Dans de nombreux secteurs industriels tels que la pharmacie, la cosmétique, l’agroalimentaire et la chimie, les émulsions sont des formulations utilisées afin d’obtenir des propriétés d’usage ou des compositions adéquates. Ces émulsions sont des systèmes dispersés métastables constitués d’au moins deux liquides non miscibles et d’un agent amphiphile. L’un des liquides est dispersé dans le second sous forme de petites gouttes sphériques dont la taille varie selon les conditions de 0,1 à quelques dizaines de micromètres. Le système ainsi créé ne correspond pas à un état thermodynamiquement stable, l’état le plus stable consisterait en la séparation macroscopique des deux fluides. Ces systèmes dispersés métastables sont classiquement stabilisés par des molécules tensioactives. Cependant, ces émulsions stabilisées par des tensioactifs sont remises en cause pour faire face à des exigences nouvelles liées à la protection de l’environnement, à la sécurité des utilisateurs, à la facilité de mise en œuvre et aux contraintes de coût. On s’oriente donc vers l’élimination progressive des solvants organiques et des tensioactifs de synthèse, tous deux étant jugés nocifs pour l’environnement [1]. Pickering et Ramsden [2, 3] ont démontré au début du siècle dernier la faisabilité d’émulsions sans tensioactifs, en présence de particules solides. Ces émulsions sont appelées « Emulsions de Pickering ». Ce concept d’émulsions stabilisées par des particules solides connait un regain d’intérêt de nos jours vu les nombreux avantages qu’elles présentent : bonne stabilité, protection de l’environnement, sécurité des utilisateurs, variétés de particules etc. De plus, l’un des principaux avantages des émulsions de Pickering est qu’elles sont plus stables que les autres types d’émulsions. L’adsorption des particules solides à l’interface huile-eau est quasiment irréversible et forte, conduisant à la formation d’un film dense, créant une barrière autour des gouttelettes et rendant ainsi les gouttelettes très résistantes à la coalescence. Depuis peu de temps, les possibilités d’application d’émulsions stabilisées par des particules sont considérées dans l’industrie pharmaceutique. Ce type de formulation peut être un système potentiel d’encapsulation des principes actifs, permettant la libération contrôlée et ciblée du principe actif depuis la phase interne. Dans ce contexte, l’objectif général de notre étude est d’élaborer et d’évaluer des émulsions de type E/H stabilisées par des particules d’oxyde de Magnésium (émulsions de Pickering) contenant du chlorhydrate de de tramadol dans la phase aqueuse interne.
Rappel sur la voie orale
L’administration orale d’un médicament est la modalité la plus ancienne. Cette voie est qualifiée de « physiologique » et de « naturelle » parce que le rôle naturel du tube digestif est l’absorption des éléments nécessaires à la vie. Elle présente beaucoup d’avantages et peu d’inconvénients. Tout cela explique le fait que 80 % des médicaments soient pris par cette voie [4].
Structure et fonctions
La bouche
Elle constitue la zone d’ingestion des aliments. Elle est tapissée d’une muqueuse et comprend les dents, les glandes salivaires et la langue. Elle a principalement deux rôles :
– une action mécanique : mastication et humidification pour obtenir le bol alimentaire,
– une action chimique : liée à la production de salive qui contient de l’amylase salivaire pour la dégradation des glucides.
Le pharynx
C’est le « carrefour aéro-digestif ». Il est tapissé d’une muqueuse et équipé de muscles constricteurs qui propulsent le bol alimentaire dans l’œsophage. Il s’agit de la déglutition, phénomène déclenché par le contact des aliments dans l’arrière gorge.
L’œsophage
C’est un tube musculeux qui assure le transport des aliments depuis le pharynx en passant par le médiastin thoracique, le diaphragme et débouche dans l’estomac au niveau du cardia (sphincter).
L’estomac
C’est une poche musculaire en forme de « J » située dans la partie supérieure et postérieure de l’abdomen, entre l’œsophage et le duodénum au niveau de l’hypochondre gauche et de l’épigastre. Le fundus et le corps sont les zones excrétrices d’acide chlorhydrique, de pepsine et de mucus respectivement par les cellules pariétales, principales et à mucus. L’antre contient des cellules G secrétant la gastrine (hormone peptidique). L’estomac absorbe l’eau et l’alcool et transforme les aliments à l’état de chyme grâce aux mouvements péristaltiques modérés qui se propagent le long de l’estomac. Ces mouvements permettent de macérer le contenu gastrique avec les secrétions des glandes gastriques. De plus, ces mouvements conduisent le chyme en le poussant vers le pylore pour le déverser ensuite dans l’intestin grêle .
L’intestin grêle
C’est le segment qui fait suite à l’estomac et constitue le principal organe de la digestion et le lieu d’absorption des nutriments dans le sang. Il termine le processus de la digestion des protides, glucides et lipides débuté dans la bouche et l’estomac, à l’aide des sécrétions intestinales, pancréatiques et hépatiques. Il comprend le duodénum, le jéjunum et l’iléon. La surface de l’intestin grêle est considérablement agrandie grâce à 3 niveaux de replis :
✓ Les valvules conniventes.
✓ Les villosités : replis de la muqueuse des valvules conniventes.
✓ Les microvillosités : bordure en brosse des villosités. Ce sont des cellules absorbantes.
L’intestin grêle joue un rôle moteur grâce à deux types de mouvements : segmentaires et péristaltiques [9].
Les mouvements segmentaires permettent le mélange et facilitent l’absorption alors que les mouvements péristaltiques permettent la progression du chyme gastrique. Ces mouvements sont involontaires. Il constitue également le site de sécrétion du suc intestinal et reçoit par ailleurs les sécrétions du foie notamment la bile et celles du pancréas (suc pancréatique) au niveau du sphincter d’Oddi [5-8].
Le gros intestin
Le gros intestin est le dernier segment du tube digestif. Il fait suite à l’intestin grêle et comprend trois parties : le caecum, le colon et le rectum. Il permet l’absorption et la réabsorption de l’eau et des électrolytes contenus dans l’effluent iléal et de stocker les résidus de la digestion au niveau du caecum.
Absorption d’une molécule active au niveau du tractus gastrointestinal (TGI)
La phase d’absorption est un processus qui consiste au passage d’une molécule dans les liquides circulants (circulation générale) à partir de son site d’administration. En effet, pour qu’une molécule active puisse avoir un potentiel thérapeutique par voie orale, cette dernière doit être absorbée efficacement à partir du tractus gastro-intestinal (TGI) et pour ensuite passer en quantité suffisante dans la circulation systémique. Par conséquent, cette molécule active doit être stable dans le gradient de pH croissant des milieux physiologiques du TGI, notamment dans l’environnement acide de l’estomac et également être stable par rapport à l’action des nombreuses enzymes présentes tout au long du TGI [10].
Absorption stomacale
En raison de l’acide chlorhydrique sécrété par l’estomac, le pH du liquide gastrique est acide : l’absorption y est limitée aux médicaments acides. En effet, l’anatomie de l’estomac révélant un épithélium épais, une muqueuse mal vascularisée, une surface limitée (environ 1m2 ), et un pH très acide (1,2 à 1,5), les conditions ne seront pas très favorables à une bonne absorption. Ainsi, le pH gastrique implique que les acides faibles y seront peu ionisés donc peu dissociés ; ceux-ci traverseront donc facilement les membranes par diffusion passive et y seront ainsi relativement bien absorbés. Outre le pH, d’autres facteurs influencent l’absorption au niveau gastrique comme :
✓ la liposolubilité de la fraction non ionisée ;
✓ l’état de vacuité de l’estomac sous la dépendance des prises alimentaires;
✓ le temps de contact (temps de vidange gastrique) ;
✓ le flux sanguin gastrique [12].
Absorption intestinale
En règle générale, l’absorption per os sera supérieure à l’étage intestinal du fait de conditions plus favorables comme :
✓ une plus grande surface d’échanges au niveau de l’épithélium grâce aux nombreuses villosités et microvillosités (environ 200 m2 soit l’équivalent d’un terrain de tennis) ;
✓ une importante vascularisation de la muqueuse (nécessaire à l’absorption des nutriments apportés par l’alimentation) ;
✓ un pH plus proche de la neutralité (5 au niveau des villosités et entre 6 et 7 dans l’espace luminale).
L’absorption orale est généralement majoritaire au niveau du pylore et de l’intestin grêle qui, lui-même, contient des sites spécifiques pour le transport actif. Là encore, l’absorption pourra être influencée par différents facteurs tels que :
❖ l’état de vacuité intestinale ;
❖ le péristaltisme intestinal conditionnant le temps de transit et donc de contact entre le principe actif et la muqueuse intestinale ;
❖ le flux sanguin intestinal ;
❖ les interactions médicamenteuses ou alimentaires pouvant par exemple générer des chélations, empêchant toute absorption.
A ce niveau nous avons principalement deux types de transport à travers la membrane : une diffusion passive et un transport actif.
❖ Diffusion passive
Le transport passif est le mode de passage le plus fréquemment rencontré dans le cas des molécules actives. Il ne nécessite pas d’apport d’énergie de la part de la cellule épithéliale. Cette dernière contribue à la formation d’un gradient de concentration de part et d’autre de la membrane épithéliale .
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
I. Rappel sur la voie orale
I .1. Structure et fonctions
I .1.1 La bouche
I.1.2 Le pharynx
I.1.3 L’œsophage
I.1.4 L’estomac
I.1.5 L’intestin grêle
I.1.6. Le gros intestin
I.2 Absorption d’une molécule active au niveau du tractus gastro-intestinal (TGI)
I.2.1 Absorption stomacale
I.2.2 Absorption intestinale
II. Généralités sur les émulsions de Pickering
II.1. Concepts de formulation et de stabilisation des émulsions de Pickering
II.1.1. Formulation et caractérisations des émulsions de Pickering
II.1.1.1 Formulation
II.1.1.2 Caractérisation
II.1.1.2.1 Détermination du sens de l’émulsion
II.1.1.2.2 Détermination de la granulométrie
II.1.1.2.3 Détermination de la viscosité
II.1.1.2.4 Détermination du pH
II.1.2. Concept de stabilisation des émulsions de Pickering
II.1.2.1 Structure et mécanisme de stabilisation de l’interface
II.1.2.1.1 Structure de l’interface
II.1.2.1.2 Mécanismes de stabilisation
II.1.2.2 Mouillage des particules et positionnement à l’interface
II.1.2.3 Mesure de l’angle de contact
II.1.2.4 Aspect énergétique
II.1.2.5 Interactions entre particules à l’interface
II.2. Type, stabilité et applications des émulsions de Pickering
II.2.1 Facteurs expérimentaux influençant le type d’émulsion
II.2.1.1 Mouillabilité des particules
II.2.1.2 Localisation initiale des particules
II.2.2 Les facteurs expérimentaux influençant la stabilité
II.2.2.1 Taille et forme des particules
II.2.2.2 Etat de dispersion des particules
II.2.2.3 Concentration des particules
II.2.3 Phénomènes d’instabilité
II.2.3.1 Sédimentation et crémage
II.2.3.2 Floculation
II.2.3.3 Coalescence
II.2.3.4 Mûrissement d’Ostwald
II.2.3.5 Inversion de phase
II.2.4. Applications des émulsions de Pickering
II.2.4.1. Industrie pharmaceutique et cosmétique
II.2.4.2. Préparation des matériaux
DEUXIEME PARTIE : TRAVAIL EXPERIMENTAL
I. Objectifs
II. Cadre d’étude
III. Matériel et méthodes
III.1. Matériel
III.1.1 Appareillage et verrerie
III.1.2 Matières premières
III.1.2.1 Phase huileuse
III.1.2.2 Phase aqueuse
III.1.2.3 Particules solides
III.1.2.4 Principe actif : le chlorhydrate de tramadol
III.1.2.5. Autres composés utilisés
III.2 Méthodes
III.2.1 Formulation des émulsions
III.2.1.1. Mouillage des particules
III.2.1.2. Emulsification
III.2.2 Caractérisation des émulsions
III.2.2.1. Examen macroscopique
III.2.2.2 Détermination du sens des émulsions
III.2.2.2.1. Mesure de la conductivité
III.2.2.2.2. Test au rouge Nile
III.2.2.3 Détermination de la taille des gouttelettes
III.2.2.4 Mesure du pH des émulsions
III.2.3 Etude de libération in vitro du chlorhydrate de tramadol
IV. Résultats
IV.1. Examen macroscopique
IV.2. Sens des émulsions
IV.2.1. Conductivité des émulsions
IV.2.1. Test au rouge Nile
IV.3. Taille des gouttelettes
IV.3.1 Taille des gouttelettes des émulsions sans chlorhydrate de tramadol
IV.3.2 Influence du chlorhydrate de tramadol sur la taille des gouttelettes des émulsions
IV.4. pH des émulsions
IV.4.1 pH des émulsions sans chlorhydrate de tramadol
IV.3.2 Influence du chlorhydrate de tramadol sur le pH des émulsions
IV.5. Etude de libération in vitro du chlorhydrate de tramadol
IV.5.1 Modélisation selon une cinétique du premier ordre
IV.5.2 Modélisation selon une cinétique d’ordre zéro
IV.5.3 Modélisation selon le modèle de Higuchi
V. Discussion
CONCLUSION
REFERENCES