« Qui n’a pas rencontré l’enfant agressif, perturbateur, querelleur ? Au banc des accusés, la diversité des modèles familiaux, la perte des repères et des civilités, la démission des parents, la pression scolaire, les enfants oubliés, insécurisés, le climat interrelationnel déréglé… » (2014, p.24) Et la liste n’est pas exhaustive. Valérie Neveu, Inspectrice de l’Éducation Nationale, met en balance deux points fondamentaux. D’une part, chaque enseignant sera amené à rencontrer des élèves dont le comportement perturbe le fonctionnement de la classe. D’autre part, la liste des causes invoquées pour expliquer ces comportements est si longue qu’il parait impossible d’allouer un comportement à la prise en compte d’un seul facteur. Ce double constat semble alerter sur l’aspect fataliste de la recherche du « grand coupable » et invite plutôt à « chercher le filtre de la complexité pour mieux se saisir du problème ».
Le comportement : des difficultés aux troubles
Qu’est-ce qu’un élève difficile ?
Un comportement inadapté aux normes scolaires
Selon Richoz (2010, p.61), « un élève est perçu comme difficile sur le plan comportemental quand il demande tellement d’attention et d’énergie que l’enseignant ne peut plus enseigner et s’occuper du reste de la classe comme il devrait le faire ». Celui-ci poursuit en distinguant l’élève perturbateur qui dérange intentionnellement la classe, l’élève agité qui est peu attentif et continuellement en mouvement, et enfin, l’élève opposant qui est dans le refus et menaçant envers les autres. Peu importe la définition que ces élèves reçoivent, également appelés « bolides » par Imbert (cité dans Éduquer et former, 2018), ils ont pour point commun de ne pas adhérer aux normes scolaires. Un élève est difficile parce qu’il impacte négativement la classe (accapare l’enseignant ou agresses ses pairs) et lui-même par son comportement.
Les comportements observés
Troncin (2010) liste ci-dessus les comportements fréquemment observés chez ces élèves qu’il appelle perturbateurs. Au-delà des comportements enfreignant directement la règle (se déplace sans arrêt, s’exprime grossièrement…), certains comportements invitent d’ores et déjà à une analyse plus poussée puisqu’ils renseignent sur la personnalité de l’élève (toujours insatisfait de ses productions, veut tout et tout de suite…) De nombreux auteurs (Boimare, 1999 ; Égron, 2017 ; Richoz, 2010…) s’accordent pour associer ces comportements à des difficultés ressenties par l’élève. Le comportement serait alors un signal d’alerte face à une difficulté vécue par l’élève. En effet, ils constatent que ces enfants rencontrent régulièrement des difficultés pour gérer l’attente, le différé, et leurs frustrations ; maintenir durablement leur attention ; prendre en compte les changements ; accepter de ne pas être au centre de l’attention et se confronter à des apprentissages nouveaux au risque de se retrouver confronté à ses propres insuffisances.
Les troubles du comportement
Les indicateurs des troubles
La classification internationale des maladies présente les troubles du comportement comme « des troubles dominés par la tendance à l’agir, des troubles des conduites dans les échanges et le défaut de contrôle, le déni des règles sociales, la répétition des échecs, le défaut d’influence des sanctions » (CIM-10). Les enfants présentant des troubles du comportement sont, selon le décret sur les ITEP de 2006, « des enfants présentant des difficultés psychologiques dont l’expression, notamment l’intensité des troubles du comportement, perturbe gravement la socialisation et l’accès aux apprentissages. » La notion est complexe et de nombreuses définitions viennent s’ajouter à celles-ci. Pour définir la notion de troubles du comportement, nous pourrions la résumer comme ceci : l’intensité, la fréquence et la complexité des troubles nuit au développement de l’enfant qui est engagé dans un processus invalidant nécessitant le recours à un accompagnement individualisé.
Les comportements observés
Égron (2017) ; Chevallier, Gagbé, Freymond, Lenfant (2013) listent les comportements observés chez ces enfants en précisant que tous les enfants présentant des troubles du comportement n’adoptent pas la totalité des symptômes, cités ci-dessous :
– Une quête existentielle et une détresse affective. Ces enfants qui ont souvent un passé douloureux générant des situations de stress, cherchent parfois maladroitement et indirectement la proximité et le centre de l’attention.
– Le besoin de résultats immédiats. Leur angoisse affective est là encore activée lorsque leurs attentes ne sont pas immédiatement satisfaites, que ce soit lorsque l’élève appelle le professeur qui n’est pas disponible ou quand une activité demande de se projeter pour visualiser le résultat final.
– Un rapport perturbé à la temporalité et à l’espace. Les observations montrent que de par leur vécu morcelé, ces élèves vivent uniquement dans l’instant présent. Cela peut alors les amener à adopter des comportements à risque puisqu’ils n’anticipent pas le danger.
– Un manque de contrôle des émotions et des difficultés relationnelles. Les émotions sont vécues avec intensité ce qui peut entrainer des réactions inattendues voire incontrôlables. Par ailleurs, ces enfants interprètent difficilement les intentions des autres et les perçoivent souvent comme menaçantes.
– Une faible estime de soi et une angoisse à se confronter à de nouveaux savoirs. Ces enfants refusent d’entrer dans l’activité avec un « c’est trop dur», sabordent leur travail par manque de confiance en eux. Selon Boimare (1999), entrer dans les apprentissages n’implique pas seulement de se confronter à ses propres insuffisances mais suppose également de remettre en cause sa façon d’être qui freine l’entrée dans les apprentissages mais qui est un rôle qui permet à l’élève, selon lui, d’être identifié, d’exister.
– Un affrontement défensif. Les relations avec ses pairs sont difficiles. Les violences verbales et / ou physiques ponctuent les relations avec les autres enfants et les adultes. Pour contester, l’enfant peut également s’en prendre à son environnement : jette le matériel, abime le mobilier…
– Un rapport à la loi difficile et fluctuant. De par leur manque de repères, il leur est difficile de respecter un cadre qui engendre des frustrations. Les règles de fonctionnement sont perçues comme injustes ou privatrices de liberté plutôt que comme un cadre assurant la sécurité et le vivre ensemble.
Ces observations montrent que ces élèves qui se focalisent sur ce qui les insécurise ont besoin d’un projet individualisé.
Le projet personnalisé de scolarisation
Depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, l’école a pour volonté de s’adapter aux besoins spécifiques et se montre de plus en plus inclusive. En ce sens, des parcours de scolarisation individualisés peuvent être mis en place grâce au projet personnalisé de scolarisation (PPS). Selon la définition de l’article 2 de cette même loi, les élèves concernés par un PPS, sont ceux qui vivent avec un handicap, qui se caractérise par « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives, psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. Et pour lesquels la MDPH s’est prononcée sur la situation de handicap. » Concrètement, c’est la famille qui saisit la MDA (Maison De l’Autonomie) ou la MDPH (Maison Départementale Des Personnes Handicapées). L’équipe éducative renseigne alors le GEVA-Sco (Guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation) qui regroupe toutes les informations relatives à la situation scolaire de l’élève et permet la transmission des informations entre les différents acteurs et la mise en place d’un parcours cohérent. Si la MDPH reconnait le handicap, le PPS définit les besoins particuliers de l’enfant : attribution de matériel pédagogique adapté, accompagnement humain, aménagement du temps scolaire.
S’adapter : une nécessité qui prime sur le diagnostic
« La présence d’élèves difficiles peut parfois perturber le fonctionnement d’une classe. Au-delà de l’identification de leurs troubles et de leur cause, la responsabilité de l’enseignant est de permettre à chacun de trouver sa place et d’assurer la marche de l’ensemble. » (Chevallier, Gagbé, Freymond, Lenfant, 2013, p.13). En d’autres termes, la quotidienneté de l’action éducative s’impose et la première nécessité est de restaurer un cadre où les élèves s’épanouissent dans leurs relations aux autres et dans les apprentissages. L’idée ici n’est pas de ne pas tenir compte du diagnostic puisqu’il permet des adaptations ciblées, mais de focaliser l’attention sur l’urgence des adaptations, visant à apporter une réponse aux comportements inadaptés de l’élève difficile pour le bien du groupe classe. Celles-ci seront donc pensées et mises en place, non pas seulement à partir du diagnostic, mais principalement à partir d’une observation fine de l’élève et de la classe.
Le psychologue Ross (cité par Meirieu, 1991, p.27) rejoint l’idée que les adaptations sont nécessaires. Mais s’il met en garde sur la prise en compte d’un diagnostic, ce n’est pas seulement pour affirmer la primauté du besoin d’agir, mais plutôt pour que l’enseignant garde un regard objectif sur ses choix pédagogiques sans légitimer les comportements observés qui sortiraient du cadre scolaire par le seul prisme de sa connaissance des troubles. Pour lui « l’erreur fondamentale serait de surestimer la causalité interne c’est-à-dire, exagérer le poids des explications dispositionnelles et minimiser celui des explications situationnelles dans le comportement de quelqu’un. » Or, il est de la responsabilité de l’enseignant de prendre en compte l’importance et l’impact des choix pédagogiques qu’il fait et des situations éducatives qui en découlent. Face à cette responsabilité, l’enseignant n’est pas seul. Si la recherche ne manque pas de témoignages d’enseignants en difficulté face à un élève difficile, elle contrebalance son propos par une présentation des stratégies pédagogiques et éducatives pouvant être mises en œuvre.
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Table des matières
Introduction
1. Le comportement : des difficultés aux troubles
1.1. Qu’est ce qu’un « élève difficile » ?
1.1.1. Un comportement inadapté aux normes scolaires
1.1.2. Les comportements observés
1.2. Les troubles du comportement
1.2.1. Les indicateurs des troubles
1.2.2. Les comportements observés
1.2.3. Le projet personnalisé de scolarisation
1.3. Personnaliser les aménagements
1.3.1. La différence entre troubles et difficutés de comportement
1.3.2. S’adapter : une nécessité qui prime sur le diagnostic
2. Adaptations pédagogiques et éducatives
2.1. Adopter une posture réflexive
2.1.1 Observation active et analyse a posteriori
2.1.2 Une adaptation collective
2.2. Mettre en place un environnement rassurant
2.2.1. Un cadre contenant
2.2.2. Un accompagnement bienveillant
2.2.3. Donner des repères
2.3. Motiver l’élève à entrer dans les apprentissages
2.3.1. Rendre l’élève acteur de ses apprentissages
2.3.2. Donner du sens aux apprentissages
2.3.3. Varier les modalités
3. Du contexte à la mise en œuvre
3.1. Le contexte
3.1.1. La situation intiale
3.1.2. Un quotidien ponctué de crises
3.2. Le constat
3.2.1. Facteurs qui entrainent un comportement inadapté
3.2.2. Points d’appui
3.2.3. Les pistes d’action
3.3. La mise en œuvre
3.3.1. Une posture d’éducateur référent
3.3.2. La mise en place d’ateliers autonomes
3.3.3. Des dispositifs en faveur de l’engagement des élèves
4. Résultats et analyse
5. Discussion
6. Bibliographie
7. Annexes