L’existence des substances psychotropes est très ancienne puisque la consommation de l’opium est décrite depuis l’époque des Sumériens (3000 avant notre ère). L’usage de cette substance a longtemps eu lieu dans le cadre de rituels mais des mesures contre son abus ont été prises au XIXè siècle. En effet, malgré les propriétés bénéfiques de certaines drogues, comme les capacités analgésiques de la morphine, l’apparition de la consommation non contrôlée de psychotropes est devenue, aujourd’hui, un problème de santé publique. En effet, la consommation abusive de ces produits, qu’ils soient licites ou illicites, a un impact négatif sur la santé des personnes dépendantes, leur vie sociale et professionnelle mais également sur la société en général. Outre leurs effets psychotropes qui peuvent engendrer des accidents, ces « drogues » sont très souvent des molécules toxiques dont l’usage répété est délétère pour l’organisme et nécessite parfois une prise en charge hospitalière.
L’addiction se caractérise par le passage d’un usage contrôlé de drogue à une prise compulsive qui ne touche que les personnes les plus vulnérables. On sait maintenant que les modifications neurobiologiques induites par les drogues ne permettent pas aux toxicomanes d’arrêter leur consommation en ne s’appuyant que sur leur volonté. L’envie irrépressible de prendre de la drogue peut persister longtemps après le sevrage et est responsable d’un risque de rechute important, une caractéristique de l’addiction. Il n’existe pas encore de médicament suffisamment efficace pour soigner la toxicomanie, la recherche pré-clinique est donc indispensable pour trouver de nouvelles cibles thérapeutiques.
Il existe plusieurs modèles animaux permettant de travailler sur l’addiction et nous avons choisi de nous appuyer sur celui de la sensibilisation comportementale. Ce modèle, qui a été mis en évidence chez les rongeurs correspond à l’augmentation progressive de l’activité locomotrice au fur et à mesure des injections répétées des mêmes doses de drogues (Post and Rose, 1976; Post, 1980; Bartoletti et al., 1983; Robinson and Becker, 1986).
QU’EST-CE QU’UNE DROGUE ?
D’après les différentes définitions proposées [l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT), Académie Nationale de Médecine], les drogues sont des substances naturelles ou de synthèse dont l’absorption modifie l’état de conscience. Elles sont également appelées substances psychoactives ou psychotropes. Elles sont le plus souvent consommées en vue d’améliorer les performances physiques ou intellectuelles, pour leurs vertus thérapeutiques ou pour la recherche de la sensation de plaisir. Les drogues sont cependant caractérisées par le potentiel de dépendance qu’elles peuvent induire chez les personnes vulnérables lors d’un usage répété. La consommation non contrôlée de drogues a un effet délétère sur la vie sociale et professionnelle du toxicomane puisque celui-ci se concentre de manière compulsive sur sa recherche sans tenir compte des conséquences sanitaires et sociales négatives que cela peut induire dans sa propre vie. Bien que les drogues ne soient pas un produit apparu récemment puisqu’elles sont déjà présentes dans les civilisations anciennes, leur consommation ne devient un problème de société que depuis le milieu du XIX siècle et de nombreuses restrictions ont eu lieu sur le trafic des drogues dès le début du XXè siècle. La première définition officielle de l’addiction aux drogues n’est d’ailleurs proposée qu’en 1950 par les experts de l’Organisation Mondiale de la Santé qui suggèrent que l’addiction aux drogues est caractérisée par la dépendance psychique qu’elles induisent quelle que soit la classe de drogue (EDDY and ISBELL, 1959).
Les drogues peuvent être divisées en trois grandes classes en fonction de leurs effets sur le cerveau : les stimulants, les hallucinogènes et les dépresseurs.
Les psychostimulants
Ces molécules stimulent le fonctionnement du système nerveux en induisant temporairement un état d’éveil et d’excitation.
Les amphétamines ou « speed »
Les amphétamines sont un groupe de molécules ayant une structure apparentée à l’amphétamine et ayant pour base la phényléthylamine. La modification de cette dernière permet d’obtenir des produits dont certains effets sont renforcés au détriment d’autres : stimulant (amphétamine, methamphétamine, méthylphénidate), hallucinogène (DOI, ecstasy), anorexigène (la fenfluramine).
Ce psychostimulant, synthétisé pour la première fois à la fin du XIX’siècle, a été utilisé au départ pour ses propriétés thérapeutiques de broncho-dilatateur ou d’anti-narcoleptique et pendant la seconde guerre mondiale comme sérum de vérité ou comme stimulant physique. C’est à ce moment là que les premiers excès sont constatés chez les soldats. L’amphétamine est par la suite classée comme psychotrope par la Convention sur les substances psychotropes en 1971. Si l’on tient compte des données publiées en 2010 par l’OFDT, seules 1,7% des personnes ayant entre 18 et 64 ans l’ont déjà expérimentée. Elle est cependant beaucoup plus utilisée dans certains types de populations, comme le milieu « techno » où 51% de ces personnes en consomment régulièrement. Ces effets euphoriques, de bien-être ou ses capacités à augmenter la concentration et diminuer la fatigue sont recherchés lors de sa consommation. Il arrive parfois que les amphétamines induisent des hallucinations lorsqu’elles sont prises à fortes doses. La fin des effets, ou la descente, est souvent accompagnée de crises de tétanie, d’angoisse, d’état dépressif ou d’insomnie. Son usage répété peut entraîner de l’insomnie, des troubles de l’humeur, des troubles anxio-dépressifs, voire psychotiques, et peut également conduire à une dépendance.
L’ecstasy ou MDMA (méthylènedioxymétamphétamine) est un dérivé de l’amphétamine dont pouvoir anorexigène a été exploré par les laboratoires Merck qui travaillent brièvement dessus en 1912 (Freudenmann et al., 2006). La prise de MDMA augmente l’empathie, ce qui motive par la suite certains psychanalystes à l’utiliser pour favoriser le transfert ou pour soigner le stress post-traumatique. Cette molécule est listée à la convention des psychotropes de 1971 et est la première drogue de synthèse objet de trafic et d’usage en France. Elle est fréquemment consommée dans les milieux technos « alternatifs » puisque 93% des personnes interrogées en ont déjà utilisé. Sa consommation est cependant moins importante dans la population générale puisque seulement 5% des 18-34 ans, l’ont déjà expérimentée en France (OFDT, 2010). Sa prise est le plus souvent accompagnée d’une certaine sensation d’euphorie, de bienêtre et de plaisir et peut entraîner des troubles psychiques comme des hallucinations. Les jours suivants la prise peuvent être accompagnés d’angoisse, de dépression et de grande fatigue. Certains consommateurs réduisent ces effets négatifs en prenant du 5-hydroxytryptophane (5- HTTP), précurseur de la sérotonine, ou des opiacés. Un usage répété peut conduire à la dépendance mais également à de l’insomnie, un amaigrissement ou de l’anxiété.
La cocaïne
La cocaïne est un alcaloïde tiré d’un arbuste des Andes sud-américaines (l’Erythroxylon coca) dont les feuilles étaient mâchées par la population locale pour leur action stimulante. Son usage s’est développé au début du XXème siècle afin de profiter de ses vertus anesthésiantes mais également pour ses propriétés excitante et euphorisante. Elle est classifiée comme stupéfiant par la Convention unique des stupéfiants de 1961 de l’ONU. La cocaïne produit des effets d’euphorie, de puissance intellectuelle, de baisse de la fatigue, d’indifférence à la douleur. Elle est actuellement rencontrée sous forme de poudre blanche le plus souvent absorbée par voie nasale. Un procédé spécial permet de séparer la cocaïne de son sel et d’obtenir des cristaux aussi appelés « crack » dont l’action est plus rapide, intense et brève. Seulement 6,8% de la population des 18-34 ans l’ont expérimentée ; la dépendance psychique peut être rapide et forte puisque l’on estime que 15 % des usagés deviennent dépendants (OFDT, 2010). La consommation répétée peut-être accompagnée à long-terme de problèmes vasculaires, de troubles du rythme cardiaque ou de l’humeur.
Le tabac
Le tabac est une plante originaire des Caraïbes, il a été vulgarisé en France par Jean Nicot qui a donc donné son nom à l’un des principes actifs, la nicotine. Malgré la forte prévalence de fumeurs dans la population générale, c’est-à-dire 33% des 18-64 ans, le tabac n’est pas une drogue illégale pour les personnes de plus de 18 ans (OFDT, 2010). Cela est dû à son très faible pouvoir psychoactif, la consommation d’une cigarette ne s’accompagnant que de quelques effets légèrement éveillants, anoréxigènes ou anxiolytiques. Une consommation chronique est cependant accompagnée de risques toxiques importants au niveau vasculaire, respiratoire et digestif. La dépendance est accompagnée d’une sensation de manque à l’arrêt : tension, nervosité, irritabilité, angoisse voire dépression.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
INTRODUCTION
I- PRESENTATION DE L’ADDICTION
1- QU’EST-CE QU’UNE DROGUE ?
A- Les psychostimulants
B- Les dépresseurs du système nerveux central
2 – DESCRIPTION DE LA MALADIE
A- Caractérisation de la maladie
B- Définition psychiatrique : le DSM-IV
II- NEUBIOLOGIE DE L’ADDICTION
1- LES THEORIES GENERALES DE L’ADDICTION
A- Cycle de l’addiction prenant en compte l’impulsion et la compulsion
B- Présentation de certaines théories intervenant dans la mise en place l’addiction
2- LES MODELES ANIMAUX
A- La préférence de place
B- L’auto-administration
C- La sensibilisation comportementale ou tolérance inverse
3- PREMIERES MISE EN EVIDENCE DES STRUCTURES IMPLIQUEES DANS LA PRISE DE DROGUES : LE CIRCUIT DE LA RECOMPENSE
A- Historique et présentation du circuit
B- Les systèmes neurobiologiques impliqués dans la récompense
III- PRESENTATION DES SYSTEMES MONOAMINERGIQUES
1-LE SYSTEME DOPAMINERGIQUE
A- Anatomie du système dopaminergique
2- LE SYSTEME NORADRENERGIQUE
A-Implication du système noradrénergique dans l’addiction
B- Anatomie du système noradrénergique
D- Régulation des zones de projection du système noradrénergique
E- Activité électrique des neurones noradrénergiques
F- Régulation des neurones noradrénergiques
3- LE SYSTEME SEROTONINERGIQUE
A- Implication du système sérotoninergique dans l’addiction
B- Anatomie du système sérotoninergique
C- La transmission sérotoninergique
D- La synapse
E- Propriétés électrophysiologiques des neurones du raphé
F- Efférences du système sérotoninergique et régulation des structures cibles
IV- LA SENSIBILISATION COMPORTEMENTALE A L’AMPHETAMINE
1- ACTION DE LA DROGUE A LA SYNAPSE
2- EFFET DES INJECTIONS D’AMPHETAMINE SUR LES SYSTEMES MONOAMINERGIQUES
A- Le système dopaminergique
B- Le système noradrénergique
C- Le système sérotoninergique
3- LA SENSIBILISATION COMPORTEMENTALE A L’AMPHETAMINE EST SOUSTENDUE PAR UNE SENSIBILISATION DES SYSTEMES NORADRENERGIQUE ET SEROTONINERGIQUE
A- Mise en évidence de la régulation existant entre les systèmes noradrénergiques et sérotoninergique
B- Mise en évidence de l’altération de la régulation entre les systèmes noradrénergique et sérotoninergique par les drogues
C- Caractérisation de la sensibilisation neurochimique induite par les drogues
4- QUELS MECANISMES POURRAIENT ETRE RESPONSABLES DE L’HYPERREACTIVITE DES SYSTEMES NORADRENERGIQUE ET SEROTONINERGIQUE ?
A- Régulation de la transmission noradrénergique somato-dendritique et terminale est régulée par les autorécepteurs 2A-adrénergiques
B- Implication des autorécepteurs α2A-adrénergiques dans les différents modèles d’addiction
C- Régulation de libération somato-dendritique et terminale de sérotonine par les autorécepteurs 5-HT1A et 5-HT1B
D- Implication des récepteurs 5-HT1A dans les différents modèles d’addiction
CONCLUSION