Un écosystème se définit comme un ensemble d’entités écologiques, soumises à des conditions de milieu variables, qui interagissent de façons variées à différentes échelles d’organisation. Le degré de complexité de l’écosystème dépend du nombre d’entités (diversité), des différences entre ces entités (hétérogénéité) et de leur degré d’interaction (Allen et Starr, 1982). Dans ce travail, nous n’avons pas considéré la composante diversité spécifique qui constitue un facteur supplémentaire d’hétérogénéité à ceux de quantité et de qualité. Les systèmes pâturés sont caractérisés par une hétérogénéité de la ressource alimentaire en terme de composition et de répartition, de la population herbivore, et de la stratégie de gestion (Tainton et al. 1996). La distribution des plantes, de la biomasse et de l’architecture des systèmes aériens est en effet organisée dans les dimensions horizontale et verticale, de même que la distribution des bouchées et du comportement des herbivores au pâturage (Marriott et Carrère, 1998). Le régime prélevé par les animaux dépend d’une interaction complexe entre les caractéristiques de l’herbivore (besoins nutritionnels, anatomie de la bouche, physiologie digestive et comportement au pâturage) et celles de la ressource alimentaire (biomasse disponible, qualité nutritionnelle, présence de composés secondaires) (Stuth, 1991).
Qu’est-ce que l’hétérogénéité ?
Largement utilisé dans la littérature, le concept d’hétérogénéité relève en fait de mécanismes bien différents selon le contexte des études. Il est donc nécessaire de le définir précisément pour l’étude des systèmes pâturés avant d’en étudier les mécanismes. Nous verrons en quoi la notion d’échelle spatiale est capitale pour appréhender les mécanismes de développement de l’hétérogénéité, puis nous nous concentrerons sur l’intérêt de son étude et de sa caractérisation pour la compréhension du fonctionnement des systèmes pâturés.
Définition du concept d’hétérogénéité
La définition de l’hétérogénéité est un problème récurrent dans les études qui axent leur réflexion sur son implication dans le fonctionnement des systèmes. L’hétérogénéité n’est pas une simple caractéristique des systèmes écologiques mais plutôt un concept qui inclut une suite de caractéristiques du système. Afin d’avoir une représentation simple de l’hétérogénéité, il est possible de la définir par rapport à son contraire : l’homogénéité. Dutilleul et Legendre (1993) ont défini l’homogénéité comme une similarité ou encore une identité. Le degré de similarité impliqué par le terme d’homogénéité peut varier d’un minimum pour une variable, selon une condition telle que l’égalité des moyennes, jusqu’à une identité extrême qui est l’équivalence des distributions. Ce type de définition, même s’il présente les choses de façon nette, reste assez théorique par rapport aux situations pratiques qui peuvent être rencontrées.
Kotliar et Wiens (1990) ont proposé une définition du concept d’hétérogénéité fondée sur la notion de patch. Le patch de premier ordre correspond à une entité discrète et intérieurement homogène. L’hétérogénéité se définit comme une variabilité spatiale d’attributs du système selon deux composantes : le contraste et l’agrégation. Le contraste correspond alors au degré de différence entre les patches ou entre les patches et la matrice, et l’agrégation au degré de dépendance spatiale entre les patches. Kotliar et Wiens (1990) ont définit 4 grands types d’hétérogénéité en fonction de ces deux composantes .
Plus récemment, Adler et al. (2001) ont proposé une définition de l’hétérogénéité s’appuyant sur des approches analytiques différentes. Quand l’hétérogénéité est mesurée avec des statistiques qui ne prennent pas en compte la localisation des valeurs mesurées, on caractérise la variabilité (Figure 2A). Quand elle est mesurée de façon spatialement explicite, elle correspond au pattern ou motif d’organisation spatial (Figure 2B). On dit alors qu’il y a pattern quand il existe une relation entre les valeurs d’une variable observée à différentes localisations, c’est à dire quand la distribution dans l’espace de la variable n’est pas aléatoire. Cette définition peut sembler tout aussi mathématique et dépourvue de signification biologique que la précédente. Cependant, ces approches sont tout à fait pertinentes quand on s’intéresse au développement de l’hétérogénéité car elles permettent de considérer l’hétérogénéité fonctionnelle. On observe une hétérogénéité fonctionnelle quand la dynamique d’un processus varie dans l’espace en relation avec les variations structurelles de l’environnement (Kolasa et Rollo, 1991). Dans les systèmes pâturés, la variabilité est le résultat de l’organisation temporelle de l’interaction herbe/animal en différents points de la parcelle tandis que le pattern spatial est le résultat de l’organisation spatio-temporelle de cette interaction herbe/animal. Naeem et Colwell (1991) ont illustré cette hétérogénéité fonctionnelle pour le cas d’une hétérogénéité du niveau de ressource alimentaire en considérant un système à trois patches observé à trois périodes différentes (Figure 3). Il ressort de ces différentes définitions qu’avoir une même approche générale de l’hétérogénéité, quel que soit le processus étudié, n’est pas possible. La nécessité de déterminer quel type d’hétérogénéité est intéressant pour étudier tel ou tel processus est particulièrement évidente dans la définition apportée par Hobbs (1999). Il propose en effet de définir l’hétérogénéité selon 5 types de dimensions: l’agrégation, la non-prédictabilité, la complexité, la variété ou encore le contraste (Figure 4). Selon que l’on s’intéresse à des individus ou à des variables d’intérêt, on utilisera par exemple une approche agrégation ou complexité. Leur point commun est cependant que toutes ces visions de l’hétérogénéité requièrent des données qui incluent des observations multiples et leur localisation dans l’espace.
La définition de l’hétérogénéité selon les composantes variabilité et organisation spatiale (Adler et al., 2001) est celle que nous avons retenue dans la suite de ce manuscrit car elle permet de distinguer clairement la part de l’hétérogénéité due à l’organisation temporelle de l’interaction herbe-animal (variabilité) de la part due à son organisation spatiale (motif).
Une notion fondamentale : l’échelle spatiale
Beaucoup de publications axant leur étude sur les interactions herbe/animal ont mis en évidence l’importance de la prise en compte de l’échelle spatiale dans la compréhension des processus (Brown et Allen, 1989 ; Bailey et al., 1996 ; Noy-Meir, 1995 ; WallisDeVries et al. 1998 ; WallisDeVries et al., 1999). En effet, concernant le comportement des animaux au pâturage, aux échelles les plus fines de la bouchée et de la station alimentaire vont intervenir la biomasse disponible en limbes verts, la digestibilité du couvert et sa composition morphologique. Aux échelles plus larges vont intervenir la composition botanique, les interactions sociales, la mémoire spatiale, les repères visuels, puis la topographie. Pour le couvert végétal, à l’échelle des organes et de la plante vont intervenir la croissance, la photosynthèse, le développement phénologique et la sénescence. Aux échelles plus larges (communauté), il faudra considérer les espèces présentes et leurs interactions spatiales.
L’échelle spatiale devient d’autant plus cruciale quand on s’intéresse aux mécanismes de développement de l’hétérogénéité que les changements d’échelle, pour une entité écologique, peuvent amener à passer d’une perception d’homogénéité, à une perception d’hétérogénéité, et vice-versa (Dutilleul et Legendre, 1993 ; Illius et Hodgson, 1996 ; Adler et al., 2001). Le grain est défini comme la plus petite échelle à laquelle l’organisme répond à la structure spatiale de son environnement, et l’étendue est la plus grande échelle d’hétérogénéité à laquelle il répond (Kotliar et Wiens, 1990). Ces deux frontières définissent l’hétérogénéité fonctionnelle, c’est à dire celle que l’entité écologique étudiée perçoit et à laquelle elle répond (Kolasa et Rollo, 1991). Pour prendre en compte cette hétérogénéité fonctionnelle, une attention particulière doit être apportée au choix de l’échelle de l’unité d’échantillonnage et de la surface d’étude. La détermination des échelles de travail doit autant que possible prendre en compte les connaissances existantes sur les échelles pertinentes pour les entités écologiques étudiées. Sans cela, le risque est de conclure à l’homogénéité alors qu’il y a hétérogénéité, ou l’inverse .
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Table des matières
Introduction générale
Etude bibliographique : Quels sont les mécanismes connus du développement de
l’hétérogénéité dans une prairie ?
1. Qu’est-ce que l’hétérogénéité ?
1.1. Définition du concept d’hétérogénéité
1.2. Une notion fondamentale : l’échelle spatiale
1.3. Impact de l’hétérogénéité sur le fonctionnement des systèmes.
1.4. Comment caractériser l’hétérogénéité dans les systèmes pâturés ?
2. Mécanismes de développement de la variabilité du couvert végétal
2.1. La variabilité, une caractéristique inhérente aux systèmes pâturés
2.2. Les stratégies adoptées par les animaux sont le moteur du développement de la variabilité.
2.2.1. Relation entre les caractéristiques du régime ingéré et la ressource offerte.
2.2.2. Impact d’une variation conjointe de quantité et de qualité sur les choix des animaux.
2.2.3. Modélisation du régime ingéré selon la stratégie de pâturage
2.3. La variabilité fonctionnelle – notion de rétroaction positive
2.3.1. Différenciation des couverts selon la pression de pâturage
2.3.2. Facteurs déterminant une défoliation récurrente
3. Organisation spatiale du pâturage et développement du motif d’hétérogénéité
3.1. Les niveaux hiérarchiques du comportement des herbivores au pâturage.
3.2. Utilisation de la mémoire spatiale et des repères visuels
3.3. Amélioration de l’efficacité d’exploration par modulation des déplacements chez les animaux
3.3.1. Efficacité d’exploitation et déplacements en milieu homogène
3.3.2. Efficacité d’exploitation et déplacements en milieu hétérogène
4. Conclusion générale
Etude expérimentale
Objectifs et démarche.
1. Objectifs du travail
2. Présentation des dispositifs expérimentaux.
2.1. Eléments généraux
2.2 Essai I : Effet d’une sous-exploitation sur le comportement alimentaire et la dynamique de
végétation dans une parcelle de Dactyle pâturée par des brebis
2.3. Essai II : Effets de la sévérité et de la fréquence de pâturage sur la structure d’un couvert prairial et
sur les choix alimentaires des ovins
Chapitre 1 : The ability of sheep at different stocking rates to maintain the quality and quantity of their diet during the grazing season
Chapitre 2 : Déplacements des animaux et utilisation spatiale de la parcelle
Introduction
Matériel et Méthodes
Déplacements des animaux et activité de pâturage (Annexe n°III)
Traitement préalable des enregistrements
Analyse statistique
Caractérisation des déplacements
Comparaison des déplacements à un modèle de trajet aléatoire corrélé
Analyse fractale
Définition et calcul de la dimension fractale en fonction de l’échelle spatiale λ
Détermination des domaines d’échelle
Résultats
Caractérisation globale des déplacements
Comparaison des déplacements à un modèle de trajet aléatoire corrélé (Annexe n°V)
Dimension fractale des trajets (Annexe n°V)
Discussion
Evaluation de la pertinence de l’analyse fractale
Déplacements des brebis en milieu supposé homogène
Perception de la structuration spatiale de l’environnement par les animaux
Modulation des déplacements
Conclusion
Chapitre 3 : Organisation spatiale de l’hétérogénéité du couvert végétal
Introduction
Matériel et Méthodes
Défoliation à l’échelle de la plante
Cartographie du couvert végétal : Principe et réalisation
Traitement des observations
Importation et simplification des données dans un Système d’Information Géographique
Détermination des classes de fréquentation et de critères de végétation
Conversion des données en « semis de points »
Analyse des données
Première approche : cohérence.
Deuxième approche : motif monotype et intertype
Détection de la macro-hétérogénéité et détermination des sous régions homogènes
Détermination du motif monotype
Détermination du motif intertype
Résultats
Variabilité de la hauteur et de l’utilisation du couvert
Stabilité de la structure de végétation motifs et cohérence à l’hypothèse générale
Stabilité de la structure de végétation
Cohérence à l’hypothèse générale
Motifs monotype et intertype
Densités locales de premier ordre
Motif intertype
Motif monotype
Discussion
Dynamique et organisation de l’hétérogénéité du couvert végétal sous l’influence d’un pâturage ovin
Mise en place des mécanismes de développement et de maintien de l’hétérogénéité
Stabilité et échelles spatiales des motifs de végétation
Avantages et limites des approches méthodologiques
Avantages
Limites
Conclusion générale
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