Notions Introductives
Le sport comme objet de sociologie
La sociologie a longtemps été « muette » au sujet du sport, qui, dans son sens le plus large, devient objet de sociologie à partir des années 1960. En effet, avant la Seconde Guerre mondiale, des travaux précurseurs de recherche sur le sport apparaissent indépendamment les uns des autres. Sans aucune structuration ni aucun courant de pensée, ils n’ont pas pour ambition de faire émerger une sociologie du sport reconnue dans les milieux universitaires.
Les travaux de J. Strutt sur l’histoire du sport et de T. Veblen sur la sociologie des loisirs sont les premiers à envisager le sport comme un objet scientifique.
Dans les années 1960, le sport se construit comme un nouvel axe de recherche en sociologie, dans un contexte de bouleversement du rapport au corps, de transformation sociale de l’identité et de la mobilisation collectives. En effet, une libération du corps, un changement des critères de beauté et le début d’une pensée du bien-être du corps encouragent l’éducation sportive et le sport comme loisir. Dans le même temps, l’essor de la télévision remplacent la presse écrite alors que le début du sport de haut niveau, particulièrement du football, transforment le sport en spectacle national. La sociologie du sport apparaît dans un contexte mondial d’expansion et de structuration du sport après la Seconde Guerre mondiale où s’institutionnalisent les fédérations, la médiatisation du sport et les compétitions internationales, toutes déjà présentes avant la guerre, mais redéfinies dans ce nouveau contexte.
L’« espace de débat avec des productions régulières, des organisations scientifiques et des revues » ayant pour objet le sport en lui-même se crée et permet l’élaboration d’une sociologie du sport dans la recherche scientifique. « Dès les origines, la sociologie du sport ne se présente pas comme un espace uniforme et se caractérise déjà par une grande diversité des approches » , en plus d’être influencée par d’autres champs de la sociologie. Les premiers travaux sont très empiriques alors que se constitue parallèlement une nouvelle discipline universitaire : l’éducation sportive. L’analyse d’une culture populaire et l’approche éducative forment les deux prismes privilégiés de la recherche sur le sport en Europe de l’Ouest et aux Etats-Unis. Le bloc de l’Est, lui, s’intéresse à cette question par le biais de la culture physique, dans une perspective fonctionnaliste capable de justifier les choix politiques et militaires des dirigeants. Enfin, dès la formation du champ de la sociologie du sport, le clivage entre analyses qualitatives et quantitatives se forme. Les approches néo-marxistes, qui tentent de remettre en question le capitalisme dans le sport, dominent les années 1980 et laissent place à une sociologie de la post-modernité dans les années 1990. Le sport devient le terrain de travaux sur les minorités raciales ou sur le genre et le féminisme, analysés à partir du sport, notamment en Amérique du Nord.
Le sport se constitue aussi comme objet de la sociologie historique. Celle-ci cherche à comprendre la genèse des sports modernes, leur capacité à légitimer des institutions ainsi que la diffusion des sports et de la culture sportive dans le monde et dans des aires culturelles différentes. D’autres études s’intéressent à la formation de la règle dans le cadre de la pratique sportive ou à la formation des comportements légitimes, valorisés ou déviants sur les terrains. La dimension collective et la capacité de mobilisation du sport, pour les pratiquants comme pour les supporters, tout comme l’analyse de la structuration sociale du sport complètent ce champ de la recherche sociologique.
Aujourd’hui, de nombreuses études portent également sur les caractéristiques et les enjeux des supporters ainsi que sur la trajectoire des sportifs de haut niveau. La question de la médiatisation inégale des sports et des personnalités, ainsi que le rapport à l’argent et à la célébrité font l’objet de nouvelles études, notamment pour Stéphane Beaud qui analyse les trajectoires des joueurs de football de l’Équipe de France en 2010 et leur rapport au média après la grève en Coupe du Monde . Le champ du sport s’ouvre aussi à des thématiques portant sur la violence, le dopage, la notion de bien-être ainsi que l’immigration ou les discriminations.
Le sport comme signe de puissance et de virilité
L’apparition du sport se fonde sur l’affrontement entre deux individus ou deux groupes d’individus. Si la volonté de se dépasser personnellement est parfois au cœur de la motivation des pratiquants, l’interaction entre individus est nécessaire, que ce soit dans l’opposition ou dans l’entraide. Le sport se distingue de la simple activité physique dans la mesure où il apparaît comme une action sociale à la portée symbolique forte. En effet, le champ sportif s’est construit comme la démonstration de la puissance et de la force du corps. Le sport est, selon Pierre Bourdieu, un espace d’expression de la domination d’une classe sociale et de formation d’une opposition qui s’appuie sur des antagonismes déjà existants, dont la distinction entre masculin et féminin. Le sport, comme outil de domination et de reconnaissance, est associé à la virilité, c’est-à-dire à ce « devoir-être [des hommes] […] qui s’impose sur le mode du « cela va de soi”, sans discussion » . Cette notion de virilité se définit alors comme l’ensemble des comportements chargés d’exprimer et de souligner la masculinité d’un individu dans la sphère publique. Elle est produite en opposition de toutes formes de féminité, dans un souci de domination pour P. Bourdieu. La comparaison entre les vertus sportives et les vertus militaires montre la valeur symbolique du sport comme capacité à former l’honneur et la distinction de certains hommes. Le sport, comme affirmation d’une virilité, est le signe d’une puissance symbolique exprimée par le corps.
Si la masculinité et la féminité se distinguent selon un critère de capacité à se reproduire et/ou à porter un enfant , cette différence de sexe est au fondement de la pensée traditionnelle. La masculinité apparaît comme un ensemble de comportements et de valeurs socialement construit, associé à ce qui fait l’homme alors que la virilité est l’expression de la domination et de la puissance de cette masculinité. A l’origine des catégories cognitives des individus, Françoise Héritier place la « valence différentielle des sexes » c’est-à-dire un « artefact [qui] exprime un rapport conceptuel orienté sinon toujours hiérarchique entre le masculin et le féminin traduisible en termes de poids, de temporalité, de valeurs » . Le sport est à l’origine pratiqué uniquement par des hommes, alors les activités physiques ou les jeux de plein air depuis les jeux de cour, sont pratiqués en guise de distraction par les femmes et les hommes. Ainsi, le sport est d’abord une pratique masculine, à laquelle sont associés des symboles d’affirmation de la masculinité et de la virilité. Aujourd’hui, de nombreux sports se sont ouverts aux femmes, certains sont même associés dans l’imaginaire collectif à la féminité. Mais ces sports sont souvent des sports artistiques, dont la puissance et la force sont masquées par la beauté et la grâce requises et valorisées.
Il est intéressant d’observer comment Pierre Bourdieu conclut son premier chapitre de La domination masculine. Il donne une dernière définition de la virilité comme « une notion éminemment relationnelle, construite devant et pour les autres hommes et contre la féminité, dans une sorte de peur du féminin, et d’abord de soi-même ».
Il met ainsi l’accent sur un aspect jusqu’alors peu évoqué, qui est la peur de ne pas être reconnu et associé au genre que l’on désire. Dans le cadre du football, les arguments réticents à la féminisation et à la pratique des femmes ont souvent fait écho à une possibilité de virilisation des femmes. Cet argument doit aussi être compris en négatif, comme la peur des hommes installés dans ce sport de perdre leur capacité à se définir comme des hommes, masculins et virils, face à l’entrée des femmes dans leurs espaces. Cette crainte peut apparaître comme un frein pour la féminisation comprise comme une remise en question de partage de l’espace social et de la symbolique associée à ce sport.
La modification de ce cadre de pensée où le football est un sport réservé aux hommes suit des trajectoires très différentes pour la pratique et l’encadrement. La pratique emploie les canaux de la médiatisation et la création d’un spectacle de haut niveau, capables de rassembler et de renforcer une identité nationale, alors que l’encadrement utilise la légitimité charismatique des femmes qui s’investissent localement dans des clubs amateurs. Nous reviendrons sur cette peur de la féminisation, qui se traduit aussi, de façon latente, comme une peur de la perte de la masculinité des hommes investis dans ce sport.
Cette réflexion sur la distiction femme/homme place le corps au cœur de l’enjeu de reconnaissance et de domination du sport. Pour Pierre Bourdieu, le champ sportif est un espace de « lutte pour la définition du corps légitime et de l’usage légitime du corps » . La modification des pratiques sportives provient également d’une transformation profonde du rapport au corps et de l’image du corps dans notre société. L’idée de préserver une santé du corps apparaît avec le mouvement hygiéniste à la fin du XIX e siècle en France. La préservation d’un capital corporel élevé entre alors dans les préoccupations globales et publiques des dirigeants français et européens. Cependant, elle concerne plutôt l’hygiène, la santé au travail et l’environnement de vie. À partir des années 1960, le corps devient un objet de paraître, parfois même de culte, imposant des codes très stricts, par exemple en termes de minceur des femmes. Un public féminin se développe rapidement dans différents sports, notamment l’aérobie, fer de lance d’une génération qui prône un nouveau rapport au corps. À partir des années 1990, revient en force l’idée de bien-être et le corps devient le lieu de son expression. Le sport est alors perçu comme un loisir, bon pour le corps et pour l’esprit. La modification du rapport au corps des individus, particulièrement des femmes après la Seconde Guerre mondiale, a encouragé la pratique féminine des sports, qui se sont petit à petit ouverts à ce nouveau public. Seuls quelques sports particulièrement réfractaires à la venue des femmes n’ont pas suivi ce chemin, et le football en fait partie. Il ne s’est officiellement ouvert aux femmes qu’en 1970, sans grands espoirs de développement de cette branche à l’époque. Les sports de combat, le cyclisme et le rugby complètent la liste des sports dont la féminisation ne s’est pas faite « naturellement » , mais où un frein social a impliqué la nécessité d’une intervention politique. En effet, ces sports sont connotés comme particulièrement « virils » , au sens bourdieusien du terme.
L’activité physique, depuis les cirques romains et les mythes grecs, a toujours été présente dans l’occupation des populations, bien que ce ne soit que très récemment que cette pratique physique soit devenue un loisir effectué hors du temps de travail. La constitution du sport comme exercice physique codifié et régulé est bien plus récente et n’apparaît qu’à la fin du XIX e siècle. Appréhendé comme un système d’offre de pratique, de spectacle et de demande sociale, le sport forme, selon Pierre Bourdieu dans Comment peut-on être sportif ?, un « champ de concurrence », c’est à dire un champ « dans lequel s’affrontent des agents ayants des intérêts spécifiques liés à la position qu’ils y occupent » . La constitution de ce champ transforme la simple activité physique, le « jeu rituel ou [le] divertissement festif » en sport. L’abandon de ces pratiques et la constitution du sport se sont faits via la création d’enjeux, de codes, de compétences et d’une culture spécifique qui encadrent l’activité physique. L’activité sportive n’est plus uniquement l’utilisation du corps et du mouvement, mais bien le fait de donner du sens à l’activité physique en l’inscrivant dans cet ensemble de codes et d’enjeux. C’est par la constitution d’un « espace » socialement distingué que le simple jeu devient un sport. Ce passage du jeu au sport s’est opéré au sein des grandes écoles britanniques, dans lesquelles se formaient l’aristocratie et la grande bourgeoisie anglaise, et qui mettaient l’accent sur l’enseignement d’un exercice corporel régulier, en complémentarité d’un enseignement traditionnel. Ainsi, le basculement s’opère lorsque le jeu prend une fonction symbolique. Le champ du sport s’autonomise grâce à l’élaboration et la diffusion de règles communes entre les établissements puis entre les régions. Jacques Defrance définit le sport comme un lieu d’affrontement symbolique entre les groupes, et confère au sport des « fonctions symboliques » fondées sur sa capacité à façonner des identités collectives et des imaginaires sociaux communs. Cette activité est souvent perçue comme désintéressée et sans enjeux autres que sportifs par les pratiquants. Pierre Bourdieu refuse cette conception et en fait « l’affirmation des vertus viriles des futurs chefs : le sport est conçu comme une école de courage et de virilité, capable de « former le caractère” et d’inculquer la volonté de vaincre […] mais une volonté de vaincre selon les règles » . Le sport devient alors légitime dans l’éducation aristocrate en se dotant d’une dimension morale. La pratique sportive permet, à l’époque, la valorisation d’un « capital spécifique », outil de distinction dans la société bourgeoise en formation et outil de légitimation et de reproduction d’une hiérarchie symbolique à l’intérieur de cette classe sociale. Les sports, particulièrement le football et le rugby, se diffusent ensuite tant géographiquement que socialement; Géographiquement, d’abord, dans les autres établissements puis dans le restes du pays, ce qui permet les premières rencontres et affrontements entre écoles. Socialement, ensuite, dans les couches plus populaires de l’Angleterre de la fin du XIXe . La concomitance des deux favorise son exportation dans les colonies britanniques et en Europe, puis, dans un second temps, dans le reste du monde. Le football devient alors un sport de plus en plus « populaire », au sens d’une production de masse d’un bien culturel, tant lorsqu’il est une pratique que lorsqu’il est un spectacle.
Cependant, l’étude sociologique du sport ne peut se limiter à une analyse bourdieusienne d’un espace de domination et de lutte sociale. En effet, le sport est aussi un laboratoire qui permet de comprendre les groupes et les sociétés comme systèmes relationnels. C’est une façon d’analyser les interactions d’un monde social entré dans un processus de civilisation. La thèse de Norbert Elias et Éric Dunning, développée dans Sport et Civilisation , refuse l’idée de domination et de reproduction d’un pouvoir symbolique de classes, pour expliquer la formation du sport. Elle préfère justifier la genèse du sport en l’inscrivant dans le processus de civilisation que connaissent les sociétés occidentales. Celuici se définit comme l’évolution des structures psychiques vers l’autocontrainte, en corrélation avec une rationalisation des mœurs et des sociétés. Selon eux, le sport moderne entre dans ce processus, qu’il alimente et affecte en retour, et forme un catalyseur de la violence. Le sport moderne tel qu’il apparaît dans l’Angleterre bourgeoise du XIX e , permet une pacification sociale et politique et un équilibre des tensions. En effet, le sport devient le lieu de l’expression de ces luttes sociales, n’ayant plus besoin de la violence pour exister. De plus, il se caractérise par un univers de règles prescrites et d’institutions qui déterminent les comportements et les pratiques autorisés. De ce fait, cette activité oblige les individus à s’autocontrôler. Elias rompt avec la sociologie de T. Veblen qui voyait dans le sport un loisir archaïque et résistant à la civilisation. Ainsi, le sport, perçu comme source de plaisir, y compris dans la compétition, est considéré comme une « libération contrôlée des pulsions » qui permet la pacification des luttes sociales. Elias fait d’ailleurs un parallèle entre la création du sport et celle du régime parlementaire en Angleterre, qui ont lieu au même moment, sans pour autant que la sociologie soit capable d’établir une causalité ou une influence mutuelle.
Ces deux phénomènes sont révélateurs d’un même changement des structures et des légitimités du pouvoir, dans un processus de rationalisation et de routinisation wébérien. Ils sont perçus comme des « poussées civilisatrices » dans un processus de civilisation débutant dans les cours européennes de la fin du XVIIe siècle. La sociologie du sport est relancée par cette nouvelle thèse qui abandonne les conceptions statiques et fonctionnalistes du sport.
Enfin, à l’inverse de Pierre Bourdieu, Norbert Elias et Éric Dunning analysent la violence du sport non pas comme une marque d’enjeux de lutte ou de domination symbolique, mais comme une carence de l’autocontrôle. L’institutionnalisation du sport devient l’un des leviers de tempérance de la violence présente jusque-là dans les sociétés occidentales. En plus d’une uniformisation des pratiques, le sport moderne se construit à partir de la monopolisation d’un centre qui est désormais le seul à avoir le droit de d’énoncer les règles et les bonnes pratiques de son sport.
Leur analyse permet de comprendre comment le football se forme, tel un espace de contraintes et d’autocontraintes, qui ne peut être uniquement compris comme une lutte symbolique. D’ailleurs, Elias insiste sur le fait qu’aucune fonction rituelle ni aucune finalité festive n’est portée dans le sport moderne, dans la mesure où celui-ci se fonde sur une égalité temporaire entre les joueurs, pendant la pratique. La différenciation se fait par l’usage des corps, en adéquation avec les règles énoncées, et non en fonction d’un statut social ou d’une classe. Les prémices de la mixité dans le sport sont peut-être à chercher dans cette analyse.
Ainsi, le processus de civilisation, comme évolution perpétuelle des contraintes et des autocontraintes d’une société, pourrait alors expliquer la recherche actuelle de mixité, comme garant d’une égalité non plus de classe mais de genre.
Le sport comme enjeu et espace politique
Le lien entre le champ politique et celui du sport fluctue selon les époques. Le sport a toujours servi des intentions politiques « à des fins militaires, éducatives, d’intégration sociale ou d’insertion professionnelle, mais également comme fer de lance d’une compétition entre nations » . En effet, la particularité du sport, et particulièrement du football, est d’avoir été l’objet ou le vecteur de politiques publiques. Il est également un phénomène social d’une ampleur suffisante pour intéresser, voire bousculer le champ politique. Au niveau local, le football – et le sport de manière générale – est utilisé comme facteur d’intégration et de cohésion sociale. La vigilance des mairies à s’assurer la pérennité de l’offre sportive sur leur territoire souligne l’importance de ces associations dans la politique locale. Au niveau national, le football est facteur de cohésion, de patriotisme, voire de nationalisme parfois. Il est l’un des derniers lieux de l’expression d’une nation, d’une ferveur nationale et d’une identité commune, particulièrement pendant les grandes compétitions mondiales. Enfin au niveau international, le football est un enjeu de soft power entre les nations. Il participe également à l’image et à la publicité d’un territoire. C’est pourquoi, la Chine, absente de tous les grands événements de football , souhaite rattraper son retard. Son Président, Xi Jinping, a lancé un plan de développement du football fondé sur la jeunesse et la fo rmation.
L’investissement de l’État, qui s’est engagé à construire près de 60 000 terrains dans tout le pays, s’inscrit dans une ambition de puissance sur la scène mondiale, dans un pays où la culture du football peine à s’implanter et où la Fédération ne comptait que 137 000 licenciés en 2014. Désormais, le football est un lieu de pouvoir à toutes les échelles et il apparaît comme un moyen d’instrumentalisation des groupes sociaux. La création d’une identité collective est particulièrement forte, tant dans la pratique que dans le football-spectacle du monde professionnel médiatisé. Il participe aussi à la création de la notion de territoire. En effet, il permet de prendre conscience des limites d’un territoire, de ce qui en fait parti et de ce qui en est exclu. Le football, qu’il soit amateur ou professionnel, endosse des enjeux politiques, sociaux, culturels et symboliques forts, qui encouragent le champ politique à en faire l’objet ou le vecteur de politiques publiques.
La fonction politique du football n’est pas apparue avec la télédiffusion massive des matchs de haut niveau, expression la plus manifeste aujourd’hui. En effet, dès l’entre-deuxguerres, période de constitution des clubs de football, les rivalités politiques entrent sur les terrains. L’étude de Fabien Archambault sur le calcio italien de cette époque, qui opposait les équipes catholiques aux équipes laïques ouvrières (au sens communiste du terme) montre l’instrumentalisation politique par le sport. Selon lui, le jeu de puissance et l’opposition publique qu’ont pris ces matchs et ces clubs, prouvent la dimension éminemment politique de ces rencontres sportives. Ces rivalités dépassent largement le cadre sportif puisque les clubs s’assurent de l’éducation et de l’encadrement de la jeunesse, et influencent l’organisation du travail local. Il résulte aujourd’hui de cette opposition plusieurs villes italiennes ayant deux clubs professionnels : Milan, Turin, Rome ; bien que cette rivalité politique des origines ait été dépassée par la médiatisation et l’internationalisation de ces équipes.
De même, le football a été plongé au cœur d’enjeux économiques, bien avant sa médiation planétaire et sa commercialisation. En effet, en France, de nombreux clubs ont été créés ou financés par des industriels ; et ce, dans le désir de fournir une occupation saine aux ouvriers, dans une période de massification de la pratique. Les premiers industriels qui misent sur le football apparaissent à la fin du XIXe . Une seconde vague apparaîtra dans l’entre-deux guerres comme, par exemple, Jean-Pierre Peugeot, industriel de l’automobile, qui créé en 1928 le FC Sochaux. Il sera un acteur majeur de la professionnalisation anticipée de cette équipe dès les années 1930. Dans les années 1970, avec la médiatisation du football, l’argument économique et l’argument politique du football se regroupent en un seul et même enjeu, dans la mesure où les deux ne peuvent être pensés indépendamment, particulièrement à l’échelle supranationale.
L’enjeu politique du football et son utilisation comme outil de politique publique sont particulièrement marqués lors de la victoire de la Coupe du Monde 1998 par l’Équipe de France, qualifiée à l’époque de « black, blanc, beur ». L’analyse de Stéphane Beaud montre comment cet événement sportif a joué un rôle majeur dans la politique et les discours relatifs à l’immigration en France. Cette victoire sportive marque un tournant dans la politique d’immigration et d’intégration du pays. Elle a été la source et la justification de politique en faveur d’une diversité culturelle. Le clivage politique constitué entre l’extrême-droite et les autres groupes politiques réunis dans l’osmose de la victoire modélise ce tournant. L’”effet Coupe du Monde” réunit un apaisement social et une ferveur populaire soutenant une diversité culturelle, ainsi qu’un pic de natalité et une relance de l’économie du pays. À partir de cette date, le football entre complètement dans le champ politique et n’en ressortira plus, y compris lorsque les résultats de l’Équipe de France seront bien moins bons, en 2002 et 2010.
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Table des matières
Remerciements
De la genèse d’une recherche
Introduction
Notions introductives
A. Le sport comme objet de sociologie
a. Le sport comme signe de puissance et de virilité
b. Le sport comme enjeu et espace politique
c. Sortir des stéréotypes : l’émergence du sport féminin
B. Le fonctionnement des institutions du football amateur en France
a. Des institutions supranationales et nationales
b. Deux échelons intermédiaires : la Ligue et le District
c. Le maillage local des clubs
d. Les autres acteurs politiques influents
C. Qu’est-ce que la féminisation du football ? Entre chiffres et normes
a. Une question de nombre ? Penser la féminisation comme donnée statistique
b. Les chiffres de la féminisation de la Ligue Auvergne-Rhône-Alpes
c. La dynamique de la féminisation : de la promotion à l’intégration
d. Sortir du schéma d’exceptionnalité vers la norme
D. Méthodologie
a. Le terrain de l’étude
b. Analyser les discours de la politique de féminisation
c. Analyser les statistiques
d. Analyser les trajectoires
Partie I : L’institutionnalisation et l’intégration des femmes dans le football
A. Comprendre la place des femmes dans la pratique et dans l’encadrement
a. Histoire du football féminin : entre interdiction et vivotage
b. Une nouvelle visibilité, source de légitimité, portée par la médiatisation de quelques équipes
i. Une visibilité difficile mais engagée
ii. Le pari de la formation
iii. De la charge à la recette : le nouveau statut de l’Équipe de France
c. Le football, un sport d’homme ? Comparaison mondiale des pratiques
B. Un plan fédéral : entre sincérité et nécessité, entre féminisation et mixité
a. Une lente institutionnalisation de la féminisation : comment la féminisation devient une priorité pour la Fédération
b. L’analyse des discours : entre sincérité et mise en œuvre
c. Réflexion sur le décloisonnement : entre féminisation et mixité
C. La Ligue comme acteur privilégié de la féminisation
a. Une féminisation « naturelle » ?
b. « Mesdames, Franchissez la Barrière » dans la Ligue
Partie II : Comprendre la féminisation bottom-up : Etude de trajectoire de femmes Présidentes de clubs de la région
A. L’investissement des femmes dans le football : la force de l’attachement familial
a. Le profil statistique des présidentes de clubs
b. La famille comme porte d’entrée dans les clubs
c. Une volonté de s’investir dans le monde associatif et de se mettre au service des jeunes
d. Et la passion du jeu ? : une tâche pas uniquement administrative
B. Faire sa place dans un sport d’homme : appréhender les codes, changer les codes
a. Découvrir un nouveau monde
b. Se confronter aux hommes et s’intégrer dans un club
C. La dimension éducative du football : les femmes comme atout pour la « sensibilité » et de l’ « éducation »
a. L’espoir d’une nouvelle image du football par les femmes
b. L’intérêt des femmes présidentes pour les questions de citoyenneté et
d’éducation
D. La perception de la politique de féminisation par les femmes déjà investies dans le football amateur
a. La différence des espaces dans la perception de leur intégration : la distinction entre le club et le reste du football
b. Les difficultés de la féminisation bottom-up
c. Quand les présidentes questionnent la politique de féminisation
Conclusion
Annexes
Glossaire
Bibliographie
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