Le regroupement : mon mauvais objet
Première période Lors de la première période j’ai commencé à me sentir mal à l’aise avec les temps de pratiques ritualisées. Une partie des enfants participait avec plaisir tandis que les autres semblaient s’y ennuyer et par conséquent s’agitaient, générant de l’inconfort pour ceux qui souhaitaient participer ainsi qu’une désorganisation de l’activité. J’identifiais rapidement plusieurs raisons à ma difficulté. En premier lieu, je n’y mettais pas de sens. Par ailleurs, je me trouvais dans une posture qui me gênait à savoir contraindre des enfants de quatre ans à rester assis et silencieux. De plus, la disposition spatiale, en U avec l’enseignant assis devant le tableau face aux élèves, me procurait une sensation d’inconfort. Lors de la visite de ma tutrice ESPE, le fait d’être filmée a amplifié cette difficulté. Les temps de regroupement étaient devenus mon « mauvais objet ». J’envisageais, à cette étape de mon questionnement, l’écrit réflexif comme la solution à mon problème puisqu’il allait me permettre de démontrer que les rituels mis en place étaient obsolètes et qu’ils avaient pour unique fonction de « formater » les élèves en devenir. Loin de moi à cet instant l’idée de me questionner sur l’autorité. J’ai donc débuté cette recherche par la lecture du livre « Comment l’enfant devient élève » de René Amigues et Marie-Thérèse ZerbatoPoudou2 . À la lecture de cet ouvrage, plusieurs points ont particulièrement attiré mon attention : « La réalisation des actions décrites s’inscrit dans une organisation socio-technique (Amigues, 1994,1999) pour souligner que le rapport au savoir est à la fois social et technique. Celle-ci comprend à la fois les rapports sociaux (la relation asymétrique entre l’enseignant, qui pilote la situation, et les élèves qui « répondent »), la disposition spatiale (les élèves disposés en U face au tableau) et les objets matériels et symboliques (calendrier, étiquettes-photos, bande numérique, etc…). Ces quelques lignes contenaient ce que j’avais identifié comme des éléments qui me dérangeaient dans ma pratique et particulièrement les rapports sociaux. Dans ce livre, René Amigues et Marie-Thérèse Zerbato-Poudou attirent notre attention sur les liens que l’on pourrait établir entre la notion de rituels scolaires et celle du sacré. En utilisant ce prisme, le rite établirait la séparation entre ce qui fait référence au sacré par « une conduite symbolique renvoyant à la communauté » et le profane représenté par « une conduite spontanée renvoyant à l’individualité ». La classe devenant en quelque sorte un lieu de célébration du savoir. Les auteurs insistent sur la fonction sociale des rituels scolaires, ils comparent cette pratique à un « acte d’institution » se référant de manière explicite à Pierre Bourdieu, qui écrit : « Ainsi, l’acte d’institution est un acte de communication mais d’une espèce particulière : il signifie à quelqu’un son identité, mais au sens à la fois où il la lui exprime et la lui impose en l’exprimant à la face de tous (katègoresthai, c’est, à l’origine, accuser publiquement) et en lui notifiant ainsi avec autorité ce qu’il est et ce qu’il a à être » Ils établissent un parallèle entre les propos de Bourdieu et leurs observations en classe concernant les rappels à l’ordre. Ils précisent que « cet acte va transformer n’importe quel enfant en élève ».
Deuxième période A la lecture de ces lignes et en les mettant en lien avec les difficultés que j’éprouvais lors des temps de regroupement et plus spécifiquement ceux des rituels, il m’apparaissait évident que ces derniers n’avaient pour seul fonction que de soumettre les élèves, de leur apprendre à rester assis afin de les préparer à leur futur métier d’élève. Forte de mes découvertes, j’entrepris en deuxième période de changer l’organisation socio-technique des rituels en vue d’agir sur les interactions didactiques et de me sentir plus à l’aise lors de ces temps Je travaillais donc à faire évoluer le rituel de l’appel au cours de l’année. Dans un premier temps, je me suis appuyée sur un dispositif découvert à l’ESPE en didactique des mathématiques. Sur des feuilles posées au sol, des cercles vides symbolisaient les 28 élèves de la classe. A l’appel de leur prénom, les élèves venaient prendre un cube et le poser dans un des cercles prévus à cet effet. Ensuite, nous comptions le nombre de cercles vides et comparions avec le nombre d’étiquettes restantes symbolisant le nombre d’absent. Très vite je m’aperçu que si ce fonctionnement donnait plus de sens à l’appel et rendait les élèves plus acteurs, il devenait un peu lourd en terme de gestion. En effet, cela prenait beaucoup de temps, me renvoyant à mon problème de départ : les élèves s’impatientaient de nouveau. De plus, je n’avais pas prévu certains obstacles didactiques, ainsi la couleur des cubes à laquelle je n’avais pas attaché d’importance devenait un enjeu important pour un enfant de quatre ans… ll me semblait que les changements devaient aller plus loin. J’ai donc pris la décision de supprimer les bancs et de faire asseoir les enfants en rond, au sol, sur des tapis en m’intégrant au cercle. J’avais proposé aux enfants trois façons de s’asseoir. Les premiers temps j’étais extrêmement satisfaite de ce nouvel aménagement car il libérait beaucoup d’espace au sol pour le reste de la journée et que, au début du moins, je m’y sentais beaucoup plus à l’aise. Cependant, en fin de période je n’étais plus si certaine de mon choix. D’une part je ne voyais pas réellement d’amélioration sur l’attention des élèves, deuxièmement, mon sentiment de malaise lors de ces temps était revenu. Par ailleurs, ma binôme qui m’avait laissée mener mon expérience, commençait tout de même à m’interroger sur l’effet de ce double fonctionnement sur les élèves. Tous ces éléments et la perspective de la visite d’inspection me firent mettre un terme à mon expérience. J’en retirai tout de même une information importante : l’organisation spatiale avait finalement un impact assez faible sur mon sentiment de malaise. Cela m’amena donc à explorer le troisième axe évoqué, celui des rapports sociaux et en premier lieu, la relation asymétrique. Au tout début, je dois le dire, j’avais du mal à intégrer cette idée d’asymétrie. Cela m’a longuement questionnée et menée, sur les conseils de ma tutrice, à m’intéresser à l’autorité éducative puis, plus largement, à la question de l’autorité en éducation.
L’autorité, une question très actuelle
En premier lieu je pensais définir cette notion mais j’ai été déroutée tant ce mot recouvre d’acceptions et fait référence à de nombreux domaines des sciences humaines tels que la psychologie, la philosophie, la sociologie, les sciences de l’éducation. Je me suis donc arrêtée à une définition qui semblerait faire consensus et qui présente l’autorité comme la capacité d’obtenir, de ceux sur qui elle s’exerce, ce que l’on souhaite sans recours à la force ou la violence. Cela ne me permet pas de comprendre les processus en jeu. Qu’est-ce qui fait que des individus décident de se « plier » au souhait d’un autre sans qu’il n’y ait recours à la force ou à la violence, tant physique que morale ? J’ai donc commencé par m’intéresser à une première question qui revenait régulièrement dans mes lectures à savoir qu’en est-il exactement de cette crise de l’autorité actuelle. En effet, ce fait de société est très souvent évoqué lorsqu’on aborde ce sujet. Selon Erick Prairat, plutôt que de parler de « crise de l’autorité », il serait plus juste d’évoquer cette question en terme « d’érosion ». Pour tenter d’expliquer ce phénomène, il s’appuie sur deux types de lectures La première est sociologique : une méfiance s’est installée, particulièrement au sein des milieux populaires envers l’institution scolaire qui ne tient plus sa promesse en termes de promotion sociale. Si l’école ne permet plus de réussir socialement, l’autorité de son représentant s’en trouve par conséquent amoindrie. La philosophie permettrait une autre approche de cette question : les valeurs démocratiques et plus spécifiquement l’égalité, se seraient étendues à l’école et la famille. Ce changement entraînant une modification et un affaiblissement du rapport d’autorité adultes-enfants. Pour Jean Houssaye, l’approche historique ne permet pas de répondre à cette question, il met en évidence le fait que cette question de l’autorité en éducation a traversé le temps. Dans Autorité ou éducation, il fait référence à Forquin (1993) qui reprend lui-même des travaux de Vincent (1980) : « N’oublions pas,…, que l’école s’est construite en se donnant pour tâche première la moralisation de l’enfant.… L’autorité est l’instrument et le symbole explicite de cette moralisation première dont la plus haute vertu se nomme la soumission », « Une des fonctions essentielles de l’école réside dans l’intégration d’un curriculum caché… de soumission. Passer par l’école c’est être marqué durablement dans sa personnalité, au moins par trois choses : le fait de vivre constamment en collectivité, avec toutes les contraintes physiques et psychologiques que cela implique ; le fait d’être constamment en situation d’évaluation…le fait d’être toujours soumis au pouvoir de l’adulte », ces lignes m’évoque fortement l’acte d’institution évoqué dans l’ouvrage «comment l’enfant devient élève »
La pédagogie institutionnelle
Pour introduire cette troisième et dernière partie, je m’appuierai sur les propos de Jean Houssaye : « En matière d’autorité, l’échec assumé est l’ouverture à la quête pédagogique »…. « Ce qui nous est donné à apprendre, c’est à éviter l’autorité, soit par la relation, soit par l’organisation, soit par le renforcement positif ». Je vais donc exposer ici comment la pédagogie institutionnelle pourra m’aider à répondre à certaines des difficultés auxquelles j’ai pu être confrontées durant cette année de stage. Avant de poursuivre, il me semble intéressant de revenir sur mon expérience précédente. Comme je l’ai précisé en introduction, j’ai travaillé durant deux ans dans une école hors contrat « à pédagogies alternatives ». On pourrait s’interroger sur la signification de ce terme mais ce n’est pas l’objet de cet écrit. Dans les faits, je n’ai pas participé à l’élaboration du projet pédagogique puisque cette école existait depuis deux ans lorsque j’ai été embauchée. Pour résumer je dirai que les influences principales étaient la pédagogie institutionnelle, la pédagogie Freinet et l’école de Summerhill d’A.S. Neil. Je réalise aujourd’hui que j’ai utilisé des éléments de la pédagogie institutionnelle comme des outils de gestion de classe mais sans avoir cherché à comprendre ce qui se jouait, pourquoi ces instances et comment les faire vivre. J’en reviens donc à l’un de mes objectifs de départ : « trouver un fonctionnement qui permettrait à tous (les élèves et moi-même) d’évoluer dans un cadre sécurisant et stable » et sur ce point je pense avoir trouvé la différence entre mes deux expériences : La loi au sens de la pédagogie institutionnelle En effet, sans le savoir, lors de ma précédente expérience d’enseignement, du fait de l’organisation pédagogique, la loi me protégeait et protégeait les élèves en assurant ce cadre. « Cette loi, acceptée par tous, protège donc aussi de la maîtresse : ils ne sont plus pris dans une relation archaïque de dépendance fusionnelle avec une adulte toute puissante à la merci de son bon vouloir. Ici, l’institutrice peut-être de bonne ou de mauvaise humeur, ce n’est pas dangereux car ils ont vu qu’elle ne peut pas faire n’importe quoi, puisqu’elle aussi obéit à la loi. Cette fonction séparatrice de la loi, facteur de langage et d’individuation, c’est constamment, à propos de faits quotidiens qu’ils la vivent. » . Je vais maintenant présenter deux des trois lieux de paroles de la pédagogie institutionnelle que sont le quoi de neuf et le conseil. Il ne s’agit pas de faire une présentation exhaustive de ces institutions mais de les mettre en lien avec mon expérience de classe.
Le quoi de neuf
Très régulièrement durant les temps de regroupement, j’étais déstabilisée par des interventions intempestives n’ayant aucun lien avec le sujet évoqué (Moi, ma maman, …). L’effet boule de neige opérant, beaucoup d’élèves souhaitaient dire quelque chose sur eux et j’avais du mal à trouver la réaction appropriée. D’un côté je souhaitais les laisser s’exprimer et de l’autre ce n’était pas le moment et l’absence de cadre nous entraînait dans une cacophonie générale. Je me retrouvais donc à devoir interrompre de manière totalement arbitraire la parole des élèves. Je n’étais pas du tout à l’aise à le faire car je ressentais l’injustice qui était faite aux enfants n’ayant pas eu la possibilité de s’exprimer. Le vrai problème est que je ne leur offrais pas la possibilité de le faire Le quoi de neuf est un lieu d’accueil de la parole. Débuter par un quoi de neuf permettra aux élèves d’entrer dans la journée de classe en exprimant s’ils le souhaitent et s’ils en ressentent le besoin, quelque chose d’eux, de leur vie, de leur individualité et permet une transition favorisant l’inscription dans le collectif que représente une journée de classe. Pour des raisons matérielles, l’ensemble des élèves ne pouvant s’exprimer au quoi de neuf, certains devront accepter de différer leur désir d’expression. L’inscription leur permettra de voir que leur désir est pris en compte, ce qui les amènera à transformer leur désir en projet, démarche indispensable pour construire une attitude d’élève.
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Table des matières
Le contexte et la genèse d’une problématique
1. Le regroupement : mon mauvais objet
1.1 Première période
1.2 Deuxième période
2. La question de l’autorité ou l’autorité en question
2.1 Tentative de réflexion sur mon rapport à l’autorité
2.2 Apports théoriques sur l’autorité
2.2.1 L’autorité, une question très actuelle
2.2.2 L’autorité éducative selon Bruno Robbes
3. La pédagogie institutionnelle
3.1 Le quoi de neuf
3.2 Le conseil
3.2.1 Les métiers
3.2.2 Les critiques
3.2.3 Monnaie et marché.
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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