Le tétanos est une toxi-infection aiguë due à la neurotoxine d’un bacille tellurique appelé Clostridium tetani ou bacille de Nicolaïer. Cette bactérie anaérobie stricte et ubiquitaire est très répandue dans l’environnement. Elle est éliminée dans les fèces de l’homme ou de plusieurs animaux et résiste sous forme de spores dans la terre [1]. L’inoculation des spores à l’homme survient lors d’une plaie de la peau ou des muqueuses souillée de terre, ou lors d’une blessure par un objet souillé ou des instruments mal stérilisés. Ces spores se transforment au point d’inoculation en formes végétatives qui produisent une neurotoxine. Celle-ci va altérer les transmissions synaptiques au niveau du système nerveux [1] et entraîner les contractions musculaires incontrôlées notées au cours de la maladie. L’incidence mondiale de cette maladie est estimée à 700 000 à 1 million de cas par an, avec une mortalité comprise entre 20 et 50% des cas [2-4]. La majorité des cas survient dans les pays en développement où la vaccination et les autres stratégies de prévention contre la maladie sont insuffisamment mises en œuvre. Une sous-notification importante des cas de tétanos est notée dans ces zones d’endémie [5]. En Afrique Noire, la morbidité du tétanos varie de 10 à 50/100000 habitants/an, selon les pays [6]. A Dakar au Sénégal, elle a été estimée à 32,5 pour 100000 habitants/an [7]. Cependant, le nombre de cas de tétanos hospitalisés au Service des Maladies Infectieuses et Tropicales (SMIT) du Centre Hospitalier National Universitaire (CHNU) de Fann est passé de 774 cas entre 2000 et 2007, à 439 cas entre 2009 et 2012 [8, 9]. Malgré la vaccination des petits enfants dans le cadre du Programme Elargi de Vaccination (PEV), l’absence de rappels systématiques expose les grands enfants et les adultes au risque de tétanos. Dans les pays industrialisés où la vaccination est obligatoire, la maladie est rare et touche surtout les personnes âgées dont les rappels ne sont plus à jour [2, 8].
La prévention par une vaccination complète et obligatoire est la clé du contrôle ou de l’éradication du tétanos. Chez les personnes insuffisamment vaccinées, la prévention secondaire reposant sur le traitement adéquat des portes d’entrée et l’immunisation peut être réalisée devant une situation à risque [2]. Ceci suppose que le personnel de santé ait une bonne connaissance du tétanos, mais aussi de bonnes attitudes et pratiques en matière de prévention et de prise en charge de cette affection. Parmi les patients admis pour tétanos au SMIT du CHNU de Fann à Dakar (Sénégal), certains ont été pris en charge par des agents de santé au moment ou après leur exposition au risque de tétanos [9]. En effet, sur 439 cas de tétanos confirmés et hospitalisés au Service des Maladies Infectieuses du CHNU de Fann entre 2009 et 2012, il y avait 90 cas d’opportunités manquées de prévention, soit une prévalence de 20,5%. La majorité de ces cas avaient été pris en charge au niveau des centres de santé et des hôpitaux de la région de Dakar (64,5%) [9]. Ce constat soulève les questions suivantes : le personnel de santé de la région de Dakar connait-il bien le tétanos et ses moyens de prévention ? Quelles sont les attitudes et pratiques du personnel de santé en matière de prévention du tétanos ? Y a-t-il une relation entre une bonne connaissance du tétanos et une bonne pratique de la prévention du tétanos? C’est ce qui a motivé la réalisation de cette étude dont les objectifs sont:
– évaluer les connaissances des prestataires de soins des services d’accueil et d’urgence des centres de santé de la région de Dakar (Sénégal) sur le tétanos et son mode de transmission;
– décrire le statut vaccinalde ces prestataires;
– décrire l’attitude de ces prestataires en cas d’exposition au risque de tétanos;
– décrire les attitudes et pratiques de ces prestataires en matière de prévention du tétanos;
– analyser les caractéristiques professionnelles des prestataires en fonction de leurs connaissances et de leurs attitudes face au risque tétanigène,
– formuler des recommandations pour une meilleure prévention du tétanos.
RAPPELS SUR LE TETANOS
HISTORIQUE
Le tétanos est connu et décrit depuis l’antiquité. Hippocrate (environ 470-360 avant J-C) a fait l’une des premières descriptions d’un syndrome de contraction généralisée chez le commandant d’un navire qui s’était blessé en manipulant l’ancre. Au XIXème siècle, l’anatomiste anglais Sir Charles Bell fit une description détaillée du tétanos qui sévit chez des soldats blessés lors de la bataille de La Corogne (1809) et dessina le célèbre portrait d’un soldat atteint de tétanos avec un opisthotonos et un risus sardonicus caractéristiques .
– En 1884, Carle et Rattone montrèrent, en inoculant des lapins avec des échantillons de suppuration provenant de plaies de malades, que le tétanos était une maladie transmissible due à une bactérie. Nicolaïer découvrit que l’inoculation d’échantillons de sols à des animaux pouvait causer les symptômes de tétanos [5]. Dans le pus prélevé au point d’inoculation de ces animaux, il découvrit la présence d’un bacille long et mince (Bacille de Nicolaïer) et suggéra que ces microorganismes du sol se développaient dans les blessures et produisaient un poison comparable à la strychnine [11].
– En 1886, Rosenbach et Fludgge retrouvèrent le même bacille dans la plaie d’un homme mort de tétanos, et notèrent des formes sporulées ressemblant à des épingles à grosses têtes ou à des baguettes de tambour d’où le terme de Clostridium (κλοστερ en grec désignant un fuseau ou une baguette) [12].
– En 1889, Kitasato isole la bactérie en utilisant la propriété de thermorésistance conférée par la spore et en la cultivant en anaérobiose [13].
– En 1890, Knud Faber démontra l’existence d’une toxine en reproduisant des signes de tétanos par injection d’un filtrat de culture au cobaye [14].
– Entre 1890 et 1892, Von Behring et Kitasato établirent l’existence d’une immunité antitoxinique contre le tétanos en prouvant que l’injection d’un filtrat de culture de bacilles de Nicolaïer induit la production d’anticorps [15]. Ils réussissent à obtenir de l’antitoxine tétanique à partir de chevaux préalablement immunisés et furent à l’origine de la sérothérapie appliquée en France par Roux, Vaillard et Bazy [16].
– En 1897, Marie démontre que la toxine atteint le système nerveux central en remontant le long des nerfs moteurs.
– En 1898, Ehrlich décrit la tétanospasmine et la tétanolysine [17].
– En 1917, la vaccination anti-tétanique fut entreprise pour la première fois par H. Valle et L. Basy qui injectent à sept blessés de la toxine iodée [16].
– En 1920, Glenny et Ramon démontrent indépendamment que la toxine peut être transformée en toxoïde atoxique par un traitement au formol.
– En 1925 et 1926, la vaccination anatoxinique est débutée par Ramon, respectivement chez les animaux et chez l’homme [17].
– En 1935, Cole et Spooner identifient deux facteurs pronostiques importants: l’incubation et l’invasion [3].
– Entre 1946 et 1948, les premières purifications de la toxine tétanique (TeNT) ont été obtenues par Pullemer et al. Puis entre 1951 et 1973, les travaux sur la purification de la toxine tétanique et sa constitution en sousunités furent poursuivis par différents auteurs notamment par Raynaud, Bizzini, Matsuda, Craven, et Dawson [18].
– En 1955, le traitement des formes graves du tétanos fut débuté à l’Hôpital Claude Bernard dans le service du Pr Mollaret [16].
– En 1957, Brooks et al. injectèrent de la toxine tétanique par voie intrathécale et suggérèrent qu’elle induisait une baisse de la neurotransmission au niveau des synapses inhibitrices de la moelle épinière.
– Entre 1959 et 1961, Van Heyningen montra que la toxine tétanique reconnaît des récepteurs de nature gangliosidique sur le tissu nerveux [19].
– En 1967, Phillips et Ablett publient chacun son score pronostique [3].
– En 1975, fut adopté le score pronostique de Dakar lors de la IVème Conférence Internationale sur le Tétanos à Dakar.
– En 1986, la séquence du gène de la toxine tétanique et sa localisation plasmidique furent obtenues par Eisel et al., Fairweather et Lyness [20, 21].
– En 1992, l’activité enzymatique et la cible intraneuronale de la toxine furent mises en évidence par Schiavo et al.[11, 22].
– En 1997, la structure de la partie C-terminale de la toxine tétanique fut acquise par Umland et al.[23].
– En 2003, la séquence complète du génome de C. tetani fut dévoilée par Brüggemann et al.[24].
EPIDEMIOLOGIE
Morbidité
Dans les pays développés
Le taux de morbidité est faible du fait de l’amélioration de l’hygiène, du niveau socio-économique et sanitaire élevé, et surtout de la vaccination [8].
➤ En France
Le nombre de cas est passé de 317 en 1975 à 44 en 1996. On comptait 0,5 cas par million d’habitants en 1997 [25, 26]. L’incidence par million d’habitants par an était de 0,39 en 1998; 0,29 en 1999; 0,49 en 2000 et 0,44 en 2001. De 2008 à 2011, elle variait entre 0,05 et 0,23 cas par million d’habitants [27].
➤ En Italie
Entre 1955 et 1963, avant l’introduction de la vaccination antitétanique systématique chez les enfants, l’incidence du tétanos était évaluée à 14 cas par million d’habitants. Elle a baissé pour atteindre 5 cas par million dans les années 1970, 3 cas par million dans les années 1980, et 2 cas par million dans les années 1990. Entre 1992 et 2000, 102 cas en moyenne sont déclarés par an [28].
➤ Aux Etats-Unis
Dans les années 1950, l’incidence annuelle du tétanos était de l’ordre de 0,2 cas/100000 habitants [29]. Depuis 1975, le tétanos a atteint moins de 100 personnes par an (soit 0,01 pour 100000 habitants par an) .
Dans les pays en développement
Ces pays payent le plus lourd tribut au tétanos et le nombre de cas y est largement sous- déclaré.
➤ En Amérique Latine la morbidité semble être moins élevée, de l’ordre de 4,65 pour 100000 habitants par an au Brésil [31].
➤ En Afrique Noire, la morbidité du tétanos varie selon les pays de 10 à 50 pour 100000 habitants par an [7].
Une étude réalisée au Gabon en 1997 a évalué l’incidence du tétanos à 0,8 cas pour 100000 habitants [32]. Au Togo, la prévalence hospitalière au service des maladies infectieuses et de pneumo-phtisiologie du CHU de Tokoin est passée de 5,8% entre le 1er Aôut 2006 et le 30 juin 2007, à 3,3% entre le 15 juillet et le 31 décembre 2007 [33, 34]. A Bamako au Mali, 57 cas de tétanos ont été admis entre juillet 2001 et Août 2004, avec un nombre moyen annuel de 18 cas [35]. En Côte d’Ivoire, 1870 patients ont été hospitalisés pour tétanos au service des maladies infectieuses et tropicales (entre janvier 1985 et décembre 1998) sur un total de 62373 admissions toutes pathologies confondues, ce qui représente 3% des admissions. L’incidence annuelle est passée progressivement de plus de 266 cas en 1986 à 61 cas en 1998, avec une moyenne de 133 cas /an [36]. A Dakar au Sénégal, l’incidence atteint 32,5 pour 100000 habitants par an [7]; de 2000 à 2007, 774 cas de tétanos ont été admis au service des maladies infectieuses du CHNU de Fann [8].
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS SUR LE TETANOS
I. HISTORIQUE
II. EPIDEMIOLOGIE
1. Morbidité
2. Mortalité
3. Facteurs favorisants
3.1. Facteurs socio-démographiques
3.2. Facteurs économiques et environnementaux
3.3. Statut vaccinal
III. PHYSIOPATHOLOGIE
1. Inoculation
2. Action de la tétanospasmine
2.1. Au niveau du système nerveux central
2.2. Au niveau du système nerveux périphérique
2.3. Au niveau du système nerveux autonome
3. Action de la tétanolysine
IV. SIGNES
1. Type de description: tétanos aigu généralisé du sujet jeune non vacciné
2. Formes cliniques
V. DIAGNOSTIC
1. Diagnostic positif
2. Diagnostic différentiel
3. Diagnostic étiologique
VI. TRAITEMENT
1. Curatif
2. Préventif
DEUXIEME PARTIE: NOTRE ETUDE
I. CADRE D’ETUDE
1. Présentation de la région de Dakar
1.1. Situation géographique
1.2. Organisation administrative
2. Répartition des centres de santé dans la région de Dakar
II. METHODOLOGIE
1. Type et période d’étude
2. Population d’étude
3. Echantillonnage
4. Définition opéralionnelle des variables
5. Outil et technique de collecte des données
6. Saisie et analyse des données
7. Ethique
8. Limites de notre méthodologie
III. RESULTATS
1. Etude descriptive
1.1. Description de la population enquêtée
1.2. Evaluation des connaissances des prestataires sur le tétanos
1.3. Evaluation du statut vaccinal et du degré d’exposition au risque de tétanos des prestataires
1.4. Evaluation des attitudes et pratiques des prestataires en matière de tétanos
2. Etude analytique
IV. COMMENTAIRES
CONCLUSION-RECOMMANDATIONS
REFERENCES
ANNEXES