QU’EST-CE QUE L’AUTOFICTION?
Malgré l’intérêt grandissant pour ce « nouveau» genre, aucune définition de l’autofiction ne fait encore l’unanimité pour les critiques. À lui seul, le terme «fiction» a une signification plurielle et péjorative. Il peut être perçu comme des racontars ou rumeurs (qui relèvent de la «fiction»), comme un manquement que nous attribuons selon les cas à la duperie délibérée, à une mémoire défaillante ou à’ une erreur d’information. Certains ouvrages de critique littéraire utilisent également le terme dans ce sens particulier. C’est ainsi qu’un spécialiste, examinant des écrits autobiographiques en vue de découvrir des «mensonges» intentionnels aussi bien que non intentionnels, nous infoffi1e que, dès lors [sic] que nous entrons dans le monde privé du « moi », nous ne pouvons manquer de « rencontrer sur son seuil le visage moqueur de la fiction ». La signification négative du terme « fiction» ( affirmation fausse) n’a plus guère cours dans son emploi comme terme générique.
À ce sujet, des critiques ont jugé bon de distinguer les deux sens que le terme fiction pourrait engendrer: Ils ont ainsi proposé que le terme de « fictionnel » (fictional) soit réservé à ce qui relève de la littérature, et celui de « fictif » (fictitious) à ce qui relève de la vie. La seule raison pour laquelle l’expression « vérité fictionnelle » n’est pas un oxymoron, alors que celle de «vérité fictive» en est un, réside dans le fait que la fiction est un genre, alors que tel n’est pas le cas des mensonges.
Alors, qu’en est-il lorsque le préfixe «auto » lui est greffé? Si l’on s’en tient à l’ essentiel, je croyais que l’autofiction était un récit fictionnel constitué d’éléments du rée l principalement basés sur la vie de l’auteur et dans lequel il se mettait lui-même en scène.
INTERPRÉTATION ET HISTOIRE
Ma conception de base de l’interprétation de la littérature me laissait croire qu’il s’ agissait d’une pratique assez récente. Selon Stefan Collini, auteur de l’introduction au livre Interprétation et surinterprétation d’Umberto Eco, l’interprétation n’est pas une activité inventée par les théoriciens de la littérature du XXe siècle. Les questions et les discussions sur la façon de définir cette activité possèdent une longue histoire dans la pensée occidentale visant à établir la signification de la Parole de Dieu . Depuis la nuit des temps, nombre de lecteurs cherchaient à découvrir un message caché dans les « Saintes Écritures ». Au début du XIXe siècle, le problème de la signification textuelle donna officieusement le coup d’envoi de la phase moderne de cette histoire au sein de l’herméneutique biblique mais aussi, dans la deuxième moitié du siècle, au caractère central de l’interprétation pour la compréhension de toutes les créations de l’ esprit humain. Ces idées provenaient de la philosophie.
Plutôt que de se réjouir d’ un tel avancement, cela « a donné lieu à des controverses sur la nature et les fins des études littéraires, chez ceux qui avaient alors la tâche d’enseigner la littérature ». Comment ces deux champs d’études, la philosophie et la littérature, liées dans l’application de cette théorie interprétative sur des textes, pouvaient-elles encore se méfier l’une de l’autre à ce point? Certains n’hésitèrent pas à critiquer «l’idée selon laquelle l’établissement de la « signification » d’un texte littéraire pouvait constituer le but légitime de la recherche critique». D’autres voyaient ces manifestations d’écriture comme de « l’autoritarisme », d’autres encore s’en méfiaient comme s’ il s’agissait d’ une sorte de « facilité interprétative » des textes. Ils se justifiaient en accusant la critique poststructuraliste de jouer un double jeu, en introduisant sa propre stratégie interprétative lorsqu’elle lit le texte de quelqu ‘un d’autre, mais en faisant appel à des normes communes lorsqu ‘ il s’agit de communiquer les méthodes et les résultats de ses interprétations à ses propres lecteurs .
LA SURINTERPRÉTATION DES TEXTES
Dans sa seconde conférence, Eco souligne qu’il nous est « possible de reconnaître la surinterprétation d’un texte, sans nécessairement être capable de prouver qu ‘une interprétation est la bonne, ou même sans souscrire à l’idée qu ‘ il doit y avoir une bonne lecture ». Son argumentation repose sur l’utilisation d’exemples tirés de la lecture rosicrucienne obsessionnelle de Dante par Gabriele Rossetti, un homme de lettres anglo-italien du XIXe siècle, et sur l’interprétation d’un poème de Wordsworth par le critique américain Geoffrey Hartman, celle-ci étant destinée à indiquer une autre façon de franchir les limites de l’interprétation légitime, car certains lecteurs pourraient considérer cette interprétation comme éclairante plutôt qu ‘ exagérée. On parlera ici de l’inlentio operis (l’intention de l’œuvre) qui joue un rôle important en tant que source de signification. « La nature, le statut, autant que l’identification de cette intenlio operis semblent appeler une élaboration ultérieure ». Le but du texte doit être de produire son Lecteur Modèle, autrement dit « le lecteur qui lit le texte tel qu ‘ il est destiné à être lu, ce qui peut inclure la possibilité d’être lu de manière à susciter de multiples interpretation ».
Eco parle d’un « principe d’association par similitude ». Ce principe se reflète dans les textes analysés et aide le lecteur à faire des regroupements et à établir des liens pour en retirer le sens. Ceci commence aussitôt qu ‘une forme de parenté peut être établie.
APPLICATION DE LA THÉORIE ÀLA VALSE DES OMBRES
Pourquoi avoir choisi de mettre en relation l’autofiction et la surinterprétation? Parce qu’il me semblait que ces deux sujets étaient interreliés. L’autofiction et la surinterprétation vont bien ensemble, car il est d’autant plus simple d’imaginer des choses lorsque l’auteur sous-entend par la voix de son narrateur que «ça lui est déjà arrivé».
Cela donne l’impression qu’il existe un lien de parenté, un référent « réel » entre ce qui est dit et ce qui est sous-entendu. Après tout, dans quelle mesure pouvons-nous être certains que J’écrivain utilise réellement sa vie pour créer des histoires de fiction, et ce, même s’il le dit? Dans La valse des ombres, la narratrice n’est connue sous aucun prénom. Elle relate par le « je » les tourments de sa vie et raconte les mésaventures de ses deux amis Emma et Billy. Comme le genre autofictionnel ne semble en aucun cas obliger les écrivains à baptiser leur personnage par leur propre prénom, et comme il ne s’agissait pas d’une autobiographie, je trouvais que le « je » créait une plus grande distance quant à la proximité auteur-personnage souvent associée à cette forme de littérature intime. «L’anonymat du protagoniste peut évidemment relever d’une stratégie fictionnelle. Par le biais de l’anonymat, le roman à la première personne retrouverait ainsi l’objectivité dont se pare le narrateur omniscient ». C’est plutôt par les indices descriptifs de ce personnage narrateur qu ‘il est possible d’établir diverses spéculations quant à son identité réelle. «La position du personnage dans l’espace peut, comme sa position dans le temps, rappeler celle de l’auteur». Dans mon récit de création, le « je » termine un mémoire de maîtrise et éprouve plusieurs difficultés pour l’achèvement de son projet. Je conviens que pour un lecteur qui ne me connaît pas du tout, cela peut sembler banal.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 : QU’EST-CE QUE L’AUTOFICTION?
PARTIE 2: INTERPRÉTATION ET HISTOIRE
PARTIE 3 : LA SURINTERPRÉTATION DES TEXTES
PARTIE 4: APPLICATION DE LA THÉORIE À LA VALSE DES OMBRES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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