Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Écrire, un acte cognitif lourd : quels obstacles les élèves de maternelle doivent-ils surmonter pour y parvenir ?
« Lire et écrire sont des savoir-faire très élaborés qui mobilisent un grand nombre de compétences techniques (décoder et encoder un message écrit), langagières (comprendre, interpréter et produire), sociales (maitriser les normes et les fonctions des différents écrits) et culturelles (être capable d’apprécier et d’inventer des textes). »
Or, face à cette forte charge cognitive, les élèves de maternelle doivent surmonter de nombreux obstacles.
Tout d’abord, leur manque de familiarité avec l’écrit, leur évolution dans un environnement oral, leur fait penser qu’on écrit comme on parle. C’est pourquoi très souvent ils ne dictent pas, ils disent, et ils n’utilisent pas un langage explicite. Cela doit donc faire l’objet d’un enseignement permanent dans la production d’un écrit, comme nous le verrons par la suite.
Ensuite, en ce qui concerne l’acte d’écrire, ils doivent faire le lien entre l’écrit qu’ils ont vu produire et son destinataire, celui qui va le lire ; appréhender la fonction de l’écrit qui est de dire quelque chose à quelqu’un d’absent ; savoir ce que sait ou ne sait pas cette personne, et lui apporter les éléments nécessaires à la compréhension, dans le bon ordre ; garder tout le message en mémoire pour pouvoir le restituer dans un ensemble logique, le texte ; enfin connaître et se représenter les écrits sociaux.
Au regard de cet accès à la compréhension de la fonction de l’écrit, de son utilité, le programme de maternelle dit : « L’objectif est de permettre aux enfants de comprendre que les signes écrits qu’ils perçoivent valent du langage : en réception, l’écrit donne accès à la parole de quelqu’un et en production, il permet de s’adresser à quelqu’un qui est absent ou de garder pour soi une trace de ce qui ne saurait être oublié. »21
En réception, il préconise donc de multiplier les situations de lecture devant les élèves, d’histoires, mais aussi d’écrits divers comme les mots des familles ou de la directrice.
Et pour les activités de production, tout ce qui relève de la communication aux familles, comme les lettres, les invitations, les mots dans le carnet de correspondance entre autres exemples, doit être privilégié. En effet, une situation de communication authentique, avec un destinataire et un but bien précis, incluant leur participation à la rédaction des messages écrits par l’enseignant en direction des parents, peut non seulement faire prendre conscience aux élèves que l’écrit donne accès à la parole de quelqu’un mais en plus leur donner envie de communiquer eux-mêmes, par l’écrit. Ils peuvent constater les effets que produisent les messages sur ceux qui les reçoivent car ils voient les parents lire le message reçu et comprendre la même chose que ce qui a été écrit en classe, au mot près.
De même, avec les comptines, les élèves peuvent comprendre qu’on se souvient du texte précis en relisant les affiches sur laquelle elles sont transcrites. Ces textes courts doivent être écrits dans une grande police d’écriture, permettant à tous les élèves de bien voir les mots de leur place en regroupement, sur de grandes affiches accrochées au tableau dès que l’on travaille dessus.
Enfin, le dernier obstacle et sans doute le plus important concerne l’écrit même. Il s’agit pour eux de comprendre que langage écrit est un « langage qui parle », d’appréhender la permanence de l’écrit, car ils ne font pas toujours le lien entre l’écrit qu’ils ont vu produire et le même écrit après, et n’appréhendent pas la double dimension de l’écrit, celle autour du code, du principe alphabétique et celle du texte.
Plusieurs dimensions dans l’écrit : la dimension autour du code et la dimension textuelle
La dimension autour du code
Il est donc important de ne pas se précipiter sur les activités relevant de l’écrit sans s’être assuré que ce qui relève de l’oral a été traité dans son ensemble. Et c’est pour cette raison qu’il existe une progression entre la petite section et la grande section sur le temps qui est à consacrer aux activités relevant de l’oral et à celles relevant de l’écrit. Plus on avance dans le cycle 1 plus la part revenant à l’écrit est importante.
De plus un des objectifs dans la partie « L’oral » dans « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions » est l’apprentissage de la compétence : « Commencer à réfléchir sur la langue et acquérir une conscience phonologique ». Or la conscience phonologique joue un rôle fondamental dans les activités d’écriture et elle va entretenir des liens étroits avec le principe alphabétique. En effet, l’apprentissage de la lecture exige d’établir sans cesse des correspondances entre les unités de l’écrit et celles de l’oral ; relations d’autant plus faciles à construire si les élèves connaissent bien les deux codes, oral et écrit.
Or il parait difficile de construire le principe alphabétique sans construire l’apprentissage systématique des relations entre formes orales et formes écrites. Comment préparer l’apprentissage de la lecture-écriture au cycle 2 sans tomber dans les pièges de la pré-lecture ? Comment commencer à écrire sans commencer à savoir lire ?
De nombreux didacticiens, chercheurs et formateurs ont répondu à cette question en proposant un certain nombre d’activités, d’outils, de réflexions permettant la mise en œuvre de ce qui est recommandé par le programme de maternelle de 2015. Tous s’accordent à dire, à l’instar de Jacqueline Massonnet dans son article « Interactions orales pour comprendre comment fonctionne l’écriture »22 que « pour gérer la complexité de la langue écrite, il ne suffit pas à l’apprenti de vivre dans un milieu marqué par l’écriture […] il faut l’utiliser le plus précocement possible et, notamment, dans des activités d’écriture autonome. »
Cette idée est développée dans les travaux de la psychologue Emilia Ferreiro qui s’est attachée à démontrer que les règles de correspondance entre écrit et oral se construisent progressivement, en franchissant des étapes identiques pour tous les enfants, « avec des décalages importants dans l’âge d’apparition des modes successifs de conceptualisation » 23. Ainsi, tous partent d’hypothèses de correspondances entre lettres et syllabes, ensuite entre lettres et phonèmes, puis enfin entre graphies et phonèmes grâce à un repérage progressif du caractère alphabétique de notre système d’écriture. La dernière étape de ce cheminement intellectuel est le niveau syllabique dans lequel « chaque signe graphique représente un phonème de la langue ».
Pour nous renseigner sur ces connaissances construites progressivement par les élèves, elle propose trois procédures à mettre en place de la petite à la grande section. Dès le plus jeune âge, il s’agit de proposer des activités de discrimination entre l’écriture en français et d’autres formes graphiques ; activités qui deviennent tâches d’interprétation des parties d’une phrase lue à voix haute par l’enseignant dès la moyenne section pour observer comment ils établissent des relations entre les mots écrits et les mots prononcés lors de la lecture. Puis enfin, en moyenne et grande sections, sont instaurées les fameuses situations d’écriture créative où l’on demande aux élèves d’écrire des mots, puis une phrase, sous la dictée, afin de travailler avec eux le lien entre chaine sonore et chaine écrite.
Même s’il paraît difficile d’imaginer que les enfants soient capables de réussir des taches de segmentation phonémique avant le cours préparatoire, il est important selon Emilia Ferreiro de nommer cet objet singulier qu’est la lettre dès la maternelle afin de segmenter la chaine écrite lors de ces activités de copie ou d’observation de l’écrit.
De même, dans son ouvrage Langage et école maternelle24, Mireille Brigaudiot détaille dans un « objectif 9 » la mise en place pédagogique des premiers essais d’écriture de mots afin que les élèves puissent prendre conscience de cette relation étroite entre principe alphabétique et principe phonographique. Selon elle, il ne doit pas y avoir de « décodage » (de lecture) graphophonologique mais seulement de l’encodage. Par exemple, si les élèves doivent tenter d’écrire le prénom, « Lola », il s’agit de poser la question « Comment va-t-on s’y prendre ? ». A partir de là, « les enfants peuvent traiter du sonore et voir la transformation du sonore en écrit ». Elle rappelle pour cela les dangers de travailler sur la notion de mot en maternelle car cela nécessite de savoir lire et écrire. Le travail de segmentation de l’oral ne doit donc s’exercer que sur les syllabes, « unités sonores avec une seule voyelle sonore à laquelle on associe ou pas une ou des consonnes ».
Elle fait également écho aux instructions officielles en rappelant qu’il est important de valoriser tous les essais d’écriture des élèves tout en réécrivant correctement le texte en-dessous. Pour cela elle propose la procédure d’étayage de l’essai d’écriture de mot suivante : D’abord valoriser (dire que l’essai a de la valeur), puis interpréter (dire ce que l’on voit, ce qu’on lit éventuellement) en faisant attention de ne pas leurrer, et enfin poser un écart (montrer, expliquer la procédure experte). L’enseignant doit donc échanger avec l’élève auteur de l’essai pour que cette tâche d’écriture ait du sens pour lui.
Et je reviens sur ce point à l’article de Jacqueline Massonnet, pour qui ces « traces visibles et lisibles de l’écriture » des jeunes élèves de maternelle doivent également faire l’objet d’interactions verbales appelées « entretiens métagraphiques » au cours desquels « l’observateur et l’apprenti lui-même tentent d’accéder aux opérations mentales que ce dernier met en œuvre pour appréhender la fonctionnalité des éléments linguistiques qu’il utilise quand il écrit. »25
Elle y reprend et analyse les travaux du groupe L.E.A (Linguistique de l’Écrit et de l’Acquisition) formé en 1994 sous la conduite de J.-P Jaffré, proposant une méthodologie d’observation et d’entrainement des élèves à l’écriture. Le but est de proposer des situations d’écriture dites offertes pour leur permettre de s’entrainer, d’abord à écrire ce qu’ils ont l’intention d’écrire, puis ensuite à expliquer les procédures qu’ils pensent avoir adoptées en écrivant. Avec quelques « aménagements théoriques et pratiques » selon les propres mots de Jacqueline.
Massonnet, cette pédagogie de la formulation des procédures peut et devrait être mis en place en situation scolaire par les enseignants afin que les élèves puissent prendre du recul par rapport à ce qu’ils ont écrit, par rapport aux moyens qu’ils ont utilisés pour écrire mais aussi par rapport à ce qui leur a été enseigné sur le fonctionnement de la langue écrite.
Pour les conditions nécessaires à la mise en place de ces entretiens métagraphiques, elle s’est appuyée sur les travaux de Vermersch traitant de « L’entretien d’explicitation » pour lequel ils posent les bases du questionnement de l’enseignant. Ce dernier doit guider l’élève dans la description de ses propres actions en privilégiant les questions portant sur le « comment » et sur le « quoi » et en évitant les formes du « pourquoi » qui provoquent des explications de causalité. « Il s’agit d’aider les élèves à organiser et à conceptualiser ce qu’ils savent déjà à travers la gestion de leurs actions. »26 Cependant, après avoir illustré son propos d’exemples de micro-séquences s’étant déroulées dans une classe de GS, elle ajoute que malgré toutes ces précautions et cette ambition de vouloir simplement guider le jeune scripteur dans une explicitation pour soi, dans la mise en situation réelle de ces moments d’échanges, l’élève se retrouve souvent à expliquer ses procédures pour autrui.
Malgré tout, elle conclut son article en précisant de nouveau la nécessité de proposer cette expérience langagière de manière précoce et régulière pour que les apprentis scripteurs-lecteurs soient capables dès leur plus jeune âge de maitriser les raisonnements sur le fonctionnement de la langue, qui leur permettront dans un premier temps de fixer des procédures graphiques tâtonnantes avant de constituer des automatismes orthographiques fiables.
Toutes ces modalités didactiques pour l’apprentissage de l’écrit dans sa dimension du code sont reprises et développées dans une mise en œuvre pédagogique collective coordonnée par Pascal Maillot27, dans laquelle la découverte du principe alphabétique passe par le biais de l’écriture, à travers quatre axes du programme de maternelle que sont « découvrir la fonction de l’écrit », « commencer à produire des écrits et en découvrir le fonctionnement », « découvrir le principe alphabétique » et « commencer à écrire tout seul. » A cette fin, les nombreux PE, PEMF et CPC qui ont collaboré à l’élaboration de cet ouvrage proposent des séances expérimentées en classe, dont l’analyse a montré que la découverte du principe alphabétique à l’école maternelle est la conséquence d’un certain nombre de découvertes et d’apprentissages menés parallèlement et de façon progressive. Ainsi certaines activités comme « Écrire des pense-bêtes » permettent aux élèves de découvrir la fonction de l’écrit, et ils savent par la suite pourquoi ils écrivent, à quoi ça sert. Ils commencent également à produire des écrits avec l’aide de l’enseignant comme dans l’activité « Écrire une comptine » afin de comprendre comment on fait pour les rédiger, ce qu’est un mot et que le mot oral renvoie au mot écrit et inversement. En parallèle, des activités de phonologie donnent aux élèves l’occasion de jouer avec les sonorités, de manipuler oralement les syllabes, les phonèmes, d’utiliser syllabes orales et écrites pour créer de nouveaux mots. Pour réaliser ces activités de manipulation, ils conseillent l’utilisation de référentiels syllabe comme le Syllabozoo édité chez Retz.
Si, en plus de ces apprentissages, ils sont fréquemment mis en situation d’écriture, ils réalisent peu à peu que des syllabes qui s’entendent de la même façon s’écrivent de la même façon, ils associent progressivement le nom des lettres au son qu’elles produisent, et deviennent de plus en plus autonomes dans leur écriture.
Cependant, pour reprendre les mots de Marie-Claude Javerzat, chercheuse en laboratoire de Psychologie génétique et différentielle à l’université de Bordeaux II, « L’enseignement de la langue à l’école primaire est, dans la réalité quotidienne, centrée sur la maitrise du code dès la Grande section. Les aspects énonciatifs, la construction du sens des textes ne sont qu’exceptionnellement l’objet d’activités programmées dans les classes du cycle 2. Or le travail sur les textes et leurs contextes, en lecture comme en écriture est constitutif de l’enseignement de l’écrit. »28
Il paraît donc essentiel d’aller au-delà de l’étude du mot, de la phrase pour travailler avec les élèves la dimension textuelle de l’écrit, leur permettre de saisir comment s’élabore un texte, à un moment où ils sont capables de concevoir et de d’énoncer des messages « scriptibles » mais pas encore de les écrire ni de les orthographier sans peine.
La dimension textuelle
A cette fin, de nombreux didacticiens proposent la dictée à l’adulte pour aborder avec les élèves la diction de textes courts et leur apprendre que « l’on n’écrit pas comme on parle ». Célestin Freinet le premier a introduit l’idée que l’on peut apprendre à rédiger avant même de savoir lire et indépendamment de cet apprentissage, remettant par là en cause les instructions officielles de l’époque. « On étudie les règles, on écrit comme l’indiquent les manuels. Et lorsque, ayant assez étudié, on serait en droit d’écrire, le charme est rompu. On ne sait plus que dire. L’élève naguère curieux et bavard n’a plus d’idées. »29 Dans sa « méthode naturelle », il propose donc un dispositif dissociant l’activité de rédaction – de composition du texte –, de l’activité de mise au net – d’impression du texte ; comprenant trois étapes dans l’apprentissage de l’écrit pour les plus jeunes apprenants :
– apprendre à dicter.
– apprendre à rédiger.
– apprendre à composer.
Quelques années plus tard, la chercheuse Laurence Lentin, fondatrice du CRALOE30 et présidente de l’AsFoRel31 fait écho à la pensée du pédagogue en conceptualisant le dispositif de « dictée à l’adulte », défini comme une délégation d’écriture à l’adulte pour apprendre à rédiger, permettant d’entrainer les élèves à l’utilisation orale des formes écrites de la langue et ainsi une articulation étroite entre lecture et écriture.
La technique de la dictée à l’adulte s’est non seulement maintenue mais elle n’a cessé d’être promue depuis des décennies dans les instructions officielles d’abord puisque le programme de maternelle de 2015 dit : « Toute production d’écrits nécessite différentes étapes et donc de la durée avant d’aboutir ; la phase d’élaboration orale préalable au message est fondamentale, notamment parce qu’elle permet la prise de conscience des transformations nécessaires d’un propos oral en phrases à écrire. La technique de la dictée à l’adulte concerne l’une de ces étapes qui est la rédaction proprement dite. Ces expériences précoces de productions génèrent une prise de conscience du pouvoir que donne la maitrise de l’écrit. »32
Les dispositifs mis en place dans la classe
Tous ces dispositifs ont été mis en place pour soutenir l’effort dans la compréhension et le réinvestissement des caractéristiques de l’écrit, dans ses deux dimensions à travailler.
Un « coin écrivain » a été installé dès la première période avec deux petites tables, un ordinateur et un tableau avec des lettres en capitales d’imprimerie et en script aimantées, des alphabets dans les deux écritures et des feutres. Ce dispositif m’avait été conseillé par mon tuteur PEMF lors de sa première visite, et il m’avait alors donné à lire Langage et école maternelle de Mireille Brigaudiot, ouvrage évoqué dans la première partie de mon travail, pour les conditions de son installation. En effet, l’objectif ici était de permettre aux élèves de développer leur écriture spontanée, mais également de leur donner les moyens de s’entraîner, notamment avec de la copie, dans un espace aménagé spécialement pour ça. Les bienfaits de ces deux activités dans l’apprentissage de l’écrit ne sont plus à démontrer.
J’ai donc taché de l’enrichir au fur et à mesure des périodes et de la progression dans l’apprentissage de l’écrit : avec les boites à lettres dans les trois différentes écritures ; la boite à mots rencontrés (référentiels de personnages, mots nouveaux, etc.), la boite à comptines, lettres et chiffres ; l’alphabet et les lettres aimantées en cursives ; les feuilles paginées d’écriture plastifiées pour s’entrainer à l’écriture cursive, les bandes et feuilles d’entrainements au graphisme, le poster graphique, les affiches de phonologie …43
Comme nous pouvons l’observer à travers les photographies mises en annexe, il a aussi le double avantage de proposer des supports à l’écriture verticaux, comme le tableau qui a de plus un aspect ludique pour les enfants, et horizontaux avec deux tables de travail individuelles pour se voir écrire et deux places côte à côte face à l’ordinateur pour pouvoir travailler à deux sur cet outil, permettant ainsi les interactions à l’oral pour donner les mots à écrire et l’écrit sur le clavier.
Dans la réalité, l’intérêt porté par les élèves à ce « coin écrivain » s’est vite estompé et il a été par la suite perçu comme un espace de labeur supplémentaire au même titre que les tables pour les ateliers ou le coin regroupement. Lorsque je proposais à ceux qui avaient terminé leur travail avant les autres d’y aller au même titre que dans les autres « coin bibliothèque » et « coin jeux » de la classe, je voyais dans leur regard l’incompréhension face à cette « punition » non méritée. Présenté dans ces débuts comme lieu d’expression écrite libre et propice à l’entrainement autonome au geste graphique, j’ai donc dû rapidement lui donner de nouvelles missions et je l’ai personnellement investi pour les ateliers dirigés d’écriture tâtonnée de mots ou même lors de la situation de production autonome d’écrit proposée aux élèves de GS.
Cela a fonctionné pour la majorité d’entre eux qui y sont revenus spontanément, même lors des temps d’accueil normalement consacrés aux jeux éducatifs et entre deux ateliers dirigés lorsqu’ils ont un peu de temps à eux.
Cela m’a permis également d’y trouver un intérêt pédagogique pour mon enseignement car j’ai pu davantage observer comment ils utilisaient tous ces outils dans leur construction de l’apprentissage du fonctionnement de la langue écrite, chose que je ne faisais pas ou de manière très superficielle jusque-là puisqu’il n’était investi par les élèves que pendant des temps où je n’étais pas avec eux. Mais ce dispositif n’a de sens pour eux que s’il n’est accompagné par des supports d’écriture consacrés comme les cahiers, les fameux cahiers qu’ils voient tous les soirs sortir des cartables de leurs grands frères et sœurs, ceux qui « travaillent vraiment ».
J’ai donc mis à la disposition de tous les élèves en début d’année un cahier de poésie (format cahier de dessin) dans lequel ils collent les poésies et comptines sur une page et sur la page d’en face ils peuvent décrire, illustrant en dessinant ou écrivant sur ce qu’elles évoquent pour eux. C’est un outil pour s’exprimer librement, je n’interviens pas dans l’organisation de ce cahier. Certaines pages sont mêmes illustrées librement sans se référer à une comptine ou poésie, et sont le reflet de leurs pensées ou envies du jour.
D’abord instauré pour mettre fin au « gaspillage » phénoménal de feuilles blanches que je retrouvais éparpillées un peu partout dans la classe, avec parfois un simple trait tracé au feutre, cet outil m’a aussi permis avec le recul de pouvoir faire avec les élèves des comparaisons dans la durée et de les aider à prendre conscience du cheminement de leurs idées, du développement de leur expression artistique, de leurs progrès dans la réalisation de dessins figuratifs. De plus, nous avons vu dans la première partie de notre travail que le dessin peut être utilisé comme un moyen pour les élèves, notamment pour ceux de moyenne section, de restituer par écrit leurs interprétations d’un texte de comptine, d’en représenter les référents personnages et lieux entre autres, et comme un support par l’enseignant pour échanger avec eux de leurs intentions et réalisations.
Pour travailler la dimension autour du code : la découverte du principe alphabétique
J’ai suivi ici à la lettre les recommandations des textes officiels : « La découverte du principe alphabétique rend possible les premières écritures autonomes en fin d’école maternelle parce qu’elle est associée à des savoirs complexes et à de nouveaux savoir-faire :
– la découverte de la fonction de l’écrit et les productions avec l’aide d’un adulte .
– la manipulation d’unités sonores non-signifiantes de la langue qui produit des habiletés qui sont utilisées lorsque les enfants essaient d’écrire .
– parallèlement, à partir de la moyenne section, l’initiation aux tracés de l’écriture .
– la découverte des correspondances entre les trois écritures (cursive, script, capitales) qui donne aux enfants une palette de possibles, en tracé manuscrit et sur traitement de texte. L’écriture autonome constitue l’aboutissement de ces différents apprentissages et découvertes. »45
La phonologie
Pour ce qui concerne l’étude du code oral, j’ai choisi de suivre avec les élèves de grande section les séances « clés en main » et la programmation semaine après semaine de Phono – Développer les compétences phonologiques, élaboré par Roland Goigoux, Sylvie Cèbe et Jean-Louis Paour pour Hatier Éditions ; et avec les élèves de moyenne section de travailler à partir des activités plus ludiques d’éveil à la conscience phonologique de Vers la phono MS chez Accès Éditions46.
J’ai suivi les progressions pour l’année des deux manuels et leurs conseils pédagogiques à la lettre, n’ayant pas encore suffisamment étudié cette composante des programmes pour concevoir par moi-même des activités de phonologie.
L’objectif de ces ouvrages pédagogiques est de faire comprendre l’existence et la nature des relations entre lettres et sons en commençant le travail phonologique par l’unité syllabique pour ensuite s’intéresser à ses divers constituants : rimes, attaques, phonèmes.
Les élèves de MS ont donc principalement appris à décomposer les mots en syllabes et semblent avoir majoritairement compris que le langage oral est constitué de petites unités qui n’ont pas de sens séparément mais qui se combinent pour en produire. Nous avons commencé à travailler sur les rimes et sur les syllabes d’attaque.
Les élèves de GS quant à eux maitrisent tous l’unité syllabique, ce qui est un attendu de fin de grande section, et conçoivent l’existence d’unités plus petites que la syllabe, les phonèmes. Ils reconnaissent un son dans un mot, surtout les sons vocaliques.
Nous avons travaillé ensemble et en continu avec mon binôme sur toute l’année et c’est en partie pour cette raison selon moi nous avons pu obtenir ce degré de conscience phonologique chez nos élèves.
Je n’ai malheureusement pas pensé à faire un enregistrement d’une de ces nombreuses séances de phonologie pour en faire la transcription et l’analyse ici et je regrette cet oubli.
Ces apprentissages leur ont permis de comprendre le système alphabétique qui repose précisément sur le codage des phonèmes grâce aux lettres de l’alphabet.
Bien entendu, cela n’a été possible qu’en travaillant en complémentarité avec les activités d’étude du code écrit que je vais détailler par la suite.
Les essais d’écriture de mots
J’ai tenté de proposer aux élèves, principalement de grande section, puis ceux de moyenne section un peu en décalé, des ateliers d’essais d’écriture qui pouvaient permettre de répondre aux préoccupations liées au principe alphabétique et de comprendre son fonctionnement.
Les préoccupations liées à confrontation avec la norme orthographique (marque du pluriel, du féminin, lettres muettes) ne sont qu’abordées oralement lors des moments de retours sur l’activité et ne font pas l’objet de consignes d’écriture propres.
Ainsi, fin septembre, je leur ai proposé d’écrire les prénoms de leurs camarades de classe selon le dispositif suivant :
Modalités : Travail collectif avec les élèves de GS proposé fin septembre, sur une séance de 35 minutes (15’ de travail de recherche individuel + 20’ de retour sur productions) Matériel : Tableau, crayons, feuilles, affichages.
Déroulement : A l’occasion d’un travail collectif je propose aux élèves d’essayer d’écrire le prénom d’un élève de la classe sur une ardoise. Les étiquettes prénoms sont dissimulées car il ne s’agit pas d’un travail d’écriture mémorisée mais bien d’un essai par tâtonnements/recherches.
J’invite ensuite un élève à venir présenter sa proposition ainsi que sa stratégie d’écriture au tableau.
Comment a-t-il identifié le nombre de lettres ? Comment a-t-il transcrit tel son ou tel son présent dans le prénom ? S’est-il aidé d’autres mots présents dans la classe ? A-t-il nommé les lettres du prénom dans sa tête ?
La norme orthographique peut être cette fois présentée par l’élève dont le prénom est travaillé qui l’écrit au tableau.
L’enjeu pour cet atelier était que tous les phonèmes soient transcrits, l’ordre de succession des graphèmes soient le même que celui des phonèmes et que certains phonèmes soient combinés en sons plus complexes.
A partir des propositions et surtout des explications fournies par les élèves, j’ai pu observer que la majorité des élèves avaient pu tracer des lettres dont le son était pertinent. Certaines difficultés comme « Geo » de « Georges » ont été difficilement surmontées par l’élève qui avait choisi d’écrire ce prénom. Il a écrit GORGE ce qui est normal en période 1 de grande section, et nous a expliqué que la lettre G faisait le son [ʒ] ce en quoi il a raison et cela dénote une certaine prise de conscience du principe phonographique dans sa démarche d’investigation. Chaine sonore et chaine écrite sont de manière générale coordonnées, exception faite chez l’élève qui a proposé « Isaac » car il n’avait identifié que deux syllabes « I » et « sac » qu’il a par ailleurs écrit IZAC. Mais le deuxième « a » est très peu prononcé.
En ce début d’année, les élèves ont dans l’ensemble de bons acquis sur le principe alphabétique et en conscience phonologique. Mais l’exercice a peut-être été quelque peu facilité par le fait que les prénoms des camarades de classe soient des mots familiers dans l’esprit des enfants, même s’ils ne les ont jamais ou peu écrits.
J’ai donc reproposé un peu plus tard, avec les élèves de MS cette fois, un exercice du même type puisqu’il s’agissait là encore d’écrire un nom, mais cela devait être un nom inventé pour un personnage. Cette activité permet de solliciter aussi bien leur imagination artistique qu’orthographique et cela me permettait surtout d’évaluer leur travail cognitif. Modalités : Travail individuel (en deux temps de 30 min chacun)
Matériel : Album de jeunesse Le monstre du tableau ; feuille, crayon, gomme ; pate à modeler ; feutre Déroulement : Après la lecture de l’album Le monstre du tableau (sans la fin), les élèves sont amenés à réaliser leur propre monstre (dessin pour les GS, pâte à modeler pour les MS) et à lui donner un nom.
Retour individuel :
L’élève me montre son monstre et m’explique sa stratégie d’écriture du nom qu’il lui a donné. Je peux le questionner : « Peux-tu me dire ce que tu as écrit en me le montrant en même temps avec ton doigt ? Qu’est ce qui t’a fait penser à utiliser ces lettres là ? Peux-tu nommer cette lettre ? Et me donner le son qu’elle fait ? ».
Ici le plus important étaient les explications qu’ils m’ont données car le nom importe peu. Seuls deux des sept élèves de MS ont utilisé une série de graphies pour marquer ce qu’ils m’ont dit être « Greu » et « Noura ». Ils ont tenté de lier « la trace » et le « signifié ». Mais quelques heures après ils n’étaient plus très surs. Les autres ont pu écrire avec des lettres, souvent une lettre pour une syllabe ou « un groupe de lettres ».
Les élèves de GS ont utilisé ce qu’ils savaient du principe alphabétique pour écrire ce nom inventé, puisqu’il n’était pas présent dans la classe mais ils ont beaucoup eu recours à ce qui a été explicitement appris dans la classe (comptines, référentiels, affiches, etc.), certainement pour se rassurer. Donc j’ai eu beaucoup de noms proches de ceux des personnages de Rafara, tels que « Vavandra » (pour Vovondréo dans l’album). Mais toutes les propositions et les retours m’ont permis d’observer que tous étaient réellement occupés à travailler la relation entre les marques graphiques et la chaine sonore. Leur travail cognitif s’est principalement porté sur la question : « Comment le son se transcrit-il ? ».
Je leur propose également régulièrement, mais pas autant que je le voudrais, l’activité « Le mot manquant dans un message » qui permet de travailler la lecture du message, l’identification d’indices dans le texte et l’anticipation des mots qu’il est possible d’écrire. Cette situation qui combine la lecture et l’écriture permet donc aux élèves de constater que l’un ne va pas sans l’autre.
Modalités : groupe classe en coin regroupement, au moment des rituels, pour une durée de 25 minutes maximum.
Déroulement : Certains matins, j’écris aux élèves un message à leur attention. Par exemple : « Bonjour les enfants, aujourd’hui nous sommes le lundi 11 février », « Demain nous irons au cinéma voir L’hiver de Léon. ». Un jour, j’ai commencé à laisser un espace dans mon message pour indiquer qu’il manque un mot. Durant la lecture du message, en identifiant des indices, les élèves doivent anticiper le mot qu’il serait possible d’écrire dans le contexte. Les propositions sont travaillées une par une, et le choix se fait à la fin en fonction des retours et échanges.
Depuis peu, un élève écrit la proposition initiale et les élèves écrivent le mot normé dans leur cahier d’écriture.
Il s’agit ici pour les élèves de résoudre des problèmes pour lesquels je suis sure qu’ils disposent des éléments pour les résoudre et pour lesquels ils peuvent s’aider de ce qui se trouve dans la classe. Il n’est pas question d’inventer car il ne faut pas leur donner l’illusion que les mots s’écrivent comme bon leur semble, car cela peut être le piège des activités d’essais d’écriture de mots.
Pour travailler la dimension textuelle
J’ai commencé par travailler la dimension textuelle de l’écrit par l’utilisation de la dictée à l’adulte, suivant en cela les préconisations du programme de l’école maternelle de 2015 mais aussi celles de nombreux didacticiens comme nous avons pu l’observer dans la première partie de mon mémoire.
L’objectif est ici que les élèves assistent au spectacle de l’écrit et en même temps travaillent à son élaboration à partir de phrases énoncées à l’oral et retranscrites à l’écrit. Il est donc primordial de revenir systématiquement sur les règles de l’écriture à partir des phrases notées sur les affiches suite à une dictée à l’adulte.
Cela m’a paru être une condition essentielle à leur acquisition d’une certaine autonomie dans l’écriture.
Au moment d’instaurer les règles de vie de la classe j’ai proposé aux élèves de participer à leur choix et à leur rédaction. Ils ont donc formulé les règles de vie qu’ils voulaient mettre en place dans la classe à partir d’une série d’étiquettes-images et je les ai invités à me les dicter sous forme de phrases. Étant habitués à entendre des adultes leur dire ce qui est bien ou pas bien, ce qu’il faut faire ou ne pas faire, à l’école depuis la petite section mais aussi à la maison, ils ont rapidement proposé « j’ai le droit/j’ai pas le droit » « je peux/je peux pas ».
J’ai taché de mettre en évidence les exigences du langage écrit dans un texte prescriptif, ici la double négation « ne…pas » que l’on ne retrouve pas à l’oral. Les élèves l’ont peu à peu utilisée dans la dictée des règles suivantes :
– Nous n’avons pas le droit de couper la parole ; – Nous n’avons pas le droit de bavarder.
Ce qui avait plus de difficultés en revanche avait été la transformation du pronom réfléchi « se » en « nous » dans :
– Nous n’avons pas le droit de (se) nous moquer ; – Nous n’avons pas le droit de (se) nous bagarrer.
Il a fallu multiplier les propositions pour que cela soit plus ou moins automatisé.
Ce qui est intéressant dans cette activité, outre le fait qu’il est nécessaire que les élèves participent à l’élaboration des règles pour qu’ils les comprennent et les assimile, c’est que ces règles sont par la suite affichées de manière permanente dans la classe et que nous y faisons souvent référence au cours de l’année. Cela permet donc de leur faire prendre conscience du caractère permanent de l’écrit, c’est gardé quelque part.
A partir de la production écrite d’un récit/Dans le but de produire un récit écrit
Au moment du récit, l’enseignante en formation que je suis a donc choisi de m’inspirer des sources prescriptives que sont les textes officiels, et de ce qui avait été essayé, analysé et suggéré dans les manuels et ouvrages didactiques présentés dans la première partie de ce mémoire. Toutes ces recherches m’ont incitée à travailler l’objet-livre, l’organisation du récit, la cohésion textuelle, à faire produire un écrit et à affiner la lecture des images.
Les élèves ayant montré un fort intérêt pour les aventures aux quatre coins du monde de personnages clés comme Le loup en début d’année, nous avons décidé ensemble de nous arrêter nous aussi dans chaque continent au contact d’une ou plusieurs cultures locales, et à la rencontre de jeunes héros vivant dans ces contrées lointaines. C’est ainsi qu’un projet interdisciplinaire est né autour des récits d’ailleurs, l’objectif étant que leurs aventures nous permettent de découvrir la vie, les habitudes, la culture, les traditions d’autres peuples, leur musique, leurs œuvres d’art visuel, leur art culinaire. Pour poursuivre cet objectif, des séquences ont été élaborées à partir des albums suivants : Rafara, un conte populaire africain d’Anne-Catherine De Boel ; le conte musical russe Pierre et le loup de Serge Prokofieff ; l’histoire de la petite chinoise Petite Sœur Li dans Les trois grains de riz d’Agnès Bertron-Martin et illustrée par Virginie Sanchez et enfin Yapa : Le Petit aborigène d’Australie de Chrystel Proupuech. En cinquième période, nous finirons l’année avec les aventures d’un Indien d’Amérique.
Ces séquences étaient principalement centrées sur l’étude du jeune héros local, ce qui permettait de travailler les personnages avec cette dualité opposants/adjuvants autour des héros de récits d’aventures très intéressante pour travailler sur les caractéristiques des personnages, leurs actions, leurs émotions, les relations qu’ils entretiennent entre eux. Et les élèves ont réussi peu à peu à aller au-delà du « il y a un garçon qui », « l’animal il est là », pour associer les protagonistes de Pierre et le loup aux instruments de musique de leur choix, ceux des Trois petits grains du riz à des idéogrammes inventés et à les insérer dans une immense fresque… et à créer tout un univers féérique autour du petit Yapa et de sa tribu.
Un exemple de ces séquences est proposé en annexe avec la dictée à l’adulte d’un résumé de la rencontre de Petite Sœur Li avec le dragon écrite sur une affiche disposée dans le coin écrivain de la classe, avec son analyse47.
S’approprier les éléments de la structure narrative
Mais s’il y a un élément qui a posé davantage de difficultés et qui méritait davantage encore de s’interroger sur ma pratique professionnelle pour trouver un début de solution, c’est la compréhension de la structuration narrative dans les récits, du quotidien comme d’imagination. Beaucoup de leurs narrations, même sur des choses personnelles qui leur sont arrivées, étaient incomplètes, et c’était généralement la « résolution » qui manquait à leur histoire.
Afin de pouvoir travailler sur cette organisation chronologique du récit, j’ai commencé à mettre en place des activités de type « Ordonner 3-5-8 images séquentielles » dans lesquelles les élèves découpent et collent dans l’ordre chronologique un certain nombre, selon leur niveau, d’images extraites des albums vus en classe. Ainsi, dès la première période, après avoir travaillé pendant trois semaines sur Le monstre du tableau de Claire Legrand et Méli Marlo, j’ai proposé à mes élèves de GS de « Mettre les 5 images dans l’ordre de l’histoire » dans un atelier de manipulation dirigé en petit groupe, avec dans la tête l’objectif de vérifier qu’ils aient bien identifié la chronologie d’une histoire connue, le début, les péripéties et la fin. Or seuls quelques élèves ont eu l’air de saisir l’organisation relationnelle entre ces images, les autres n’étant que spectateurs d’une situation qu’ils ont eue l’occasion de rencontrer à de nombreuses reprises mais dont ils n’ont toujours pas l’air de comprendre le sens.
Le renouvellement de cette expérience quelques semaines plus tard avec cinq images séquentielles extraites de l’album Rafara ont confirmé mes doutes puisque les élèves devaient cette fois répondre à la même consigne mais de manière individuelle et autonome sur feuille, et seuls 9 élèves sur les 17 élèves ayant effectué cette tache ont remis les images dans l’ordre chronologique.
Il m’a donc fallu rechercher la solution pour combler cette lacune pédagogique dans les nombreuses ressources didactiques à notre disposition à l’ESPE et sur Internet, mais c’est finalement une conversation avec un ami directeur d’école, encore enseignant il y a peu, qui m’a mise sur la voie. Il semblait ne jurer que pour les ouvrages de Roland Goigoux chez Hatier Éditions. Or je connaissais un peu le travail de ce professeur en sciences de l’éducation pour son apport considérable dans l’enseignement de la phonologie et j’ai par ailleurs utilisé le manuel Phono qu’il a élaboré avec sa collègue Sylvie Cèbe comme nous l’avons vu plus haut, mais je ne comprenais pas en quoi cela pouvait m’aider à concevoir des activités permettant de faire comprendre à mes élèves la structure narrative inhérente à tout récit. Il m’a alors prêté son manuel Ordo – Pour comprendre le système relationnel de l’ordre que je vous ai présenté dans la première partie de ce travail.
Malheureusement, la programmation des séances proposée se déroule sur un minimum d’un an et demi à partir de la moyenne section, et ce n’est qu’après avoir effectué les trois étapes dans l’apprentissage des relations ordinales entre les différentes parties d’un récit que les élèves sont amenés à remettre les images d’un scénario dans l’ordre chronologique, et encore dans des situations très particulières puisque les images séquentielles ne sont pas visibles simultanément mais proposées les unes après les autres. Ayant commencé à mettre en place ce procédé pédagogique en janvier, je ne peux d’ores et déjà pas parler de remède miracle ni apporter la preuve indéniable de sa réussite avec la photographie en annexe d’une nouvelle activité de remise en ordre chronologique d’images séquentielles réussie par 100% des élèves, moyenne et grande sections confondues. Cependant, dans cette période 5, je compte de nouveau leur proposer cette tâche mais en l’utilisant comme tâche de réinvestissement et de contrôle des acquis issus des séances d’Ordo, avec un matériel inspiré d’un album vu et revu en classe.
Mais j’ai tout de même pu en relever les effets positifs assez rapidement puisque dans les séances qui ont suivi le travail sur le premier scénario proposé, tous semblaient avoir adopté la démarche stratégique de prise d’indices et de questionnement par rapport à ces indices, pour établir des relations ordinales entre les images et les expliquer. J’ai choisi, pour illustrer le développement de certaines capacités métacognitives observé chez mes élèves, de porter à l’analyse une séance48 se déroulant au mois de mars, sur trois temps d’apprentissage de 25 minutes chacun, avec les 7 élèves de moyenne section. Elle s’appuie sur le scénario d’une sortie au zoo qui comprend 9 séquences narratives. Présentée comme séance 1 dans le manuel, je l’ai personnellement utilisée en troisième séance dans ma programmation car les deux scénarios des séances 2 et 3 portants sur une journée d’école et sur la fabrication d’un bonhomme de neige étaient davantage en adéquation avec nos centres d’intérêt du moment. Visant toutes trois l’acquisition de la même compétence qui était d’utiliser ses connaissances pour chercher, dans des images, des indices permettant de catégoriser des images et d’identifier l’histoire qu’elles illustrent ensemble, il ne m’a pas été très difficile d’adapter son déroulement au niveau de progression des élèves dans cet apprentissage.
Les premières productions de récits écrits
Cette programmation annuelle sur la rencontre de jeunes héros, de leur culture et traditions, aux quatre coins du monde a permis de proposer en quatrième période une situation de création à partir des signes aborigènes, et des récits empreints de merveilleux de leurs rêves, ayant pour finalité la production d’un écrit fictionnel.
C’est cette séance d’écriture en dictée à l’adulte d’un récit fictionnel que nous allons maintenant développer et analyser à partir de leurs productions mises en annexes49.
Suite au travail mené en amont sur la structure du récit, les éléments qui le constituent, et les caractéristiques de ses héros, nous notons des écarts entre les productions de récit assez significatifs, surtout entre les travaux des deux premiers et ceux des deux derniers groupes. Les groupes 1 et 2 sont surtout dans le descriptif des signes aborigènes proposés comme support pour l’inspiration d’une histoire. Leur texte ne propose pas de personnages, seulement des hommes non identifiés et quelques animaux. Il n’y a pas les trois éléments constitutifs du récit que sont le début, les actions et la fin. Ces éléments ne sont pas non plus parfaitement identifiables dans les écrits des groupes 3 et 4 mais nous pouvons sentir qu’il y a une intention. Bien que ces récits manquent de fluidité dans le déroulement des évènements, nous notons que ces élèves ont compris ce qui était attendu d’eux dans la production d’un récit de fiction. Ils ont tous été capables de réinvestir le vocabulaire appris lors de cette séquence mais peu ont su en revanche réinvestir les connaissances, sans doute trop fraichement acquises, sur les rencontres des personnages et les péripéties qui en découlent.
C’est pourquoi il me paraît essentiel de commencer l’apprentissage de la compréhension et production écrite de ce type de texte beaucoup plus tôt dans l’année. Il faut leur laisser le temps de revenir à maintes reprises sur leurs productions pour pouvoir s’approprier tous ces éléments caractéristiques du récit.
De plus il aurait été intéressant de leur proposer un support de dictée à l’adulte beaucoup plus adapté aux critères de réussite de sa réalisation. Une simple grille avec le début, les actions, la fin, aurait pu davantage les mettre sur la voie de nos attentes. De même, un tableau avec le héros et de chaque côté un personnage adversaire et un personnage présent dans l’histoire pour l’aider. Néanmoins lors de la dictée à l’adulte, dans tous les groupes, j’ai pu constater que tous mes élèves avaient accru leurs compétences langagières dans le cadre de l’écriture d’un récit. Ils ont produit des récits, ou pour certains davantage des écrits descriptifs, complets sans aucune relance de ma part, en dialoguant entre eux, ce qui est un signe positif de leur bonne compréhension de la fonction de l’écrit dans la dictée à l’adulte. Mon rôle s’est limité à simple scripteur.
En parallèle j’ai également voulu saisir les opportunités fournies par le réel de la situation concrète de la classe et de l’action des élèves, comme lors de la dictée à l’adulte des règles du jeu des 7 familles.
C’est ainsi que je me suis retrouvée à « improviser » une séance d’écriture, dans le sens de tirer avantage d’une situation imprévue dans laquelle les élèves ont voulu spontanément raconter leurs vacances, jusque-là rien de très original, mais l’intérêt est venu du fait que cela n’était pas possible car ce lundi de retour de vacances d’hiver était consacré à la répétition en petits groupes d’un spectacle musical avec un intervenant extérieur à l’école. Devant leur déception et leur frustration, j’ai proposé de prendre quatre petits groupes dans la journée, en alternance avec les répétitions et les deux autres ateliers prévus, pour les aider à travailler sur l’écriture de leur récit de vacances. N’est-ce pas la fonction première de l’écrit, mettre sur papier ce que l’on ne veut pas oublier pour que ce soit lu par quelqu’un qui n’est pas disponible sur le moment ?
Nous avons ainsi pu revenir sur tout ce que nous avions pu observer sur l’écrit pour le réutiliser dans une initiation à la narration et à l’écriture d’un récit personnel.
Lors de la présentation du récit, j’ai demandé à l’élève auteur de ne rien dire et de laisser les autres élèves « lire » ce qu’ils avaient sous les yeux. L’exercice m’a paru intéressant pour pouvoir observer si les intentions d’écriture ou de représentation étaient perceptibles par un lecteur absent du moment de création. Ayant moi-même assisté les élèves dans leur travail de production d’écrit pour analyser leur démarche et leur proposer les outils à disposition, je ne pouvais pas intervenir.
|
Table des matières
1ère partie : Le cadre théorique
1 – Les instructions officielles
2 – Qu’est-ce qu’un récit et que signifie produire un récit à l’école maternelle ?
3 – La production d’un écrit à l’école maternelle
2.1 Écrire, un acte cognitif lourd : quels obstacles les élèves de maternelle doivent-ils surmonter pour y parvenir ?
2.2 Plusieurs dimensions dans l’écrit : la dimension autour du code et la dimension textuelle
2.2.1 La dimension autour du code
2.2.2 La dimension textuelle
2ème partie : Ce qui a été mis en place dans la classe (intentions et réalisations)
1 – La classe
1.1. Le contexte
1.2. Les dispositifs mis en place dans la classe
2 – Situations d’enseignement mises en place
2.1 Pour travailler la dimension autour du code : la découverte du principe alphabétique
2.1.1 La phonologie
2.1.2 Les essais d’écriture de mots
2.2 Pour travailler la dimension textuelle
2.3. A partir de la production écrite d’un récit/Dans le but de produire un récit écrit
2.3.1 S’approprier les éléments de la structure narrative
2.3.2 Les premières productions de récits écrits
Conclusion
Bibliographie
Télécharger le rapport complet