INTRODUCTION
Facteur déterminant de la compétitivité des entreprises et de la création de richesse, le rapport du Conseil des académies canadiennes 1 (2009, tiré de Fakhreddine, 2011, p. 6) précise qu’il existe une insuffisance au niveau des stratégies d‘ innovation dans les entreprises canadiennes. C’est dans cette perspective que nous cherchons à mieux comprendre le processus d‘ innovation des PME manufacturières au Québec.Le choix particulier de ces entreprises s‘explique notamment par leur présence massive dans le tissu industriel de la majorité des pays et par leur importance dans la création d‘ emploi (Julien, 2005; OCDE, 2007). D‘ ailleurs, les PME sont souvent considérées comme un bastion de l‘ innovation (Becheikh, Landry et Amara, 2006b; Massa et Testa, 2008).Avec les récents développements constatés dans le processus d‘ innovation au cours des dernières décennies, on reconnaît que l’innovation chez les PME est loin d‘être le fruit d’un effort isolé ou de l‘ utilisation exclusive de sources internes, mais est plutôt le résultat d‘ un processus interactif représenté par le modèle d‘ innovation ouverte de Chesbrough (2003).
En effet, selon certains auteurs, les PME manufacturières sont davantage enclines à réussir leurs activités d‘ innovation en faisant appel à un large spectre de partenaires et de connaissances externes pour profiter de leur expertise, pour pallier les limites de leurs ressources et pour partager les incertitudes ainsi que les coûts liés aux activités d‘ innovation (Fakhreddine, 20 Il). Jusqu‘ à maintenant, l‘ innovation ouverte a été largement étudiée dans le contexte des grandes entreprises (Chesbrough, 2003; Criscuolo, Laursen, Reichstein et Salter, Réaliser le potentiel des sciences et de la technologie au profit du Canada, Rapport d‘étape 2009. Il s »agit d‘un rapport qui vise à présenter la stratégie fédérale à long terme en sciences et technologies. 2006; Laursen et Salter, 2004, 2006; Lichtenthaler, 2008). Les études qui ont porté une attention à l’innovation ouverte au sein des PME manufacturières restent rares. Dans ce sens, ce mémoire a pour objectif de prendre part à cet effort de recherche collectif en étudiant l’innovation ouverte dans le contexte spécifique des PME manufacturières; contexte, jusqu‘ à présent, peu exploré, particulièrement au Québec (Fakhreddine, 20 Il).
Ainsi, l’objectif principal que nous poursuivons est d‘ étudier le degré d’ouverture à travers l’intensité du recours aux partenariats externes en se basant sur les travaux de Chesbrough (2003) et d’étudier la fréquence d’utilisation des sources de connaissances externes en se basant sur les travaux de Laursen et Salter (2006), et ceci pour identifier les facteurs d‘ ouverture qui expliquent de façon significative la performance en innovation des PME.La revue de la littérature a permis de dégager le caractère complexe de l’innovation ouverte, vu l‘ existence de différents facteurs internes et externes pouvant interagir et influer sur le processus d‘ innovation (Huizingh, 2011). Pour cette raison, il est pertinent d’étudier l‘ effet modérateur des capacités internes sur la relation entre le degré d’ouverture et la performance en innovation.
DÉFINITIONS ET IMPORTANCE DE L’INNOVATION
D’entrée de jeu, les travaux de Joseph Schumpeter, parus au début du XXe siècle, ont marqué une étape importante dans l’évolution de ce domaine. Dans ses deux ouvrages notoires, la Théorie de l’évolution économique et Capitalisme, socialisme et démocratie, cet éminent économiste autrichien affirme déjà à cette époque que l’innovation représente la force motrice du développement économique (Schumpeter, 1934; 1942). Il fait valoir que les innovations apportées par les entrepreneurs capitalistes assurent une alternance cyclique de phases de prospérité et de récession qui engendrent une expansion économique. Cependant, le paysage économique d’aujourd’hui a considérablement changé par rapport au paysage économique de l’époque de Schumpeter. Quoique ses travaux demeurent d’actualité, ce travail de recherche va se concentrer davantage sur les principes directeurs traités par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).Durant les deux dernières décennies, diverses définitions de l’innovation apparaissent dans les trois éditions du Manuel d’Os102 (OCDE, 1992; 1996; 2005).
La définition retenue dans la première édition mettait l’accent sur le secteur manufacturier et l’innovation était reconnue à partir d’un nouveau produit ou d’un nouveau procédé.Dans la seconde édition, la définition de l’innovation prenait en considération d’autres secteurs en évoquant davantage les technologies de produits et de procédés. On introduisait alors l’idée que l’innovation devait faire intervenir une grande diversité d’activités. Dans la troisième édition du Manuel Oslo, en 2005, l’OCDE proposait une nouvelle définition qui étendait encore plus la portée du concept de l’innovation en le décrivant comme suit: « La mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation dans les pratiques d’organisation du lieu de travail ou des relations extérieures» (OCDE, 2005, p. 46).Cette trosième définition a été retenue pour ce travail et servira de base de compréhension du construit de l‘ innovation.
L’OCDE a étendu sa définition pour les raisons suivantes: premièrement, pour une meilleure prise en compte de l‘innovation autre que les innovations technologiques, de produits et de procédés; deuxièmement, pour une révision de la théorie de l‘innovation qui insiste davantage sur les perspectives organisationnelles et marketing; troisièmement pour une meilleure prise en compte de l‘ insertion de l‘ innovation en entreprise dans un environnement plus large (OCDE,2005).
Les ressources humaines
Julien et Carrier (2005), Lund Vinding (2006), Becheikh, Landry et Amara (2006b), Kompaore (2008) ainsi que St-Pierre, Trépanier et Razafindrazaka (2013) affirment que l’innovation est favorisée par l’existence d’un personnel suffisamment nombreux. Le personnel doit être doté de qualifications managériales et de capacités techniques servant à organiser et à appliquer I~s idées provenant d’autres employés et de partenaires externes et ce, dans le but de soutenir l’innovation. Selon ces auteurs, le savoir, le savoir-faire et l’expérience du personnel hautement qualifié permettent d’accomplir efficacement les différentes tâches de la PME manufacturière et également d’être à l’affût des différentes opportunités que peut offrir l’environnement des affaires pour réaliser des projets d’innovation. Ces compétences sont valorisables, difficiles à imiter et à substituer car elles représentent une connaissance collective propre à chaque organisation et qui sera utilisée pour résoudre les problèmes quotidiens ou nouveaux de la PME manufacturière.
La présence de ressources humaines hautement qualifiées représente donc un facteur déterminant pour la réussite de la stratégie d’innovation au sein de la PME manufacturière. Cette stratégie dépend de l‘ exécution de la politique de gestion des ressoucres humaines (GRH) qui doit être axée sur la performance en innovation (Oke, Walumbwa et Myers, 2012).Comme le manque de ressources financières représente une contrainte pour certaines PME manufacturières, il est souvent difficile de recruter des employés hautement qualifiés sur les plans scientifique, technologique et en commercialisation de l’innovation, ce qui peut représenter un obstacle pour mener à terme les activités d‘ innovation .
BANQUE DE DONNÉES INNOSTICMD
Pour tester les hypothèses de recherche, nous avons recours à des données secondaires issues de la banque de données Innosticrnd du Laboratoire de recherche sur la perfonnance des entreprises (LaRePE) . Ce laboratoire a été fondé en 1997 afin de comprendre quels sont les déterminants de la perfonnance des PME et de leur vulnérabilité, dans un contexte d’innovation, de croissance et d’internationalisation. Ces recherches sont réalisées à partir de données recueillies auprès des PME par des questionnaires complexes en échange de rapports diagnostiquant leur situation.
Dans le domaine particulier de l’innovation, le LaRePE a développé un outil de diagnostic nommé « Innostic » qui a été utilisé par plus d’une centaine d‘ entreprises à ce jour. Cette banque de données contient une importante quantité d’infonnations relatives à l’innovation. L’objectif de l’analyse de ces données est d’étudier les façons de faire et les stratégies des PME manufacturières qui désirent accroître leur capacité d’innovation.Les résultats du diagnostic permettent au propriétaire-dirigeant d’identifier ses forces et ses faiblesses et ainsi apporter éventuellement des mesures correctives.
INSTRUMENT DE MESURE ET COLLECTE DE DONNÉES
L’instrument de mesure utilisé est un questionnaire dont les deux prmclpaux objectifs sont la production de diagnostics pour les PME qui veulent améliorer leur compétitivité en innovation et l‘ enrichissement des travaux des chercheurs dans le domaine de l‘ innovation. Il comporte 19 pages, 111 questions réparties dans trois grandes sections et est assigné aux propriétaires-dirigeants de PME du secteur manufacturier. La première grande section comprend cinq sous-sections décrites brièvement ci-après. La première sous-section (8 questions) concerne le leadership et la vision stratégique de l’entreprise en matière d‘ innovation. La deuxième sous-section (30 questions) s‘ attarde sur les façons de faire et les pratiques d’affaires en innovation.La troisième sous-section (22 questions) identifie les ressources présentes dans l’entreprise lui permettant de réaliser ses activités d‘ innovation.
La quatrième sous-section (17 questions) décrit la culture et l’organisation interne de l‘entreprise. La dernière et cinquième sous-section (1 0 questions) s’intéresse aux collaborations formelles et informelles de la PME avec son environnement externe. Finalement, la deuxième grande section (15 questions) présente des informations sur le dirigeant principal de la PME alors que la troisième grande section (9 questions) fournit des informations générales sur la PME. Le questionnaire a été développé par des experts après plusieurs années de R-D et d’observation de PME dans des contextes divers d‘ activités manufacturières (St-Pierre, Trépanier et Razafindrazaka, 2013).Une fois le questionnaire complété, il est transmis au laboratoire pour analyse et traitement des données. Avant de produire le diagnostic, le questionnaire reçu est lu pour déceler d’éventuelles anomalies avant de passer à la saisie des données dans un fichier informatisé qui constitue la base de données. Cette procédure permet de préserver la qualité de la base de données constituée.
L’impact du degré d’ouverture sur la performance en innovation
Les résultats rapportés dans le tableau 16 présentent les résultats obtenus de deux modèles de régression linéaire multiple. Le premier modèle présente l‘ impact du degré d‘ouverture sur la performance en innovation et le deuxième modèle est enrichi par les facteurs des capacités internes susceptibles d‘ influer sur la performance en innovation.
Les résultats font ressortir quatre relations significatives à un niveau de confiance de 10 %, avec la performance en innovation dont une attribuée aux partenariats (lRPE) et les deux autres attribuées à l’accès aux connaissances externes (FUSCE). De ces trois relations significatives, l‘accès aux informations de soutien sur les marchés et la commercialisation, aux informations sur les nouvelles pratiques d’affaires en innovation auprès des consultants (comptabilité, fiscalité, ingénierie et services juridiques) (FACcom2m4) s‘ avère la plus significative (p = 0,013) avec la performance en innovation. La deuxième relation à significativité moyenne (p = 0,062) avec la performance en innovation, concerne l‘accès aux informations de soutien sur les marchés et la commercialisation, aux informations de soutien sur les nouvelles pratiques d‘ affaires auprès des instituts de recherche (cégeps, universités et laboratoires gouvernementaux).
La troisième relation dans ce premier modèle, indique une significativité faible (p = 0,095) avec la performance en innovation, il s‘ agit de la collaboration avec les organismes de recherche spécialisés (collégial, universitaire ou gouvernemental) pour améliorer, concevoir et développer les produits, services, procédés ou équipements (FACor). Et la quatrième relation significative concerne l’accès aux connaissances (p = 0,028) avec les consultants (FACcom2m4). Modèle 2. Les résultats montrent que l’ajout des facteurs des capacités internes aux facteurs du degré d’ouverture dans le deuxième modèle font ressortir une relation significative soit les capacités d‘apprentissage (p = 0,072). Le coefficient de détermination ajusté passe de 0,088 à 0,133. Les résultats obtenus du premier modèle de régression multiple permettent de dresser l‘équation de régression suivante : Performance en innovation = 0,462 + 0,079 FACcom2m4 + 0,060 FACir + 0,055 FACor.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 – PROBLÉMATIQUE MANAGÉRIALE
1.1 DÉFINITIONS ET IMPORTANCE DE L’INNOVATION
1.2 LES RESSOURCES INDISPENSABLES À L’INNOVATION
1.2.1 Les ressources humaines
1.2.2 Les ressources financières
1.2.3 Les ressources technologiques
1.2.4 Les ressources informationnelles
1.3 LES RISQUES DE L’INNOVATION
1.4 LES CONTRAINTES DES PME MANUFACTURIÈRES EN INNOVATION
1.5 INTRODUCTION DU CONCEPT D‘ INNOVATION OUVERTE
1.6 L’INNOVATION OUVERTE: UNE RÉPONSE AUX LIMITES DES PME MANUFACTURIÈRES
CHAPITRE 2 – CONTEXTE THÉORIQUE
2.1 QU‘EST-CE QUE L’INNOVATION OUVERTE?
2.1.1 Les origines de l’innovation ouverte
2.1.2 L‘ innovation ouverte en constante évolution: définitions
2.1.3 Différence entre innovation ouverte et innovation fermée
2.1.4 L‘ innovation ouverte en tant que méthode: processus
2.1.4.1 Le processus extérieur-intérieur (ou mode entrant)
2.1.4.2 Le processus intérieur-extérieur (ou mode sortant)
2.1.4.3 Le processus conjoint
2.1.5 Avantages et désavantages de l‘ innovation ouverte
2.1.5.1 Avantages
2.1.5.2 Désavantages
2.1 .6 Les facteurs clés de succès en innovation ouverte
2.1.6.1 Une gestion efficace des capacités internes d’innovation
2.1.6.2 L‘ importance de l’appropriation en innovation ouverte
2.2 LES PME MANUFACTURIÈRES ET L‘ INNOVATION OUVERTE
2.2.1 Les PME : la locomotive du développement économique
2.2.2 Définitions d‘ une PME
2.2.2.1 Définitions quantitatives d‘une PME
2.2.2.2 Définitions qualitatives d‘ une PME
2.2.3 Spécificités des PME manufacturières dans un contexte d’innovation
2.2.4 L’importance des réseaux en innovation
2.2.5 Les pratiques de l‘ innovation ouverte au sein des PME manufacturières
2.2.5.1 Les stratégies et collaborations de recherche
2.2.5.2 La R-D externe
2.2.6 Travaux empiriques en innovation ouverte
2.2.6.1 Les avantages des collaborations
2.2.6.2 Les avantages du recours aux connaissances externes
2.2.6.3 L‘ importance des capacités internes en innovation ouverte
2.3 L’INNOVATION OUVERTE: THÉORIE OU PARADIGME?
2.4 CADRE CONCEPTUEL
2.4.1 Lacunes dans la littérature sur l‘ innovation ouverte
et question de recherche
2.4.2 Présentation des principaux construits de l‘ étude
2.4.2.1 Le degré d‘ ouverture de l‘ innovation
2.4.2.2 Les capacités internes en innovation ouverte
2.4.2.3 Performance en innovation ouverte
2.4.3 Hypothèses de recherche
CHAPITRE 3 – MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
3.1 STRATÉGIE DE RECHERCHE
3.2 BANQUE DE DONNEES INNOSTIC
3.3 PROFIL DE L‘ÉCHANTILLON
3.4 INSTRUMENT DE MESURE ET COLLECTE DE DONNÉES
3.5 VARIABLES ÉTUDIÉES
3.5.1 La variable dépendante
3.5.2 Les variables indépendantes
3.5.3 La variable modératrice ou antécédent
3.6 Les outils d’analyse statistique
CHAPITRE 4 – RÉSULTATS ET DISCUSSION
4.1 PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
4.1.1 Corrélations entre les trois construits de l‘étude
4.1.1.1 Relation entre degré d’ouverture et performance en innovation
4.1.1.2 Relation entre degré d’ouverture en innovation et capacités internes
4.1.1.3 Relation entre capacités internes et performance en innovation
4.1.2 L’impact du degré d‘ouverture sur la performance en innovation
4.1.3 L‘ effet modérateur des capacités internes sur la relation entre le degré d‘ouverture et la performance en innovation
4.2 VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES DE RECHERCHE
4.2.l Vérification de l‘ hypothèse 1
4.2.1.1 Discussion relative à l’ouverture sur des organisations de recherche pour des besoins d‘affaires et techniques
4.2.1 .2 Discussion relative à l’ouverture aux consultants pour des besoins d’affaires
4.2.1 .3 Discussion relative à l’ouverture sur les organisations de recherche pour des besoins d’affaires
4.2.1.4 Discussion relative à l’ouverture sur les consultants et sur les organisations de recherche pour des besoins d’affaires
4.2.2 Vérification de l‘ hypothèse 2
4.2.2.1 Discussion sur l‘ effet antécédent des capacités internes sur le degré d‘ouverture
4.3 DÉVELOPPEMENT D‘UN MODÈLE DE RECHERCHE
4.4 LIMITES ET CONTRIBUTIONS À CETTE ÉTUDE
4.4.1 Les limites
4.4.2 Les contributions
CONCLUSION
RÉFÉRENCES
ANNEXE A
ANNEXE B
ANNEXE C
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