Usuellement, sous le terme schizophrénie est défini un complexe et sévère trouble cérébral se manifestant au début de l’adolescence et perturbant un large éventail des fonctions cérébrales humaines. Avant d’étendre ce trouble, ou plutôt cet ensemble de syndromes dans le champ médical, depuis les princeps du psychiatre Bleuler en 1911 [3], il est intéressant de constater quelle est sa représentation au travers de l’objet culturel. Deux versants de sa définition traversent la littérature et le cinéma.
D’abord sa version réaliste. F. S. Fiztgerald a décrit dans Tendre est la nuit la lourdeur d’être constant support à la schizophrénie de sa femme Zelda, témoignage littéraire de l’épreuve que peuvent expérimenter les familles de patients souffrant de schizophrénies. Artaud a quant à lui fixé ses tourments et persécutions dans son œuvre, et finira par personnifier pour Deleuze « l’accomplissement de la littérature, précisément parce qu’il est schizophrène », on rappellera que selon Deleuze, « le but de l’écriture, c’est de porter la vie à l’état d’une puissance non personnelle », l’hyper mentalisation d’Artaud débordant donc de sa propre subjectivité. Dans le Horla, Maupassant nous livre l’expérience réaliste de l’hallucination. La schizophrénie traverse aussi les écrits de Walzer au travers de ses balades solipsistes et ses difficultés à distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Du côté du cinématographe, le film Angels of the Universe nous décrit le portrait fidèle de ce désordre au travers de l’existence de Paul, patient schizophrène oscillant entre hallucination, détresse et sourire entre amis. De la triade symptomatologique (c’est-à-dire les manifestations visibles du trouble) de la schizophrénie, rares sont les films illustrant les symptômes négatifs caractéristiques de ce trouble, cependant ceux soulignant les hallucinations sont pléthores, symptômes plus cinématographiques que les autres pôles, de Spider de Cronenberg à À travers le miroir de Bergman. Dans Spider, la démonstration clinique de ce trouble passe par l’altération du langage (pauvreté et alogie), tandis que dans À travers le miroir, il est plutôt question de délires de grandeur, à travers une hallucination d’ordre religieuse. Ses principaux traits (hébéphrénie et catatonie dans Spider, et démence paranoïde dans À travers le miroir) dessine déjà l’entité pathologique unique popularisée par Emil Kraepelin en 1896 sous le nom de « Dementia praecox ».
Puis sa version imaginée, reportée sur la pensée du grand public au travers d’une mauvaise connaissance de la schizophrénie. Ainsi, le film Rashomon de Kurosawa a été considéré comme film schizophrénique car la structure du film consiste en la multiplication des visions d’une même scène selon une multiplication de regards. Selon le rôle, les places, les intérêts, les émotions, les passions des uns ou des autres, les versions diffèrent, cela s’apparente donc plutôt à un trouble dissociatif de l’identité (TDI), Black Swann d’Aronofski ou encore Fight Club de Fincher ont été nommés de même élan illustrations de la schizophrénie alors qu’ils sont d’autres exemples des TDI au cinéma. Cette vision de la schizophrénie comme un dédoublement de la personnalité, pourrait être due à une erreur de compréhension de l’étymologie du terme, où « schizo » (schizein) signifie fendre, scission, fractionnement, et «phrénie » (phrèn) qui désigne l’esprit.
Cette fausse croyance a aussi été banalisée par les médias. L’utilisation galvaudée ou figurée du terme schizophrénique a été montrée dans une étude de l’Obsoco (observatoire de la société et de la consommation) portant sur la représentation de la schizophrénie dans les médias français [4]. L’analyse lexicographique et sémantique a porté sur les termes « schizophrénie » et « schizophrène » entre 2011 et 2015 sur huit quotidiens et hebdomadaires principaux de la presse française. Ce travail a montré la stigmatisation de la schizophrénie dans la presse en associant ce désordre à la violence et à la dangerosité, éclipsant sa dimension pathologique. En outre elle a montré que le mot «schizophrénie» était plus souvent utilisé dans un sens figuré (six articles sur dix) pour désigner une contradiction, une ambivalence, un double discours. Souvent employé sans être défini, cela construit le préjugé du grand public autour de l’amalgame entre le syndrome et une rare dangerosité inhérente à ce trouble.
La schizophrénie est donc encore perçue de manière péjorative par la société, notamment car elle s’inscrit dans l’histoire de la folie où il était selon Foucault surtout question de la mettre à « l’écart dans les asiles du XIXe siècle, éloignés de la vie quotidienne » [5]. L’étude de l’Obsoco nous rappelle l’importance de la sensibilisation au grand public au trouble schizophrénique, notamment en proposant l’utilisation de la médiation culturelle afin d’impliquer les différents acteurs du système (scientifiques, artistes, journalistes, psychiatres). Le terme de schizophrénie est aussi susceptible d’induire par son étymologie une stigmatisation car il se réfère de manière trompeuse à un désordre caractérisé par un « esprit divisé » auquel la population ne peut pas s’identifier et ne peut pas faire l’expression, ceci étant différent de la dépression par exemple [6]. Changer le terme de schizophrénie, comme l’a déjà fait le Japon (pour Togo Shitcho Sho: syndrome d’intégration et de dysrégulation), pour un terme moins stigmatisant et plus proche de la réalité symptomatologique serait aussi moins stigmatisant (i.e. « syndrome de saillance » [6]).
La diversité actuelle de la représentation de la schizophrénie retrouvée dans la culture éclaire au moins une réalité, le caractère protéiforme de cette affection. La schizophrénie recouvre en réalité un ensemble de symptômes communs mais dont les causes peuvent être très différentes. Il est difficile de dénombrer le nombre exact de formes cliniques de la schizophrénie, mais plusieurs grands types de présentations avaient déjà été identifiés depuis plus d’un siècle par les psychiatres. En raison de son hétérogénéité clinique, évolutive et probablement physiopathologique, Kraepelin distinguait déjà la démence précoce en plusieurs formes, paranoïde, catatonique, hébéphrénique. Plutôt qu’une maladie unique avec des soustypes, la schizophrénie est aujourd’hui davantage appréhendée comme un syndrome et non comme une seule et unique maladie et ce en conformité avec les travaux de Bleuler. Aussi parle-t-on de syndromes schizophréniques ou des schizophrénies (au pluriel). A l’opposé, les sous-types de la schizophrénie ont été éliminés du DSM-V (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders V) et les dimensions psychopathologiques ont été lissées réduisant la capacité à décrire l’hétérogénéité des schizophrénies [7].
Historiquement, c’est à travers l’exposé « le pronostic de la Dementia praecox », auquel siégeait en tant que président de congrès Kraepelin, que l’aliéniste Bleuler en contestant ce précédent terme l’a remplacé en 1908 par celui de «schizophrénie» pour illustrer l’idée d’une véritable « scission » (schizein) des fonctions psychiques [8]. Deux difficultés majeures séparaient selon lui la schizophrénie de la démence précoce : Tout d’abord, le pronostic de schizophrénie ne se confondait pas avec celui des démences (ce dernier étant annexé à la neurologie et à sa dimension anatomo-pathologique), la détérioration n’étant pas pour Bleuler inexorable. Ensuite, le trouble en question ne connaissait pas toujours un début précoce, mais il s’observait aussi tardivement. Selon la description princeps de Bleuler [3], la schizophrénie est caractérisée par la dissociation, processus psychique responsable d’une perte de la cohésion interne, de l’harmonie et de la continuité de l’activité mentale. La dissociation affecte l’ensemble des fonctions psychiques (affectives, intellectuelles et psychomotrices), perturbant de façon globale la personnalité qui perd son unité (atteinte du sentiment d’identité). Elle crée une altération du sens de la réalité avec laquelle elle peut entraîner une rupture du contact. Enfin, elle génère une tendance à se replier sur son monde intérieur.
Depuis la définition de la schizophrénie a évolué, notamment à travers différentes éditions du DSM [7]. Trois concepts restent racines à toutes les définitions:
1) l’idée Kraepelinienne sur l’avolition, la chronicité et le devenir fonctionnel négatif (poor outcome);
2) l’incorporation de l’idée de Bleuler selon laquelle la pathologie est primitivement et fondamentalement dissociative et tarit avec les symptômes négatifs [3]; et enfin
3) que la pathologie revête aussi les symptômes de premier rang de Schneider sur la distorsion de la réalité, c’est-à-dire les symptômes positifs [9].
CRITERES DIAGNOSTIQUES
A ce jour seule la clinique permet de poser le diagnostic de schizophrénie, il n’existe pas encore de tests diagnostiques ou de biomarqueurs disponibles [1]. Un des enjeux de la mise en place de critères diagnostiques est de permettre un diagnostic fiable, c’est-à-dire consensuel entre cliniciens. Nous décrirons ceux cartographiés dans le DSM-V [10], proches de l’ICD-11 (WHO International Classification Diseases 11) malgré quelques différences : la durée minimum de maladie, 1 mois pour l’ICD-11 contre 6 mois pour le DSM-V et le critère de déficience présente dans le DSM a contrario de l’ICD [7].
A. Symptômes caractéristiques : Deux (ou plus) des manifestations suivantes ont été présentes pendant une partie significative du temps pendant une période d’un mois (ou moins si traités avec succès).
1. Des idées délirantes
2. Des hallucinations
3. Un discours désorganisé (i.e. fréquent déraillement ou incohérence)
4. Un comportement excessivement désorganisé ou catatonique
5. Des symptômes négatifs (e.g. émoussement affectif, alogie ou encore avolition).
Parmi les deux symptômes du groupe A, un au moins doit être du registre positif (idées délirantes, hallucinations, désorganisation du discours).
B. Dysfonctionnement social : Pour une partie significative du temps depuis le début de la perturbation, le niveau de fonctionnement dans un ou plusieurs domaines importants, tels que le travail, les relations interpersonnelles, ou les soins personnels, est nettement en dessous du niveau atteint avant le début du trouble (ou en cas de survenue dans l’enfance ou l’adolescence, il y a un échec à atteindre le niveau attendu dans le fonctionnement interpersonnel, scolaire ou occupationnel).
C. Durée : Des signes continus de la perturbation persistent pendant au moins 6 mois. Cette période de 6 mois doit inclure au moins un mois de symptômes (ou moins si traités avec succès) qui remplissent le critère A et peuvent inclure des périodes de symptômes prodromiques ou résiduels. Pendant ces périodes prodromiques ou résiduelles, les signes de la perturbation peuvent se manifester par des symptômes négatifs seulement ou par deux ou plus des symptômes énumérés dans le critère A présents sous une forme atténuée (e.g. des croyances bizarres, des perceptions inhabituelles).
D. Exclusion de trouble de l’humeur : Le trouble schizo-affectif et le trouble dépressif ou bipolaire avec caractéristiques psychotiques (idées délirantes, hallucinations ou trouble de la pensée formelle) ont été écartés parce que soit 1) aucun épisode dépressif majeur ou maniaque n’a eu lieu en même temps que les symptômes de la phase active, ou 2) si des épisodes de trouble de l’humeur ont eu lieu pendant les symptômes d’une phase active, ils ont été présents pour une minorité de la durée totale des périodes actives et résiduelles de la maladie.
E. Exclusion d’une affection médicale générale / due à une substance : La perturbation n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance (par exemple, une drogue, un médicament) ou à une autre condition médicale.
F. Relation à un trouble envahissant du développement : S’il y a des antécédents de trouble du spectre de l’autisme ou d’un trouble de la communication apparu dans l’enfance, le diagnostic supplémentaire de schizophrénie est posé uniquement si des idées délirantes ou des hallucinations prononcées, en plus des autres symptômes requis de la schizophrénie, sont également présentes pendant au moins 1 mois (ou moins si traitées avec succès).
DIMENSIONS SYMPTOMATIQUES
La nosographie contemporaine s’est efforcée de regrouper les nombreux symptômes observés chez les patients schizophrènes selon différentes dimensions symptomatiques. Ces dimensions correspondent à des regroupements de symptômes qui, le plus souvent, s’observent ensemble, mais peuvent aussi s’observer à des degrés divers chez les patients. Selon les auteurs et les échelles symptomatiques utilisées, un plus ou moins grand nombre de dimensions est rapporté: la principale dimension est la triade de symptômes : positifs, négatifs et de désorganisation cognitive [11].
Dimension positive ou psychotique (« excès » dû à la maladie)
Cette dimension regroupe des symptômes se manifestant par une rupture avec la réalité, c’est la période floride de la maladie. Il s’agit des idées délirantes, qui correspondent à une déformation subjective de la réalité emportant la conviction du sujet et dont les thèmes peuvent être très variés, des hallucinations, qui correspondent à une perception sans objet et dont la modalité la plus fréquente est auditive même si d’autres modalités sensorielles peuvent être concernées. Les symptômes positifs de la schizophrénie sont certainement les caractéristiques les plus impressionnantes de cette maladie, néanmoins ces symptômes tendent vers la rémission, alors que les symptômes négatifs et cognitifs sont les plus fortement associés avec le devenir fonctionnel à long terme des patients et tendent quant à eux à devenir chroniques.
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Table des matières
Introduction générale
1. QU’EST-CE QUE LA SCHIZOPHRENIE ?
PREAMBULE
CRITERES DIAGNOSTIQUES
DIMENSIONS SYMPTOMATIQUES
Dimension positive ou psychotique (« excès » dû à la maladie)
Dimension négative (« déficit » due à la maladie)
Dimension cognitive
Le déficit de cognition sociale dans la schizophrénie
EPIDEMIOLOGIE DE LA SCHIZOPHRENIE ET PRONOSTIC
Epidémiologie descriptive
Incidence
Prévalence
Mortalité
Epidémiologie analytique
Histoire naturelle de la schizophrénie
HYPOTHESES PHYSIOPATHOLOGIQUES
Deficits neurométaboliques dans la schizophrenie
2. TRAITEMENTS POSSIBLE DE LA SCHIZOPHRENIE
LES TRAITEMENTS PHARMACOLOGIQUES
LA REHABILITATION PSYCHOSOCIALE
LES TECHNIQUES DE STIMULATION CEREBRALE
Dimension positive
Dimension négative
Dimension cognitive
3. TMS ET NEUROIMAGERIE DANS LA SCHIZOPHRENIE
MODIFICATIONS METABOLIQUES ET FONCTIONNELLES
Les modifications métaboliques
Les modifications fonctionnelles
Les effets de la TMS sur l’activité cérébrale et les symptômes positifs
Les effets de la TMS sur l’activité cérébrale et les symptômes négatifs
Les effets de la TMS sur l’activité cérébrale et les symptômes cognitifs
FACTEURS PREDICTIFS NEUROBIOLOGIQUES DE L’EFFICIENCE DE LA TMS
EXPLORATION FONCTIONNELLE DE L’ACTIVITE CEREBRALE DES PATIENTS ATTEINTS DE SZ
4. RATIONNEL DE CETTE THESE
Etudes préalables
1. ETUDE 1 : MISE EN PLACE DU PROTOCOLE D’ACQUISITION SPECTROSCOPIQUE
INTRODUCTION
La spectroscopie par résonance magnétique du proton (1H-MRS)
Introduction à la spectroscopie
Le signal RMN
La spectroscopie simple volume ou spectroscopie localisée
La quantification du signal
Les principaux métabolites mesurés
ETAT DE L’ART
Choix du temps d’écho utilisé
Les volumes d’intérêts (VOIs)
Méthode de quantification utilisée
Logiciel et algorithme utilisés
Corrections des concentrations absolues
Test de fiabilité in vivo des signaux de 1H-MRS
Les sources de variabilités
Première source de variabilité : La machine de mesure
Seconde source de variabilité : le modèle d’estimation pour la quantification
Troisième source de variabilité : Placement du sujet et placement du VOI
Critères de rejection d’un spectre et de son modèle d’estimation
METHODOLOGIES
Participants
Paramètres d’acquisition
Analyse de répétabilité et reproductibilité de notre séquence de 1H-MRS
RESULTATS
DISCUSSION
2. ETUDE 2 : VALIDATION INTERNE ET EXTERNE D’UNE TACHE IRM DE COGNITION SOCIALE
INTRODUCTION
ETAT DE L’ART
METHODOLOGIES
Participants
Niveau de cognition sociale
Tâche de cognition sociale en IRMf
Acquisition des images
Données fonctionnelles
Analyses statistiques
Réseau fonctionnel impliqué durant la tâche chez les HC
Reproductibilité des activations chez les HC (validation interne)
Réseau de la cognition sociale chez les SZ comparé aux HC (validation externe)
Score de cognition sociale
Données fonctionnelles
RESULTATS
Conclusion générale