Fondements théoriques
Qu’est-ce que la grammaire ?
Définition et finalités
Suzanne Chartrand explique, dans l’ouvrage « Mieux enseigner la grammaire » (2016), qu’il « s’agit de la description des règles du système de la langue et des normes d’usage dans sa variété standard. (…) Le mot règle renvoie à la description d’une régularité dans le système de la langue à un moment de son évolution. Le mot norme renvoie à l’usage jugé correct par l’institution sociale qui en a le contrôle politique et ceux qui l’actualisent. » Elle ajoute que c’est une discipline qui se décline en sous-systèmes, qu’elle nomme : la syntaxe, la ponctuation, la morphologie lexicale et grammaticale, la combinatoire lexicale et les aspects régulés de la reprise de l’information.
Elle explique également dans ce même ouvrage que l’objectif final de la grammaire est de « permettre aux élèves de comprendre les grandes régularités du fonctionnement de la langue appréhendée comme un système et améliorer leurs compétences langagières, en écriture principalement, grâce au travail grammatical ». Claude Vargas décrit le même objectif à travers son analyse des programmes de 1972 à 2008 : il affirme que l’enseignement grammatical a pour but de participer à la maîtrise de l’écrit, c’est-à-dire de la lecture et de l’écriture.
Dans l’ouvrage Le petit laboratoire de grammaire, Brigitte Mahillon et France Tillieu expliquent que la grammaire est « l’ensemble des outils inventés par les hommes pour qu’ils puissent organiser leur pensée et communiquer entre eux. »
Il s’agit d’une observation du fonctionnement de la langue de manière scientifique, qui se compose de plusieurs approches : la grammaire linguistique, la grammaire sémantique et la grammaire orthographique. La grammaire linguistique traite du point de vue du fonctionnement oral et écrit, et se limite le plus souvent à l’étude au niveau phrastique. La grammaire sémantique porte sur l’étude du sens des textes. Enfin, la grammaire orthographique étudie le code de l’écrit. Elles exposent plusieurs objectifs à l’enseignement de la grammaire. D’abord, la grammaire permet d’orthographier correctement la langue française, qui comporte de nombreuses règles complexes. Ensuite, elle permet aux élèves de réfléchir sur la langue, de l’observer et de la comprendre. L’enseignement de la grammaire doit ainsi permettre aux élèves, selon elles, de développer une attitude scientifique face à la langue, et de développer leurs capacités d’abstraction.
Grammaire de phrase ou grammaire de texte
Comme nous avons pu le voir précédemment, la grammaire portée sur la phrase ou le texte ne fait pas toujours consensus parmi les linguistes. Par grammaire de phrase, on entend que la phrase est l’objet central de l’étude grammaticale. Cette grammaire décrit et répertorie les classes de mots présentes dans la phrase, dans le but de répondre au besoin d’apprentissage de l’orthographe grammaticale. Cependant, l’étude grammaticale qui se limite au cadre phrastique fait polémique. Dans l’ouvrage Quelle grammaire enseigner ? , Jean-Christophe Pellat explique ainsi que l’étude de la langue limitée à la grammaire de phrase ne suffit pas, notamment car elle ne permet pas aux élèves de transposer leurs connaissances lors des productions d’écrits. Il met alors en parallèle la grammaire de phrase à la grammaire de texte.
La grammaire de texte s’attache à la description du texte, dans son aspect sémantique. Elle fait alors apparaitre l’emploi des temps et leur concordance, l’utilisation des pronoms et les expressions nominales qu’ils reprennent, en lien avec le contexte décrit dans le texte. Cette grammaire de texte est selon lui complémentaire à l’analyse du discours, qui met en relation le texte avec la situation d’énonciation, permettant ainsi de comprendre certains éléments qui sont liés au contexte d’énonciation, comme les expressions déictiques. Pratiquer la grammaire de phrase et la grammaire de texte sont des éléments essentiels selon lui pour acquérir les compétences langagières nécessaires à la pratique de la lecture et de l’écriture.
Aujourd’hui, les programmes de 2018 mentionnent que l’étude de la langue s’appuie sur l’observation et la manipulation d’énoncés oraux et écrits, issus de corpus soigneusement constitués, il s’agit de se repérer dans la phrase simple et de maîtriser l’orthographe grammaticale de base. Cependant, la dimension textuelle peut être abordée : « Outre les corpus, les textes à lire et les projets d’écriture peuvent également servir de supports à des rappels d’acquis ou à l’observation de faits de langue non encore travaillés. »
Ces évolutions de la grammaire tant dans les programmes, qu’au sein de la recherche, témoignent de la multitude d’approches possibles. Cependant, les programmes de 2018 indiquent pour l’étude de la langue, qu’elle doit s’appuyer sur l’observation et la manipulation d’énoncés oraux et écrits. Cela renvoie à l’enseignement de la grammaire préconisé par Roger Gal en 1960, et c’est donc à cette dimension que l’on va s’intéresser par la suite.
La substitution (ou commutation, remplacement)
Jean-Christophe Pellat explique dans l’ouvrage Quelle grammaire enseigner ? que la substitution consiste à remplacer un élément présent dans un énoncé par un élément de même nature, pouvant figurer à la même position dans l’énoncé. Lorsque les unités peuvent se substituer l’une à l’autre sur l’axe paradigmatique et sur le même environnement, elles sont de même classe grammaticale.
Les termes de commutation, ou encore remplacement sont également utilisés par les linguistes, et renvoient à la même opération linguistique. La commutation consiste ainsi, selon Morgane Beaumanoir-Secq, Danièle Cogis et Marie-Laure Elalouf, en différentes procédures fondées sur le remplacement sur l’axe paradigmatique. Elle est présentée dans les manuels scolaires de grammaire comme une astuce permettant d’orthographier correctement un mot, mais permet également de déterminer les constituants d’une phrase et d’identifier les classes grammaticales. Morgane Beaumanoir-Secq explique, dans une vidéo sur les activités de tri en CE2, proposée par la banque de séquences didactiques du réseau Canopé, que : « Dans une phrase, si un mot peut être remplacé par un déterminant, alors c’est un déterminant » . Cette opération peut s’appliquer à toutes les classes grammaticales, c’est un outil selon elle très efficace linguistiquement, qui doit être matérialisé pour l’élève (par des étiquettes par exemple). Par ailleurs, dans l’objectif de construire les classes grammaticales, il est intéressant de passer par le tri de mots, qui met en jeu une démarche d’observation et de manipulation de la langue.
Le déplacement
C’est une opération linguistique qui consiste à changer de place un élément à l’intérieur d’un énoncé. La langue française respecte un ordre strict des constituants de la phrase, cependant, certains éléments, comme les compléments de phrases peuvent être déplacés. Ces déplacements peuvent parfois avoir un impact sur le sens de la phrase, même si celle-ci reste correcte grammaticalement. Martin Riegel ajoute, dans une série d’articles portant sur les opérations linguistiques de base , que le déplacement d’autres éléments dans la phrase peuvent rendre celle-ci agrammaticale. Par ailleurs, le déplacement, et particulièrement la permutation, est une opération linguistique qui intervient dans les transformations de phrase active et passive.
L’effacement
Martin Riegel définit cette transformation comme une opération qui « consiste à supprimer un ou plusieurs éléments dans une séquence donnée. » Ainsi, la phrase se compose d’éléments obligatoires et d’éléments facultatifs. La suppression des éléments obligatoires, tels que le sujet et le groupe verbal dans une phrase déclarative, rendent celle-ci agrammaticale. A l’inverse, les adjectifs qualificatifs ou les compléments du nom peuvent être effacés, sans changer le caractère grammaticalement correct d’une phrase. Les éléments indispensables d’une phrase déclarative sont donc le groupe sujet, le verbe, et éventuellement le complément obligatoire du verbe. La suppression a un impact sur l’aspect sémantique de la phrase, qui peut être moins précise, ou avoir un sens différent.
L’expansion
L’expansion, appelée également adjonction ou addition consiste à ajouter un élément ou un groupe dans la phrase. Martin Riegel définit l’addition comme le fait d’insérer « une nouvelle unité dans une séquence donnée ». De la même manière que la suppression met en évidence le caractère facultatif d’un élément de la phrase, l’ajout de ces éléments indiquent que ce ne sont pas des constituants essentiels de la phrase. Au-delà des opérations linguistiques de base, plusieurs auteurs se sont penchés sur la question de la manipulation en grammaire à l’école élémentaire, et ont ainsi proposés différentes démarches pour travailler les apprentissages en étude de la langue.
Adopter une posture métalinguistique
Les multiples démarches présentées visant à travailler l’étude de la langue par la manipulation tendent à suivre une structure commune, proposant une phase de découverte, une phase de synthèse et enfin une phase d’application. On considérera ici trois réflexions : la démarche active de découverte, la création de l’outil par l’élève et le tri de mots.
Une démarche active de découverte
Dominique Ulma, dans son article « Construction de savoirs grammaticaux et conceptualisation » , défend l’idée que les notions grammaticales doivent être considérées comme des concepts dans un intérêt didactique. A la lumière des travaux de B.-M. Barth, S.-G.
Chartrand et G.-D. de Salins, il explique qu’aborder la grammaire par concepts permet de s’éloigner d’un enseignement trop magistral fondé seulement sur la mémorisation de notions, et ne mettant pas assez les élèves en position de découverte active. Cette démarche permettrait alors d’amener les élèves à l’abstraction, en leur permettant de construire peu à peu les caractéristiques des notions grammaticales. Elle est constituée de plusieurs phases : l’observation-exploration où les élèves recherchent des régularités de fonctionnement en étudiant un corpus choisi préalablement par l’enseignement, la vérification par l’enseignant et l’abstraction généralisation, phase qui consiste à appliquer les règles dégagées précédemment sur un nouveau corpus. Dominique Ulma va plus loin, et explique que cette démarche de conceptualisation permet aux élèves de développer d’autres compétences, comme l’application d’une démarche expérimentale, des facultés d’argumentation par le langage oral, l’écoute entre les élèves. C’est aussi une façon de donner une valeur positive à l’erreur, qui permet de réfléchir et de construire les notions.
Dans l’ouvrage Classes et fonctions grammaticales au quotidien rédigé par Ghislaine Haas, Pierre Moreau, Jo Mourret, Daniel Lorrot et Catherine Ruth , les auteurs expliquent que cette démarche permet aux élèves de « transférer leurs connaissances dans des situations nouvelles ». Ils indiquent, par ailleurs, que les notions relevant des classes grammaticales sont insuffisamment investies par les élèves, qui n’en font qu’une observation sommaire et ne pratiquent pas assez la démarche de recherche et de réflexion. De même, ces difficultés d’apprentissage pour les élèves, qui se répercutent ainsi sur la pratique de l’orthographe, sont liées au caractère abstrait de ces notions grammaticales. Britt-Mari Barth explique alors dans L’apprentissage de l’abstraction que ces concepts grammaticaux doivent se construire progressivement. Il s’agit pour les élèves de s’éloigner du sens des énoncés, pour en comprendre le fonctionnement. L’objectif est d’être en recherche active, s’enrichissant des erreurs produites qui participent pleinement à la construction des notions.
L’importance de l’outil créé par les élèves
Christine Tallet, dans un article publié en 2003 , décrit un dispositif qu’elle a mis en place, en s’appuyant sur les travaux de Haas et Lorrot portant sur les ateliers de négociation graphique. Ce dispositif cherche à rendre compte de l’efficacité de grilles de relecture après une dictée, et il est mené auprès de trois groupes d’élèves, issus de classes du cours élémentaire. Un des groupes ne bénéficie d’aucune grille de relecture, le deuxième groupe procède à la relecture en utilisant une grille imposée dans des évaluations nationales, enfin, le troisième groupe utilise une grille de relecture créée lors d’échanges au sein du groupe avec l’enseignant. Pour le groupe 3, les élèves échangent et confrontent leurs stratégies, cela dans le but de dépasser les représentations des élèves qui font obstacle à leur apprentissage. Christine Tallet fait le constat, en analysant les résultats de cette recherche, que les élèves ayant bénéficié d’une grille de relecture déjà proposée n’en tirent pas de bénéfice particulier. A l’inverse, les élèves du groupe 3, ayant bénéficié d’activités métalinguistiques et d’échanges pour réfléchir à une grille de correction, montrent de nets progrès. Leurs erreurs sont moins nombreuses, et surtout, leur raisonnement fait appel à une analyse syntaxique leur permettant de justifier correctement l’orthographe proposée. Ainsi, « pour que la grille de relecture soit un véritable outil méthodologique qui apporte un savoir-faire, il est indispensable qu’elle ait été construite par l’élève. »
L’exemple du tri de mots en CE2
La banque de séquences didactiques du réseau Canopé présente des ressources pour réaliser un tri de mots selon leur nature en classe de CE2, et propose notamment deux modules.
Le premier module intitulé « Des tris individuels au tri négocié » a pour objectifs de « développer la vigilance métalinguistique des élèves grâce à « des activités de manipulations de phrases, de tris, de classements (…) », d’identifier les principaux constituants d’une phrase simple en les répartissant en classes de mots : noms, verbes, déterminants, adjectifs, pronoms, mots invariables », et enfin de « rendre conscience des stratégies et procédures à mettre en œuvre pour justifier ses choix : identifier les propriétés d’une classe de mots, commuter des unités. »
Ce premier module présente une séance en deux phases. Chaque élève a précédemment trié les mots d’une phrase selon sa classe grammaticale. Dans un premier temps, au sein d’un groupe de trois élèves, chaque élève expose le tri individuel qu’il a effectué précédemment, puis dans un second temps, ils procèdent à un tri commun. Ce tri se présente sous la forme d’un tableau en colonnes, chaque colonne doit présenter une phrase expliquant et justifiant pourquoi les mots sont dans cette colonne. Les intitulés des colonnes sont ainsi « déterminants », « verbes », « noms », « adjectifs »… Il y a également une colonne « je ne sais pas » lorsque les élèves ne savent pas justifier le placement d’un mot. Quelques critères de justification donnés par les élèves sont par exemple présentés dans la vidéo ressource : « le déterminant va dans cette colonne parce que ça va avec le nom », « le verbe ici parce qu’on peut dire ‘ ne gobe pas ‘».
Les mots sont découpés et les élèves les collent dans la colonne correspondante.
Morgane Beaumanoir-Secq, professeure agrégée en lettres modernes, propose un commentaire de ces activités de tris. Elle explique ainsi qu’il faut se méfier des procédures déclarées par les élèves, car elles comprennent toujours un écart entre ce que l’élève dit faire, et ce qu’il fait vraiment. Par exemple, un élève déclare que le déterminant est placé devant le nom, puis classe ensuite le pronom « on » dans la colonne des déterminants. La procédure qu’il déclare est correcte, mais il ne l’applique pas correctement. Cependant, cet écart peut être une première étape sur un tri de mots, petit à petit, l’élève va finir par réaliser correctement cette procédure.
Elle attire l’attention sur le fait qu’il faut souvent multiplier les procédures pour s’assurer d’un classement, car ces procédures, utilisées de façon singulière, peuvent parfois induire en erreur et s’opposer. Par exemple, utiliser la procédure qui indique que le verbe est une action, ne suffit pas pour classer un mot dans la catégorie des verbes. Il faut employer d’autres procédures comme l’encadrer par « ne…pas », le remplacer par un autre verbe (substitution), le modifier…
La progression des élèves se mesure ainsi par leur capacité à multiplier ces procédures.
La posture enseignante
A propos de la démarche active de découverte développée dans l’ouvrage Classes et fonctions grammaticales au quotidien, les auteurs expliquent que l’enseignant doit, avant tout, maîtriser le sujet abordé, afin de pouvoir accueillir toutes les remarques des élèves, mais également, accepter d’aborder une séance sans en connaître le déroulement exact puisqu’elle dépendra des réflexions des élèves. Il doit se préparer à pouvoir ajouter ou enlever des exemples au cours de la séance en fonction des réussites et difficultés des élèves. Il doit adopter au cours de la séance une posture de guide, restant en retrait pour laisser place à la progression de la réflexion des élèves, et s’y adapter. Ainsi, le cours d’une séance peut tout à fait prendre une tournure différente en fonction des remarques qui émergent.
Dans son commentaire à propos des séances de tris au CE2, proposées par le réseau Canopé, Morgane Beaumanoir-Secq donne des pistes sur la posture enseignante à adopter. Dans les activités de tri, l’enseignant doit se mettre en retrait et laisser les élèves réfléchir par eux mêmes. Il s’agit de poser des questions ouvertes à l’élève afin de lui permettre d’aller au bout de son raisonnement, en lui demandant essentiellement comment et pourquoi il réalise cette opération. Elle explique que lorsque l’on demande à un élève de trier des mots d’une phrase, qui sont alors sous forme d’étiquettes, les mots deviennent des objets, facilement décontextualisés de la phrase initiale pour les élèves. Cela est alors source de difficultés et d’erreurs puisque plusieurs mots de la langue française ne peuvent être identifiés comme appartenant à une classe grammaticale s’ils sont décontextualisés. Il faut donc concevoir la phrase comme étant une contrainte obligatoire qu’il ne faut pas oublier. C’est un exercice difficile pour les élèves, qu’il faut faciliter, en affichant par exemple le plus possible la phrase étudiée. Dans la séquence proposée par Marjorie Kéraudy-Père, professeure des écoles et maître formatrice, cette enseignante insiste auprès des élèves pour que ceux-ci se réfèrent à la phrase initiale, en l’affichant au tableau, et en l’écrivant sur les feuilles de tri de chaque élève. Le rôle primordial de l’enseignant est donc de renvoyer l’élève au texte.
Application en classe de CE2
Après cette partie théorique, l’objectif de la présentation suivante est de proposer une séquence pour la classe de CE2, articulée en deux phases : une première partie qui permettra d’aborder l’adjectif qualificatif par une démarche de découverte active, puis une seconde, qui permettra de mettre en application ces nouvelles connaissances, en lien avec les compétences acquises au cours de l’année, pour un exercice de tri de mots selon la classe grammaticale.
L’objectif sera alors d’évaluer l’impact d’une démarche de manipulation sur les compétences et la motivation des élèves.
Des choix correspondants aux élèves
En troisième période de l’année, nous avons réalisé une première expérience de tri de mots lors d’une séance de vocabulaire, à propos des synonymes. Chaque élève a reçu un mot écrit sur une étiquette, et nous avons procédé à une catégorisation.
Je n’ai pas précisé en début de séance que celle-ci portait sur les synonymes, car je voulais observer le classement qui serait proposé spontanément par les élèves. Chaque élève a donc lu son mot, un premier élève est venu l’afficher au tableau. Ensuite, chacun est venu afficher son étiquette, en lisant à chaque fois le mot écrit à voix haute, et en justifiant pourquoi, soit, il le mettait dans une colonne déjà créée, soit, pourquoi il en créait une nouvelle.
Le premier classement que nous avons alors obtenu proposait une catégorie comprenant les verbes, une seconde avec les adjectifs et enfin une troisième avec les adverbes. Lorsque j’ai interrogé les élèves à la fin de ce tri en leur demandant s’ils étaient tous d’accord avec cette proposition, certains ont répondu par la négative en expliquant qu’ils avaient commencé à trier par synonymes. Je leur ai alors demandé d’expliciter cette possibilité et de la mettre en pratique en réajustant le tri au tableau. Après cette phase de révision, l’unanimité a gagné la classe, les élèves reconnaissant que ce tri était plus cohérent.
Lors de cette séance de tri de mots, nous avons donc procédé à un classement des mots entre synonymes. J’ai pu observer que sans indications de ma part, les élèves étaient plein de ressources et d’idées pour proposer un classement, auquel je n’avais moi-même pas pensé. Par ailleurs, mon appréhension à l’approche de cette séance était notable, ne sachant pas quelles seraient les propositions des élèves. J’ai pu constater que l’exercice, s’avérant difficile pour moi car ne maitrisant pas toutes les données de la séance, s’est révélé pour les élèves être d’une grande richesse. Leur intérêt et leur implication ont été grands, et j’ai pu noter leur plaisir à chercher tous ensemble un tri cohérent qui satisfasse tous les élèves.
Cette première expérience, déjà positive en termes de motivation pour les élèves, aurait pu être améliorée. Nous n’avons par exemple, à la lumière des recherches précédentes, pas relever les critères essentiels de la catégorisation réalisée. La séance était axée sur une observation et une recherche collective, et il est probable que certains élèves n’aient pas eu le temps nécessaire pour imaginer un tri possible. Une phase de tri individuelle leur aurait probablement été bénéfique.
C’est sur cette première expérience de tri de mots, et sur le ressenti des élèves après un premier exercice de manipulation, ainsi que sur les nombreuses recherches liées à la manipulation en grammaire, que je me suis appuyée pour penser la séquence suivante, portant sur les adjectifs qualificatifs. Notons que nous traiterons dans cette séquence seulement des adjectifs qualificatifs épithètes, dans un premier temps.
A la suite des lectures précédentes, quelques éléments essentiels semblent se dégager pour construire une séquence articulée autour de la manipulation.
Une proposition pédagogique : les adjectifs qualificatifs
Pour ce travail sur la classe grammaticale de l’adjectif qualificatif, j’ai choisi de retenir quatre critères qui permettront aux élèves de catégoriser cette notion. Deux de ces quatre critères reviennent souvent dans les propositions des manuels, on les retrouve notamment dans les ouvrages Le petit laboratoire de grammaire ou Classes et fonctions grammaticales au quotidien que nous avons évoqués précédemment. Ils fixent que l’adjectif précise le nom, et qu’il s’accorde en genre et en nombre avec le nom qu’il qualifie. Le troisième critère consiste à affirmer que dans une phrase, un adjectif peut être remplacé par un autre adjectif. Enfin, au regard du profil des élèves de la classe dans laquelle j’effectue mon stage cette année, et afin d’éviter aux élèves des procédures trop automatiques, je pense intéressant d’ajouter un quatrième critère, celui de la possibilité de compléter un nom par un adjectif, et non l’obligation.
En effet, certains élèves de la classe auraient probablement tendance à chercher systématiquement un adjectif qualificatif dans les phrases sur lesquelles ils travailleront, ce qui pourrait les bloquer ou les induire en erreur dès lors qu’un énoncé ne présenterait pas d’adjectifs qualificatifs. Je pense donc important, à ce niveau, de leur faire remarquer que ce n’est pas un élément nécessairement obligatoire. Cependant, c’est un critère qui pourra évoluer au cours des séances de tri de mots, avec la découverte notamment des adjectifs attributs, qui ne pourront pas être supprimés.
Cette séquence présente plusieurs phases. Certaines ont pu être testées pendant la période de confinement, de façon très aménagée, au vu des conditions difficiles de classe à la maison pour certains élèves. D’autres phases sont explicitées, de sorte qu’elles pourront peut-être par la suite être mises en place dans une classe.
Les critères de l’adjectif qualificatif
Le tableau suivant mentionne les principales étapes de la première phase de travail sur les critères de l’adjectif qualificatif.
Conclusion
Ce travail avait pour objectif de réfléchir à une démarche d’enseignement de la grammaire permettant de répondre à un constat observé en classe : un manque d’intérêt et une approche trop abstraite des notions de grammaire pour les élèves. Toutes les propositions envisagées n’ont pas pu, au regard du contexte actuel, être mises en place. Cependant, elles m’ont permis de mesurer l’écart entre ma pratique et ce qui était recommandé pour favoriser l’apprentissage des notions chez les élèves. Les activités de tri d’énoncés, ou les opérations qui visent à manipuler les énoncés dans l’étude de la langue, permettent aux élèves d’adopter, petit à petit, une posture métalinguistique, et par conséquent, favorisent la compréhension des notions étudiées. Par ailleurs, j’ai pu constater lors d’une séance de tri de mots, que l’intérêt des élèves était davantage présent lorsqu’ils étaient en position de recherche, ce qui m’encourage à mettre en place plus largement ce type de séances.
Au vu des bénéfices attendus des activités de manipulation selon les différentes démarches proposées par les auteurs, il me semble essentiel de proposer ce type d’apprentissage aux élèves. Même si la mise en place de telles séances place parfois l’enseignant dans une position inconfortable, car il ne maitrise pas toutes les données du déroulement de la séance, j’ai pu constater en classe, que c’est une démarche véritablement source de richesse et de motivation pour les élèves. Ce travail me permet de prendre conscience de l’importance de ne pas rester dans un enseignement trop confortable, mais au contraire, d’être prête à tenter de nouvelles pistes pédagogiques plus efficientes pour les élèves.
Enfin, ce travail de recherche a également révélé l’importance de la formation continue.
Ces dernières décennies, la grammaire a évolué, et l’on peut constater, même au sein des programmes scolaires, que c’est une discipline en évolution. Les articles recommandant telle ou telle démarche d’enseignement sont nombreux, et témoignent de la nécessité de renouveler continuellement sa pratique et ses connaissances.
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Table des matières
I. Introduction
II. Fondements théoriques
1) Qu’est-ce que la grammaire ?
a) Définition et finalités
b) Une discipline en évolution
c) Grammaire de phrase ou grammaire de texte
2) Grammaire et manipulation
a) Les opérations linguistiques de base
b) Adopter une posture métalinguistique
c) La posture enseignante
III. Application en classe de CE2
1) Des choix correspondants aux élèves
2) Une proposition pédagogique : les adjectifs qualificatifs
a) Les critères de l’adjectif qualificatif
b) Le tri de mots pour travailler les classes grammaticales
3) L’évaluation de la démarche
IV. Conclusion
Bibliographie
Annexes
Résumés (français et anglais)
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