Radio-goniométrie : modélisation, algorithmes, performances

Préambule

Les travaux de cette thèse s’inspirent de mon expérience professionnelle et s’incrivent dans la continuité de mes travaux de recherche industrielle menés au sein de la société THALES Communications. Bien que mes différentes missions d’études m’aient positionnée depuis une quinzaine d’année à l’interface universitéindustrie, les contraintes de mon poste d’ingénieur ne m’ont pas donné l’opportunité de mener un travail de fond sur une thématique de recherche précise. Lors de mon parcours professionnel, j’ai été confrontée à de nombreux problèmes liés à la spécification et la définition de systèmes de goniométrie. Ma hiérarchie, consciente de l’enjeu industriel lié à la résolution de ces problèmes, m’a accompagnée dans mon souhait d’effectuer une thèse ayant pour objet la levée de ces verrous technologiques. C’est ainsi que cette thèse s’inscrit dans la continuité d’une collaboration régulière que THALES entretient avec le laboratoire SATIE de l’ENS de Cachan.

Ma contribution scientifique en tant qu’ingénieur d’étude

L’objectif de la société THALES communications est d’une part de mettre au point des systèmes de transmissions de signaux radio-électriques et d’autre part de réaliser des systèmes d’écoutes de guerre électronique. Tous ces produits nécessitent des systèmes de réceptions et de transmissions composés au minimum d’une antenne radio-électrique et d’un récepteur. Afin d’améliorer la transmission et l’écoute, ces systèmes sont dans certains cas composés de plusieurs antennes. Dans ce contexte, le domaine scientifique de mes travaux est celui du traitement d’antennes qui exploite et traite les signaux issus de plusieurs capteurs électromagnétiques. Ces travaux, faisant partie du domaine de l’écoute passive, concernent plus particulièrement les thèmes de la « radio-goniométrie » et de la « séparation aveugle de sources » appliqués à des signaux de radio-communications. La « radio-goniométrie » permet de localiser des émetteurs radio-électriques tels que, par exemple, les téléphones portables. Les traitements sont dits « aveugles » lorsqu’ils n’utilisent aucune information a priori sur les signaux transmis et sont dits « coopératifs » lorsqu’un « a priori » est utilisé.

Ma mission à THALES a été de contribuer à la mutation technologique des systèmes de goniométrie pour passer de l’interférométrie aux méthodes à Haute Résolution (HR). Pour mener à bien ce saut technologique, la réalisation de nombreuses études théoriques avec les expérimentations associées m’ont été confiées pour établir les arguments permettant de proposer les bons choix technologiques. Le contexte d’application est celui des sources radioélectriques se propageant avec une polarisation donnée au travers de canaux à multi-trajets. Les premières missions à THALES m’ont conduite à traiter les signaux du canal de propagation HF (Haute Fréquence) permettant à une onde de se propager sur plusieurs milliers de kilomètres. La naissance de la téléphonie mobile m’a ensuite permis de m’intéresser au canal de propagation en milieu urbain qui a la caractéristique de décomposer l’onde transmise en un ensemble de multi-trajets faiblement décalés dans le temps. Le projet RNRT LUTECE (figure 1.1), dont l’objectif principal est la localisation de téléphones portables sous la neige, m’a permis de m’intéresser au canal de propagation dans un milieu montagneux et enneigé.

Sachant que les performances des techniques de localisation sont fortement influencées par la qualité de la connaissance de la réponse des antennes radio-électriques de réception, les problématiques de la calibration et de l’autocalibration d’un réseau d’antennes ont été étudiées dans un premier temps afin de mieux prendre en compte dans les traitements le comportement de ces capteurs électromagnétiques. Dans un second temps, l’analyse de plusieurs types de canaux de propagation à trajets multiples a été effectuée afin d’en proposer une modélisation de type spéculaire permettant d’en déduire les paramètres le caractérisant. C’est ainsi que des algorithmes d’identification de ses paramètres (aveugles ou coopératifs) ont été proposé, d’une part pour le canal HF et d’autre part pour le canal urbain. Parmi ces paramètres, on peut citer les angles d’incidences des multi-trajets. De nombreuses expérimentations ont permis d’affiner et valider les modélisations des canaux à trajets multiples ainsi que celles des réseaux de capteurs électromagnétiques. Il a été ainsi développé des techniques d’autocalibration, d’analyse paramétrique d’un canal de propagation à multi-trajets, de diversité de polarisation des ondes. Quand cela est nécessaire les phénomènes large bande ainsi que la diminution du nombre de voies de réception ont été pris en compte. Sachant que les signaux de radio-communications ont la caractéristique d’être cyclostationnaires et/ou circulaires, les dernières études ont eu pour objectif d’exploiter ces propriétés afin d’améliorer les performances des techniques de goniométrie et de séparation de sources. Pour traiter ces signaux de manière efficace, la connaissance de leur norme de transmission ainsi que de leur caractère non gaussien ont été exploité : ceci a été le cas des signaux GSM du projet RNRT LUTECE. De telles approches permettent de mieux isoler les sources par une connaissance a priori et de réaliser par exemple une goniométrie sélective.

Les méthodes de goniométrie peuvent être classées par ordre croissant de performance (et donc de complexité) de la façon suivante :
→ L’interférométrie exploitant la différence de phase d’un ou plusieurs couples de capteurs. En effet, en champ lointain le déphasage entre deux capteurs dépend de l’incidence de la source car la phase du signal sur un capteur dépend de sa distance à l’émetteur. Cette méthode ne peut pas localiser plusieurs sources à la fois.
→ Les méthodes super-résolutives qui recherchent les incidences où la puissance du signal en sortie de la voie formée dans une direction est maximale. La capacité à estimer l’incidence de plusieurs sources dépend du nombre de capteurs du réseau ainsi que de l’espacement angulaire entre les sources. Dans ces méthodes on peut citer la formation de voies, les méthodes de Capon [Cap69] et Lagunas [LC84] ou le propagateur [MB90]. La formation d’une voie dans une direction (θ0, ∆0) consiste à pondérer les signaux en sortie des capteurs par les poids wn puis à sommer les voies pondérées (voir figure 1.6). Le diagramme de rayonnement de la voie ainsi formée doit faire apparaître un maximum dans la direction (θ0, ∆0) et ce maximum donne la puissance du signal dans la direction (θ0, ∆0). Sachant que la direction (θ0, ∆0) retenue n’est pas forcément la direction d’une des sources incidentes, cette famille de méthode consiste à rechercher un (ou plusieurs) maximum d’énergie en réalisant un balayage en (θ0, ∆0). Les méthodes super-résolutives diffèrent dans la façon de calculer les poids wn pour une direction donnée. Par exemple, la méthode de Capon est basée sur le filtre adapté et consiste à en maximiser le rapport signal sur bruit plus brouilleur dans la direction (θ0, ∆0).
→ Les méthodes à Haute Résolution (HR) [Mar98b] telles que MUSIC [BK79][Sch81 [BK83], ESPRIT [RPK86] permettant de localiser plusieurs sources simultanément avec des techniques de sous-espace.
→ Les méthodes basées sur le Maximum de Vraisemblance (MV) [OVSN93][VO91 [Lar92] permettant de localiser des sources fortement corrélées comme les signaux en sortie d’un canal à multi-trajets faiblement décalés en temps. L’objectif est de maximiser une vraisemblance entre le signal reçu sur les capteurs et un modèle paramétrique de cette observation. Ce type d’algorithme est coûteux en temps de calcul car il nécessite une recherche des paramètres du modèle suivant un critère multi-paramètres. Les méthodes IQML [BM86][Bre88] sont adaptées au cas des réseaux de capteurs linéaires et réduisent la méthode du MV à la résolution d’un polynôme dont l’ordre dépend du nombre de sources incidentes.

Travaux sur la séparation de sources

Mes travaux sur la séparation de sources sont basés sur des méthodes qui exploitent l’indépendance statistique des émetteurs. Plus particulièrement, ces techniques telles que SOBI [BAMCM97], JADE [CS93] et [Com94] utilisent les statistiques d’ordre 2 des signaux reçus pour blanchir les sources et l’ordre 4 pour les identifier et les séparer. Le blanchiment a pour objectif d’orthonormaliser la base des vecteurs directeurs a(θm, ∆m) des M sources incidentes et l’étape d’identification à l’ordre 4 estime les vecteurs directeurs orthonormalisés. Ces algorithmes ne peuvent séparer au maximum qu’un nombre de sources égal au nombre de capteurs. Dans [FC97a], la méthode JADE est étendue au cas cyclique. En exploitant le caractère cyclostationnaire des sources, qui est celui des signaux de radiocommunications, un paramètre discriminant supplémentaire peut être utilisé pour leur séparation. La séparation par un critère d’indépendance statistique se réduit aux groupes de sources ayant les mêmes caractéristiques cycliques. La méthode FOBIUM [FAC05][FAC03] étend à l’ordre 4 la méthode SOBI utilisant les statistiques d’ordre 2, pour identifier un nombre de sources supérieur au nombre de capteurs. Les méthodes SOBI et FOBIUM exploitent la diversité temporelle des sources afin de ne pas utiliser des statistiques d’ordre trop élevé pour les séparer. La méthode ICAR [AFCC05][AFCC04b] s’affranchit de l’étape de blanchiment à l’ordre 2 d’une méthode telle que JADE en n’utilisant strictement que les statistiques d’ordre 4 pour identifier les sources. Dans ces conditions, la méthode ICAR n’est pas perturbée par un bruit gaussien non blanc. Toutefois cette méthode ne permet toujours pas d’identifier plus de sources que de capteurs. Pour atteindre cette capacité, la méthode ICAR a été étendue à l’ordre 6 par l’algorithme SIRBI [AFCC03b] et généralisée à l’ordre 2q par BIOME [AFCC04a]. Sachant que les méthodes de séparation de sources permettent d’identifier des vecteurs dépendant de l’incidence de chaque source, des techniques de goniométrie appliquées à ces vecteurs ont été envisagées. Sachant que les signaux des émetteurs sont statistiquement indépendants, un algorithme de type formation de voies MAXCOR est appliqué dans [CBF96] car les signaux se propagent suivant un seul trajet. Dans [FCT02], le principe est étendu au cas des signaux partiellement corrélés car les signaux émis traversent des canaux à multi-trajets : identification MIMO (Multiple Input Multiple Output) non coopérative. Un algorithme de type MUSIC est appliqué sur chaque groupe de vecteurs associé au même émetteur. Les méthodes de séparation de source nécessitent l’utilisation des moments et cumulants d’ordre 2q des signaux reçus sur le réseau de capteurs. L’estimation classique de ces statistiques suppose que les sources sont stationnaires alors que dans un contexte de télécommunication les sources sont plutôt de type cyclostationnaires. Ainsi, dans certaines configurations de signaux, les statistiques d’ordre 2q estimées de façon classique sont biaisées. Ce biais peut rendre des sources indépendantes non indépendantes en apparence : les sources ne peuvent plus être séparées sur un critère d’indépendance avec les estimateurs classiques des statistiques. Dans [CFA02][FCA04], un estimateur exhaustif des statistiques d’ordre 1 et 2 est mis en oeuvre pour appliquer correctement la méthode SOBI sur des signaux cyclostationnaires. Dans [FC00][FC97a][FC98], la méthode JADE est mise en oeuvre avec un estimateur exhaustif des statistiques d’ordre 2 et 4.

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Préambule
1.2 Ma contribution scientifique en tant qu’ingénieur d’étude
1.2.1 Le traitement d’antennes
1.2.2 Travaux sur la séparation de sources
1.2.3 Travaux sur la goniométrie
1.2.4 Implantations et expérimentations sur signaux réels
1.3 Motivations et cadre de l’étude
1.4 Présentation du document
1.5 Contributions du travail de thèse
1.6 Publications et communications
2 Modélisations physiques et goniomètres correspondants
2.1 Préambule
2.2 Modélisations relatives au réseau de capteurs
2.2.1 Erreur d’appairage des récepteurs ou problème de câbles
2.2.2 Erreur de position des capteurs
2.2.3 Polarisation
2.2.4 Erreur de couplage dans un réseau de capteurs
2.3 Modélisations relatives au canal de propagation
2.3.1 Multi-trajets cohérents
2.3.2 Front d’onde non plan
2.3.3 Sources large Bande (LB)
2.3.4 Sources diffuses
2.4 Perturbations physiques combinées
2.5 Généralisation du modèle
2.6 Algorithme d’Auto-Calibration
2.6.1 Transformation de l’observation capteurs x(t) (2.2)(2.51)
2.6.2 Algorithme
2.6.3 Simulations
3 Performances en présence d’erreurs de modèle
3.1 Préambule
3.2 Biais et Variance (EQM) en présence d’erreurs de modèle
3.2.1 Algorithme du Maximum de Vraisemblance (MV)
3.2.2 Algorithmes MUSIC à l’ordre 2
3.2.3 Cas des ordres supérieurs (MUSIC-2q)
3.2.4 Généralisation à d’autres critères
3.2.5 Conclusion
3.3 Probabilités de résolution et performances conditionnées à la résolution
3.3.1 Probabilités de résolution [FLV05e]
3.3.2 Etablissement des performances conditionnées à la résolution [FLV05c]
3.4 Application des expressions des performances de goniométrie
3.4.1 Spécification d’un système de goniométrie
3.4.2 Localisation de sources
3.5 Performances de l’algorithme d’Auto-Calibration
3.5.1 Cas où le vecteur ϕy ¡ ηy,m¢ contient deux composantes
3.5.2 Cas où le vecteur ϕy ¡ ηy,m¢ est de dimension quelconque
3.5.3 Simulations
4 Conclusion

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