La dermatite atopique (DA), ou eczéma atopique, est une dermatose chronique touchant principalement l’enfant. Elle cède progressivement avant l’adolescence, bien qu’il existe des formes persévérantes chez l’adulte. (1) Elle entre dans le cadre de l’atopie, dont elle est une des manifestations cliniques, au même titre que l’asthme et la rhinite allergique entre autres. Cette pathologie évolue par phases de poussées inflammatoires aiguës, entrecoupées de phases de rémission. Le traitement de la DA va donc consister en la prise en charge à la fois des poussées, mais également des phases de rémission ; le traitement d’entretien permettant de prévenir les récurrences. Organisée en 2004, la conférence de consensus de la Société Française de Dermatologie (SFD) relative à la prise en charge de la DA de l’enfant a regroupé des dermatologues, pédiatres, allergologues, ainsi que des médecins généralistes. A l’issue de cette conférence, les dermocorticoïdes (DC) ont été reconnus comme étant la pierre angulaire du traitement de première intention de la poussée inflammatoire. (2) Une enquête nationale d’intentions de pratique, réalisée en 2004 afin de préparer cette conférence, montrait que seuls 28% des médecins généralistes prescrivaient un DC en première intention pour traiter la poussée inflammatoire de DA. (3) De même, une étude américaine de grande échelle montrait que 52 % des médecins, toutes spécialités confondues, prescrivaient des DC dans la DA. Il a également été mis en évidence que les médecins généralistes en prescrivaient également moins que les dermatologues.
Rappels généraux sur la dermatite atopique
Définitions
La dermatite atopique (DA), ou eczéma atopique, est une dermatose inflammatoire chronique, survenant sur un terrain atopique. L’évolution naturelle se fait de façon paroxystique par épisodes de poussées aiguës, entrecoupées de périodes de rémission. L’atopie est une prédisposition, personnelle et/ou familiale d’origine génétique, du système immunitaire, à produire des anticorps de type IgE lors de l’exposition à des allergènes de l’environnement. Elle a pour traduction clinique plusieurs pathologies comme la dermatite atopique, l’asthme, la rhinite et la conjonctivite allergique, ainsi que les allergies alimentaires. Toutes ces manifestations de l’atopie peuvent être associées.
Rappels concernant la peau
La peau se compose de trois couches principales : l’épiderme, le derme et l’hypoderme.
L’épiderme, couche superficielle de la peau et directement en contact avec l’environnement extérieur, est un épithélium pluristratifié, kératinisé, squameux, non vascularisé.
Il est composé de quatre types cellulaires principaux :
– Les kératinocytes qui synthétisent la kératine. Leur cycle de vie dure 28 jours, migrant de la profondeur (couche basale) vers la surface de l’épiderme (couche cornée) où ils se transforment en cornéocytes ;
– Les mélanocytes qui synthétisent la mélanine au sein des mélanosomes, eux-mêmes transférés aux kératinocytes environnants. Les mélanocytes sont essentiellement retrouvés dans la couche basale ;
– Les cellules de Langerhans, cellules dendritiques capables de phagocytose, sont également des cellules présentatrices d’antigènes aux lymphocytes ;
– Les cellules de Merkel, situées dans la couche basale, sont les mécanorécepteurs responsables de la sensibilité tactile fine.
La division de l’épiderme est basée sur la morphologie des kératinocytes migrant vers la surface. On distingue cinq couches dans l’épiderme, de la plus profonde à la plus superficielle :
– Le stratum germinativum, ou couche basale, où prolifèrent les cellules souches épidermiques qui se différencient en kératinocytes ;
– Le stratum spinosum, ou couche spineuse, où les kératinocytes sont hérissés de desmosomes les liant entre eux ;
– Le stratum granulosum, ou couche granuleuse, où les cellules contiennent des grains de kératohyaline qui regroupent la loricrine et la profilaggrine entre autres ;
– Le stratum lucidum, ou couche claire, uniquement présente dans les épidermes épais ;
– Le stratum corneum, ou couche cornée, composée de grandes cellules, les cornéocytes, qui sont voués à desquamer. Les cornéocytes sont reliés entre eux par plusieurs éléments afin de réaliser la barrière cutanée : lipides intercornéocytaires, jonctions serrées et cornéodesmosomes.
La peau est un organe dont la principale fonction est d’établir une barrière entre l’organisme et l’environnement extérieur afin de maintenir l’homéostasie. Elle a un rôle de barrière multifonctionnelle. (7)
– Barrière hydrique, en limitant la diffusion de l’eau hors de l’organisme ou pertes insensibles en eau (PIE) grâce à la filaggrine ;
– Barrière physique, grâce à l’empilement des cornéocytes reliés entre eux par les cornéodesmosomes de la couche cornée ;
– Barrière photo-protectrice vis-à-vis des rayonnements ultra-violets grâce à la mélanine et de l’acide urocanique ;
– Barrière antimicrobienne grâce aux cellules de Langerhans et aux kératinocytes, capables de produire des peptides antimicrobiens. Ces deux types cellulaires sont producteurs de cytokines.
La peau agit également sur l’excrétion des déchets, la régulation de la température corporelle, la sensibilité tactile et la production de vitamine D.
Physiopathologie
Il existe plusieurs formes physiopathologiques de DA, même si leur présentation clinique est considérée comme identique.
Nous distinguerons :
– La DA extrinsèque, la mieux connue sur le plan physiopathologique et la plus fréquente car elle représente environ 80 % des cas de DA. (9) C’est celle que nous traiterons dans ce travail. Elle correspond à une immunisation vis-à-vis des allergènes de l’environnement avec production de lymphocytes T Helper de type 2 (TH2) et d’IgE spécifiques.
– La DA intrinsèque, correspondant à une DA sans aucun terrain atopique associé, est moins bien connue sur le plan physiopathologique. Il est cependant bien établi que la DA intrinsèque requière également la mise en jeu des lymphocytes TH2, sans qu’il soit toutefois possible de retrouver une élévation des IgE totaux ou des IgE spécifiques. (11) Plusieurs hypothèses pathogéniques sont évoquées :
❖ DA par hypersensibilité retardée à des allergènes non mis en évidence par les patch tests aux allergènes. (12)
❖ DA auto-immune, avec une immunisation vis-à-vis d’auto-antigènes épidermiques.
❖ DA auto-inflammatoire en lien avec l’immunité innée.
Quelle que soit la forme de DA, deux anomalies s’associent dans la pathogénèse de cette maladie : de la dysfonction de la barrière épidermique et celle du système immunitaire. A l’heure actuelle, l’origine physiopathologique de la DA n’a pas été établie précisément car ces deux processus sont potentiellement imbriqués. Deux théories s’opposent ainsi : la théorie outside in fait l’hypothèse d’un défaut primaire de la barrière cutanée, entraînant une perte d’eau trans-épidermique, d’où la xérose et une pénétration accrue des allergènes et irritants et favorisant une réponse immunitaire de type Th2. La théorie inside out, quant à elle, affirme que le principal dysfonctionnement est avant tout immunitaire, lui-même générateur d’anomalies épidermiques.
La dysfonction de la barrière épidermique
La filaggrine
La filaggrine (filament aggregating protein – FLG) est une protéine issue de la phosphorylation de la profilaggrine, elle-même stockée sous la forme de grains de kératohyaline dans les kératinocytes de la couche granuleuse. Cette protéine a pour rôle d’agréger les filaments de kératine au sein des kératinocytes afin de former la matrice fibreuse, lors de leur migration vers la couche cornée.
Tout au long de la différenciation des kératinocytes en cornéocytes, la filaggrine va être dégradée, par l’action de protéases, en acides aminés libres : acide pyrrolidone carboxylique (PCA) et acide urocanique (UCA). Ces acides aminés libres participent à hauteur de 50 % à l’élaboration du facteur naturel d’hydratation (FNH). Le FNH est un complexe très hygroscopique qui permet le maintien de l’hydratation de la couche cornée. Il représente à lui seul environ 30 % de la masse sèche du stratum corneum. La présence de ces acides aminés permet également le maintien d’un pH acide dans la couche cornée, favorable au développement de la flore commensale et donnant lieu à un effet antimicrobien, notamment sur le Staphylococcus aureus. L’UCA a par ailleurs des propriétés d’absorption des rayonnements UV-B.
La FLG a donc un rôle central au sein de l’épiderme, de la structuration de la matrice intracellulaire des cornéocytes au maintien de l’hydratation, en passant par son effet antimicrobien via les acides aminés issus de sa dégradation. Par conséquent, une perte de fonction de cette protéine liée à une mutation génétique entraînera une limitation de son activité et donc un déséquilibre de la barrière épidermique.
Facteurs génétiques
Entre 50 et 70 % des patients atteints de DA ont un parent au premier degré atteint d’une pathologie entrant dans le cadre de l’atopie. (15) De même, une étude sur des jumeaux a démontré que 82 % du risque de développer une DA est déterminé par les facteurs génétiques et seulement 18 % du risque par les facteurs environnementaux. Une seconde étude sur des jumeaux a déterminé qu’un jumeau monozygote d’un individu présentant une DA a un risque sept fois supérieur de développer une DA que dans la population normale et un risque trois fois supérieur pour les jumeaux dizygotes. (16) Ces chiffres permettent d’émettre l’hypothèse d’une composante génétique de la DA.
Deux groupes majeurs de gènes impliqués dans la DA ont été identifiés : des gènes codant pour des protéines participant à la structure de l’épiderme (dont la filaggrine) et des gènes liés à l’immunité innée et adaptative que nous aborderons plus loin.
Depuis 2006, plusieurs études ont permis de mettre en évidence de nombreuses mutations type « perte de fonction » ou « non-sens » de la filaggrine. (17)(18). Ces mutations aboutissent à la diminution ou l’abolition de production de la protéine active, sur le plan quantitatif et/ou qualitatif. Ceci étant, selon les études, seuls 15 à 50 % des patients atteints de DA présentent une mutation hétérozygote du gène de la filaggrine.(19) Les mutations homozygotes sont responsables de l’ichtyose vulgaire. Cependant, la présence d’une mutation hétérozygote multiple par trois le risque d’apparition d’une DA. (17) Il est donc très probable que des phénomènes épigénétiques altèrent la transcription du gène de la filaggrine pour aboutir à un défaut de la barrière épidermique chez les patients ne présentant pas de mutation, mais atteints de DA. (20) La mutation du gène de la filaggrine est donc un facteur nécessaire mais non suffisant pour développer la maladie.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS GENERAUX SUR LA DERMATITE ATOPIQUE
1. Définitions
2. Rappels concernant la peau
3. Physiopathologie
a. La dysfonction de la barrière épidermique
i. La filaggrine
ii. Facteurs génétiques
iii. Conséquences sur la barrière épidermique
b. Anomalies immunitaires
i. Rappel sur l’immunité innée et adaptative
ii. Immunité et dermatite atopique
c. Microbiote
4. Épidémiologie
a. Histoire naturelle
b. Prévalence
5. Diagnostic positif
a. Chez le nourrisson (jusqu’à 2 ans)
b. Chez l’enfant (après 2 ans)
c. Chez l’adolescent et l’adulte
6. Diagnostic différentiel
a. Chez le nourrisson
b. Chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte
7. Explorations complémentaires
8. Complications
a. Surinfections cutanées
i. Bactériennes
ii. Virales
b. Dermatite de contact (eczéma de contact)
c. Retard de croissance
d. Complications ophtalmologiques
9. Traitement
a. Information et éducation thérapeutique
b. Réalisation pratique du traitement pour le médecin généraliste
i. Traitement de la poussée
1. Dermocorticoïdes
a. Choix
b. Prescription
c. Effets indésirables
2. Autres
ii. Traitement d’entretien : les émollients
c. Les thérapeutiques du dermatologue
i. Inhibiteurs de la calcineurine topiques (immunomodulateurs topiques)
ii. Photothérapie
iii. Traitements systémiques
iv. Thérapeutiques à venir
DEUXIEME PARTIE : MATERIEL ET METHODE
1. Type d’étude
2. Population étudiée
3. Questionnaire
4. Éthique
5. Analyse statistique des données
TROISIEME PARTIE : RESULTATS
1. Recueil des données
2. Caractéristiques socio-démographiques
a. Données du Conseil national de l’Ordre des Médecins (CNOM)
b. Âge et sexe
c. Modalités d’exercice
3. Concernant la dermatite atopique
a. Prescription de dermocorticoïdes
b. Modalités de prescription des DC
c. Éducation thérapeutique
d. Traitements adjuvants
i. Émollients
ii. Autres thérapeutiques et modalités de prise en charge
e. Craintes et freins à l’utilisation des dermocorticoïdes
i. Médecins ne prescrivant pas de DC en première intention en cas de poussée de DA
ii. Médecins prescrivant des DC en première intention en cas de poussée de DA
iii. Totalité de l’échantillon
QUATRIEME PARTIE : DISCUSSION
1. Forces et faiblesses de l’étude
a. Le questionnaire
b. L’échantillon
2. Synthèse des principaux résultats et confrontation aux données de la littérature
a. Démographie de l’échantillon et modalités d’exercice
b. Prescription de dermocorticoïdes
c. Modalités de prescription des DC en première intention
d. Mesures adjuvantes
i. Éducation thérapeutique
ii. Émollients
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE