Selon Fejerskov, la carie est une maladie infectieuse multifactorielle, transmissible et chronique caractérisée par la destruction des tissus dentaires sous l’effet des acides produits par la fermentation bactérienne des glucides alimentaires (FEJERSKOV, 2004). L’objectif principal du traitement des lésions carieuses est le maintien sur l’arcade des dents atteintes, tout en conservant la fonction et l’esthétique de la dent. Initialement, le traitement des lésions carieuses a été orienté vers une approche chirurgicale par exérèse des tissus cariés puis par obturation à l’aide de biomatériaux. L’évolution de ces derniers et le souci croissant de préservation de l’organedentaire ont permis à l’odontologie conservatrice microinvasive de se développer, rendant presque obsolète la classification de Black. En 1998, Mount et Hume ont élaboré une nouvelle méthode permettant de localiser les lésions carieuses et d’évaluer le degré de l’atteinte. Cette idée, reprise et améliorée par Lasfargues, a donné naissance au concept SiSta et a généré une nouvelle manière d’aborder la prise en charge thérapeutique d’une lésion carieuse. Cette odontologie aminima, encore appelée « microdentisterie », regroupe tous les soins restaurateurs respectueux des tissus dentaires et du confort du patient. Les curetages dentinaires et préparations cavitaires sont réalisés en préservant les tissus dentaires résiduels sains ou potentiellement reminéralisables ; l’utilisation des biomatériaux adhésifs (résines composites de différentes fluidités, les ciments verre-ionmères, haute viscosité) est privilégié (Tyas MJ et al) (131). Elle s’est peu à peu imposée en pratique quotidienne, proposant certains avantages par rapport à une dentisterie plus traditionnelle tels que le caractère non-obligatoire de l’anesthésie.
En effet depuis plusieurs années, les praticiens ont quitté la logique du traitement systématiquement invasif de la carie dentaire pour s’orienter vers des approches plus médicales. Dès la fin des années 80, les concepts de dentisterie à minima ont été mis en avant pour répondre au principe d’économie tissulaire.
Ainsi des concepts préventifs et des traitements tels que la fluoration et la Reminéralisation des lésions débutantes ont été proposés. D’autre part, des techniques innovantes ont été développées pour diagnostiquer le plus précocement possible les lésions carieuses, afin de permettre une prise en charge rapide et limiter ainsi au maximum l’impact de la carie sur la dent. Parmi l’ensemble des caries, les lésions proximales représentent un défi important pour le clinicien qui se retrouve souvent à devoir prendre une décision entre deux options de traitement radicalement différentes : traitement préventif ou traitement invasif, avec des conséquences importantes pour l’intégrité de la dent.
La carie proximale
Anatomie dentaire
La dent est un organe épithélio-mésenchymateux assurant, par son aspect morpho-fonctionnel, la fonction masticatrice. Elle joue aussi un rôle social avec des fonctions telles que l’élocution et le sourire. Ces fonctions sont primordiales à la vie relationnelle. Les composants majeurs de la dent sont le cément, l’émail, la dentine et la pulpe.
L’émail est une structure minéralisée d’origine épithéliale qui forme un recouvrement protecteur au niveau de la couronne des dents. La formation de l’émail (amélogenèse) résulte d’une séquence complexe d’événements cellulaires et extracellulaires. Elle se produit en deux étapes intimement reliées : la production d’une matrice organique qui se minéralise immédiatement et le retrait de cette même matrice suivi d’une déposition minérale accrue. La cellule responsable de la formation de l’émail étant détruite lors de l’éruption de la dent dans la cavité buccale, l’émail ne peut pas se régénérer en cas d’altération. Tout au plus peut-il bénéficier de précipitation de phosphate et de calcium d’origine salivaire ou exogène. Afin de compenser cette limitation inhérente, l’émail est doté d’une organisation complexe et d’un taux de minéralisation très élevé qui en fait la structure la plus dure du corps. En effet, dans sa forme mature, il contient plus de 95% de minéral et, à la différence des autres tissus calcifiés, peu d’eau et seulement des traces de matrice organique (109).
La dentine fait suite à l’émail, sa formation porte le nom de dentinogénèse. La dentinogénèse résulte essentiellement de la synthèse et de la sécrétion par les odontoblastes de protéines dont une bonne partie est phosphorylée. Un petit nombre de molécules sont d’origine sérique et passe la barrière de perméabilité des jonctions intercellulaires. La compartimentalisation rend parfaitement lisible les étapes de ces processus conduisant à la formation d’une matrice extracellulaire et à sa minéralisation. Il s’agit là d’un modèle d’interactions épithélio-mésenchymateuses entre composants matriciels et éléments minéraux (109). Le complexe dentino-pulpaire est présent au centre de la dent, recouvert par l’émail au niveau de la couronne et par le cément au niveau de la racine. Il comprend : la dentine, tissu minéralisé formé à partir d’une matrice extracellulaire particulière déposée par les odontoblastes présents à la périphérie pulpaire mais aussi la pulpe, qui est un tissu conjonctif lâche possédant une composition et une structure semblables à celles des autres tissus conjonctifs de l’organisme. Les connaissances obtenues sur la régulation de la formation de la dentine cicatricielle sont un élément-clé pour l’utilisation future de molécules biologiques dans les thérapeutiques favorisant le maintien de l’intégrité pulpaire .
Les faces proximales des couronnes sont toujours moins convexes que les faces vestibulaires ou linguales et même, dans bien des cas, sont concaves. Cette anatomie, limitée par le collet et par le point de contact interdentaire, crée un espace interdentaire gingival qui répond à l’embrasure gingivale. Cette zone est limitée par les lignes de transition. Celles-ci correspondent à des lignes virtuelles, difficiles à définir et qui se trouvent à la jonction des faces convexes et concaves (Figure 2). Cet espace ainsi défini enferme la papille gingivale dans ses limites. Ces lignes de transition possèdent en général le même contour que celui de la face proximale. Si ces lignes présentent un sur-contour, elle entraîne également un sur-contour de la face proximale et donc une éviction par compression de la papille gingivale interdentaire. Si le contour, à l’inverse, est déficient, la papille gingivale risque de ne plus remplir l’espace interdentaire et de ne plus tenir son rôle, car ce tissu, par son élasticité, évite lastase alimentaire et le dépôt de plaque sur les parois proximales des dents adjacentes (85).
Les points de contact entre deux dents voisines ou, plus fréquemment, les surfaces de contact remplissent deux fonctions importantes. Premièrement, ils empêchent la nourriture devenir se tasser entre les dents. Secondairement, ils aident à la stabilisation des arcades dentaires dans le sens mésio-distal en transmettant et en canalisant les forces proximales. Si un point ou une surface de contact est détruit, cela entraîne un bourrage alimentaire qui provoque une inflammation, puis une destruction osseuse (85). Au niveau anatomique, chaque couronne dentaire possède deux crêtes marginales. Elles représentent les limites mésiales et distales des faces occlusales et limitent latéralement les fossettes principales mésiale et distale. De plus, elles empêchent les sillons dans le sens mésio-distal de déborder sur les faces proximales. En occlusion de classe I d’Angle, deux crêtes marginales contigües constituent souvent l’aire d’appui de la cuspide antagoniste (1). Les crêtes marginales sont bien souvent fragilisées lors d’une atteinte carieuse de la face proximale. Or, la perte d’une crête marginale entraîne une réduction de 50% de la résistance de la dent (115). Le risque de fracture coronaire est, par conséquent, accru. Ainsi la face proximale a un rôle primordial dans l’équilibre de l’arcade dentaire mais aussi dans la solidité de la structure dentaire. Toutefois, les relations entre parodonte et les dents adjacentes rendent particulièrement difficile la visualisation des faces proximales.
Processus carieux
Epidémiologie
La carie dentaire est la maladie la plus courante dans le monde et touche plus de 95% de la population mondiale (125) mais il existe de fortes disparités entre les pays. Selon l’OMS, 60 à 90% des enfants scolarisés dans le monde et près de 100% des adultes ont des caries qui entraînent souvent des douleurs et une sensation de gêne. L’indice CAO (dent cariée, absente ou obturée) des pays ayant élaboré des politiques de prévention a considérablement chuté : il était, à 12 ans, en France à 1.2 en 2006 contre 3.5 en 1975 (84). En dépit de l’amélioration de la situation buccodentaire dans les pays industrialisés, il existe de grandes disparités dans leur population. Ainsi, il est admis que 20% de la population regroupe 80% des lésions (84). La maladie carieuse se concentre sur des sujets à risque qu’il est nécessaire d’identifier. Si les lésions des surfaces lisses vestibulaires disparaissent de nos jours, les lésions des surfaces proximales et des puits et sillons restent fréquentes (84). Pitts, en 2001 , met en avant la sous-estimation de l’état carieux réel, les besoins de prévention et la nécessité d’effectuer un diagnostic de qualité à travers sa métaphore de l’Iceberg. En effet, pour cet auteur, les enquêtes épidémiologiques ne reflètent pas la réalité des « caries cachées » car l’examen épidémiologique conventionnel pratiqué de façon générale sans radiographie entraîne des retards de diagnostic (112). L’épidémiologie établit clairement que les dentistes devraient de plus en plus s’orienter vers des mesures de traitements préventifs et non opératoires .
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS SUR L’ANATOMIE DENTAIRE ET LE PROCESSUS CARIEUX
I. La carie proximale
I.1. Anatomie dentaire
I.2. Processus carieux
I.2.1. Epidémiologie
I.2.2. Etiopathogenie
I.2.3. Histopathologie des lésions initiales
I.2.3.1. Lésion amélaire initiale
I.2.3.2. Atteinte dentinaire au stade pré-cavitaire
I.2.3.3. Micro-cavitation de l’émail
DEUXIEME PARTIE
II. Classification des lésions carieuses initiales
II.1. Classification historique de Black (1904)
II.2. Classification de L’OMS de 2006 : CIM-10
II.3. Classification visuelle ICDAS
II.4. Classification selon l’activité (2002)
II.5. Classification radiologique
II.6. Classification à visée thérapeutique de Mount et Hume (1998) et classification SISTA (2009)
II.6.1. Les principes
II.6.2. Guide thérapeutique général
II.6.3. Traitement des lésions proximales (site 2)
II.6.3.1. SISTA 2 : secteur prémolo-molaire
II.6.3.1.1. SISTA 2.0
II.6.3.1.2. SISTA 2.1
II.6.3.1.3. SISTA 2.2
II.6.3.1.4. SISTA 2.3
II.6.3.1.5. SISTA 2.4
II.6.3.2. SISTA 2 : secteur incisivo-canin
TROISIEME PARTIE
III. Thérapeutique
III.1. Généralités
III.1.1. Définition et principes
III.1.2. Le diagnostic précoce
III.1.3. Réminéralisation des lésions débutantes et réduction des bactéries cariogènes
III.2. Les différentes techniques utilisées
III.2.1. Les Micro-fraises
III.2.1.1.Principes
III.2.1.2. Caractéristiques
III.2.1.2.1. Le coffret 4337
III.2.1.2.2. Le coffret 4383
III.2.1.3. Protocoles
III.2.1.4. Indications
III.2.1.5. Contre-indications
III.2.2. La sono abrasion
III.2.2.1. Généralités
III.2.2.2. Principes
III.2.2.2.1. Le système Sonicsys® microKavo Vivadent
III.2.2.2.2. Le système Sonicsys® approx de Kavo Vivadent
III.2.2.3. Protocole
III.2.2.3.1. Cas de conservation de la crête marginale
III.2.2.3.2. Cas d’effondrements de la crête marginale
III.2.2.4. Indications
III.2.2.5. Contre-indications
III.2.3. La tunnelisation
III.2.3.1. Principes
III.2.3.2. Protocoles
III.2.3.3. Indications
III.2.3.4. Contre une crête marginale intacte
III.2.5. Le traitement chimique
III.2.5.1. Principes
III.2.5.1.1. Constitution du Carisolv®
III.2.5.1.2. Principe d’action
III.2.5.2. Protocoles
III.2.5.3. Indications
III.2.5.4. Contre-indications
III.2.6. Le traitement à l’ozone
III.2.6.1. Généralités
III.2.6.1.1. L’ozone
III.2.6.1.2. LeHealOzone® de KaVo
III.2.6.2. Protocoles
III.2.6.2.1. Diagnostic
III.2.6.2.2. Stérilisation de la carie
III.2.6.2.3. Reminéralisation et réévaluation
III.2.6.2.4. Application d’un vernis ou pose d’une obturation
III.2.6.3. Indications
III.2.6.4. Contre-indications
III.2.7. Le traitement au laser
III.2.7.1. Généralités
III.2.7.2. Principes
III.2.7.3. Protocoles
III.2.7.4. Indications
III.2.7.5. Contre-indications
III.3. Les matériaux d’obturation
III.3.1. Généralités
III.3.2. Ciment verre ionomère CVI
III.3.2.1. CVI autopolymérisable
III.3.2.2. CVI photopolymérisable(CVIMAR)
III.3.2.3. Avantages
III.3.2.4. Inconvénients
III.3.2.5. Indications
III.3.2.6. Contre-indications
III.3.3. Composite
III.3.3.1. Généralités
III.3.3.1.1. L’adhésion du composite
III.3.3.1.2. Constitution des composites
III.3.3.1.3. Classification des composites
III.3.3.1.4. Les composites fluides
III.3.3.2. Avantages
III.3.3.3. Inconvénients
III.3.3.4. Indications
III.3.3.5. Contre-indications
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE