Le milieu montagnard
Limites entre basse, moyenne et haute altitude
Si, géographiquement, il est difficile de distinguer la moyenne montagne de la haute montagne, voire de la très haute montagne, on peut cependant donner une définition physiologique ou biologique de l’altitude. Ainsi, en fonction des effets de l’hypoxie sur l’organisme, on peut définir 3 «niveaux » d’altitude :
– La basse altitude : qui va du niveau de la mer (niveau 0m) à environ 1000m d’altitude, où aucun effet n’est ressenti ni au repos ni à l’exercice sauf parfois chez des personnes avec un terrain pathologique fragile, sur le plan pulmonaire par exemple.
– La moyenne altitude : de 1000 à 2000m environ, où le sportif ressent des effets à l’exercice, notamment sur la performance maximale. Lors des jeux de Mexico en 1968, on a noté une diminution nette des performances des athlètes lors des épreuves d’endurance.
– La haute altitude : entre 2000 et 5500m environ, où les effets de l’hypoxie se font ressentir immédiatement sur de petits efforts voire au repos.
– La très haute altitude : au-delà de 5500m, où la vie permanente est impossible. L’exposition prolongée à la très haute altitude entraîne inexorablement une dégradation de l’organisme.
– Au-delà de 8000m : on entre dans une zone dite «de la mort », incompatible avec la vie et où on ne peut rester longtemps sans apport d’oxygène (quelques minutes tout au plus).
Il existe plusieurs régions dans le monde où l’on peut se rendre en haute montagne (Annexe 2). Bien sûr, les effets de l’altitude sont très variables d’un individu à l’autre et cette définition ou sectorisation par niveaux d’altitude peut être différente d’un individu à l’autre mais, généralement, les premiers effets de l’altitude se font ressentir dès 3000m pour une personne en bonne santé. L’organisme est capable, grâce àplusieurs mécanismes que nous verrons plus loin, de s’adapter à ce milieu hypoxique mais il lui faut du temps. Ainsi, une montée trop rapide en altitude risque de provoquer une apparition précoce et importante de pathologies liées à l’hypoxie.
Contraintes barométriques et météorologiques en montagne
La pression atmosphérique
La pression atmosphérique diminue de façon exponentielle avec l’altitude (graphique 1). Ainsi, à 8848m (au sommet de l’Everest), elle est trois fois moins forte qu’au niveau de la mer, passant ainsi de 760mmHg à 236,3mmHg. Pour une même altitude, la pression atmosphérique n’est pas homogène autour du globe terrestre. En effet, elle est plus forte à l’équateur qu’aux pôles, ce qui change le ressenti d’un alpiniste qui verra alors ses performances changer entre un sommet à 6000m proche des pôles et un sommet à 6000m proche de l’équateur. En revanche, quelle que soit l’altitude, la proportion d’oxygène reste de 20,95% ; c’est la densité de l’air qui change lorsqu’on prend de l’altitude du fait de l’hypobarie. Comme présenté sur le graphique ci-dessous, la diminution de la pression atmosphérique entraîne une diminution de la pression artérielle en oxygène, ce que l’on nomme « hypoxémie ». Celle va entraîner une diminution de l’oxygénation des tissus : c’est l’hypoxie.
La température
La température diminue d’environ 1°C tous les 150m de dénivelé. La latitude et la couverture nuageuse influencent aussi la température de l’air. Un passage nuageux va faire chuter la température de l’air et il fait généralement plus froid lorsqu’on s’approche des pôles. Le vent influence la température ressentie par une personne mais il ne modifie pas la température de l’air.
Pourquoi l’Homme se rend-il en altitude ?
Il existe plusieurs raisons pour lesquelles l’homme se rend de façon temporaire ou plus ou moins définitive en altitude :
a) Activités de montagnes : sport, loisirs, tourisme
b) Travail : exemple de mineurs au Chili, businessman à la Paz…
c) Vie en Montagne : peuples de l’Himalaya, Andes
En France, les principales raisons sont surtout les loisirs tels que l’alpinisme, la randonnée, ou les sports de montagne… La FFME (fédération française de montagne et d’escalade) recense ainsi un peu moins d’une vingtaine d’activités de montagne, plus ou moins sportives, réalisables parfois tout au long de l’année ou en fonction du niveau d’enneigement et des conditions météorologiques. Voici un tableau récapitulatif des activités ainsi que les saisons de l’année favorables à leur pratique (bien sûr celles-là sont variables en fonction des conditions de praticabilité du terrain, variables chaque année (niveau d’enneigement notamment)).
Adaptation et réactions physiologiques de l’organisme à l’altitude
Ici, nous ne donnerons pas les détails de biologie moléculaire et de biologie cellulaire impliqués dans ces réactions mais seulement une vision globale des grands mécanismes physiologiques mis en jeu dans l’hypoxie aigue et chronique, aussi bien au repos qu’à l’effort. L’exposition à l’environnement de haute altitude entraîne des réactions de l’organisme : ces réponses physiologiques à l’hypoxie sont variables dans le temps. Certaines de ces réponses sont clairement impliquées dans les mécanismes réflexes visant à maintenir une fourniture en oxygène normale des tissus ; d’autres ne semblent pas, à priori, avoir un caractère adaptatif pour l’organisme.
Les phases d’adaptation
– L’accommodation ou phase blanche met en jeu des mécanismes immédiats pour contrebalancer l’exposition aigüe à l’hypoxie (entre quelques heures et deux ou trois jours). Les débits ventilatoire et cardiaque augmentent.
– L’acclimatation est une phase allant de quelques jours à deux ou trois semaines où l’organisme tente de développer des réponses plus économiques à l’hypoxie prolongée (amélioration du transport de l’oxygène via l’érythropoïèse et amélioration du transfert d’oxygène vers les tissus). C’est durant cette phase que peuvent se manifester les signes pathologiques les plus graves.
– Une fois que les processus d’acclimatation sont stabilisés, l’organisme atteint la phase d’acclimatement. A chaque montée à une altitude supérieure non encore atteinte, une nouvelle phase d’acclimatation est nécessaire avant d’atteindre un nouvel état stable d’acclimatement.
– Après plusieurs semaines passées au-delà de 5000m, on observe une phase de dégradation de l’organisme qui se manifeste par une perte pondérale, une altération des fonctions psychiques et physiques des individus… Cette phase apparaît d’autant plus vite que l’altitude est élevée.
Les réponses physiologiques de l’organisme en altitude
Les mécanismes ventilatoires
L’hypoxémie déclenche une hyperventilation réflexe par stimulation des chémorécepteurs périphériques (corpuscules carotidiens). Les centres respiratoires bulbaires sont donc activés et la ventilation augmente en quelques secondes. Cette réponse est très variable suivant les individus et aurait un caractère héréditaire. L’hyperventilation augmente l’élimination du CO2, la PaCO2 baisse et le PH s’élève. Cette situation d’alcalose respiratoire avec hypocapnie entraîne une compensation par réabsorption des ions H+ et une élimination accrue des bicarbonates par le rein. La compensation de l’alcalose, associée à une augmentation progressive de la réponse au CO2 des récepteurs centraux et de la réponse à l’hypoxie des récepteurs périphériques, permet une augmentation progressive de la ventilation au cours des premiers jours, voire des premières semaines en altitude. A un niveau donné de puissance à l’exercice, la ventilation est plus élevée en altitude.
Les mécanismes cardio-vasculaires
Il faut bien distinguer ce qui se passe lors de l’hypoxie aigue, de l’hypoxie prolongée:
– En phase aigüe : la fréquence cardiaque augmente au repos et à l’exercice.
– En phase chronique : la fréquence cardiaque diminue avec l’acclimatation tant au repos qu’à l’exercice modéré mais reste toujours supérieure aux valeurs de normoxie. En revanche, la fréquence cardiaque maximale diminue, ce qui est un facteur limitant la performance lors d’un exercice. Le débit cardiaque et la tension artérielle systémique semblent peu varier en altitude. En revanche, la pression artérielle pulmonaire (PAP) augmente avec l’altitude par le biais d’une vasoconstriction entraînant une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) surtout à l’exercice. L’hypoxémie entraîne par ailleurs une polyglobulie par le biais d’une augmentation de la concentration en hémoglobine mais surtout d’une hémoconcentration. Celle-ci n’est significative qu’à partir de 1500m d’altitude et effective qu’au bout de 5 à 7 jours. Cette transformation quantitative du système de transport de l’oxygène s’accompagne aussi d’une transformation qualitative puisque l’hémoglobine va augmenter son affinité pour l’oxygène en haute altitude.
Les mécanismes neurologiques et le sommeil
L’altitude modifie le sommeil et les fonctions supérieures. Le temps de sommeil a tendance à augmenter pour compenser une baisse du sommeil profond. Les réveils intermittents sont plus fréquents. La ventilation nocturne devient périodique à type de Cheynes-Stokes et entraîne des apnées centrales variables selon les individus, et entraînerait une hypoxémie nocturne probablement responsable de la survenue plus importante d’œdème pulmonaire de haute altitude en période de sommeil. Les fonctions psychiques et psychologiques déclinent avec l’altitude. Les tâches fines (écriture, résolution de problèmes arithmétiques…) sont de plus en plus difficiles et, au-delà de 6000m, on note parfois des changements de comportement, des troubles de la mémoire, de l’élocution ainsi que des pertes de conscience.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
2. RAPPELS ET DEFINITIONS EN MONTAGNE ET EN MEDECINE D’ALTITUDE
2.1. LE MILIEU MONTAGNARD
2.1.1. Limites entre basse, moyenne et haute altitude
2.1.2. Contraintes barométriques et météorologiques en montagne
2.1.2.1 La pression atmosphérique
2.1.2.2 La température
2.1.3. Pourquoi l’Homme se rend-il en altitude ?
2.2. ADAPTATION ET REACTIONS PHYSIOLOGIQUES DE L’ORGANISME A L’ALTITUDE
2.2.1. Les phases d’adaptation (Graphique 2)
2.2.2. Les réponses physiologiques de l’organisme en altitude
2.2.2.1 Les mécanismes ventilatoires
2.2.2.2 Les mécanismes cardio-vasculaires
2.2.2.3 Les mécanismes neurologiques et le sommeil
2.3. LES PATHOLOGIES LIEES A L’HYPOXIE ET A L’ALTITUDE
2.3.1. Le Mal aigu des montagnes (MAM)
2.3.1.1 Définition et caractéristiques cliniques
2.3.1.2 Evaluation
2.3.1.3 Facteurs favorisants et prédisposants
2.3.1.4 Traitements et conduites à tenir (34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43)
2.3.2. L’œdème pulmonaire de haute altitude (OPHA)
2.3.2.1 Incidence et Présentation clinique
2.3.2.2 Les facteurs favorisants
2.3.2.3 Les traitements (49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56)
2.3.3. L’œdème cérébral de haute altitude (OCHA)
2.3.3.1 Présentation clinique et incidence
2.3.3.2 Facteurs de survenue et traitements
2.3.4. Résumé de la conduite à tenir en cas de MAM, d’OPHA ou d’OCHA sur le terrain
2.3.5. Les autres pathologies liées à l’hypoxie
2.3.5.1 Les oedèmes localisés de haute altitude
2.3.5.2 Les accidents thromboemboliques de haute altitude
2.3.5.3 Les accidents neurologiques de haute altitude
2.3.6. Les pathologies liées aux conditions en montagne et au terrain
2.3.6.1 Les pathologies liées au froid
2.3.6.2 Les dangers du terrain et des conditions météorologiques
3. ENQUETE AUPRES DES MEDECINS GENERALISTES
3.1. MATERIEL ET METHODE
3.1.1. Recrutement et population étudiée
3.1.2. Les questionnaires
3.1.3. Analyses bivariées
3.2. RESULTATS
3.2.1. Le taux de réponse
3.2.2. Caractéristiques de la population de médecins généralistes étudiée
3.2.2.1 Sexe
3.2.2.2 Age
3.2.2.3 Lieu géographique d’exercice
3.2.2.4 Rapport avec la montagne
3.2.3. Connaissances des médecins sur les notions de montagne et de pathologies d’altitude
3.2.3.1 Limite entre moyenne et haute montagne
3.2.3.2 Pathologies liées à l’hypoxie
3.2.3.3 Altitude où le danger de MAM est significatif
3.2.3.4 Contre-indication à un séjour en altitude
3.2.3.5 Médicaments utilisés en prévention
3.2.3.6 Les facteurs de susceptibilité à la pathologie d’altitude
3.2.3.7 Résumé des résultats aux questions de connaissance
3.2.4. Prise en charge des médecins en consultation
3.2.4.1 Interrogatoire
3.2.4.2 Conseils, prescription et orientation
3.2.5. Influence du diplôme de médecin du sport et de la zone géographique d’exercice
3.2.6. Questionnaire de mise en situation clinique
3.2.6.1 Prescriptions et trousse à pharmacie
3.2.6.2 Conseils de prévention pour l’altitude
3.2.6.3 Orientation vers un spécialiste
3.3. DISCUSSION
3.3.1. Les limites
3.3.1.1 Taux de réponses
3.3.1.2 Biais de recrutement
3.3.1.3 Biais d’influence
3.3.2. Le 1er questionnaire
3.3.2.1 Epidémiologie de notre étude
3.3.2.2 Les questions de connaissance
3.3.2.3 Capacité de prise en charge
3.3.2.4 Influence du diplôme de médecine du sport et du lieu d’exercice
3.3.3. La mise en situation fictive de consultation
3.3.3.1 Prescription médicamenteuse
3.3.3.2 Conseils de prévention
3.3.3.3 Avis spécialisé avant le départ
3.4. CONCLUSION DE L’ENQUETE
4. VERS UN OUTIL D’AIDE A LA PRISE EN CHARGE
4.1. POUR AIDER LES MEDECINS
4.1.1. Elaboration et objectif
4.1.2. Test et pertinence en service de médecine de montagne
4.1.2.1 Matériel et méthode
4.1.2.2 Résultats
4.1.3. Discussion
4.1.3.1 Limites de nos tests
4.1.3.2 Les dossiers étudiés
4.1.3.3 Critiques de l’outil
4.1.4. Conclusion de nos tests
4.2. POUR AIDER LES PERSONNES DANS LEUR DEMARCHE DE CONSULTATION
5. CONCLUSION GENERALE