Les valvulopathies rhumatismales, séquelles du rhumatisme articulaire aigu (RAA) représentent l’une des principales pathologies cardio-vasculaires des enfants et des adultes jeunes dans la plupart des pays en voie de développement. Elles constituent un lourd fardeau sanitaire socio-économique pour ces pays [1, 2].
La forte prévalence de ces valvulopathies dans la population d’âge scolaire constitue un problème préoccupant de santé publique comme en témoignent certains travaux africains [2, 3, 4, 5]. La plupart de ces études épidémiologiques se sont basées sur l’examen clinique d’enfants d’âge scolaire avec confirmation échographique des cas suspects, et ont estimé la prévalence des valvulopathies rhumatismales à environ 1 à 5 pour 1000. Les taux les plus élevées sont enregistrés en Afrique subsaharienne [6]. Des études récentes, effectuées au Cambodge et au Mozambique, basées sur le dépistage échographique systématique comparées au dépistage clinique, suggèrent que le dépistage échographique pourrait détecter environ 10 fois plus de valvulopathies rhumatismales que le dépistage clinique chez les enfants d’âge scolaire de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique subsaharienne [1].
Au Sénégal malgré une meilleure prise en charge du RAA, le pays paie encore un lourd tribut à cette pathologie. Cependant, malgré la nécessité de disposer de données épidémiologiques pour améliorer les stratégies de santé publique, une seule étude sur la prévalence échographique des valvulopathies rhumatismales en population générale a été réalisée au mois de Mars 2010 [7]. Cette étude réalisée dans les écoles publiques de Dakar a trouvé une prévalence de 7,5 pour mille.
RAPPEL SUR LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU
DEFINITION
Le rhumatisme articulaire aigu (RAA), ou maladie de Bouillaud, est une complication inflammatoire aiguë, non suppurée, d’une infection à streptocoque bêta hémolytique du groupe A, caractérisée principalement par la survenue isolée ou associée d’arthrites, de chorée ou d’atteinte inflammatoire des valves cardiaques; cette dernière pouvant laisser une cardiopathie séquellaire [8]. Le tissu sous-cutané (nodosités) et la peau (érythème marginé) peuvent être également atteints [8].
ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES
Dans les pays industrialisés, la décroissance du RAA s’est amorcée avant l’apparition des antibiotiques par l’amélioration des conditions de vie pour s’accentuer à partir de la Seconde Guerre mondiale avec l’utilisation de l’antibiothérapie qui a permis la prévention primaire et secondaire du RAA [9]. De nos jours, il est devenu une pathologie de plus en plus rare dans ces pays. L’incidence annuelle moyenne du RAA est depuis les années 1980 de l’ordre de 0,5/100 000 enfants âgés de 5 à 17–18 ans, oscillant entre 0,23 et 1,88/100 000 aux États-Unis, au Japon, au Danemark, en Grande-Bretagne et en Australie [10, 11, 12]. Par contre, dans les pays en voie de développement, le RAA est encore endémique et la situation actuelle de ces pays est celle de l’Europe et des pays industrialisés d’avant 1920 [51]. Dans la plupart de ces pays, on ne dispose pas de statistique précise sur l’incidence du RAA qui est très variable selon les pays. La prévalence du rhumatisme articulaire est très probablement sous estimée dans ces pays. Elle est d’environ 6 cas pour 1000 enfants d’âge scolaire dans les pays d’Afrique sub-saharienne (contre moins d’un cas pour 100 000 dans les pays développés) avec une incidence annuelle estimée à près de 470 000 cas avec près de 230 000 décès annuel [14]. Le RAA est classiquement une maladie de l’enfant et de l’adolescent. Il est fréquemment observé entre 5 et 22 ans [15]. Il est exceptionnel avant 4 ans et rare chez l’adulte de plus de 30 ans [16]. Les facteurs de risque classiquement retrouvés sont : un niveau économique bas, la malnutrition, une offre de soins et de traitements insuffisante avec l’absence d’antibiotiques disponibles, et la promiscuité induite par des logements exigus et surpeuplés, qui non seulement augmente le nombre de personnes atteintes mais augmenterait aussi la virulence du streptocoque bêta hémolytique du groupe A et sa capacité « rhumatogène ». La prédisposition familiale semble également significative [17].
ASPECTS ETIOPATHOGENIQUES
Depuis la publication de Cheadle en 1889, il a été constaté qu’une pharyngite était souvent contractée dans les semaines précédant la poussée de RAA, et que la fréquence de la maladie était saisonnière, du moins dans les pays à climat tempéré [18]. Cependant, la responsabilité du streptocoque bêtahémolytique du groupe A dans la genèse du RAA, n’a été retenue qu’en 1965. La preuve consistait en un taux élevé d’anticorps anti-streptocoques (antistreptolysines O [ASLO]), dans le sérum d’enfants en poussée de RAA. Ainsi, toute théorie sur la genèse du RAA doit tenir compte des observations suivantes. Du point de vue clinique, il est établi que les nourrissons qui contractent une infection par le streptocoque bêta-hémolytique ne développent pas de RAA [19]. L’âge moyen de la première poussée de RAA est de 8 ans [19]. La période de latence entre la pharyngite streptococcique et l’installation du rhumatisme est en moyenne de 18 jours [20].
Le risque de développer un RAA après une angine a été estimé entre 0,3 et 3 % des patients non traités [21]. Le RAA atteint surtout la valve mitrale, la valve aortique à un degré moindre, rarement la valve tricuspide, et exceptionnellement la valve pulmonaire. La raison pour laquelle une valve est plus fréquemment atteinte qu’une autre est inconnue [19]. Une réinfection par le streptocoque bêta-hémolytique du groupe A chez un patient qui a déjà présenté une poussée de RAA, réactive vraisemblablement la maladie [22]. Seuls certains sérotypes dit rhumatogènes de streptocoques du groupe A sont associés au RAA. Des études approfondies ont largement insisté sur la capside du germe qui contient les protéines de type M, lesquelles sont utilisées pour le typage des streptocoques. Cette protéine M présente une analogie structurale avec la tropomyosine et le sarcolemme du muscle cardiaque, les antigènes articulaires, les tissus sous cutanés et certaines cellules nerveuses du noyau caudé. Ainsi, il existe une antigénicité croisée entre ces tissus et le streptocoque [23, 24]. Une prédisposition génétique est certaine. Une susceptibilité génétique particulière semble aussi liée à un immunophénotype particulier des lymphocytes B du patient. D’autres études ont suggéré le rôle des groupes human leucocyte antigen (HLA) ; les antigènes de classe II DR2, DR4, DR1, mais aussi de classe I B35 semblent prédisposer au RAA [23, 25]. Une nouvelle hypothèse émergente tente de démontrer le lien entre streptococcies cutanées et la survenue du RAA dans certaines populations [26].
ASPECTS CLINIQUES
La maladie touche essentiellement les enfants âgés de plus de 4 ans, les adolescents et les adultes jeunes, indépendamment du sexe. Le RAA est une maladie inflammatoire générale. Il est l’expression clinique d’une maladie touchant le cœur, les articulations, le système nerveux central et les tissus souscutanés [27].
Antécédents
Dans les antécédents de sujets atteints de rhumatisme articulaire aigu, on note très souvent la streptococcie causale: scarlatine, otite, angine le plus souvent [27]. L’angine streptococcique se caractérise par un début brutal avec fièvre élevée, céphalées, douleurs pharyngées, amygdales souvent augmentées de volume, rouges ou érythémato-pultacées. Les manifestations cliniques surviennent 2 à 3 semaines après l’infection streptococcique pharyngée non ou mal traitée [27]. Le début est souvent brutal marqué par les signes généraux.
Signes généraux
Ils sont pratiquement constants. Il s’agit d’une fièvre à 38°C à 39°C ou d’une fébricule accompagnée d’asthénie, d’anorexie, douleurs abdominales, d’un amaigrissement modéré et d’une pâleur plus importante que ne le voudrait l’anémie qui est modeste [27].
Polyarthrite aiguë
Dans sa forme typique il s’agit d’une polyarthrite aiguë, fugace et mobile touchant généralement les grosses articulations: genou, cheville, coude, poignet, et parfois les petites articulations comme les doigts et les articulaires profondes comme la hanche. L’inflammation ne se limite pas à l’articulation; les tendons et les tissus péri articulaires sont aussi enflammés, c’est à dire rouges, œdématiés, chauds et douloureux.
La polyarthrite est fugace, c’est à dire qu’elle ne dure que 2 à 3 jours sur une articulation. Elle est migratrice car elle libère une articulation pour en atteindre une autre en l’absence de traitement. Elle évolue spontanément vers la guérison et au bout de quelques jours, l’atteinte articulaire disparaît sans laisser de séquelles. Cette caractéristique est fondamentale et l’on peut dire que toute polyarthrite aiguë qui a laissé des séquelles n’est pas du rhumatisme articulaire aigu [27].
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1 : RAPPEL SUR LE RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU
1- DEFINITION
2-ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES
3-ASPECTS ETIOPATHOGENIQUES
4-ASPECTS CLINIQUES
4.1-Antécédents
4.2-Signes généraux
4.3-Polyarthrite aiguë
4.4-Cardite rhumatismale
4.5-Manifestations extra-cardiaques
4.5.1-Signes cutanés
4.5.2-Signes articulaires
4.5.3-Signes neurologiques
5-ASPECTS PARACLINIQUES
5.1-Biologie
5.3-L’électrocardiogramme
5.4-Echographie Doppler cardiaque
6-EVOLUTION
7-DIAGNOSTIC
7.1-Diagnostic positif
7.2- Diagnostic différentiel
8-ASPECTS THERAPEUTIQUES
8.1-Traitement de la phase aiguë
8.1.1-Le repos au lit
8.1.2-Traitement anti-inflammatoire
8.1.3-Traitement antibiotique
8.2-Traitement préventif
8.2.1-Traitement préventif des rechutes
8.2.2-Prévention primaire
Chapitre 2 : RAPPEL SUR LES VALVULOPATHIES RHUMATISMALES
1-ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES
2-ASPECTS ANATOMOPATHOLOGIQUES
3- ASPECTS CLINIQUES ET PARACLINIQUES
3.1-Rétrécissement mitral
3.1.1-Aspects cliniques
3.1.2-Aspects paracliniques
3.2- Insuffisance mitrale
3.2.1- Aspects cliniques
3.2.2-Aspects paracliniques
3.3-Maladie mitrale
3.4- Insuffisance aortique
3.4.1-Aspects cliniques
3.4.2-Aspects paracliniques
3.5-Rétrécissement aortique
3.5.1- Aspects cliniques
3.5.2-Aspects paracliniques
3.6- Maladie aortique
3.7-Insuffisance tricuspidienne
3.7.1- Aspects cliniques
Le diagnostic clinique repose sur la classique triade
3.7.2-Aspects paracliniques
3.8-Polyvalvulopathie
4- EVOLUTION-COMPLICATIONS
5- TRAITEMENT
5.1-Buts
5.2-Moyens
5.3-Indications
5.3.1-Traitement médical
5.3.1.1-Prévention et traitement de la décompensation cardiaque
5.3.1.2-Prévention des accidents thrombo-emboliques
5.3.1.3-Prévention de l’endocardite infectieuse
5.3.1.4-Prévention des récidives du RAA
5.3.2-Indications opératoires
5.3.2.1- Dans le rétrécissement mitral
5.3.2.2- Dans l’insuffisance mitrale
5.3.2.3-Dans l’insuffisance aortique
5.3.2.4-Dans le rétrécissement aortique
5.3.2.5-Dans la pathologie de la valve tricuspide
5.3.2.6-Les polyvalvulopathies
Chapitre 3 : ECHOCARDIOGRAPHIE ET VALVULOPATHIES RHUMATISMALES
1-DEFINITION ET PLACE DE L’ECHOCARDIOGRAPHIE DOPPLER DANS LE DIAGNOSTIC DE LA CARDITE RHUMATISMALE
2-RESULTATS DE L’EXAMEN ECHOCARDIOGRAPHIQUE DANS LES VALVULOPATHIES RHUMATISMALES
2.1-Le rétrécissement mitral
2.2-L’insuffisance mitrale
2.3-L’insuffisance aortique
2.4-Le rétrécissement aortique
2.5-L’insuffisance tricuspidienne
2.6-Le rétrécissement tricuspidien
CONCLUSION