Un des challenges majeurs pour la réalisation des réacteurs de fission (dits de « quatrième génération ») ou de fusion, qui devraient assurer à long terme la production d’énergie nucléaire, se situe au niveau des matériaux. En effet, en comparaison des générations actuelles de réacteurs nucléaires, les matériaux de structure et de cœur seront soumis à un environnement bien plus extrême en terme de température de fonctionnement et de condition d’irradiation par exemple [1]. Les matériaux retenus pour leur réalisation devront posséder les propriétés requises et les conserver tout au long de leur utilisation.
Les aciers renforcés par dispersion d’oxydes (ODS pour Oxide Dispersion Strengthened) semblent être des candidats prometteurs répondant à bon nombre de ces sollicitations. Ces matériaux allient un faible gonflement sous irradiation de la matrice ferritique [1] et une bonne résistance au fluage thermique [2], due à l’ancrage des dislocations sur une fine et dense dispersion de renforts nanométriques. Ces aciers sont obtenus par un processus complexe mettant en jeu le co-broyage de poudres métalliques et d’oxydes, suivi de traitements thermo mécaniques permettant d’obtenir la microstructure souhaitée. L’obtention de la dispersion de particules est intimement liée aux paramètres du processus d’élaboration [3]. A ce jour, on dénombre dans la littérature plus d’une dizaine de nuances d’aciers ODS fréquemment étudiées (MA957 [4], 12YWT [5], 14YWT [6], Eurofer 97 [7], …). Il n’existe toutefois pas de consensus sur la nature des particules d’oxydes nanométriques (structure et composition chimique), ni sur leur comportement sous irradiation. Ceci est principalement dû au fait que chaque nuance est différente et se distingue par sa composition chimique et son mode élaboration.
Rappels bibliographiques sur les aciers ODS
Pourquoi des aciers ODS
Les aciers ferritiques ou ferritiques / martensitiques renforcés par dispersion d’oxydes (ODS pour Oxide Dispersion Strenghtened) sont les matériaux retenus par la communauté internationale comme étant parmi les meilleurs candidats pour certaines structures des réacteurs nucléaires de génération IV ainsi que des réacteurs de fusion. Nous verrons dans cette partie en quoi les aciers ODS répondent aux critères de fonctionnement des réacteurs du futur et quel est l’intérêt de les étudier à l’échelle nanométrique.
Les systèmes nucléaires du futur
L’énergie est un facteur clé du développement économique et social. D’ici 2050, la population mondiale sera probablement passée à 9 milliards d’habitants et la consommation énergétique devrait doubler, dans une hypothèse de croissance modeste de la demande [8]. Dès lors, une question majeure pour ce début du 21ème siècle est de savoir comment satisfaire cette demande sans accroître de façon massive les émissions de gaz à effet de serre responsables de changements climatiques. Les réacteurs nucléaires de génération IV et dans un avenir plus lointain ceux reposant sur la fusion nucléaire pourraient apporter une partie de cette énergie. Ces réacteurs devront répondre à de nombreux critères. Ils devront avoir un niveau de sécurité à minima similaire à la génération actuellement en cours de déploiement, présenter des garanties par rapport à la non prolifération, optimiser l’utilisation du combustible et enfin améliorer la gestion des déchets. Dans le cas des réacteurs basés sur la fission, il existe six concepts, dits de 4ème génération, susceptibles de répondre à ces critères. La filière principalement développée en France est celle des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (RNR-Na), grâce au retour d’expérience acquis avec les réacteurs expérimentaux PHENIX et SUPER PHENIX. Un prototype nommé ASTRID est actuellement à l’étude et pourrait être mis en service au cours de la prochaine décennie. Un des atouts principaux de ce réacteur est sa capacité à la surgénération. L’utilisation de neutrons rapides peut engendrer la fission de l’ 235U (U : Uranium), comme les neutrons thermiques, mais aussi convertir l’238U en 239Pu (Pu : Plutonium) fissile. Il est donc possible d’utiliser l’U naturel et appauvri, qui est à la fois un sous-produit de l’enrichissement et un déchet des centrales nucléaires actuelles. D’après le CEA, la disponibilité mondiale en ressources fissiles primaires pourrait ainsi être multipliée par 100. L’utilisation des neutrons rapides permet de brûler une part significative des éléments radioactifs à vie longue qui compose les déchets : les actinides mineurs. Ainsi, les besoins en combustible et la quantité des déchets produits sont nettement moindres que les générateurs aujourd’hui en service.
Dans le cas des réacteurs basés sur la fusion nucléaire, la mise en pratique est beaucoup plus complexe. Il s’agit de fusionner deux noyaux légers (2H : Deutérium et 3H : Tritium) malgré les répulsions électrostatiques. Cette réaction est rendue possible pour des températures très élevées (> 10⁸ K) pour lesquelles la matière existe sous forme de plasma. Ce type de réacteur est très prometteur compte tenu de l’abondance de ces combustibles. Le deutérium (2H) peut être extrait de l’eau de mer (à raison de 33g par m3 ), ce qui équivaut à 10 milliard d’années de consommation annuelle mondiale. Le tritium est fabriqué in situ à partir du lithium dont les ressources sont estimées à 2000 ans. La fusion n’émet pas de polluants ni de gaz à effet de serre. Son principal sous-produit est l’hélium, un gaz inerte et non toxique. Il n’existe en outre aucun risque « d’emballement » car les conditions requises pour obtenir la réaction de fusion sont extrêmement rigoureuses et toutes modifications de celles-ci entraîneraient un refroidissement quasi instantané du plasma et un arrêt de la réaction. Afin de démontrer la faisabilité du confinement du plasma, le réacteur ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) est en construction . Si le bilan est positif, un prototype nommé DEMO verra le jour avec pour objectif de démontrer la faisabilité d’une production énergétique rentable.
Sollicitations des matériaux
Les matériaux des structures de cœur des réacteurs seront soumis à des hautes températures et à des forts flux neutroniques.
Les doses et les températures atteintes peuvent être bien supérieures dans les futures centrales nucléaires en comparaison des centrales actuelles (environ un facteur 2 en termes de dpa et de température). Il apparaît évident que de nouveaux matériaux devront être choisis ou inventés pour supporter ces environnements. Les aciers ODS sont envisagés comme matériaux pour le gainage du combustible des réacteurs de 4ème génération de type RNR-Na (SFR en anglais). Cette pièce, se situant au plus près du combustible, se présente sous la forme d’un tube de diamètre extérieur compris entre 10 et 11 mm avec une épaisseur de 0,5 mm et une longueur proche de 120 cm . Ces aciers sont également envisagés comme matériaux pour la première paroi et le divertor des réacteurs de fusion. Le divertor est une pièce clé des futurs réacteurs à fusion. C’est un élément de 648 tonnes situé dans la partie basse de la chambre et dont le rôle est de recueillir les « cendres » du plasma, notamment les noyaux d’hélium une fois qu’ils ont cédé leur énergie.
Dans le cas du réacteur ASTRID (de type RNR-Na), il est envisagé des températures en fonctionnement normale comprises entre 400 et 620°C et pouvant atteindre 800 à 900°C en situations incidentelles, ainsi qu’une dose d’irradiation jusqu’à 150 dpa pour les gaines de combustibles. A plus long terme, l’objectif est d’augmenter la température du liquide de refroidissement (de 50 à 100°C) et les taux de combustion, ce qui impliquerait pour les gaines une température de fonctionnement de 750 à 800°C et un niveau d’irradiation jusqu’à 200 dpa. Ces derniers éléments sont ceux soumis aux sollicitations les plus sévères en raison de leur proximité avec le combustible. Le confinement des produits de fission à l’état gazeux engendrera une contrainte de l’ordre de 100 MPa (en fin de vie) sur le gainage. La gaine de combustible sera également soumise à un environnement corrosif induit par la présence de sodium liquide. Ce dernier est utilisé car c’est un excellent fluide caloporteur et qu’il absorbe peu les neutrons. Les matériaux seront également soumis à un environnement corrosif du fait du combustible : Réaction Oxyde Gaine (ROG).
Dans le cadre de DEMO, la première paroi subira une irradiation à forte dose (150 – 200 dpa) associée à une forte production d’He (~ 12 appm/dpa) et d’H (~ 45 appm/dpa) issus des réactions de transmutations créées par les neutrons de 14 MeV du spectre de fusion de 2H et 3H. L’énergie des neutrons de fusion est bien supérieure aux neutrons rapides (1 à 2 MeV) classiquement rencontrés aujourd’hui. Les températures de service sont de l’ordre de 700°C en conditions normales. L’un des enjeux technologiques est donc de développer des matériaux pouvant résister aux sollicitations extrêmes de ces futurs réacteurs. Pour comprendre les choix aujourd’hui proposés, revenons au préalable sur les effets de telles sollicitations sur les matériaux.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : Rappels bibliographiques sur les aciers ODS
1.1 Pourquoi des aciers ODS
1.1.1 Les systèmes nucléaires du futur
1.1.2 Sollicitations des matériaux
1.1.3 Effets sur les matériaux des sollicitations extrêmes de cœur de réacteur électronucléaire
1.1.4 Matériaux candidats
1.2 Elaboration des aciers ODS
1.2.1 Elaboration
1.2.2 Microstructure des aciers ODS
1.2.3 Paramètres d’élaboration influençant la microstructure
1.3 Caractérisation des nano-particules
1.3.1 Structure des nano-particules
1.3.2 Composition chimique des nano-particules
1.4 Stabilité des nano-particules sous irradiation
1.4.1 Stabilité des particules sous irradiation neutronique
1.4.2 Stabilité des particules sous irradiation ionique
1.5 Conclusion
CHAPITRE 2 : Matériaux étudiés, techniques expérimentales et de simulation
2.1 Matériaux
2.1.1 Elaboration des aciers ODS de l’étude
2.1.2 Recensement des échantillons de l’étude
2.2 Microscopie électronique en transmission
2.2.1 Rappel succinct des fondamentaux de la MET
2.2.2 Microscopie conventionnelle
2.2.3 Microscopie à balayage
2.2.4 Microscopie haute résolution
2.2.5 Analyses chimiques
2.3 La Sonde atomique tomographique
2.3.1 Principe de la sonde atomique tomographique
2.3.2 SAT utilisées et conditions d’analyses
2.3.3 Analyse par SAT de nano-particules
2.4 Simulation de l’évaporation par effet de champ
2.4.1 Principe de la simulation
2.4.2 Paramètres de simulation
2.5 Conclusion
CHAPITRE 3 : Microstructure d’un acier ODS
3.1 Description du matériau à l’échelle mésoscopique
3.2 Etude des particules
3.2.1 Analyse par MET
3.2.2 Analyse par SAT
3.2.3 Conclusion partielle
3.3 Artefacts de SAT lors de l’analyse des particules de l’acier ODS
3.3.1 Comportement sous champ des particules
3.3.2 Paramétrage du modèle de simulation
3.3.3 Mise en évidence du croisement des trajectoires ioniques
3.3.4 Origine de la traîne
3.4 Conclusion
CHAPITRE 4 : Optimisation des mesures de compositions chimiques des différentes phases d’un acier ODS mesurées par sonde atomique tomographique
4.1 Composition chimique mesurée par SAT
4.1.1 Composition « brute » de la matrice d’un acier ODS
4.1.2 Mesures « brutes » de la composition chimique des nano-particules
4.2 Modèle de correction des mesures de composition chimique de SAT
4.2.1 Expression analytique de la densité atomique au cœur des particules mesurée en SAT
4.2.2 Evaluation du nombre d’atomes Fe et Cr artificiellement introduits dans les particules
4.2.3 Mise en évidence d’une structure cœur/coquille des particules
4.2.4 Proportion des atomes non quantifiés
4.2.5 Conclusion partielle
4.3 Validations expérimentale et numérique de la correction des mesures de compositions chimiques obtenues par SAT
4.3.1 Analyse par SAT d’un oxyde massif connu : Y2Ti2O7
4.3.2 Couplage MET/SAT
4.3.3 Etude par simulation des biais sur la mesure des compositions chimiques
4.3.4 Composition chimique corrigée
4.4 Conclusion
CHAPITRE 5 : De la formation des particules des aciers ODS à leur comportement sous irradiation
5.1 Formation des nano-particules
5.1.1 Analyse des poudres brutes de broyages
5.1.2 Analyses des aciers filés
5.1.3 Discussion des résultats
5.2 Evolution sous irradiation
5.2.1 Conditions d’irradiation
5.2.2 Influence de la température d’irradiation à dose constante (50 dpa)
5.2.3 Stabilité sous irradiation des nano-particules jusqu’à des doses de 270 dpa à 700°C
5.3 Conclusion
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
ANNEXES