Qu’est-ce que concevoir un avion ?
Processus de conception et de développement d’un avion
Ce processus est mis en œuvre chaque fois qu’un nouvel avion est conçu et développé. Il est l’objet d’une littérature abondante où l’on retrouve des ouvrages tels que ceux de Roskam[176], Torenbeek [201], Raymer [172], Anderson [19], Stinton [195], Sforza [191], Jenkinson et Marchman [111], Nicolai et al. [150], Loftin [130], et Sadraey [183]). L’avion peut avant tout être considéré comme un système complexe composé de plusieurs sous-systèmes eux-mêmes complexes. Les compétences techniques nécessaires à la conception d’un avion sont nombreuses (aérodynamique, structure, automatique, thermique, mécanique, informatique, interface humain/système, etc. ) et le processus de conception doit les coordonner pour finalement obtenir un avion unique, cohérent, optimisé, répondant aux attentes des futurs clients et adapté au monde opérationnel dans lequel il s’intègrera et sera exploité. Généralement, ce processus se décompose en cinq phases principales :
1. la phase d’étude de marché et de faisabilité,
2. la phase de conception préliminaire,
3. la phase de conception détaillée,
4. la phase de production,
5. la phase de test et de certification.
Le passage d’une phase à la suivante peut être marqué par un jalon particulier comme la revue de conception préliminaire ou la revue de conception détaillée pour clôturer les phases du même nom. En pratique, toutes les transitions d’une phase à la suivante sont progressives car la définition de tous les composants n’avance pas à la même vitesse. De plus, les transitions donnent lieu à des itérations. Par exemple, la phase de production commence petit à petit avec la mise en place des moyens industriels nécessaires puis la fabrication des petites pièces et leur assemblage progressif vers des sous-ensembles de plus en plus grands puis vers l’avion complet. La phase de test et de certification se fait en parallèle de la phase de production. Les premières pièces sont testées et validées, puis leurs assemblages sont eux-mêmes testés et validés. Cette phase se termine par des tests portant sur de grandes parties de l’avion tels que les cellules d’essai statique et fatigue et l’Iron Bird. Enfin l’avion complet est testé au cours des essais en vol. Le point final du développement initial de l’avion est la délivrance du certificat de type par les autorités de certification et enfin la livraison puis l’entrée en service du premier avion.
C’est en outre un processus très long. La phase d’étude de marché et de faisabilité peut durer une dizaine d’années. À titre d’exemple, les premières études d’un très gros porteur chez Airbus remontent au début des années 1990 et elles ont débouché au début des années 2000 sur le lancement de l’A3XX qui deviendra l’A380. L’ensemble des phases suivantes jusqu’à l’entrée en service de l’avion sont planifiées sur cinq années et les retards éventuels peuvent porter leur durée totale à sept ou huit ans. Cependant, nous observons au cours de la dernière décennie une nette volonté de la part des constructeurs de réduire le temps de développement complet afin de réaliser des économies financières et d’être plus réactifs par rapport à l’évolution du marché et de la concurrence. Cette tendance s’illustre par le fait que le développement d’un avion est de plus en plus virtuel : les prototypes ont disparus et beaucoup d’essais en soufflerie et d’essais structuraux sont remplacés par des simulations numériques.
Le programme de conception et de développement est suivi par une phase opérationnelle qui peut durer plusieurs décennies. En effet, elle débute lorsque le premier avion entre en service et s’achève lorsque le dernier avion en opération est retiré du service. Par exemple, l’A300-B4, conçu au milieu des années 70, vole encore aujourd’hui dans sa version A300-600. Même si le programme de développement d’un nouveau type d’avion se termine quand la phase opérationnelle commence, de nombreux développements sont réalisés tout au long de la vie en exploitation de l’avion. En effet, des problèmes rencontrés en service ainsi que l’apparition de nouveaux besoins, de nouvelles technologies ou de nouvelles contraintes opérationnelles peuvent justifier et induire des évolutions et modifications dans le design de l’avion. Parmi elles, les remotorisations sont des évolutions significatives et sont souvent associées à des lots d’amélioration, le but étant de conduire à un gain de consommation de l’ordre de 10% à 15% à chaque fois.
Études de marché et de faisabilité / Études amont / Études avant-projet Tout commence par une analyse initiale qui intègre les 3 perspectives suivantes et qui peut durer plusieurs années :
— Une analyse du marché vise à définir les attentes des futurs clients. Compte tenu de la durée des programmes d’avion, elle doit considérer un horizon long terme d’au minimum une vingtaine d’année. Les principaux constructeurs d’avions comme Airbus, Boeing, Embraer et Bombardier, développent chaque année leur propre vision de l’évolution future des marchés sur une fenêtre glissante de 20 ans [11, 30, 32, 62]). Leurs analyses reposent sur des méthodes comparables où les croissances économiques mondiales et régionales apparaissent comme des paramètres clés affectant la demande de transport aérien. D’autres paramètres sont pris en compte comme le commerce mondial, le tourisme, le prix des carburant, la dynamique démographique, la concurrence entre les compagnies aériennes, la régulation du transport aérien ainsi que la concurrence avec d’autres modes de transport comme les trains à grandes vitesses. Dans ces analyses, l’efficacité et les capacités techniques des avions eux-mêmes ont un impact important.
— Une analyse de la réglementation applicable au futur avion définit les exigences de sécurité pour les passagers, et les personnes survolées, identifie aussi les contraintes environnementales à respecter pour assurer un développement durable du transport aérien et enfin précise les interfaces à considérer afin que l’avion soit compatible avec l’ATS. Les avions sont en effet amené à voler dans un environnement complexe, en n’importe quel point de la planète et pour une période de temps très longue (20 ans pour un avion donné et encore davantage pour un type d’avion). Suite à sa création en décembre 1944 par la Convention de l’Aviation Civile Internationale (plus communément appelée la Convention de Chicago [2]), l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) [100] vise à définir des standards mondiaux désignés par l’acronyme SARP (Standards and Recommended Practices) afin d’assurer un haut niveau de sécurité et de sûreté, un haut niveau d’exigence environnementale ainsi qu’une cohérence et une efficacité globale du transport aérien. Chaque pays a ensuite la responsabilité de retranscrire et préciser ces standards dans son propre système réglementaire ainsi que d’informer l’OACI des éventuelles déviations. Par exemple, pour ce qui est de la sécurité, des processus et des réglementations techniques pour la conception des avions de transport ont été développés aux États-Unis par la FAA (Federal Aviation Administration) et en Europe par l’EASA (European Aviation Safety Agency). Ce sont respectivement la FAR 25 (Federal Aviation Regulation Part 25 [67]) et la CS 25 (Certification Specifications 25 [58]). Même s’il existe quelques différences entre ces textes, ils sont aujourd’hui largement harmonisés. Les exigences qu’ils contiennent doivent être prises en compte très tôt dans la conception, quand il est encore temps de modifier l’architecture de l’avion. Par exemple, les exigences d’évacuation rapide des passagers en cas d’atterrissage d’urgence sont critiques pour l’aménagement cabine. Les exigences liées à l’éclatement des turbines moteur doivent être prises en compte pour choisir le positionnement des moteurs, ce qui impacte fortement la configuration générale de l’avion. Enfin, les exigences liées à la prévention du décrochage de l’avion en vol impactent la définition de la surface de référence de la voilure ainsi que des dispositifs hypersustentateurs qui équipent les ailes.
— Une analyse technologique vise d’abord à identifier les technologies prometteuses et à en estimer l’impact sur le design général de l’avion. Ensuite, elle suit et pilote leur maturation jusqu’au moment où les décisions technologiques doivent être prises. C’est une analyse coûteuse et risquée pour les constructeurs puisque l’argent investi dans cette recherche technologique peut se conclure par le constat que la technologie développée n’est pas adaptée au monde opérationnel ou bien, même si elle permet des progrès importants et est tout à fait adaptée, par le constat qu’une autre technologie concurrente est encore meilleure. Le processus de maturation des technologies a fait l’objet d’une standardisation par la NASA au travers de l’échelle des TRL (Technologie Readiness Level [134]). Au-delà de cet outil, cette analyse technologique requiert la mise en place chez les constructeurs de programmes de recherche ambitieux et structurés. Un élément très important à prendre en compte dans cette analyse technologique est la date anticipée d’entrée en service du futur avion. En effet, la maturation d’une nouvelle technologie est longue est une entrée en service à court terme nécessite de recourir à des technologies disponibles sur étagère.
Ces études préliminaires mènent à l’établissement d’un cahier des charges contenant l’ensemble des spécifications technologiques, opérationnelles et réglementaires désignées TLAR (Top Level Aircraft Requirements). Il est très important ici de prendre conscience de la capacité à se projeter dans l’avenir que nécessite l’élaboration d’un bon cahier des charges.
Phase de design conceptuel Les travaux présentés dans cette thèse se focalisent sur cette phase de design conceptuel. En effet, c’est la phase où le futur avion passe pour la première fois d’une liste de spécifications à une première estimation de sa masse et de sa forme. C’est là que le code génétique de l’avion prend naissance et se structure. C’est une étape clé où de nombreuses décisions fondamentales et majeures sont prises comme par exemple quelle sera la forme générale de l’avion (aussi appelée la configuration, l’arrangement, l’architecture de l’avion), mais aussi quelles seront la taille de la voilure et la puissance des moteurs. Les estimations de masses, de coût de production et de performances opérationnelles, ajoutées aux caractéristiques géométriques et propulsives constituent alors un cadre global à l’intérieur duquel sont établies les exigences de conception des composants et sous-composants de l’avion. Les phases suivantes de conception dépendent des résultats de cette phase de conception globale désignée OAD (Overall Airplane Design). Paradoxalement, c’est aussi le moment où l’on connaît le moins le futur avion. L’espace des possibles est à ce stade le plus étendu, et il est déjà nécessaire de l’explorer pour identifier les zones admissibles et identifier régions de l’espace de design qui contiennent les meilleurs solutions. Si cette dernière phrase semble décrire un processus d’optimisation mathématique, il faut souligner ici que c’est surtout un processus industriel qui se met en place et qui peut impliquer des équipes plus ou moins grandes. Ce sont ces hommes et femmes qui créent les modèles mathématiques pertinents et activent les algorithmes d’optimisation dont les résultats contribuent à prendre les bonnes décisions vis-à-vis du design de l’avion. Le recours aux outils mathématiques permet d’une part d’automatiser les processus de calcul pour accélérer les processus industriels mais aussi de bénéficier des progrès accomplis sur les méthodologies génériques d’optimisation qui accélèrent la convergence, améliorent l’exploration de l’espace de design et fournissent des sensibilités. Des travaux de recherche sont régulièrement menés pour faciliter la mise en place du processus d’optimisation mathématique en support au processus industriel [44, 74, 79, 202]. C’est par exemple la raison d’être du développement de la plateforme OpenMDAO [85] par la NASA, des outils développés par le DLR comme RCE [28, 29, 190] et de la plateforme MDO GEMSEO [75] (A Generic Engine for Multidisciplinary Scenarios, Exploration and Optimization) par l’Institut de Recherche Technologique (IRT) Saint-Exupéry. Cette dernière a été retenue par Airbus. Pour un déploiement industriel effectif, la formulation MDO doit être capable de refléter l’organisation industrielle du constructeur d’avion et . C’est aussi l’objet de travaux autour des approches d’ingénierie des systèmes basée sur les modèles (MBSE) [14, 31, 42, 69]. Phase de conception et de développement La phase de conception préliminaire puis celle de conception détaillée succèdent à la phase de design conceptuel. Lors de ces phases, la description de l’avion est progressivement raffinée jusqu’au plus petit détail comme le nombre, le positionnement et le diamètre de chaque rivet. Cet exemple associé aux structures ne doit pas faire oublier que de nombreux autres domaines techniques convergent pour mettre au point les lois de pilotage, les différents systèmes équipant l’avion ainsi que son harnais électrique (plus de 500 kilomètres de câbles et 100000 liaison dans un A380), les procédures de maintenance, les moyens de communication et de navigation mais aussi les processus de commercialisation, de production (interne et dans la chaîne de sous-traitance), de certification, de formation des équipages, etc. Le but n’est pas de faire une liste exhaustive mais d’illustrer l’ampleur d’un tel programme d’un point de vue industriel.
Le développement se poursuit avec la mise en production puis l’assemblage progressif des différentes pièces et composants de l’avion, la réalisation des essais de certification ou de validation, d’abord au sol puis enfin en vol. Le premier vol est une étape essentielle car c’est la vraie naissance de l’avion. Avant cela, il n’est encore qu’un véhicule roulant plutôt encombrant et cher. À cette occasion, il démontre véritablement sa capacité à voler. D’un point de vue contractuel vis-à-vis des clients et des partenaires industriels, c’est aussi une étape clé. Enfin, même si le design de l’avion évoluera encore au travers de nombreuses modifications, surtout les premières années, mais aussi tout au long de sa vie, l’obtention du certificat de navigabilité est la dernière étape clé avant la première livraison aux compagnies aériennes et son entrée en service.
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Table des matières
Introduction
1 Analyse de l’existant industriel et académique et état de l’art
1.1 Qu’est-ce que concevoir un avion ?
1.1.1 Processus de conception et de développement d’un avion
1.1.2 Rôle de l’architecte et des avant-projets
1.1.3 Conclusion
1.2 Qu’est-ce qu’opérer un avion ?
1.2.1 Présentation du système du transport aérien
1.2.2 L’avion en opération
1.2.3 Particularités du monde opérationnel
1.2.4 Conclusion
1.3 Pourquoi rapprocher les opérations de la conception ?
1.4 Analyse et optimisation multidisciplinaires de l’avion en lien avec les opérations
1.4.1 Problème d’optimisation
1.4.2 Architectures MDA et formulations MDO
1.4.3 Les opérations dans la conception avion
1.4.4 Conclusion
1.5 Bases de données opérationnelles et outils pour la conception avion
1.5.1 Bases de données opérationnelles
1.5.2 Outils pour le design conceptuel des avions
1.5.3 Conclusion
1.6 Quantification et propagation d’incertitude
1.6.1 Métamodèles
1.6.2 Analyse de sensibilité
1.6.3 Propagation d’incertitudes
1.6.4 Conclusion
1.7 Conclusion du chapitre
2 Analyse des données pour modèles d’opérations
2.1 Calibration de MARILib pour représenter un avion précis
2.1.1 Principes de la calibration
2.1.2 Application au processus MARILib
2.1.3 Résultats du processus de calibration
2.1.4 Conclusion
2.2 Base de donnée MOZAIC et enrichissement
2.2.1 Méthode générale de traitement d’une base de données
2.2.2 Pré-traitements des vols MOZAIC
2.2.3 Enrichissement de la base : étape 1 – la masse au décollage et charge marchande
2.2.4 Enrichissement de la base : étape 2
2.2.5 Résultats et conclusion
2.3 Modèles d’opérations et des variabilités associées
2.3.1 Modèles globaux
2.3.2 Modèles raffinés – les décisions de changement de niveaux
2.3.3 Conclusion
2.4 Conclusion
3 Cas d’applications
3.1 Analyse préliminaire
3.1.1 Présentation de l’étude préliminaire
3.1.2 Conclusion
3.2 Étude des exigences de conception au décollage
3.2.1 Problème posé et formulation
3.2.2 Sélection des paramètres de décollage les plus significatifs
3.2.3 Nouvelle fonction objectif fTO
3.2.4 Simplification du problème d’optimisation et résultats
3.2.5 Conclusion
3.3 Étude d’un design plus robuste vis-à-vis des conditions de vol en croisière
3.3.1 Calcul de mission intégrant des variabilités en croisière
3.3.2 Nouveau modèle aérodynamique
3.3.3 Définition du nouveau problème et formulation sous la forme d’un problème d’optimisation robuste
3.3.4 Résultats
3.3.5 Conclusion
3.4 Conclusion
Conclusion générale
Appendices