Qui nous pourrions être
Relativement à l’apport de la conversation aux questions constitutionnelles et civiques, Blattberg donne trois exemples. Le premier concerne la tentative de réforme constitutionnelle qui s’est déroulée dans ce qu’ il est convenu d’appeler les accords du lac Meech et de Charlottetown.
Selon Blattberg, si ces accords ont échoué, c’est en raison du pluralisme de la société canadienne.
L’auteur nous l’a déjà expliqué, les pluralistes règlent leurs problèmes par la négociation, or la négociation s’achève dans le meilleur des cas par un compromis. Le compromis par définition laisse les différentes parties insatisfaites parce qu ‘ il est obtenu à partir des concessions qu ‘elles se font les unes aux autres. C’est pourquoi Blattberg prône la conversation patriotique pour régler les problèmes constitutionnels. Avec « la conversation, les citoyens seront plus susceptibles d’être d’accord avec les résultats atteints. Par conséquent, ils pourront se sentir chez eux dans l’espace constitutionnel » 48 de leur pays.
Le second exemple d’ application de la conversation aux questions constitutionnelles et civiques que donne Blattberg concerne la Charte des droits et libertés. Selon lui, cette dernière devrait être supprimée de la Constitution pour trois raisons. La première est qu ‘on ne pourra pas 48 ibid. p., 121. trouver « dans l’univers moral au sein duquel les humains évoluent actuellement» un accord unanime des citoyens sur des droits au point d’en faire une « fondation unificatrice pour le pays ». La seconde, parce qu’ elle conduit à des « règlements coercitifs plutôt qu’à des règles expressives» en raison de lajudiciarisation du processus de résolution des conflits qu’elle implique. La troisième, parce que son « langage axé sur les droits» pousse les parties en conflit vers la négociation, donc l’affrontement, plutôt que vers la conversation, donc la conciliation .
Le dernier exemple d’amélioration potentielle apporté par la conversation relativement aux questions constitutionnelles et civiques que Blattberg donne concerne les relations entre le citoyen et l’État. L’auteur déplore que l’État providence ait perverti la relation entre le citoyen et l’État au point d’avoir instauré entre eux, ce que nous pourrions appeler, une relation de client à serveur.
L’État a adopté une mentalité de serveur tandis que le citoyen a adopté une mentalité de client.Pour lui, le patriotisme pourrait permettre l’avènement d’une véritable citoyenneté canadienne en apportant un changement de perspective. Dans cette nouvelle optique, l’État et le citoyen plutôt que de jouer des rôles indépendants convergeraient vers la réalisation du même bien commun. Ainsi, le citoyen modèle, plutôt que de se contenter d’être un consommateur passif de services, irait s’engager activement dans la surveillance et l’orientation du gouvernement.
Après avoir montré les améliorations que pourrait apporter sa conversation patriotique à la vie constitutionnelle et civique, Blattberg va s’attaquer désormais à la question de l’ amélioration de l’intégration des nations canadiennes: Autochtones, Québécoise et Canadienne anglaise.
La question de l’ amélioration de l’ intégration des Autochtones, « la plus urgente aujourd’hui au Canada» selon5l l’auteur, pourrait être résolue par la conversation. En effet, même s’il reconnaît la légitimité d’une éventuelle volonté d’autonomie gouvernementale des Autochtones, Blattberg pense, en se fondant sur de « nombreuses déclarations de chefs autochtones »52, qu’avec une conversation réussie « les autochtones pourraient être convaincus de faire partie du pays au lieu d’ aspirer à l’ indépendance »53. Toutefois, il estime que dans la situation actuelle, « les conditions difficiles dans lesquelles vivent un grand nombre de communautés autochtones [ … ] éliminent pratiquement toute possibilité de conversation» 54 parce qu’ elles sont « tout simplement trop pauvres pour se joindre à la « danse » »55. C’est pourquoi il demande comme préalable à toute conversation que les conditions de vie des communautés autochtones soient grandement améliorées. À ce prérequis près, nous devons souligner que pour Blattberg, seule la conversation patriotique peut permettre l’ intégration harmonieuse des autochtones au sein du Canada parce qu’elle repose sur la conciliation des intérêts en jeu autour du bien commun. La conciliation, pense-t-il, amène les parties à transformer leurs conceptions respectives pour s’entendre sur ce qui exprime le mieux leur bien commun.
De cette manière, elle rend le résultat du dialogue légitime aux yeux de tous. Passant de la théorie à un terrain politique plus pratique, Blattberg montre, pour conclure son intervention sur la question autochtone, que le conflit territorial qui oppose le gouvernement fédéral aux communautés autochtones pourrait être résolu par la conversation. Selon lui, le problème se présenterait en ces termes: d’une part, le gouvernement rejette les titres de propriété ancestraux qu’ invoquent les autochtones et reconnaît seulement les titres issus des traités; d’autre part, les autochtones rejettent la notion de propriété foncière et veulent que leurs titres de propriété ancestraux soient reconnus. La conversation permet de résoudre ce problème grâce à la transformation des conceptions des parties en présence qu’elle permet d’opérer. Le résultat de la conversation pourrait être le suivant: chacune des parties renonce à la notion de propriété exclusive du territoire et s’ entend avec l’autre sur leur bien commun. Ainsi, la terre devient une ressource à gérer de manière conjointe et les revenus qu’on en retirera équitablement répartis. C’est fort de ce message d’espoir quant à la résolution par la conversation d’un des principaux différends qui oppose les Autochtones au Canada, que Blattberg va s’attaquer à la question de l’ intégration des Québécois.
L’auteur aborde la question de l’ intégration des Québécois non sans prendre une précaution.
Il tient à souligner que la conversation ne peut pas tout faire. En particulier qu’ elle ne peut pas ramener les séparatistes à renoncer à l’ idée d’ indépendance. Si elle a quelque chose à apporter, précise-t-il, c’est aux partisans de la souveraineté-association et à ceux du fédéralisme renouvelé.
Aux premiers, pour leur dire que la souveraineté-association est une option vouée à l’échec parce qu ‘elle est d’ inspiration pluraliste dans la mesure où elle suppose que des négociations soient menées pour conduire le processus à son terme une fois la souveraineté du Québec actée. Pour Blattberg, ces négociations ont peu de chances de réussir parce qu ‘un Canada frustré par la rupture n’aura pas envie de s’ associer à un Québec indépendant. Aux seconds, les partisans du fédéralisme renouvelé qui prônent un maintien du Québec au sein de la fédération canadienne parallèlement au renforcement de la position de la nation québécoise, pour leur dire que la conversation à beaucoup . à apporter parce qu’elle permet de rechercher le bien commun de l’ensemble des citoyens. Reste, nous l’ imaginons, que cette conversation doit commencer pour que les problèmes de l’ intégration au Canada aient des chances d’être définitivement résolus. Désormais, nous savons que Blattberg considère que c’ est seulement grâce à la conversation qu’on peut réussir à intégrer harmonieusement le Québec au Canada, de sorte que les Québécois se sentent chez eux au sein de la Confédération. Il nous reste à voir ce que la conversation patriotique peut apporter aux Canadiens anglais.
Curieusement, contrairement à ce qu’ il a dit dans les cas des Autochtones et des Québécois, Blattberg ne nous indique aucun problème d’ intégration des Canadiens anglais. Peut-être, faut-il admettre, comme l’ explique Stéphane Courtois, qu’en tant que « groupe national majoritaire [ … ] leur conscience nationale s’ étend à la grandeur du territoire et inclut les nations minoritaires » à telle enseigne que pour eux la question de l’ intégration ne se pose pas dans la mesure où ils se sentent déjà, pleinement intégrés au Canada. Cette hypothèse nous semble d’autant plus vraisemblable que Blattberg soutient que les Canadiens anglais ne se considèrent pas eux-mêmes comme des Canadiens anglais, mais tout simplement comme des Canadiens. Il explique, par ailleurs, que c’ est la vision unitaire du pays insufflée par Trudeau qui les aurait influencés au point qu’ ils assimilent leur nation à la communauté civique canadienne. Mais il insiste sur le fait que la nation Canadienne anglaise existe bel et bien; qu’ il n’en veut pour preuve que l’ existence d’un riche patrimoine culturel Canadien anglais qui est notamment parfaitement distinct de celui des Américains. Toutefois, il ne nous dit rien sur les problèmes d’ intégration au Canada qu ‘éprouveraient les Canadiens anglais. Pour pallier ce manque, nous pourrions, étant donné ce que nous savons de sa théorie, faire dire à Blattberg que la reconnaissance de l’ existence de la nation Canadienne anglaise sert au renforcement de la communauté canadienne dans la mesure où elle lève des confusions nuisibles à son intégrité. Nous en avons terminé avec la question de l’ intégration des différentes nations canadiennes à leur pays. Il ne nous reste plus qu’à aborder notre dernier point.
Pour finir, Blattberg fait trois suggestions visant à améliorer le fonctionnement du parlement. La première porte sur l’ introduction de la proportionnelle aux élections législatives afin de favoriser l’élection de gouvernements minoritaires qu’ il estime plus attentifs, en raison de leur nature, aux débats parlementaires. Par la seconde suggestion, l’auteur cherche à transformer les débats adversatifs actuels du parlement en quelque chose qui ressemble plus aux conversations des commissions parlementaires dont l’objectif vise le rapprochement des parties autour du bien commun. La dernière a pour but de favoriser la conversation grâce à des modifications architecturales en remplaçant la disposition rectangulaire des places des parlementaires par une disposition en demi-cercle, car la première a le don d’ exacerber l’adversité alors que la seconde favorise la conciliation.
Nous en avons terminé avec la présentation des différentes applications pratiques de la conversation que Blattberg a donné en exemple. Nous avons vu ce que l’auteur pense que la conversation peut apporter à l’amélioration des questions institutionnelles et civiques, à l’ intégration des différentes nations canadiennes ainsi qu ‘à celle du fonctionnement du parlement.
Son but était de montrer comment la conversation peut résoudre concrètement les problèmes politiques du Canada. Les. applications pratiques de la conversation étaient les dernières questions que l’ auteur voulait traiter dans son livre. Il ne nous reste plus qu’à prendre connaissance de sa conclusion.
Conclusion
En définitive, Blattberg estime que les « suggestions » qu’ il vient de faire sur la manière de réformer les institutions sont « prématurées ». Il pense que le plus important pour l’ instant c’est la prise de conscience par les Canadiens du fait que la « conversation mérite une place » dans leur vie politique. Mais comme beaucoup trop de Canadiens, d’après lui, ne « croient pas que la conversation puisse jouer un rôle viable» dans celle-ci, il dit avoir préféré, dans le présent ouvrage, diviser la difficulté: insister sur les idées plutôt que sur les réformes structurelles susceptibles d’amener les Canadiens à « faire de la politique de façon plus patriotique ». Il estime en effet que le principal obstacle à une politique patriotique pour le moment c ‘est « l’ignorance » et le « manque de volonté ». Malgré tout, Blattberg est convaincu qu’ il existe au Canada un contexte historique favorable au déroulement d’ une conversation dont il tient, néanmoins, à souligner « l’ extrême fragilité ». Cette dernière serait due au fait que le recours par une partie à la force ou à la négociation entraine la ou les parties adverses, à recourir au même procédé. C’ est pour détourner les Canadiens de ces pratiques adversatives que l’objectif final de l’ auteur c’ est de montrer que la conversation n’est pas une utopie relevant d’un « idéalisme typique des philosophes », mais que c’est une possibilité bien réelle, d’ autant plus réelle qu’elle s’est déjà déroulée au Canada lors de l’avènement du gouvernement responsable en 1949. C’est avec un motif d’espoir, l’espoir que la conversation soit le moyen de résolution idoine des conflits politiques, que l’ auteur veut achever son livre. Pour donner ce motif d’espoir, Blattberg définit au départ les biens en jeux du conflit initial, montre ensuite qu’ ils ont été transformés et réinterprétés de façon à faire l’objet d’une conciliation plutôt que d’un compromis et parvient enfin à un résultat qui représente une meilleure expression de ces biens qu’au début du conflit.
L’auteur commence par l’identification des biens enjeu du conflit initial. Selon lui, le conflit débute à la fin des années 1830. Des patriotes du Bas-Canada et du Haut-Canada se rebellent contre les partisans de la Couronne britannique. L’enjeu dans le conflit ce sont d’une part la revendication par les rebelles de « la démocratie, l’autodétermination nationale et la justice économique» et d’autre part la défense par les partisans de la Couronne britannique, les « mercantilistes loyalistes » et les « gouverneurs des colonies» des « intérêts économiques de l’ oligarchie ».
Ensuite, les biens enjeu du conflit initial ont été transformés et réinterprétés de façon à faire l’objet d’une conciliation plutôt que d’un « compromis ». D’après Blattberg, cette transformation va se faire dans chacun des deux camps. D’une part, les « rebelles devenus réformateurs » veulent désormais un « gouvernement responsable» parce qu’ ils estiment que c’est une meilleure façon de protéger leur « nation» que le « républicanisme ». Ceux du Haut-Canada veulent aussi un gouvernement responsable parce qu’ ils estiment que c’est la meilleure façon de lutter contre « l’exploitation économique du peuple par les oligarchies mercantilistes ». D’autre part, parmi les partisans de la Couronne britannique, non seulement les représentants de la Couronne en sont venus à préférer le gouvernement responsable lorsqu ‘ ils ont pris conscience des divergences d’ intérêts qui les séparaient des mercantilistes, mais aussi, les mercantilistes en sont venus à préférer le gouvernement responsable. La nouvelle donne économique qui a vu l’« instauration du libreéchange » faisait du capitalisme, et de son corollaire la démocratie, c’est-à-dire le gouvernement responsable, un passage obligé.
La question du moi
Les libéraux pensent que l’individu a une identité qui préexiste à ses fins , un « moi sans qualités ». Ils entendent dire par cette expression que l’ individu existe en tant qu’ individu comme un moi parfaitement constitué, avant qu’ il ne décide de façon autonome des fins qu’ il va poursuivre.
Contrairement à eux, les communautariens soutiennent que l’ individu a une identité essentiellement définie par la société dont il est issu dans la mesure où les décisions qu’ il prend sont très largement influencées par la culture dans laquelle il baigne. Notre but est de décrire l’opposition entre les conceptions du moi des libéraux et des communautariens et de montrer les conséquences que cette opposition va avoir sur la politique de leurs États respectifs en matière d’autodétermination. La conception du moi à laquelle adhèrent les décideurs d’un pays influence en effet, la manière dont l’État traite la question de l’ autodétermination. Elle représente donc un critère de distinction entre une position communautarienne et une position libérale. Pour atteindre notre but, nous allons procéder en deux temps. Dans un premier temps, nous allons montrer qu’il découle de la conception du moi des libéraux que l’État doit être neutre. Dans un second, nous allons montrer qu’il découle de la conception du moi des communautariens que l’ État doit être perfectionniste. Nous ferons largement appel dans le traitement de cette question aux travaux de Will Kymlicka69 et Daniel Beleo.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1-LA POLITIQUE DU BIEN COMMUN DE CHARLES BLA TIBERG
1.1 Trois façons de répondre aux conflits
1.2 Qui nous étions
1.3 Qui nous sommes
1.4 Qui nous pourrions être
1.5 Conclusion
CHAPITRE 2 – CARACTÉRISATION DU COMMUNAUTARISME
2.1 La question du moi
2.2 La thèse du lien social
2.3 La thèse du particularisme vs la thèse de l ‘universalisme
2.4 La politique communautaire du bien commun
2.5 Conclusion
CHAPITRE 3 – LES SOURCES COMMUNAUTARIENNES DE LA POLITIQUE DU BIEN COMMUN DE CHARLES BLA TIBERG
3.1 La question du moi
3.2 La thèse du lien social
3.3 La thèse du particularisme vs la thèse de l ‘universalisme
3.4 La politique communautaire du bien commun
3.5 Conclusion
CHAPITRE 4 – UNE POLITIQUE DU BIEN COMMUN EST -ELLE POSSffiLE AU CANADA?
4.1 La question du moi
4.2 La thèse du lien social
4.3 La thèse du particularisme vs la thèse de l’universalisme
4.4 La politique communautaire du bien commun
4.5 Conclusion
CONCLUSION
CHAPITRE 5 – LA BIBLIOGRAPHIE
5.1 Monographies et ouvrages de référence
5.2 Périodiques
5.3 Livre sur Internet
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