Qu’est-ce que lire, et lire de façon autonome ?
Définition
Voici la définition de « lire » que nous propose le Larousse : Lire c’est « reconnaître les signes graphiques d’une langue, former mentalement ou à voix haute les sons que ces signes ou leurs combinaisons représentent et leur associer un sens », mais lire est aussi le fait de « prendre connaissance du contenu d’un texte par la lecture ». On peut aussi entendre « lire » comme « la prise de connaissance du contenu d’un texte par la lecture. ». Enfin, la définition indique aussi la dimension orale : « énoncer à voix haute un texte écrit, pour le porter à la connaissance d’autrui. » Cette dimension rejoint l’idée de partage de la lecture.
Jocelyne Giasson reprend la définition de la lecture proposée par l’ONL (Observatoire National de la Lecture) qui serait conditionnée par la compréhension. Comprendre un texte serait la capacité à s’en faire une représentation mentale. Elle décompose le processus en trois niveaux successifs : tout d’abord, la compréhension explicite au niveau lexical (l’élève comprend les mots). Puis, le fait que les mots sont eux-mêmes agencés en phrases régies par des règles syntaxiques. Enfin, ces phrases sont organisées dans un texte et leur organisation participent de l’évocation de concepts. Jocelyne Giasson y associe un processus dans lequel entrent en compte trois paramètres : le lecteur, le texte et le contexte. En effet, texte et contexte présentent des variables. Le texte varie en fonction de l’intention de l’auteur, de la forme du texte, et bien-entendu de son contenu. Le contexte doit prendre en compte la dimension psychologique : l’élève a-t-il de l’intérêt, de la motivation, une intention de lecture ? Il doit prendre en compte la dimension sociale : quelles sont les interactions en jeu entre les élèves, avec l’enseignant ? Et, enfin, il doit prendre en compte la dimension physique c’est-à dire les conditions matérielles dans lesquelles a lieu la lecture (bruit, installation, …) La dernière variable évoquée est la variable lecteur qui combine deux facteurs : les structures cognitives et affectives ( connaissance de la langue, sur le monde, …) et les processus en jeu. Ainsi pour résumer, apprendre à lire, c’est apprendre à identifier des mots écrits, les comprendre, mais aussi les comprendre les uns en fonction des autres, en fonction de qui je suis, et des circonstances dans lesquelles l’acte de lecture a lieu.
Les postures de lecteurs selon Dominique Bucheton
Dominique Bucheton a mené une enquête avec trois classes de 3ème . Il a été demandé aux élèves de lire une nouvelle de Daenninckx : La Tire-Lire et d’en rendre compte dans une analyse d’une page. C’est à partir de l’analyse de ces productions d’élèves qu’elle a pu dégager cinq postures de lecteurs, qu’elle définit comme des modes de lectures auxquels le sujet lecteur ferait appel de façon inconsciente, en fonction de la particularité du texte, du contexte et de la tâche de lecture. Les postures sont définies en fonction du texte produit.
Le texte tâche : La lecture du texte n’a pas été opérante et le compte-rendu est raté. L’élève propose un compte rendu dans lequel sa perception des personnages et de leurs actions est confuse. On suppose une lecture superficielle voire partielle. L’élève n’a pas cherché à construire de sens ,il a éventuellement même refusé de participer à l’activité.
Le texte action : L’élève a compris le texte et est parvenu à y entrer. Il se met à la place des personnages, fait preuve d’empathie pour certains, en cherchant à comprendre ce qui a pu motiver certaines actions. Pour cela, il aurait tendance à s’y identifier, bien qu’il sache faire le distinguo entre réalité et fiction. Son empathie l’amène à manifester ses émotions.
Le texte signe : Dans ces productions, l’élève prend de la hauteur et essaie d’analyser le récit qu’on lui a proposé en fonction d’entrées thématiques. Dominique Bucheton parle de « lecture sociohistorique à caractère référentiel ». Il cherche le message de l’auteur, les valeurs éventuellement mises en jeu. Il cherche de quels symboles sont porteurs les actions des personnages .
Le texte tremplin : Dans ce cas, l’élève utilise le texte comme prétexte pour exprimer un point de vue qu’il avait déjà. Le commentaire prend de la hauteur, et on note un certain laisser-prise du lecteur.
Le texte objet : Dans ce cas, l’élève analyse la construction du texte, et analyse les leviers utilisés pour signifier quelque chose au lecteur. Il analyse les formes et les effets. Le lecteur est définitivement en dehors du texte.
Pour que l’autonomie ne soit pas illusoire
L’expression « parcours de lecteur autonome » nécessite certainement l’éclaircissement d’un point. Qu’est-ce que l’autonomie ? Philippe Meirieu évoque à ce sujet « un mouvement de balancier » de la part des enseignants. Nombre d’entre eux hésiteraient entre « l’enfant à dresser » et « l’enfant à respecter ». Les uns mettent en avant la capacité naturelle des élèves à se prendre en charge, et les autres que le moindre moment d’autonomie n’est qu’un prétexte à la dispersion, au chahut. Mais qu’en est-il exactement ? Selon Philippe Meirieu, croire en une autonomie innée des élèves est une illusion. Le combat réside entre les théoriciens de l’enfant « libre et bon » qui ne sont pas sur le terrain et qui ont toute liberté de théoricien tant que la pratique ne le contredit pas, et les pédagogues qui ne peuvent que constater que les libertés laissées aux meilleurs d’entre eux ( ceux qui maîtrisent le langage, la compréhension des consignes, … ) leur permettent de limiter le temps perdu à l’école, mais que les mêmes libertés laissées aux élèves les plus faibles ne font qu’accentuer les inégalités et les conforter en livrant à eux mêmes des élèves qui ne maîtrisent pas ou mal la lecture par exemple et toutes les compétences que l’on peut y associer. Un enfant en difficultés laissé en autonomie peut se retrouver écrasé sous le poids de responsabilités et des décisions que l’on lui laisse prendre. Et là, réside le problème que l’on pourrait énoncer de la sorte : « Faut-il être autonome pour apprendre à acquérir l’autonomie ? » La contradiction réside dans l’énoncé. P. Meirieu affirme que « faire comme si l’enfant était déjà autonome, c’est prendre l’objectif pour le point de départ. » Il précise aussi que partir de ce postulat revient à s’exposer à d’importantes déconvenues et d’éventuels débordements. Il s’agit en fait plutôt pour l’enseignant de rechercher quels dispositifs il peut mettre en place pour rendre l’élève autonome. Il résume l’autonomie comme « une capacité à faire face» que l’école doit permettre à l’élève d’acquérir à travers des situations d’apprentissage. Philippe Meirieu a donc élaboré une liste d’attendus concernant les élèves, attendus qui seraient révélateurs d’une véritable autonomie, et non d’une aptitude mystérieuse à savoir quoi faire et comment le faire.
Etre autonome reviendrait donc à : Etre capable de lire et de comprendre des consignes Etre capable de se fixer un objectif, d’utiliser les bons moyens pour y parvenir et de considérer et évaluer le résultat Etre capable d’organiser son travail et d’utiliser les outils nécessaires pour y parvenir, d’organiser l’endroit où je vais travailler Etre capable de passer outre une difficulté sans nécessairement avoir recours à l’adulte mais plutôt en allant chercher des informations dans les documents qui me sont donnés, ou dans un outil approprié (dictionnaire, …) Etre capable d’effectuer une rechercher, d’établir un brouillon, de retravailler celui-ci dans une démarche réflexive. Etre capable de réaliser que ce que j’ai mis en place n’a pas fonctionné, essayer de comprendre pourquoi et pallier les difficultés. Etre capable d’apprendre et de vérifier ses propres apprentissages Etre capable de choisir les camarades avec lesquels je vais travailler en fonction des phases de travail. Etre capable d’écouter l’autre, pour mieux affirmer son avis, sa position. Etre capable de prendre la parole pour convaincre et être compris. Etre capable de se déplacer dans l’espace de travail pour rechercher une information sans avoir à demander l’autorisation pour ne perturber le travail de personne. Etre capable de se mettre au travail en l’absence du professeur. Philippe Meirieu part donc du principe que tous les élèves sont « autonomisables ». Certains le seront peut-être plus tôt que d’autres. Certains complètement, tandis que d’autres peut-être jamais complètement. Mais il revient à l’enseignant de mettre en œuvre des situations d’apprentissage qui permettent à l’élève de s’armer pour conquérir cette autonomie. Parmi la liste d’attendus élaborés par P. Meirieu, tous (ou presque) s’appliquent à la lecture et à la compréhension. Sa définition est transposable à l’autonomie du lecteur. J’ai donc décidé dans mon dispositif d’expérimentation de vérifier si je pouvais observer chez mes élèves certains attendus que Philippe Meirieu évoque lorsqu’il définit l’autonomie.
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Table des matières
Introduction
1. Qu’est ce que lire, et lire de façon autonome ?
1.1.Définition
1.2.Les postures de lecteur selon Dominique Bucheton
1.3.Pour que l’autonomie ne soit pas illusoire
2. Enseigner la compréhension
2.1.Etat des lieux, le questionnaire de lecture
2.2.Les obstacles à la compréhension
2.2.1 Les procédures de décodage
2.2.2 Traitements locaux et traitements globaux
2.2.3 Le contrôle de l’activité
2.2.4 Les stratégies
2.3 L’enseignement des stratégies de compréhension en lecture
3. De la théorie à la pratique
3.1.Méthodologie
3.2 Le questionnaire de lecture
3.2.1 Les résultats chiffrés
3.3 La séance d’enregistrement
3.4 : Le kiosque à lire
Conclusion
Bibliographie