Qu’est-ce qu’un changement en chaîne ?

 Qu’est-ce qu’un changement en chaîne ?

À l’instar de Saussure quand il parlait de linguistique générale, beaucoup de métaphores ont été utilisées pour décrire le phénomène de changement en chaîne. Nous pouvons citer par exemple l’effet domino (King, 1969), la voiture à propulsion et à traction si nous voulons bien faire la différence entre les deux grandes catégories de changements en chaîne ou encore la très belle image de Aitchison (2001 : 183) avec ‘The Mad Hatter’s teaparty’. Une bonne description d’un changement en chaîne est donnée par Campbell (2013 : 40) :

Sometimes several sound changes seem to be interrelated […]. These changes do not happen in isolation from one another, but appear to be connected, dependent upon one another in some way. Such interconnected changes are called chain shifts. Several reasons have been put forward for why chain shifts should occur, and the final word about this is surely yet to come, though the connectedness of the changes involved has often been attributed to notions such as ‘symmetry in phonemic inventories’, ‘naturalness’ or ‘markedness’, ‘maximum differentiation’ and ‘a tendency for holes in phonological patterns to be filled’

Une des premières impressions de changement en chaîne semble être donnée par Grimm (1848 : 393). Il évoque l’image d’une roue qui tourne, les sons se trouvant sur cette roue, les uns prenant la place des autres quand celle-ci est en mouvement. Kretschmer (1932) sera celui qui apposera l’étiquette ‘changement en chaîne’ à la Loi de Grimm. Jespersen (1909) dans son étude du Grand Changement Vocalique en anglais n’emploie pas l’expression ‘changement en chaîne’ (chain shift) mais il met clairement en évidence le fait que certains changements phonologiques dans l’histoire de l’anglais sont liés. Martinet (1952, 1955, 1970) est un des premiers à utiliser de manière systématique l’expression ‘changement en chaîne’ et fait une distinction entre deux catégories de changements en chaîne : les chaînes de traction (pull/drag shifts) et les chaînes de propulsion (push shifts). Avant de donner une définition de ce qu’est une chaîne de traction et une chaîne de propulsion, il faut définir un changement en chaîne.

Si nous considérons /a/ et /e/ comme étant des sons faisant partie d’un système donné et intervenant dans un changement en chaîne, il est possible de définir celui ci comme en (1).

(1) /a/ → [e] > /e/ → [i] mais /a/ ↛ [i]

En (1), nous utilisons les barres obliques et les crochets. Selon la tradition générativiste, les barres obliques marquent les formes sous-jacentes et les crochets les formes de surface. Cependant, ce travail s’inscrit dans la linguistique diachronique – ou historique –, il semble donc nécessaire de redéfinir légèrement le rôle des barres obliques et des crochets.

Les éléments marqués par les barres obliques correspondront aux éléments dits préchangements, c’est-à-dire les éléments initialement présents dans le système donné et qui n’ont pas encore subi l’une des étapes du changement en chaîne. Les éléments marqués par les crochets correspondront aux éléments dits post changements, c’est-à-dire les éléments qui seront les résultats d’une des étapes du changement en chaîne. Le changement en chaîne en (1) est en deux étapes : /a/ → [e] et /e/ → [i]. Il est important de souligner que dans un tel cas il est impossible d’avoir /a/ → [i] précisément parce que nous avons affaire à deux ‘e’ différents. Cette différence est marquée par leur notification :  [e] n’est pas le ‘e’ initialement présent dans le système mais le résultat de la première étape du changement en chaîne, en revanche /e/ est bien le ‘e’ présent dans le système avant le début du changement en chaîne, qui sous la pression systémique – représentée par le symbole ‘>’ – va peu à peu se diriger vers la position de ‘i’. [e] et /e/ sont donc phonétiquement identiques, ou très proches, mais ils ne partagent pas le même statut, l’un étant résultat d’un changement et l’autre étant point de départ de l’autre étape du changement en chaîne.

Les changements en chaîne dans la théorie dérivationnelle et la théorie de l’optimalité

Les deux cadres théoriques abordés dans cette section sont les suivants : les théories dérivationnelles orientées vers l’input et la théorie de l’optimalité orientée vers l’output. Les théories dérivationnelles rendent compte de l’opacité en agissant sur l’ordre des règles. Cependant, si cette logique est appliquée à un changement en chaîne, nous verrons que les liens unissant les stades de celui-ci sont brisés. Dans le cas de la théorie d’optimalité, la situation est davantage problématique. Du fait de son organisation sur deux niveaux uniquement, cette théorie n’est pas en mesure de modéliser l’opacité et donc les changements en chaîne.

Les changements en chaîne dans la théorie dérivationnelle

Rappels sur la théorie dérivationnelle (SPE)

Le fonctionnement de la théorie dérivationnelle, sérialiste ou orientée vers l’input, tel qu’elle est décrite par Chomsky & Halle (1968), est représenté en (9).

Notre point de départ, notre input, est donc une forme sous-jacente qui va passer par plusieurs stades intermédiaires, chacun représenté par une règle phonologique. À chaque fois, si la forme sous-jacente remplit les conditions de la règle phonologique, celle-ci s’applique, dans le cas contraire, elle ne s’applique pas et nous passons à la règle suivante. Si une règle est appliquée à la forme sous-jacente, cela produit une première forme dérivée qui va continuer à passer par les règles restantes et si elle remplit les conditions d’une d’entre elles, elle subira alors à son tour la dite règle. Une fois la série des règles passée, nous obtenons la forme de surface qui est ce qui est perceptible dans la réalité phonétique. Il est important de retenir que les règles sont ordonnées et ne sont donc pas appliquées arbitrairement. Bromberger & Halle (1989 : 58-59) définissent cette ordre des règles comme suit :

Phonological rules are ordered with respect to one another. A phonological rule R does not apply necessarily to the underlying representation; rather, R applies to the derived representation that results from the application of each applicable rule preceding R in the order of the rules.

Afin d’illustrer cela, nous allons prendre l’exemple du pluriel en anglais. Des mots comme book /bʊk/, dog /dɒg/ et loss /lɒs/ vont tous recevoir un <-s> graphique au pluriel, nous obtenons donc les formes graphiques , et . Graphiquement parlant, aucune différence n’est observée, mise à part l’ajout du dans losses qui revêt d’un des processus phonologiques qui va être abordé après. Pourtant, quand nous prononçons ces formes de pluriel, nous entendons bien des différences : books /bʊks/, dogs /dɒgz/ et losses /lɒsɪz/. Afin d’expliquer ces trois formes différentes de pluriel, deux règles sont ordonnées l’une par rapport à l’autre : l’épenthèse et l’assimilation de voisement.

L’épenthèse consiste à rajouter à l’intérieur d’un mot ou groupe de mots un ou plusieurs phonèmes vocaliques ou consonantiques qui permettent de faciliter l’articulation de ce mot ou groupe de mots. Elle est souvent observée dans la rupture de clusters vocaliques, où nous observerons l’insertion d’un segment consonantique, ou dans celle de clusters consonantiques, où nous observerons l’insertion d’un segment vocalique. L’assimilation de voisement se produit quand un segment va partager la valeur de son trait [± voi] avec un segment adjacent ou proche. Si le segment assimilant agit sur un segment qui le précède, nous parlons d’assimilation régressive et s’il agit sur un segment qui le suit, nous parlons d’assimilation progressive. Dans le cas du pluriel anglais, nous avons affaire à une assimilation de voisement progressive .

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : État de l’art et forces des chaînes de propulsion
CHAPITRE 1 : Introduction
1.1. Qu’est-ce qu’un changement en chaîne ?
1.2. Les changements en chaîne dans la théorie dérivationnelle et la théorie de
l’optimalité
1.3. Les changements en chaîne dans la théorie de l’optimalité (TO)
1.4. Problématiques, annonce du plan et présentation des données
CHAPITRE 2 : Approches TO de l’opacité et les changements en chaîne
2.1. Introduction
2.2. Local Constraint Conjunction (LCC) : l’opacité à travers les contraintes
2.3. Sympathy Theory : une nouvelle notion pour l’opacité
2.4. Stratal OT ou Derivational OT (DOT) : une approche entre TO et phonologie
lexicale
2.5. Candidate Chain Theory : une nouvelle vue des candidats
2.6. La Contrast Preservation Theory (CPT) : une approche sur le fonctionnement des changements en chaîne
2.7. Conclusions sur le chapitre 2
CHAPITRE 3 : Études de cas sous la CPT
3.1. Introduction
3.2. Le Grand Changement Vocalique Anglais (GCVA)
3.3. La Seconde Mutation Consonantique allemande (SMC)
3.4. Un changement en chaîne en acquisition : le cas s → θ → f
3.5. Conclusions sur le chapitre 3
DEUXIÈME PARTIE : Les chaînes de traction et la théorie des domaines piliers
CHAPITRE 4 : Existence des chaînes de traction et introduction de la notion des
domaines piliers
4.1. Introduction
4.2. Existence des chaînes de traction
4.3. Grandes tendances au sein des systèmes vocaliques des langues naturelles : la
notion des domaines piliers
4.4. Les domaines piliers vocaliques
4.5. L’approche des domaines piliers : une possible force de traction
4.6. Quelques supposées chaînes de traction : d’autres arguments pour les domaines piliers
4.7. Comparaison entre la théorie des domaines piliers et d’autres théories portant sur l’organisation des systèmes vocaliques
4.8. Conclusions sur le chapitre 4
CHAPITRE 5 : Formalisation de la théorie des domaines piliers
5.1. Introduction
5.2. Les domaines piliers : scénarios et contraintes
5.3. Domaines piliers : études de cas
5.4. Conclusions sur le chapitre 5
5.5. Discussions
CHAPITRE 6 : Conclusions et pistes de recherche
CONCLUSION
Bibliographie

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