Qu’est-ce qu’un geste professionnel ?

Qu’est-ce qu’un geste professionnel ? 

La notion de geste professionnel est ambiguë car elle renvoie à plusieurs interprétations dans la littérature scientifique (Cizeron, 2010). Leplat (2013, p. 16) souligne cette ambiguïté et demande si le geste professionnel doit être compris comme « un geste propre à une activité relevant d’un domaine professionnel » ou comme celui « caractérisant l’exécution experte de professionnels d’un groupe ». Dans un cas comme dans l’autre, il lie la notion de geste à celle de compétence.

Nous allons d’abord nous intéresser à la notion de geste. Si l’on se réfère à la définition du dictionnaire (Larousse, 2004, p.510), un geste est « un mouvement du corps, principalement de la main, des bras, de la tête, porteur ou non de signification ». Cette définition met l’accent sur la place du corps et réduit le geste aux mouvements de ses différents membres. Plusieurs auteurs s’opposent à cette idée (Leplat, 2013, Lémonie et Chassaing, 2013, Vidal-Gomel & coll. 2019) en défendant une approche multidimensionnelle du geste. Dans un premier temps nous distinguerons les notions de mouvement et de geste puis nous montrerons la dimension incorporée du geste. Nous expliciterons en quoi le geste est avant tout situé pour enfin mettre l’accent sur son caractère multidimensionnel et envisager le concept de schème (Vergnaud, 1996) comme outil pertinent pour analyser les gestes professionnels.

Geste et mouvement

Mobiliser la notion de geste amène dans un premier temps à la distinguer de celle de mouvement. Le mouvement exprime l’activité musculaire de segments corporels mobilisés lors de la réalisation d’une tâche (Gaudez & Aptel, 2008, p.386). Cependant, l’analyse du « mouvement volontaire », prend en compte la dimension cognitive du système nerveux dans l’exécution de cette tâche (p.387). Les analyses biomécaniques permettent la compréhension du mouvement volontaire et la description des segments corporels mobilisés directement dans la tâche ou indirectement dans la recherche d’un équilibre corporel. Même si ces analyses sont utiles à la compréhension du mouvement, elles s’avèrent insuffisantes pour l’analyse d’un geste puisque l’on reste dans l’observable et elles ne prennent pas en compte le rôle de l’opérateur, ni celui de l’environnement dans la réalisation du geste (Bourgeois & Hubault, 2005, Lémonie & Chassaing, 2013).

En effet, le geste est davantage explicité comme un processus où l’opérateur ajuste ses modes opératoires en fonction de la situation (Bourgeois & Hubault, 2005). Il se définit comme un attribut humain chargé d’une intentionnalité, dépendant de la situation de son exécution et du point de vue dont il est observé. « Un geste est un mouvement humain auquel est attribuée une signification. […] En ce sens, on pourrait dire que le geste n’est pas observable ; ce qui l’est, c’est le mouvement auquel est attribuée la signification, c’est l’action ou l’action dans laquelle il s’insère qui donne (ou non) au mouvement la qualité de geste. » (Leplat, 2013, p.3) .

Leplat (2013) distingue trois fonctionnalités au geste :
– La fonctionnalité expressive et de communication qui peut se traduire par le geste-signe, significatif de communication non verbale.
– La fonctionnalité instrumentale où « le geste est une composante de l’activité (plus précisément, de l’action) : il manifeste la part que le corps prend à l’activité » (p.10). Le geste-action est alors vu comme une composante de l’activité, la partie visible de l’action.
– La fonctionnalité cognitive, intrasubjective, où le geste contribue à la mise à jour et la transformation de la pensée.

Par conséquent, le geste est action car il est régi par un but à atteindre et participe à la transformation du réel mais il est aussi signe car il est un révélateur des caractéristiques de l’environnement et de l’opérateur. Le geste évolue donc en fonction de la situation et de l’expérience de l’opérateur (Leplat, op. cit. ; Chassaing, 2010). Notre recherche s’intéresse au geste dans un contexte de travail où le corps est fortement mobilisé. Pour reprendre les travaux de Vergnaud (1996) et Pastré (2011), nous utiliserons le terme d’activité à dominante perceptivo gestuelle pour parler de l’activité de couture. À ce titre, nous rejoignons la définition de Petit et Oudart (2017) qui limitent le geste ou geste professionnel à « un geste associé à un artefact et mis en œuvre dans l’accomplissement d’une tâche dite manuelle spécifique à un domaine professionnel » (p.15). Pour penser le geste de couture, nous faisons le choix d’adopter cette définition-là du geste.

Le geste est-il entièrement visible et conscient ?

Le sujet en action ne peut avoir une pleine conscience de la façon dont il réalise une tâche (Davezies 2012). En effet, « le geste implique une conscience du but, mais la réalisation doit lâcher la bride à la mobilisation corporelle » (p.5). Les actions motrices mobilisent la mémoire procédurale difficilement accessible à la conscience. Il semble ainsi que « le cerveau tend à ignorer une grande partie des informations sensorielles qui pourraient nous renseigner sur le mouvement une fois qu’il est lancé » (Davezies, op.cit., p.5). Le cerveau ne traite que les informations qui ne correspondent pas à ce qui était anticipé. On ne se souvient que de l’ajustement de l’action si celle-ci rencontre un problème et il peut y avoir une différence nette entre le geste réellement effectué par un acteur et la façon dont il se le représente.

D’autre part, les connaissances mises en œuvre dans l’activité, qui s’expriment aisément dans l’action, se montrent difficilement verbalisables. Leplat (1995) utilise le terme de « compétence incorporée » pour définir ces « connaissances en acte ». Ces compétences ont pour caractéristique d’être « facilement accessibles, difficilement verbalisables, peu coûteuses sur le plan de la charge mentale, difficilement dissociables, très liées au contexte » (Leplat, 1995, p.102). Les compétences incorporées sont souvent implicites car elles se manifestent lors d’actions non réfléchies, routinières, qui s’expriment uniquement dans l’action et ne font que peu appel au raisonnement. Ces compétences sont situées dans l’action, elles correspondent pour partie aux automatismes et permettent la réalisation de tâches plus complexes. Leplat rapproche la notion de compétences incorporées au concept de schème car elles sont rapidement disponibles et organisent l’action. Il met en relation ces compétences avec les schèmes d’usage (Rabardel, 1995) liés à la présence d’artefacts associés à l’action.

Ces compétences permettent d’accéder à des activités de niveau supérieur car elles soulagent les activités de régulation (Rasmussen, 1986) et permettent de mobiliser rapidement des unités d’action de premier niveau. Aussi, dans une logique de formation, il est fondamental de les repérer car au contact d’une nouvelle classe de situations, elles peuvent se rigidifier et mettre l’acteur en échec (Leplat, op. cit., p.109). Il est alors important de trouver une autre voie possible par un retour à l’activité réfléchie. Ces compétences motrices incorporées ne sont pas acquises uniquement dans la répétition, par imprégnation ou « sur le tas ». Elles peuvent faire l’objet d’apprentissages spécifiques dans des dispositifs de formation. Il sera alors indispensable de tenir compte des caractéristiques de la compétence incorporée mais également de celles du sujet, pour engager une démarche de transposition vers les nouvelles classes de situation. Dans une logique de conception de formation, il convient également d’être conscient que ces compétences s’acquièrent avec le temps.

Le geste professionnel est-il un « bon geste » ?

Le développement de l’organisation taylorienne du travail a favorisé la croyance en un modèle du « bon geste » centré sur la dimension bio-mécanique et largement repris dans les situations de formation (Chassaing, 2011, Bourgeois et Hubault, 2005). Il s’agit alors d’inculquer un geste normé pour l’exécution de tâches prescrites et décrites par une gamme opératoire. Sans tenir compte du travail réel, ce type de geste vise le plus souvent l’homogénéisation des façons de faire au poste de travail et à chaque étape de réalisation de la tâche. Le geste est alors perçu comme une simple exécution que l’on peut morceler et décrire précisément dans les documents supports de la prescription.

Pourtant, Chassaing (2011) montre que le geste ne peut se réduire à cette simple exécution, il a une dimension créative source de construction identitaire mais également de performance au travail. Dépendant de variables liées à l’environnement de travail, à son organisation, à la variabilité des produits mais aussi à la variabilité de l’état physique et psychologique de l’opérateur, le geste est dépendant des caractéristiques de la situation, il est donc situé. De même, Vidal Gomel et coll. (2018) réfutent l’idée d’un « bon geste » car « le geste et sa qualité sont le résultat de la façon dont l’individu a su tirer parti des contraintes et ressources de son propre organisme, de l’environnement et de la tâche à réaliser en fonction des buts qu’il s’est fixés » (p.2). Cette thèse issue des travaux de Bril (2012) se retrouve également dans les travaux des ergonomes comme Lémonie & Chassaing (2013).

Pour en revenir aux travaux de Bril (2012), cette dernière s’intéresse au geste technique plus qu’au geste professionnel car en tant qu’anthropologue, elle ne s’intéresse pas seulement aux gestes produits dans les situations de travail mais aussi à ceux des situations quotidiennes. Pour cette auteure, qui prône une approche écologique du geste, son apprentissage est vu comme un processus progressif de compréhension du couplage corps/outil/environnement. L’expertise ne serait donc pas de reproduire un geste toujours identique à la perfection mais «consiste à optimiser l’utilisation des contraintes en termes d’énergie ou de pertinence sociale, tout en sachant que d’autres contraintes d’ordres différents peuvent intervenir » (p.144). L’expertise repose en partie sur la maitrise des déterminants de la situation pour réussir à atteindre les buts que l’individu s’est fixés. Par conséquent, il s’agit de prendre en compte et de valoriser la variabilité du geste pour faire face aux variations des situations rencontrées et celles de l’individu. Cette conception du geste pose alors la question de la formation si l’on veut dépasser le modèle du « bon geste » et prendre en compte sa dimension créative.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1 – Geste professionnel et formation
1.1 – Qu’est-ce qu’un geste professionnel ?
1.1.1 – Geste et mouvement
1.1.2 – Le geste est-il entièrement visible et conscient ?
1.1.3 – Le geste professionnel est-il un « bon geste » ?
1.1.4 –Le geste professionnel est-il un schème ?
1.2 – Des dispositifs pour accéder au geste professionnel
1.2.1 –Dépasser le modèle du « bon geste »
1.2.2 – Des dispositifs de formation avec une approche « orientée-activité »
Chapitre 2 – Cadre théorique
2.1 – Le geste professionnel en tant que schème
2.2 – Les invariants opératoires
2.2.1 – Les concepts et théorèmes-en-actes
2.2.2 – Les concepts pragmatiques
2.3 – La structure conceptuelle de la situation
Chapitre 3 – Présentation du terrain d’étude
3.1 – Le lycée de la Mode, un « pôle d’excellence des métiers de la mode »
3.2 – Les acteurs participant à cette recherche
3.3 – Contexte de l’intervention
Chapitre 4 – Méthodologie : recueil et traitement des données
4.1 – Travail exploratoire
4.1.1 – Observation en situation : immersion dans le milieu
4.1.2 – Choix et description de l’ourlet mouchoir
4.2 – Le recueil de données
4.2.1 – Recueil des démonstrations filmées
4.2.2 – Les entretiens d’autoconfrontation
4.2.3 – Les entretiens d’alloconfrontation
4.3 – Le traitement des données
4.3.1 – Description des démonstrations filmées
4.3.2 – Traitement des données des entretiens d’autoconfrontation
4.3.3 – Traitement des données des entretiens en alloconfrontation
Chapitre 5 – Résultats
5.1 – Une analyse de premier niveau : la réalisation d’un ourlet mouchoir
5.1.1– Deux buts sous-jacents à l’activité : la QUALITE et la QUANTITE
5.1.2– Un premier niveau de conceptualisation de l’ourlet mouchoir
5.1.3 – Les caractéristiques de la personne à prendre en compte dans l’analyse de l’activité des formatrices
5.1.4 – Eléments de comparaison entre les trois formatrices
5.2 – Une analyse de deuxième niveau centrée sur les spécificités luxe de l’ourlet mouchoir
5.2.1 – Présentation de l’ourlet mouchoir luxe effectué par C
5.2.2 – Buts et sous-buts de l’ourlet mouchoir luxe
5.2.3 – Description des indicateurs significatifs autour de la variable « pièce de tissu » pour l’activité de C. : la matière floue, le biais, l’arrondi
5.2.4 – Les autres indicateurs influençant le geste luxe
5.3 – Analyse fine des constituants du schème de la situation « piquer le premier rempli nervure »
5.3.1 – Les opérations effectuées
5.3.2 – Présentation de la structure conceptuelle de la situation « piquer le premier rempli nervure»
5.3.3 – Présentation des indicateurs pour chaque variable de résultat
5.3.4 – Présentation de règles d’action de l’activité de C. en fonction des caractéristiques de la tâche et de la personne
Discussion
Sur la connaissance de l’ourlet mouchoir
Usage de la vidéo comme trace de l’activité
Intérêt du collectif
Conclusion

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