Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Ode pavillonnaire – Frédérique Ramade
Le court-métrage de Frédérique Ramade , parle des lotissements, et plus particulièrement du pavillon dans lequel il a grandi et où vivent encore ses parents. Ceux-ci, ainsi que sa soeur se sont prêtés à l’exercice des interviews et tentent de donner leurs points de vue sur la maison dans laquelle ils vivent, qu’ils ont fait construire, mais aussi l’environnement dans lequel elle s’inscrit. Les commentaires sont critiques, mais pas dénués d’humour et c’est aussi de cette manière que le film est tourné.
Les images sont parfois volontairement très zoomées pour donner l’impression d’espaces très grands, alors qu’en fait, la clôture du voisin est à seulement cinquante centimètres derrière le plan de la caméra.
Là encore, la perception que l’on peut avoir des espaces est remise en question. En effet, cela met en évidence que selon le point de vue duquel on se place, on n’a pas le même avis sur les choses,
comme lorsqu’il s’agit de relations de voisinage par exemple. Les scènes sur l’extérieur donnent aussi la sensation de lotissement un peu en « carton », à la manière de décors pour le cinéma, où tout semble figé. En tant que spectateur, on peut sentir une certaine gêne, se demandant en réalité, combien sont les personnes qui comme les Ramade, observent les allées et venues derrière leurs rideaux. Ce film illustre très bien l’ambiance qui peut régner dans les lotissements : d’apparence tranquilles, où chacun vit de son côté de la clôture en toute quiétude, alors qu’en réalité il semble difficile de faire le moindre geste sans que la plupart des voisins en soient alertés. On décèle enfin dans les plans séquences, que tous les habitants n’ont pas les mêmes besoins en termes d’intimité. En effet, rien qu’en observant les clôtures qui pour certaines ressemble à de vraies forteresses alors que d’autres délimitent simplement leur parcelle à l’aide de petites barrières. A l’issue de ce visionnage on peut se dire que lorsqu’on se balade dans les lotissements, il est possible de déceler certains aspects des personnalités de ceux qui y habitent, tant elles sont proches et facilement comparables. On se demande alors comment, les concepteurs responsables des implantations sur les parcelles, sont capables de déterminer quelle est la bonne distance à respecter entre deux voisins ?
The Infinite Happiness – Ila Bêka et Louise Lemoine
Enfin, le film The Infinite Happiness , qui présente un complexe de logements réalisés par l’agence BiG à Copenhague, plonge à la fois le spectateur au coeur d’une architecture monumentale et aussi dans l’intimité de ses habitants. Il semble que certains plans-séquence présentent le bâtiment
volontairement comme un élément massif, où l’on se dit très vite, au vu de sa configuration en forme de U et l’abondance des surfaces vitrées, qu’ici l’intimité des résidents est mise à l’épreuve. En effet, au premier abord, le complexe peut faire penser à une salle d’opéra, où chacun a l’opportunité de se contempler, mais qui sont finalement tous orientés vers le paysage lointain. Les images qui sont filmées à l’extérieur du complexe, depuis l’espace public, sont en confrontation très forte avec celles qui sont prises depuis l’intérieur. En effet, on a vraiment la sensation d’impénétrabilité au premier abord, et une fois entré, on assiste à la vie de tous ces résidents qui se déroule très sereinement. Les portraits de plusieurs des habitants de ce complexe, sont souvent réalisés chez eux, devant une fenêtre et l’on voit ainsi, en même temps que la personne s’exprime face à la caméra, la vie qui suit son cours à l’extérieur, dans les espaces communs. On ne peut se demander, dès les premières images, comment ces habitants font pour vivre avec de tels vis-à-vis. On a l’impression qu’ils habitent tous sous les regards des uns et des autres. En revanche, lorsqu’on les entend parler, à propos du lieu où ils vivent, les réactions sont loin d’être négatives. Cela confirme un peu plus l’hypothèse selon laquelle la définition de l’intimité est liée à la culture, comme on cela sera détaillé un peu plus tard.
Ces quelques présentations d’iconographies issues de films visionnés pour la rédaction de ce travail, montrent bien à quel point les images ont un fort impact sur notre perception des choses, et
ici pour ce qui nous intéresse, tout particulièrement sur notre représentation de l’intimité. À travers ces cinq exemples, nous pouvons déjà voir qu’il y a une multitude de façons de se faire une idée de ce qu’est aujourd’hui l’intimité dans les logements. Cela pose aussi beaucoup de questions, comme de savoir si les architectes conçoivent en toute conscience des impacts que leurs travaux auront sur le quotidien des personnes qui habiteront leurs logements. Ces films permettent aussi de se rendre compte que l’intimité des logements ne se situe pas à un seul endroit. En effet, il est ici question de relations vis-à-vis du monde extérieur, des voisins, de son propre foyer, mais aussi que l’intimité s’accompagne de notions complémentaires, liée ou non d’ailleurs, aux espaces architecturaux :
– La sécurité, la pudeur, la protection, si l’on pense à L’homme d’à côté
– Les émotions, la promiscuité, le respect pour Espaces Intercalaires
– La dignité, la solitude, la fragilité et l’autonomie d’Alice dans C’est ma vie qui me regarde
– La sociabilité, la promiscuité, les relations de voisinages, dans Ode Pavillonnaire
– Le vis-à-vis, l’exhibition (ou non-exhibition), le confort, l’indépendance, au sein du 8 Houses de BIG
On peut déjà entrevoir, à quel point la question de l’intimité est vaste et complexe à définir. En effet, selon le contexte dans lequel on emploi « intimité », cela n’a pas la même portée. On ne peut pas dire non plus que ces mots sont tous des synonymes. L’intimité semble donc porter à elle-seule, de nombreux enjeux liés à la qualité de notre vie quotidienne et plus précisément ici, à l’habitabilité de nos logements. Il faudra bien évidement revenir, au fil de ce travail de recherche, sur ces termes.
Cultures de l’intimité
Chaque culture se caractérise par son habitat individuel « standard » et possède ainsi ses propres organisations qui doivent répondre à des fonctions particulières. Il est notamment intéressant de noter qu’à travers le monde, on trouve des typologies de logements liées à ces cultures spécifiques et que certains d’entre eux sont conçus avec des dispositifs et aménagements qui préservent particulièrement l’intimité de ceux qui y vivent.
Prenons l’exemple du Riad marocain, l’habitat traditionnel des centres urbains. Le rituel de l’entrée dans la culture marocaine a une importance particulière, ce qui confère à leurs habitants une intimité préservée, par le biais de plusieurs dispositifs. Ce sont des habitations qui, de l’extérieur, peuvent avoir un aspect très austère, car rares sont celles qui disposent d’ouvertures sur la rue. Et quand de rares demeures ont des ouvertures sur la rue, c’est en général de très légères fentes qui sont elles-mêmes équipées de fer de défense. Elles sont donc totalement préservées des potentiels regards indiscrets qui passent dans la rue.
L’entrée est traditionnellement placée à un angle de la maison, dont le plan forme en général un carré, ou un rectangle. Sa configuration est très souvent en chicane, ce qui a pour effet de préserver l’intimité de la famille qui s’y trouve. Un visiteur inopiné ne peut donc avoir de vue directe sur l’intérieur du logis.
C’est le deuxième filtre entre la rue et les habitants de la maison.
Ces maisons sont aussi traditionnellement organisées autour d’une cour intérieure, le patio, qui est en fait un jardin. C’est un espace qui par sa fonction, peut faire penser aux antichambres que l’on connaissait dans les logements bourgeois et châteaux en France. Lorsque le visiteur est entré, il se
trouve malgré tout, toujours à l’extérieur. Selon son rang social, son genre ou la raison de sa visite, il sera alors orienté vers les pièces intérieures appropriées. Cet espace central, qui permet de distribuer les différentes pièces du logement, est le lieu de rassemblement de la famille, mais aussi son point de dispersion, ou chacun peut rejoindre une pièce plus privée.
Au Japon, le vestibule d’entrée traditionnel s’appelle le Genkan. A l’origine, c’était l’entrée des logements et des temples bouddhistes qui signifiait à celui qui le franchissait qu’il devait se soumettre aux préceptes zen. C’est au XVIIème siècle que les samouraïs se sont inspirés de ces temples pour construire leurs maisons. C’est de cette manière que cette typologie d’entrée s’est répandue dans les habitations japonaises. Cette petite pièce est une marche plus basse que le reste du logement : on n’entre pas dans les maisons japonaises, on y monte. C’est ici que le visiteur est invité à retirer ses chaussures avant d’entrer chez son hôte et de se soumettre aux préceptes zen. Il devra aussi diriger ses chaussures vers la sortie, pour faciliter son départ ensuite. On trouve généralement dans cette pièce, une étagère à chaussures, des crochets pour les manteaux et un porte-parapluie. Le principe au Japon étant de se défaire de ses affaires « sales » provenant de l’extérieur, avant d’entrer dans le logement.
Les maisons traditionnelles japonaises sont aussi constituées de plusieurs espaces tampons, qui assurent continuités et frontières entre les différentes pièces de la maison. Par exemple, l’Engawa est une étroite coursive qui fait le lien entre l’intérieur de la maison et le jardin. Cela permet aux membres de la famille de profiter d’un espace extérieur en toute intimité, de s’y reposer, de contempler la nature. Nul besoin de barrière physique le long de cette enfilade, car l’étroitesse du lieu génère elle-même cette sensation de retraite vis-à-vis des autres membres du foyer.
Il est aussi important de souligner la modularité extrême des maisons traditionnelles japonaises qui
offrent une multitude de configurations à l’habitant afin qu’il puisse gérer son intimité en fonction des personnes qu’il reçoit. Cette adaptabilité est rendue possible de différentes façons, comme les cloisons amovibles, la disposition des tatamis au sol ou encore les paravents. L’intimité des logements est donc régulée par ces dispositifs. Ce qu’il est intéressant de noter c’est que ce sont principalement des protections visuelles et non-sonores. C’est la perception de l’espace par le regard qui leur permet d’apporter plus ou moins d’intimité à l’intérieur de la maison.
Dans le documentaire Espaces intercalaires , l’architecte Ben Matsuno explique que l’espace au Japon est tellement rare, qu’il faut faire des choix et que par conséquent, certaines fonctions que les occidentaux trouvent généralement dans leurs logements, sont ici disponibles plutôt dans l’espace urbain. Ce propos est d’ailleurs illustré un peu plus tard par Tsuyoshi Kumagai qui explique que tout ce qu’il n’a pas chez lui par manque de place, il cherche à se l’approprier dans l’espace public et donc à prolonger sa maison en quelque sorte. Il donne pour exemple les épiceries Topvalue et Mubascket, situées juste en bas de chez lui, qui sont ses réfrigérateurs, ouverts 24/24h.
Il semblerait alors que l’intimité au japon soit à la carte, selon les possibilités liées à la capacité de son logement, ou même selon les besoins personnels que l’on a.
L’intimité dans le logement est donc souvent assurée par des dispositifs physiques. Mais assurer l’intimité de l’autre ne passerait-il pas également par une attitude. En effet, comme évoqué précédemment à travers l’exemple japonais, les barrières visuelles utilisées sont légères et n’offrent pas l’intimité sonore.
Il existe peut-être alors, une forme d’éducation à l’intimité, une sorte de pudeur que certaines cultures auraient plus à coeur de préserver, de respecter, aussi bien pour leurs voisins que pour les
membres même du foyer.
L’exemple du documentaire de Ila Bêka et Louise Lemoine semble aller en ce sens. Les réalisateurs ont passé 21 jours dans le complexe 8 House, réalisé par l’agence BIG à Copenhague. Ce programme immobilier s’étend sur 61 000 m² et regroupe 476 logements, des bureaux et des boutiques. Ce projet est un véritable appel à un mode de vie fondé sur le sentiment de communauté puisque d’une part, de l’extérieur, le complexe semble être une vraie forteresse, alors qu’une fois dans les cours intérieures, on peut voir que chacun des appartements dispose d’un maximum de vitrages, sans filtre vis-à-vis des rampes extérieures qui permettent d’accéder à ces derniers. Ainsi, chacun est libre de laisser aller un regard indiscret à l’intérieur des appartements qui sont très proches des espaces communs. De plus, la configuration même du bâtiment, qui a la forme du chiffre 8, donne énormément de vis-à-vis entre les logements. Ces derniers se font face, qui plus est, dans une certaine proximité.
Mais ce qui est intéressant dans l’enquête menée par Ile Bêka et Louise Lemoine, c’est que les habitants qui se confient, expliquent qu’ici, ils apprécient la confiance qui s’est installée entre eux. Une famille reconnait ne jamais fermer sa porte à clé, car selon elle, ici tout le monde se connaît et tout le monde se voit. Cela ne semble pas être un problème, bien au contraire. Pour certains, ils ont l’impression de vivre dans un village de montagne, ce qui renforce leur sentiment de communauté. Pour l’une des habitantes interrogées, ce qu’il y a de positif, c’est qu’appartenir ou participer à la vie de la communauté n’est en rien une obligation, car si l’on ferme la porte de son logement, on retrouve pleinement son intimité et elle est respectée du reste des habitants. Malgré la vue possible sur son intérieur et donc sur son intimité, personne ne semble être dans l’espionnage de son voisin. Il serait sans doute assez difficile d’imaginer une telle configuration en France, sans que chacun n’est à coeur de se protéger ne serait-ce que visuellement, des regards extérieurs. Sur l’ensemble du documentaire, seul un couple se plaint des visites répétées des touristes qui « squattent » devant leurs fenêtres. Pourtant, lors de leur interview, on voit effectivement des personnes qui passent devant chez eux pour visiter les lieux, mais en aucun cas, ils ne regardent à l’intérieur de leur logement.
On peut alors se demander si le succès d’une telle expérience architecturale et sociale résulte d’un phénomène culturel, car dans l’éducation nordique, il y aurait un respect, une pudeur, vis-à-vis de l’intimité de l’autre, ou si ce sont les architectes qui ont réussi à générer cela par les espaces qu’ils ont dessinés.
Enfin, Perla Serfaty-Garzon parle dans l’un de ses ouvrages , du Hjem norvégien. Il s’agit en fait de la désignation du foyer, qui pour eux inclus bien plus que le bâtiment en lui-même mais aussi tous les membres de la famille, les amis et un ensemble de valeurs morales, qu’ils distinguent du monde extérieur.
Il explique ensuite que pour eux, « […] la proximité est l’autre dimension essentielle de l’intimité en Norvège, proximité à laquelle les habitants cherchent à donner une qualité quasi organique grâce à la disposition des objets dans l’espace et aux gestes qui renforcent la division culturelle entre l’intérieur et l’extérieur. »
Cela conforte l’hypothèse émise plus haut : il y aurait bien des définitions de l’intimité très diverses en fonction des origines ethniques et de l’apprentissage culturel que l’on peut en faire. Pour les norvégiens, il semble que cela passe par notamment un agencement intérieur des plus minutieux de leur logis, qui inclus un repli sur soi de la famille vis-à-vis du monde extérieur et qui est aussi un projet en perpétuelle construction.
Il est très intéressant de se pencher sur les modes d’habiter à l’étranger, et d’étudier comment y est vécue l’intimité dans ces logements. Comme on l’a vu, cela passe évidement par l’agencement des espaces architecturaux comme avec des dispositifs physiques, qui répondent à différentes problématiques liées à l’intimité, quelles soient visuelles ou sonores, vis-à-vis du monde extérieur ou au sein même des foyers. Mais parler de l’intimité au travers des cultures, implique aussi le fait cela se réfère à des coutumes, et que selon l’éducation que l’on a reçue, les besoins et les attentes varient. Définir ce que peut être l’intimité dans les logements est un sujet auquel on peut tenter de répondre, en revanche, savoir ce que doit être l’intimité est très subjectif et complexe car beaucoup de paramètres sont à prendre en compte. Si l’on aborde de nouveau le fait que cette notion est liée à beaucoup d’autres, comme la protection ou la pudeur, l’étude des cultures de l’intimité nous démontre que la nécessité même de chercher à avoir de l’intimité peut être remise en question. En effet, il ne semble pas essentiel de chercher de l’intimité pour dissimuler son corps et sa vie privée, si l’on sait que personne ne va jeter de regard indiscret chez nous, puisqu’il n’est traditionnellement pas pensable que quelqu’un le fasse.
Une histoire de l’intimité en France
En occident aussi, il doit y avoir des dispositifs architecturaux qui permettent de gérer l’intimité dans le logement.
Plusieurs sociologues, comme Monique Eleb-Vidal ou Perla Serfaty-Garzon et architectes tels que Anne Debarre-Blanchard ou Christian Moley on écrit au sujet de l’évolution des logements en France.
Il parait évident que les architectes et l’architecture ont changé au fil des siècles avec l’évolution des moeurs de nos sociétés. Ce qui aujourd’hui nous semble nécessiter des espaces distincts pour avoir de l’intimité n’a pas toujours été la norme. Un rappel historique à propos de l’évolution des logements bourgeois en France, permet de se rendre compte que la recherche de l’intimité dans l’habitat a nécessité de passer par plusieurs étapes et configurations, avant de connaître nos logements tels qu’ils sont aujourd’hui.
Le Moyen-Age, la période qui ne connaît pas l’intimité des logements Au Moyen-Age, il n’existe aucune distinction entre la vie privée et la vie publique. Ainsi, à cette époque, les chambres étaient complétement ouvertes. Le logis se composait la plupart du temps d’une pièce unique. De ce fait, beaucoup de personnes dormaient dans la même pièce, qu’ils soient malades ou pas d’ailleurs. Il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour que les espaces du sommeil se modifient de manière significative.
L’isolement est un comportement qui ne fait pas partie des moeurs de la société au Moyen-Age. La
pudeur est donc inexistante, tout comme l’intimité donc, et tout ça, est très bien accepté. En effet, comme le rappelle Perla Serfaty-Garzon , le sociologue et écrivain allemand, Norbert Elias, a démontré que durant des siècles, la rue était le lieu où se déroulait la plupart des actes individuels de la vie quotidienne.
Cela était dû au fait que beaucoup d’activités commerciales se déroulaient directement dans la rue puisque beaucoup de professionnels étaient des marchands ambulants. Il était donc banal de s’exposer à la vue de tous pour des actes intimes, ce qui explique sans doute pourquoi la recherche de l’intimité était inexistante dans les logements.
XVème et XVIème siècles, des moeurs de société encore à l’opposé de la recherche de l’intimité A cette époque, même si les pièces ont commencé à se multiplier dans les logements, il existe encore une très forte promiscuité entre les personnes. En effet, les vies professionnelles et privées n’ont pas réellement de frontière. Il n’est pas rare que des visites professionnelles s’invitent dans les logements, le soir venu. A ce moment-là, on n’est jamais seul.
Les pièces ont aussi des fonctions multiples et c’est souvent le mobilier qui est déplacé pour déterminer les fonctions du moment. De plus, au-delà des pièces communicantes, dans l’habitat populaire urbain, il est important de signaler que la répartition des espaces se fait de manière verticale. Ainsi, on pouvait avoir une salle à manger à un étage d’un immeuble et les chambres à un autre étage. Il était donc fréquent qu’un voisin traverse votre salle à manger de manière inopinée pour rejoindre la sienne, située au même étage, dans une pièce communicante, un peu plus loin. Le découpage horizontal n’apparaîtra qu’au XVIIIème siècle.
Enfin, il faut aussi rappeler qu’à ce moment-là, occupants, familiers, domestiques et enfants partagent l’habitation de façon commune, sans distinction géographique dans le logement. Partager la même couche n’est pas un problème puisque le clergé n’a de cesse de répéter que l’inceste et l’adultère domestique sont punis de mort. Quant aux aristocrates, ils considèrent leurs domestiques comme ayant à peine une âme, alors ils ne se gênent pas pour accomplir les actes les plus intimes devant eux.
Avant le XVIIème siècle, l’architecture des logements bourgeois ou aristocratiques, devait exprimer le niveau social de son propriétaire, les usages étaient largement relégués au second plan.
Enfin, les moeurs de la société jouaient aussi un rôle très important sur les comportements, et donc sur l’intimité de l’individu. Pour exemple, pendant très longtemps, les appartements de la femme étaient traditionnellement ouverts aux visiteurs car, cela symbolisait leur honnêteté, qu’elles n’avaient rien à cacher.
Il faudra attendre 1620 pour que commence à se diffuser en France des dispositifs spatiaux qui vont dissocier les lieux où l’on se tient, des lieux que l’on traverse. C’est donc à cette époque que les logements vont commencer à avoir plusieurs pièces, elles-mêmes desservies par des circulations dédiées.
Il faut tout de même préciser que le premier tiers du XVIIème siècle marque uniquement une étape dans la mise en forme des habitations bourgeoises, car l’habitation populaire ne reçoit pas de changements notoires à ce moment-là.
|
Table des matières
Introduction
1ère partie : Qu’est-ce que l’intimité ?
1.1 Où se situe l’intimité
1.2 Cultures de l’intimité
1.3 Une histoire de l’intimité en France
2ème partie : Les échelles de l’intimité
2.1 L’intimité et la ville : cadre réglementaire
2.2 L’intimité du quartier : relations de voisinage
2.3 L’intimité du logement
3ème partie : Double enquête architectes / habitants
3.1 Concepteurs et intimité : entretiens auprès de trois architectes
3.2 Habitants et intimités : cinq relevés habités
3.3 Exemples inopinés : l’intimité des logements en images
Conclusion
Télécharger le rapport complet