La drépanocytose est une maladie génétique de l’hémoglobine transmise selon le mode autosomique récessif. Elle est due à la présence dans le globule rouge d’une hémoglobine anormale appelée hémoglobine S, du fait d’une mutation ponctuelle du sixième codon du gène β de la globine, le triplet GAG étant remplacé par GTG avec comme conséquence le remplacement de la valine par l’acide glutamique (74).
Sur le plan évolutif, elle se caractérise par une morbidité et une mortalité importantes secondaires à la survenue des complications aigues ou chroniques dont le traitement fait souvent recourir à la transfusion sanguine (1).
La transfusion sanguine constitue actuellement une option thérapeutique majeure indispensable dans la prise en charge des formes sévères de drépanocytose (7, 56). Elle existe sous trois aspects dans le traitement de la drépanocytose : la transfusion sanguine simple, l’échange transfusionnel ponctuel et l’échange transfusionnel au long cours (75).
Malgré les bénéfices obtenus avec cette thérapeutique, les patients polytransfusés sont exposés à une surcharge en fer post transfusionnelle qui est responsable d’atteintes organiques graves car l’excès de fer s’accumule dans les tissus parenchymateux des différents organes et provoque des lésions en raison de sa toxicité, aggravant ainsi le pronostic des patients (48). Les premiers moyens utilisés pour estimer cette surcharge en fer étaient fondés sur l’analyse de l’histoire transfusionnelle des patients, la durée des transfusions, leur nombre, leur fréquence et leur volume (36). Dans un second temps, cette évaluation fait appel à des méthodes directes telles que la détermination de la concentration en fer intra hépatique par ponction biopsie hépatique, la susceptométrie magnétique (SQUID) ou l’imagerie par résonance magnétique nucléaire, et des méthodes indirectes à savoir le dosage de la ferritinémie (36, 80). En Afrique, le dosage de la ferritinémie est plus utilisé dans l’estimation de la surcharge en fer post transfusionnelle des drépanocytaires ayant reçu plusieurs transfusions (2, 40, 62). Une étude récente réalisée en Tunisie avait souligné une forte corrélation entre le taux de ferritine et le nombre d’unités de sang reçues par les patients (40). Au Sénégal, les données transfusionnelles montrent que 20 à 30% des patients atteints d’un syndrome drépanocytaire majeur sont transfusés (22, 26, 27), mais aucune étude évaluant la surcharge en fer chez ces derniers n’est encore réalisée. C’est dans ce cadre que nous avons mis en place ce travail qui avait pour objectif d’évaluer la surcharge en fer chez ces drépanocytaires transfusés par la mesure du taux de ferritine sérique.
RAPPEL SUR LA DREPANOCYTOSE
Définition
La drépanocytose ou anémie à hématies falciformes est une hémoglobinopathie héréditaire de transmission autosomique récessive qui résulte d’une mutation ponctuelle du sixième codon du gène ß globine (un codon GAG remplacé par un codon GTG) situé sur le chromosome 11, entraînant la substitution d’un acide glutamique par une valine en position 6 sur le segment A de la chaîne ß aboutissant à la formation d’une hémoglobine anormale : l’hémoglobine S (Hb S : α2β2 S6(Glu→Val)) (74).
Epidémiologie
La drépanocytose est devenue un véritable problème de santé publique dans le monde. Elle était connue des populations africaines depuis trois siècles (8).
Dans le monde
La drépanocytose est une maladie répandue dans le monde du fait des migrations. Sa prévalence est de 10 à 12% dans les DOM (Départements d’Outre-Mer) d’Amérique, de 1 à 15% dans les régions méditerranéennes (8) et de 7 à 8% aux Etats-Unis (51). Les premiers cas de drépanocytose ont été rapportés en France dans les années 1940. Aujourd’hui, la drépanocytose est devenue, par son incidence, la première maladie génétique en Île-de France avec environ 200 nouveaux cas par an (13). Au Royaume-Uni, une étude en 1999 portant sur l’Angleterre montre, par an, 3000 nouveaux porteurs du trait drépanocytaire (0,47 %) et 2800 porteurs d’un trait βthalassémique (0,44 %); il y aurait 140 à 175 naissances d’enfants atteints de syndromes drépanocytaires majeurs et 10 à 25 enfants thalassémiques majeurs ou intermédiaires (45). En Allemagne, on ne compte au total que 300 patients atteints de syndromes drépanocytaires majeurs répartis dans une centaine d’hôpitaux (25). En Belgique, la population migrante s’élève à 30% dans l’agglomération bruxelloise et un dépistage néonatal systématique a été mis en place. Sur 23136 tests pratiqués de 1994 à 1998, 11 syndromes drépanocytaires majeurs et un cas de thalassémie majeure ont été détectés. Tous les porteurs d’HbS (au total 277) avaient au moins un parent originaire d’Afrique subsaharienne (39). Aux Pays-Bas, les études épidémiologiques sont encore partielles et une première projection ferait état d’environ 800 cas de syndromes drépanocytaires majeurs répartis sur tout le pays.
Dans la péninsule ibérique, la situation est différente. En Espagne les cas de syndromes drépanocytaires majeurs sont encore rares mais tendent à se multiplier avec l’accroissement récent de la population immigrée. Une étude d’un centre hospitalier de Barcelone rapporte 22 patients diagnostiqués entre 1985 et 2001. Les patients sont de différentes origines : subsaharienne mais également nord-africaine et afro-américaine (37). L’histoire coloniale du Portugal est plus ancienne et la mutation du drépanocytaire y a été introduite à partir du bassin méditerranéen entre les VIIIe et XIIIe siècles, puis de l’Afrique et s’est diluée dans l’ensemble de la population.
En Afrique
L’hémoglobine S, est très répandue entre le quinzième parallèle de latitude nord et le vingtième parallèle de latitude sud du continent Africain. Cette aire a reçu de LEHMANN le nom de « ceinture sicklémique » (Figure 1). Chaque année, environ 500000 enfants drépanocytaires naissent dans le monde, dont 200000 en Afrique. La moitié des enfants meurt en Afrique avant l’âge de 5 ans (8). La drépanocytose est une maladie de la race noire avec deux foyers majeurs: l’Afrique subsaharienne et l’arc arabo-indien (8). En Afrique subsaharienne, on note des fréquences variables de 10 à 40% selon des foyers assez distincts (51). La drépanocytose est un problème majeur de santé publique en Afrique noire où la prévalence du trait drépanocytaire est très élevée : 15 à 25% en Afrique centrale et de l’ouest (8).
Au Sénégal
Au Sénégal, 8 à 10% de la population sont porteuses de l’hémoglobine S et une étude menée chez les nouveaux nés a retrouvé 0,4% de formes homozygotes (23).
Physiopathologie
Le mécanisme physiopathologique de base a été très précisément décrit, centré sur la polymérisation de l’Hb S désoxygénée et les déformations cellulaires subséquentes observées chez les homozygotes SS (Figure 2). Au cours de la désoxygénation qui suit le passage dans la microcirculation, la molécule d’Hb S subit un changement de conformation. Celui-ci permet à la valine β6 d’établir des liaisons hydrophobes avec la chaîne β d’une autre molécule d’Hb, en particulier avec la phénylalanine β85 et la leucine β88. Une seule des deux valines opère ce contact, de sorte que l’interaction β−β entraîne la formation d’un polymère se présentant comme l’enchaînement de deux rangées de molécules.
Le processus met toujours un certain temps à s’amorcer (delay time), et ce délai est inversement proportionnel, à une puissance élevée, à la concentration intracellulaire de l’hémoglobine.
Ce phénomène de base entraîne une cascade d’autres anomalies qui participent au mécanisme physiopathologique. Une dérégulation de l’homéostasie des cations, avec activation des canaux ioniques, co-transport K/Cl et canal potassique dépendant du calcium, ou canal Gardos, entraîne la perte de potassium et une déshydratation cellulaire qui favorise la polymérisation de la désoxy-HbS.
Il y a simultanément dénaturation de l’Hb, dont les hémichromes s’agglomèrent à la face interne de la membrane avec les protéines du cytosquelette, en particulier la bande 3. Ce processus s’accompagne de la perte d’hème et de la libération de Fe3+, qui favorise l’existence d’un microenvironnement oxydant. On observe aussi une altération de l’asymétrie normale des phospholipides membranaires, avec exposition à la surface cellulaire de phosphatidylsérines anioniques. Des immunoglobulines de type IgG s’accumulent en surface, favorisant l’érythrophagocytose par les macrophages. Enfin, la déformation cellulaire s’accompagne d’une microvésiculation. L’ensemble de ces anomalies constitue la base des deux manifestations majeures de la maladie : l’anémie hémolytique et la crise vaso-occlusive (figure 2).
Des données récentes ont mis en évidence une participation majeure de l’endothélium vasculaire dans l’initiation de la crise vaso-occlusive, via des phénomènes d’adhérence cellulaire. Deux systèmes semblent jouer un rôle prépondérant : l’interaction α4β1/VCAM1, et celle de deux molécules CD36 par l’intermédiaire de la thrombospondine (49).
Diagnostic clinique
La majorité des patients drépanocytaires hétérozygotes se porte bien. Les signes cliniques de la maladie font généralement leur apparition chez le sujet homozygote dès les premiers mois de la vie quand l’hémoglobine drépanocytaire a progressivement remplacé l’hémoglobine F. La symptomatologie clinique comporte trois types de situations : les phases stationnaires, les complications aiguës et les complications chroniques.
Les phases stationnaires
L’anémie est constante. Elle est mise en évidence par la pâleur des téguments et des muqueuses. L’ictère conjonctivale est variable dans le temps et d’un cas à l’autre. La splénomégalie, constatée dès les premiers mois de la vie, persiste quelques années pour disparaître spontanément, généralement après l’âge de 5 ans. La croissance staturo-pondérale peut être perturbée si la maladie n’est pas découverte précocement et qu’un suivi médical régulier n’est pas instauré.
Les complications aiguës
Les principales complications aiguës observées chez les patients homozygotes sont les crises douloureuses, les infections, l’aggravation de l’anémie et les accidents vaso-occlusifs graves.
– Les crises douloureuses drépanocytaires (crises vaso-occlusives)
Elles se résument à des douleurs ostéoarticulaires, abdominaux lombaires avec comme principaux signes la fièvre et la douleur. Elles sont spontanées ou engendrées par toute situation entrainant une hypoxémie (l’infection, le froid, la déshydratation…). Elles durent environ 5 à 10 jours.
– Les infections
Elles sont la principale cause de décès chez les drépanocytaires. Il s’agit essentiellement d’infections pulmonaires et d’ostéomyélites. Les méningites et les septicémies sont les plus mortelles.
Les germes les plus fréquents sont : le Pneumocoque, l’Haemophilus influenzae, le Méningocoque, le Streptocoque et les Salmonelles.
– Les accidents vaso-occlusifs graves :
Ces accidents regroupent une série de complications parmi lesquelles : les accidents vasculaires cérébraux, les syndromes thoraciques aigues et le priapisme.
– L’aggravation de l’anémie :
L’aggravation brutale de l’anémie est possible et relève principalement de deux circonstances : les crises de séquestration splénique particulières aux enfants de moins de 5 ans qui provoquent la mort en l’absence de transfusion en urgence et les crises d’érythroblastopénie observées à tout âge souvent imputables au virus de l’hépatite B ou au parvovirus B19.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
I. RAPPEL SUR LA DREPANOCYTOSE
I.1. Définition
I.2. Epidémiologie
I.2.1. Dans le monde
I.2.2. En Afrique
I.2. 3. Au Sénégal
I.3. Physiopathologie
I.4. Diagnostic clinique
I.4.1. Les phases stationnaires
I.4.2. Les complications aiguës
I.4.3. Les complications chroniques
I.5. Diagnostic biologique
I.5.1. Hémogramme
I.5.2. Examens biologiques de mise en évidence de l’hémoglobine S
II. TRANSFUSION SANGUINE DANS LA DREPANOCYTOSE
II.1.Les produits transfusionnels
II.2. Les indications transfusionnelles
II.2.1. Traitement de l’anémie l’hyperviscosité sanguine
II.2.2. Traitement des accidents vaso-occlusifs graves
II.3. Les modalités transfusionnelles
II.3.1. La transfusion sanguine simple
II.3.2. L’échange transfusionnel ponctuel
II.3.3. L’échange transfusionnel chronique
II.4. Complications de la transfusion
III. RAPPEL SUR LE METABOLISME DU FER
III.1. Apports et besoins en fer
III.2. Absorption digestive du fer
III.3. Distribution et recyclage du fer
III.4. Transport plasmatique du fer
III.5. Stockage du fer
III.6. Régulation de l’homéostasie ferrique
IV. PHYSIOPATHOLOGIE DE LA SURCHARGE EN FER POST- TRANSFUSIONNELLE
V. COMPLICATIONS DE LA SURCHARGE EN FER
V.1. Complications cardiaques
V.2. Complications hépatiques
V.3. Complications endocriniennes
V.4. Complications osseuses
VI. METHODES D’EVALUATION DE LA SURCHARGE MARTIALE
VI.1. Méthodes directes
VI.1.1. Détermination de la capacité de fixation hépatique (CFH) par ponction biopsie hépatique (PBH)
VI.1.2. Imagerie par résonnance magnétique et susceptométrie magnétique
VI.2. Méthodes indirectes
VI.3. Limites des méthodes d’évaluation du stock en fer
VII. TRAITEMENT DE LA SURCHARGE EN FER
VII.1. La Déféroxamine (Desféral® ; DFO)
VII.2. La Défériprone (Ferriprox® ; DFP)
VII.3. Le Déférasirox (Exjade®, DFX)
DEUXIEME PARTIE
I. RAPPEL DES OBJECTIFS
I.1. Objectif général
I.2. Objectifs spécifiques
II. CADRE D’ETUDE
III. MATERIEL ET METHODES
III.1. Patients
III.2. Méthodes
III.2.1. Type d’étude
III.2.2. Techniques
IV. ETUDE STATISTIQUE
V. CONSIDERATIONS ETHIQUES
VI. RESULTATS
VI.1. Caractéristiques sociodémographiques des patients
VI.1.1. Age des patients
VI.1.2. Sexe
VI.1.3. Origine géographique
VI.2. Morbidité de la drépanocytose
VI.2.1. Profil drépanocytaire
VI.2.2. Durée de suivi des patients
VI.2.3. Nombre de crises vaso-occlusives par année
VI.2.4. Nombre d’hospitalisations
VI.2.5. Motifs des hospitalisations
VI.2.6.Complications aiguës
VI.2.7.Complications chroniques
VI.3. Données biologiques
VI.4. Données transfusionnelles
VI.4.1. Nombre d’unités de sang reçu
VI.4.2. Type de produits reçus
VI.4.3. Age de la première transfusion
VI.4.4. Indications transfusionnelles
VI.4.5. Modalités transfusionnelles
VI.5. Dosage de la ferritinémie
VI.6. Etude des facteurs de risque associés à la surcharge en fer
VII. DISCUSSION
VII.1. Caractéristiques de la population d’étude
VII.2. Données transfusionnelles
VII.3. Choix du dosage de la ferritine sérique pour évaluer la surcharge en fer
VII.4. Evaluation de la surcharge en fer
VII.5. Etude des facteurs de risque associés à la surcharge en fer
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE