La radiothérapie est aujourd’hui un outil indispensable dans la stratégie thérapeutique mise en œuvre pour traiter de nombreux cancers. Il s’agit d’un traitement non-invasif basé sur l’utilisation locorégionale de rayonnements ionisants permettant la destruction ciblée mais non spécifique des cellules tumorales. Le but de cette thérapie est de favoriser le contrôle tumoral avec possibilité de stérilisation totale de la tumeur tout en essayant de préserver au maximum les tissus sains environnants. Ce traitement est couramment prescrit de nos jours mais dans certains cas son utilisation est associée avec le développement de lésions secondaires graves, difficiles à appréhender et à maîtriser dans le temps.
Rayonnements ionisants
Les différents types de rayonnements
Un rayonnement est défini comme une émission d’énergie et/ou d’un faisceau de particules dans un espace. Certains rayonnements sont dits « ionisants », c’est-à dire qu’ils possèdent une énergie suffisante pour « arracher » des électrons aux atomes constituant la matière qu’ils traversent. Les atomes ayant ainsi perdu ou reçu un/des électron(s) deviennent instables et vont émettre différents types de particules afin de retourner vers une conformation plus stable. On distingue ainsi deux types de rayonnements ionisants: les rayonnements primaires (électriquement chargés) directement ionisants tels que les rayonnements α et β et les rayonnements non chargés ou indirectement ionisants, tels que les photons (rayons X et γ) ou encore les neutrons. Chacun d’eux possède des niveaux d’énergie et de pénétration de la matière différents. Les rayonnements α et β (type noyau d’Hélium ou électrons) ont un faible pouvoir de pénétration alors que les rayonnements X et γ sont dits pénétrants. L’effet d’un rayonnement va également dépendre du niveau d’énergie des particules émises, on parle aussi de transfert d’énergie linéique (Linear Energy Transfert, LET). De cette façon, les rayonnements sont classés en fonction de la quantité d’énergie déposée dans la matière. On distingue les low-LET comprenant les rayons X, γ et les particules β entrainant un faible dépôt d’énergie dans la matière, et les high-LET (neutrons et particules α) qui sont associés avec une plus grande quantité d’énergie déposée dans la zone cible. D’un point de vue biologique, les high-LET engendrent des dommages plus importants que les low-LET. Ainsi, les effets provoqués dans la matière et les moyens de protection seront donc fonction du type de particules émises .
La découverte des rayons X et de la radiographie par Wilhelm Röntgen en 1895 a conduit à d’importantes avancées scientifiques sur lesquelles sont basées de nombreuses techniques médicales actuelles. Aujourd’hui, les rayonnements ionisants sont utilisés dans divers domaines d’activité tels que le secteur industriel (processus de stérilisation, gammagraphie), le secteur énergétique (centrale nucléaire) ou couramment dans le secteur médical (imagerie, radiologie interventionnelle, radiothérapie).
Effets biologiques des rayonnements ionisants
La notion de dose est utilisée pour mieux comprendre l’impact des rayonnements ionisants sur la matière vivante. Tout d’abord, on définit la dose absorbée par la quantité d’énergie absorbée par la matière vivante, celle-ci étant mesurée en Gray (Gy). Ainsi, 1 Gy correspond à un transfert d’énergie de 1 joule à 1 kilogramme de matière. Deux autres doses sont ensuite calculées à partir de la dose absorbée : la première est la dose équivalente qui permet de prendre en compte le type de rayonnement utilisé, la seconde correspond à la dose efficace qui prend en compte la nature du tissu biologique. Ces deux doses sont exprimées en Sievert (Sv). Les effets biologiques des rayonnements ionisants sont la conséquence directe des effets physico-chimiques dans le tissu irradié, et peuvent conduire à la perte de l’intégrité du génome. La formation et l’accumulation de molécules ionisées instables dans la matière vivante favorisent la production d’espèces réactives de l’oxygène (ROS) via la décomposition de molécules d’eau au cours d’un processus appelé la radiolyse de l’eau. L’augmentation considérable de ces radicaux libres instables de type O2 ˙ˉ, H˙ , HO˙ au sein du tissu irradié induit d’importants dommages moléculaires et cellulaires. Au niveau membranaire les ROS vont engendrer des changements structurels et conformationnels des composants cellulaires majeurs dont les protéines et les lipides (peroxydation lipidique) (Poli et al. 1997). Ces modifications peuvent ainsi conduire à leur inactivation (perte de la fonction biologique) ou au contraire, peuvent dans certains cas activer des récepteurs membranaires comme le récepteur au TGF-β (Transforming Growth Factor-β) ou des voies de signalisation via l’activation des radeaux lipidiques riches en céramides par exemple (Gulbins et al. 2003).
D’un point de vue moléculaire, les rayonnements ionisants sont capables d’induire directement ou indirectement des dommages à l’ADN (Figure 2A). Ces lésions sont les plus graves en termes de conséquences directes sur la fonction cellulaire. Les cellules mammifères sont capables d’enclencher trois mécanismes immédiats en réponse aux rayonnements : un arrêt de la progression du cycle cellulaire, la mise en place des mécanismes de réparation de l’ADN et la mort programmée (Turesson et al. 2003). Il est établi depuis longtemps que les dommages induits par les rayonnements ionisants dépendent de la phase du cycle cellulaire dans laquelle se trouve la cellule au moment de l’irradiation. Chez les mammifères, le cycle cellulaire est divisé en quatre phases : la phase G1, la phase S, la phase G2 (interphase), la phase M (division cellulaire), la phase G0 étant un état de quiescence (Figure 2B). L’apparition de cassures à l’ADN induit un arrêt temporaire du cycle en phase G1, S ou G2 au niveau de points de contrôle aussi appelés checkpoints. Il a de plus été montré que des cellules irradiées pendant les phases G2 et M sont plus radiosensibles que des cellules irradiées pendant la phase G1 et la phase S tardive (Bismar et al. 2002). En d’autres termes, les cellules ayant une importante activité mitotique sont plus radiosensibles que les cellules quiescentes .
L’ensemble de ces paramètres sont à prendre en compte dans l’efficacité de la radiothérapie qui vise en premier lieu la destruction des cellules tumorales qui possèdent une activité mitotique plus élevée que les cellules saines. Dans les années 1980 un algorithme mathématique appelé le modèle linéaire-quadratique (LQ), a été développé afin de prédire la radiosensibilité tissulaire aux rayonnements. Ce modèle de référence permet de définir un rapport α/β, où α et β sont deux constantes spécifiques à un type cellulaire donné, pouvant varier en fonction du type d’irradiation et de la dose (Turesson et al. 2003). Ce rapport détermine l’effet biologique de l’irradiation sur le tissu et identifie la dose nécessaire pour optimiser l’action délétère des RI sur la tumeur, tout en préservant au maximum les tissus sains (notion de balance bénéfice/risque). Il peut être modélisé à partir de courbes de survie de différents types cellulaires qui seraient le reflet de la réponse tissulaire aux rayonnements (Hill et al. 2001). Dans le cas des protocoles fractionnés, cette équation doit être modifiée et la valeur du rapport α/β devient inversement proportionnelle à la radiosensibilité du tissu. Ainsi, il apparaît que les tissus à réponse rapide (épithéliums) sont peu sensibles au fractionnement (valeur du rapport α/β élevée, > à 10 Gy), contrairement aux tissus à réponse tardive (mésenchyme) qui possèdent un rapport α/β compris entre 1 et 3 Gy. Un exemple particulier concerne le carcinome de la prostate qui présente un faible rapport α/β (1,5 Gy). Dans ce cas, une dose plus élevée par fraction comprise entre 4 et 5 Gy s’avère plus efficace en terme de gain thérapeutique qu’une fraction classique de 2 Gy (valeur proche du rapport). De manière générale, le modèle LQ permet de fournir une description globale des effets du fractionnement sur un tissu donné, valable pour des doses par fraction allant jusqu’à 6 Gy (Tucker et al. 2010). Il devient toutefois nécessaire d’augmenter la dose lorsque la valeur du rapport α/β est proche de la valeur de la dose délivrée par fraction (Shorr et al. 2010). Bien que le modèle LQ ait permis des avancées majeures dans la mise en place des protocoles de radiothérapie, de nouvelles études sur sa fiabilité sont actuellement en cours d’essais cliniques concernant l’utilisation de nouvelles techniques faisant intervenir des doses plus élevées par fraction (8 à 20 Gy) dans le cas des radiothérapies hypofractionnées et stéréotaxiques, ou au contraire concernant les faibles doses.
La radiothérapie : un outil clef dans le traitement des cancers
D’après les chiffres de l’Institut National du Cancer, environ 355 000 nouveaux cas de cancers ont été diagnostiqués en France pour l’année 2014. Ce chiffre est en constante progression et s’explique par une meilleure sensibilisation de la population aux campagnes de dépistage des cancers, soutenues par le Plan Cancer 2014 2019. La moitié de ces nouveaux cas diagnostiqués concerne des tumeurs de la sphère abdomino-pelvienne telles que le cancer de la prostate, le cancer de la vessie, le cancer du col de l’utérus ou encore le cancer colorectal. Pour la moitié de ces patients, le traitement fait appel à l’utilisation de la radiothérapie seule ou en association avec une chimiothérapie ou une chirurgie.
Applications en radiothérapie : de l’Histoire à aujourd’hui
L’utilisation de la radiothérapie a fait suite aux travaux novateurs de Pierre et Marie Curie au cours des années 1867-1934 avec la découverte du radium et du polonium. Par la suite, l’utilisation du césium (césium 137, 137Cs, rayonnement β) et du cobalt (cobalt 60, 60Co, rayonnement γ) a prédominé avant d’avoir été détrônée dans les années 1940 par l’arrivée des accélérateurs de particules (rayons X), utilisés jusqu’à aujourd’hui en médecine. Il existe plusieurs techniques de radiothérapie qui tiennent compte des paramètres suivants : le type de tumeur à traiter, sa localisation (accessibilité), sa taille (extension tumorale) et aussi de l’état général du patient au moment du traitement et des symptômes associés.
La radiothérapie peut être utilisée dans trois objectifs distincts (i) tout d’abord à des fins curatives, le but dans ce cas précis étant le contrôle voire la stérilisation tumorale ; (ii) en soins palliatifs lorsque la pathologie est trop avancée ou métastatique ; (iii) et enfin à des fins symptômatiques pour soulager un symptôme majeur délétère pour le patient. On distingue aujourd’hui deux principales formes de radiothérapie, la radiothérapie externe où la source est placée à l’extérieur du corps du patient, et la radiothérapie interne où la source est placée pendant une durée limitée dans le corps du patient au plus proche de la tumeur.
La radiothérapie externe est la plus utilisée en routine. Le protocole classiquement appliqué consiste à délivrer une dose de 10 Gy par semaine à raison de cinq séances de 2 Gy par jour (Hennequin et al. 2006). La dose totale varie entre 30 à plus de 70 Gy selon les types de cancers. L’amélioration des outils informatiques et d’imagerie permettent d’intégrer la notion de 3 dimensions et assurent un meilleur détourage de la zone à traiter (Tableau 1). De fait, la radiothérapie conformationnelle-3D (3D-CRT) s’est imposée en routine et permet la visualisation de la tumeur par imagerie scanner et l’adaptation au volume à traiter. D’autres techniques font intervenir une variation de l’intensité des faisceaux dans un même champ (irradiation conformationnelle avec modulation d’intensité, IMRT). Ceci permet notamment de faire varier la répartition de la dose et augmente la précision balistique. L’introduction dans la pratique clinique de systèmes d’imagerie embarquée (radiothérapie guidée par l’image, IGRT) permet de vérifier la position exacte du volume tumoral et des organes à risque avant et pendant l’irradiation .
Quelle que soit la technique de radiothérapie appliquée, l’objectif consiste à délivrer une quantité de dose maximale sur une zone tumorale définie. Cette zone comprend la tumeur solide (GTV, Gross Tumor Volume), et englobe également une marge de tissu sain non tumoral dite « marge de sécurité » qui pourrait contenir des extensions tumorales non visibles à l’imagerie (CTV, Clinical Target Volume). Enfin, le plan de traitement prend également en compte les incertitudes liées à la méthode de radiothérapie et les mouvements du patient (respiration par exemple), on parle de PTV (Planning Target Volume). L’évolution majeure des outils informatiques et des systèmes d’imagerie ces dernières années a permis une amélioration considérable de la balistique et la réduction de la toxicité radio-induite. Des études par méta analyse permettent de relier la toxicité radio-induite observée chez les patients en fonction du type de radiothérapie utilisée. Par exemple, pour trente-cinq patients atteints d’un cancer de la prostate traités par radiothérapie 3D-CRT, IMRT et par proton thérapie (Proton Beam RadioTherapy, PBRT), pour une dose totale d’au moins 74 Gy, les résultats obtenus ont confirmé que (i) le taux de toxicité est proportionnel à la dose totale reçue ; (ii) l’utilisation de l’IMRT et de la PBRT est associée à une plus faible toxicité gastrointestinale en comparaison avec la 3D-CRT (Ohri et al. 2012).
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1. Radiothérapie : généralités et principes
1. Rayonnements ionisants
a. Les différents types de rayonnements
b. Effets biologiques des rayonnements ionisants
2. La radiothérapie : un outil clef dans le traitement des cancers
a. Applications en radiothérapie : de l’Histoire à aujourd’hui
b. Pathologies secondaires associées à la radiothérapie
3. La toxicité radio-induite aux tissus sains
Chapitre 2. Dommages radio-induits aux tissus sains : cas du tube digestif
1. Structure et fonctions du tube digestif chez l’Homme
2. L’intestin : un organe radiosensible
a. Dommages radio-induits à l’intestin
b. Conséquences tissulaires des rayonnements : cas du rectum
3. Gestion clinique actuelle des séquelles digestives radio-induites
a. Gestion clinique des dommages aigus
b. Gestion clinique des lésions chroniques
4. Toxicité digestive radio-induite : vers une meilleure compréhension des séquelles
5. Toxicité radio-induite : du concept de cellule cible à la réponse intégrée
a. Le concept de la « cellule cible »
b. Les lésions radio-induites aux tissus sains : une réponse orchestrée
6. Caractéristiques de la réponse inflammatoire radio-induite
Chapitre 3. La fibrose intestinale radio-induite
1. De la cicatrisation à la fibrose : un équilibre fragile
a. La phase pré-fibreuse
b. La fibrose jeune
c. Le développement de la fibrose établie
2. Myofibroblaste et fibrose : un acteur cellulaire déterminant
3. Principaux acteurs moléculaires de la fibrose
a. Le TGF-β1 dans l’initiation de la fibrose
b. Rôle du CTGF dans le maintien de la fibrose
c. Le TGIF1
d. Autre acteur de la fibrose: l’endothéline-1
4. Modélisation de la fibrose radio-induite chez l’animal
a. Modèle d’irradiation colorectale
b. Irradiation localisée de l’intestin grêle : modèle de l’anse extériorisée
5. Recherche sur les thérapeutiques anti-fibrosantes : quelles cibles privilégier ?
a. Limiter le dépôt de matrice extracellulaire
b. Autre stratégie : cibler les mécanismes cellulaires précoces
c. Thérapie moléculaire : ciblage des micros ARN
d. Thérapie cellulaire et les cellules souches mésenchymateuses
Chapitre 4. Compartiment vasculaire et dommages radio-induits
1. Structure et fonctions du compartiment vasculaire
2. Compartiment vasculaire et fonctions biologiques associées
3. Compartiment vasculaire et rayonnements ionisants : quelles conséquences ?
a. Apoptose radio-induite des cellules endothéliales
b. Activation radio-induite des cellules endothéliales
4. Dysfonction endothéliale et dommages radio-induits : quels liens ?
Chapitre 5. La transition endothélium-mésenchyme
1. EndoMT en physiologie : formation des valves cardiaques
2. Caractérisation fonctionnelle des cellules au cours de l’EndoMT
3. EndoMT : du développement cardiovasculaire aux processus pathologiques
a. Implication de l’EndoMT dans les pathologies fibrotiques
b. EndoMT et cancer : un acteur de la progression tumorale
c. EndoMT et vasculopathies fibroprolifératives
d. L’EndoMT et pathologies radio-induites
4. Régulation de l’EndoMT : un système complexe
a. Le TGF-β : un acteur clef dans l’induction de l’EndoMT
b. La voie Notch dans l’initiation de l’EndoMT
c. Hey2 : un acteur potentiel de l’EndoMT dépendante de Notch
d. Interaction des voies Notch et TGF-β dans l’induction de l’EndoMT
5. L’EndoMT comme cible thérapeutique anti-fibrosante
CONCLUSION
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