFERENCES
ANNEXES