La sphère orale se distingue par la multiplicité des éléments qui la composent, la richesse et la variété de son innervation. Ainsi, des douleurs peuvent revêtir un aspect névralgique essentiel, un type vasculaire (sympathalgique) ou un aspect symptomatique en liaison avec l’élément malade (peau, tissu cellulaire et graisseux, os et dents, muscles et articulations, cavités sinusiennes, glandes, muqueuses, et gencives etc.).
Selon l’Association Dentaire Française (ADF), la douleur en odontologie est une expérience sensorielle et émotionnelle déplaisante, associée à une destruction réelle ou potentielle tissulaire, ou décrite comme telle [22] La douleur la plus courante est due à la carie dentaire et diffère en nature et en intensité selon son stade d’évolution: dentinite, pulpite, desmodontite ou abcès dentaire. A cela s’ajoute les douleurs parodontales et celles per-opératoires ou post-opératoires de ces affections. Quant à la douleur post-opératoire , elle a pour cause première le traumatisme opératoire direct des tissus. Elle peut être aggravée par le spasme musculaire réflexe et la distension des viscères qui s’associent au traumatisme direct. On distingue la douleur sourde et persistante du repos et la douleur plus vive et lancinante associée aux mouvements. La douleur postopératoire résulte d’une différence de stimulation nociceptive, d’une interprétation par les centres supérieurs, ainsi que de composantes affectives et émotionnelles. Elle associe une composante nociceptive à une composante hyperalgique [3] :
– la composante nociceptive, conséquence de stimulations sur le site chirurgical dont l’intensité est au-dessus du seuil nociceptif,
– celle hyperalgésique qui s’installe au bout de quelques minutes et qui contribue à majorer la sensation douloureuse. Elle s’associe en postopératoire à l’allodynie définie comme une sensation douloureuse induite par un stimulus habituellement non nociceptive.
Ces deux phénomènes témoignent d’une sensibilisation des systèmes nerveux périphérique et central après stimulation nociceptive en provenance du site opératoire [4]. Les douleurs postopératoires induites par les actes chirurgicaux doivent faire l’objet de stratégies de prévention. Les moyens thérapeutiques utilisés tels que la médication anti-inflammatoire ou antalgique l’anesthésie locale ou locorégionale, ou l’analgésie postopératoire [6] visent à réduire les composantes nociceptives et hyperalgiques. A cela, il convient d’ajouter la technique de la sédation vigile qui selon Aps J., Arreto CD et coll [7,8] permet de prévenir les douleurs aigues ou chirurgicales. La réanesthésie post-opératoire n’est pas, a ce jour une technique courante dans la pratique odontologique au Sénégal aussi, nous avons initié cette étude afin :
– d’évaluer l’efficacité antalgique de la réanesthésie post-opératoire.
– d’évaluer l’action de l’articaïne et de la mépivacaïne sur le délai d’apparition et l’intensité de la douleur post-opératoire.
Pour cela notre étude sera divisée en trois parties :
– la première sera consacrée à la douleur post-extractionnelle
– quant à la seconde, elle aura trait à l’articaïne et à la mépivacaïne
– enfin dans la dernière partie nous évaluerons l’effet de la réanesthésie à l’articaïne et à la mépivacaïne dans les suites post-extractionnelles des dents mandibulaires.
Rappels sur la douleur postextractionnelle
LA DOULEUR
Définition
La douleur est un phénomène perceptif pluridimensionnel qui signale une perte de l’intégrité physiologique de l’organisme. C’est une plainte et un motif de consultation fréquent, notamment en chirurgie dentaire avec des retentissements physiques, psychologiques, et sociaux importants. Selon la définition de l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (AIED), Il s’agit d’une « expérience sensorielle et émotionnelle associée à une lésion réelle ou potentielle de tissus ou décrite en terme d’une telle lésion » [35].
Douleur aigue
La douleur aigue est une douleur d’évolution sévère et souvent de forte intensité. Elle a un début et une fin bien précise. Elle s’accompagne de manifestations physiques, psychiques et comportementales du domaine du stress. Elle est considérée comme un signal d’alarme qui protège l’organisme. En effet, elle déclenche des réactions dont la finalité est d’en diminuer la cause et d’en réduire les conséquences ; on parle alors de nociception. La douleur aigue doit être considérée comme un symptôme. Elle est utile et protectrice. Son mécanisme générateur est habituellement simple et mono factoriel. S’il existe une composante affective intervenant dans l’expression douloureuse, il s’agit habituellement d’un simple état d’anxiété [37].
Douleur chronique
La douleur chronique est sans début précis et sans limite. C’est une douleur qui perdure au-delà de la guérison d’une lésion ou plus généralement qui évolue depuis plus de trois à six mois. En fait, toute douleur rebelle à un traitement symptomatique et étiologique bien adaptée doit faire évoquer la notion du syndrome douloureux chronique [15].
Dans ce contexte, la douleur prend toute une valeur protectrice, elle est dévastatrice tant sur le plan physique que psychologique et social. Elle appelle une évolution pluridimensionnelle et un programme thérapeutique multifactoriel .
Douleur post-opératoire
La douleur post opératoire a pour cause première le traumatisme opératoire direct du tissu. Elle survient en chirurgie buccale à la suite d’une extraction simple ou complexe ou d’une résection kystique. La douleur, conséquence quasi inéluctable de la chirurgie, est pour partie spécifique de la nature, du siège et du retentissement de l’acte réalisé, mais aussi des techniques et des agents analgésiques utilisés. En fait il n’y a pas deux douleurs, l’une per opératoire et l’autre postopératoire, mais une seule et même douleur qui évolue dans le temps sur des modes d’expressions différentes. La phase aigue est responsable de son caractère intolérable avec une répercussion neurovégétative grave ; la seconde, moins intense, se caractérise par une forte résonnance sur le confort et l’affectivité du patient [38]. L’acte chirurgical évoque une réponse métabolique, endocrine et hémodynamique semblable à celle engendrée par le stress. On distingue la douleur sourde et persistante au repos et la douleur plus vive et lancinante associée aux mouvements. Dans le cadre de douleurs postopératoires lors des pratiques dentaires, on est surtout confronté à l’excès de stimulation nociceptive [18]. En plus de la douleur aigue, la réaction inflammatoire entraîne un œdème par vasodilatation et extravasation liquidienne et parfois un trismus, à l’origine d’une gêne fonctionnelle importante [32]. L’inflammation s’entretient et s’amplifie par un enchaînement de rétrocontrôles positifs, pouvant entraîner à la longue des phénomènes d’hyperalgésie avec une plus grande douleur et durant une plus longue période.
Ainsi, les nocicepteurs voient leurs propriétés modifiées en périphérie, dans le sens d’une baisse du seuil de stimulation et d’une augmentation de leur champ récepteur sous l’effet de stimulations prolongées. Au sein du système nerveux central, des phénomènes de neuro-plasticité entraînent une modulation des influx nociceptifs.
Une synthèse des données concernant la physiologie des nocicepteurs par Le Bars et al 2002 [38] montre que l’origine de la sensibilisation n’est pas exclusivement périphérique mais également centrale, ces deux phénomènes étant imbriqués.
Plusieurs particularités de la région oro-faciale singularisent la douleur buccale :
– l’importance de l’innervation, notamment au niveau des lèvres, de la langue et de la pulpe dentaire.
– la richesse en neurones à convergence du complexe sensitif du trijumeau qui génère des phénomènes de douleur projetée.
L’importance fonctionnelle et sensorielle de la bouche et l’étendue des représentations thalamique et corticale de la zone oro-faciale rendent compte de l’aspect multifactoriel de la douleur oro-faciale .
Facteurs prédictifs de la douleur
D’importantes variations interindividuelles de l’intensité de la douleur postopératoire en chirurgie buccale peuvent être observées et les prescriptions antalgiques utilisées peuvent être considérées comme insuffisantes ou inadaptées dans 19 % des cas [56]. Différents travaux ont déjà rapporté des variables prédictives de la douleur après chirurgie buccale mais leurs résultats restent contradictoires: certains mettent en évidence des facteurs liés à l’intervention d’autres, des facteurs liés à l’individu [56]. Ces facteurs sont :
● L’acte chirurgical tant dans sa durée que dans sa difficulté ;
● L’expérience du praticien ;
● Le patient ;
● Les variables psychologiques : anxiété, dépression, perception de son état de santé ;
● Les habitudes de vie, tabagisme, facteurs sociaux défavorisants ;
● L’âge et le Sexe ;
● La douleur préexistante.
Méthodes d’évaluation de la douleur
Principes
L’évaluation de l’intensité et de la qualité de la douleur permet :
➤ d’orienter le diagnostic ;
➤ d’opter pour une stratégie thérapeutique
➤ de juger le soulagement induit par le traitement mis en place.
Cependant la douleur étant un phénomène physiologique et émotionnel, plusieurs problèmes se posent lors de son évaluation :
➤ Manque de sensibilité de la mesure ;
➤ Mesure basée sur la mémoire de la douleur (par exemple pour comparer sa douleur actuelle avec celle précédant le traitement) ;
➤ Modulation de la douleur avec le temps (dû au changement d’attention du patient vis-à-vis de sa douleur) ;
➤ Mesures inadéquates des différentes composantes de la douleur.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS SUR LA DOULEUR POST-EXTRACTIONNELLE
CHAPITRE I : LA DOULEUR
1.1. Définition
1.1.1. Douleur aigue
1.1.2. Douleur chronique
1.2. Douleurs postopératoires
1.2.1. Facteurs prédictifs de la douleur
1.2.2. Méthodes d’évaluation de la douleur
1.2.2.1. Principes
1.2.2.2. Outils d’évaluation
a) Echelles unidimensionnelles
b) Echelle verbale simple
c) Echelle numérique
d) Echelle visuelle analogue
e) Echelles multidimensionnelles
f) Echelles comportementales
CHAPITRE II : LES EXTRACTIONS DENTAIRES
2.1. Extractions simples
2.2. Extractions multiples
2.3. Extractions chirurgicales
CHAPITRE III : PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR POSTOPERATOIRE
3.1. Médicaments de la douleur en odontologie
3.1.1. Médication antalgique
3.1.1.1. Antalgiques de niveau 1
a) Paracétamol
b) Anti-inflammatoires non stéroïdiens
3.1.1.2. Antalgiques de niveau 2
3.1.1.3. Antalgiques de niveau 3
3.1.1. Médications adjuvantes
3.2. Anesthésie locale et loco-régionale
3.2.1. Anesthésie locorégionale
3.2.2. Anesthésie du nerf buccal
DEUXIEME PARTIE : L’ARTICAINE ET LA MEPIVACAINE
CHAPITRE I : BASES PHARMACOLOGIQUES: LES ANESTHESIQUES LOCAUX
1.1. Structure chimique
1.2. Mécanisme d’action
1.3. Absorption-dégradation
CHAPITRE II : ARTICAINE
2.1. Historique
2.2. Biochimie
2.3. Métabolisme
2.3.1. Biotransformation
2.3.2. La demi-vie
2.4. Mécanisme d’action
2.5. Composition et dosage
2.6. Contre-indications et précautions d’emploi
2.7. Efficacité
CHAPITRE III : MEPIVACAINE
3.1. Historique
3.2. Biochimie
3.3. Métabolisme
3.4. Composition et dosage
TROISIEME PARTIE : EFFET DE LA REANESTHESIE A L’ARTICAINE DANS LES SUITES POSTEXTRACTIONNELLES
CHAPITRE I : OBJECTIFS ET JUSTIFICATION DE L’ETUDE
CHAPITRE II : PATIENTS ET METHODE
2.1. Cadre d’étude
2.2. Critères d’inclusion et de non inclusion
2.3. Les patients
2.4. Les moyens
2.4.1. Matériel
2.4.2. Les produits anesthésiques
2.4.3. Une fiche d’enquête
2.5. Méthodologie
2.5.1. Description des procédures opératoires
2.5.2. Le délai d’apparition de la douleur
2.5.3. Intensité de la douleur
2.5.4. Analyse statistique
CHAPITRE III : RESULTATS
3.1. Caractéristiques sociodémographiques
3.1.1. Distribution de la population d’étude
3.1.2. Selon le sexe
3.1.3. Selon l’âge
3.2. Habitudes de vie
3.3. Motif de la consultation
3.1.1. Odontalgie
3.1.2. L’infection
3.4. Hygiène bucco-dentaire
3.5. Indication d’extraction et suture
3.6. Secteur dentaire
3.7. Niveau de délabrement muqueux et osseux post-opératoire
3.8. Délai d’apparition de la douleur
3.9. Intensité de la douleur mesurée par l’échelle visuelle analogique
CHAPITRE IV : DISCUSSION
4.1. Les caractéristiques sociodémographiques
4.1. Habitudes de vie
4.2. Motif de la consultation
4.3. Hygiène bucco-dentaire
4.4. Indication d’extraction et secteur dentaire
4.5. Niveau de délabrement muqueux et osseux post-opératoire
4.6. Intensité de la douleur mesurée par l’échelle visuelle analogique
4.7. Délai d’apparition de la douleur
CONCLUSION