Quels sont les facteurs naturels et humains conduisant au statut invasif ?

Depuis une vingtaine d’années, les espèces invasives ont été hissées au rang des problèmes publics majeurs en raison de leurs effets sur l’environnement , l’économie ou la santé et tout particulièrement dans les milieux insulaires. Tout au long de cette période, trois grandes questions guident les travaux de recherche sur les espèces invasives : premièrement, comprendre pourquoi une espèce devient invasive, sous l’effet de quels facteurs ; deuxièmement, comprendre quelles sont les conséquences dans les zones où elle s’étend, quels sont les changements induits ; et troisièmement, que faire face à ces changements, agir ou ne pas agir, et si l’on agit, comment.

La compréhension des facteurs qui conduisent une espèce à être catégorisée parmi les invasives constitue le guide, le fil rouge de cette thèse. L’originalité de ce travail est de proposer un double point de vue, en sciences de la vie et en sciences humaine. D’abord, quels sont les facteurs biologiques et écologiques en interaction avec les pratiques humaines qui jouent un rôle dans l’expansion géographique de l’espèce et ensuite, quels sont les facteurs sociaux qui font que cette expansion dans un milieu donné devient un problème public majeur. En d’autres termes, qu’est ce qui fait que le statut invasif émerge dans l’espace public . Pour aborder cette question, le cas choisi est l’ajonc d’Europe (Ulex europaeus), déclaré espèce invasive dans de nombreuses régions du monde, et le site d’étude, l’île de La Réunion (Océan Indien), où il est considéré comme une invasive majeure.

QU’EST-CE QU’UNE ESPECE INVASIVE ? 

Les concepts d’espèce invasive ou d’espèce exotique envahissante n’ont pas de définitions faisant l’objet d’un consensus au sein de la communauté scientifique. Depuis les années 1970 et jusqu’à aujourd’hui, les réflexions et débats sur ces définitions et la terminologie employée sont récurrents. De nombreux chercheurs se donnent régulièrement pour but de trouver une terminologie partagée, la plus neutre et la plus objective possible (Richardson et al. 2000 ; Slobodkin 2001 ; Pyšek et al. 2004 ; Colautti and MacIsaac 2004 ; Brown and Sax 2005 ; Valéry et al. 2008 ; Valéry et al. 2009 ; Tassin et al. 2011), tandis que d’autres défendent des études de ces phénomènes sans avoir impérativement recours aux néologismes et nouveaux concepts mais en utilisant ceux déjà disponibles en écologie (successions, perturbations,…) et en biologie évolutive (adaptations, potentiel évolutif, …) (Davis et al. 2001 ; Davis 2009 ; Gurevitch et al. 2011 ; Lévêque et al. 2012).

Globalement, trois définitions des espèces invasives se dégagent de la littérature. Une espèce invasive peut être définie dans un registre plutôt géographique comme une espèce introduite naturalisée  qui produit une descendance fertile, souvent en très grand nombre, à des distances considérables de la plante mère, et qui a donc le potentiel de se propager sur une surface considérable (Richardson et al. 2000). Dans un registre plus mécanistique une espèce invasive peut correspondre à une espèce qui par sa prolifération dans des milieux naturels ou semi-naturels, y produit des changements significatifs de composition, de structure et/ou de fonctionnement des écosystèmes (Valéry 2006 ; Valéry et al. 2008 ; Simberloff et al. 2013). Enfin, dans un registre à la fois scientifique et politique, ce terme peut s’appliquer à une espèce dont l’introduction, l’implantation et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces indigènes avec des impacts écologiques, économiques, sanitaires (Vitousek et al. 1997 ; McNeely et al. 2001 ; Cronk & Fuller 2014) . Cette dernière définition est celle sélectionnée par le Service du Patrimoine Naturel du Muséum National d’Histoire Naturelle pour TAXREF, le référentiel taxonomique pour la France (Gargominy et al. 2014), et il s’agit aussi de la définition donnée par la Convention de la Diversité Biologique (CDB), par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), l’ISSG (Invasive Species Specialist Group), le groupe américain NISC (National Invasive Species Council), le groupe européen DAISIE (Delivering Alien Invasive Species Inventories for Europe). Il s’agit également de la définition donnée à « espèce invasive » dans le Petit Robert (définition qui fait son apparition dans le dictionnaire en 2010) .

L’ajonc d’Europe à La Réunion est une espèce exotique introduite qui se reproduit sans l’assistance des humains et qui a le potentiel de se propager sur de grandes surfaces. L’ajonc est aussi reconnu par des scientifiques et gestionnaires pour avoir des impacts sur la biodiversité indigène et des impacts économiques (ex : Lowe et al. 2000 ; Gouldthorpe et al. 2006 ; Tassin et al. 2006b ; Luque et al. 2014). Ainsi, selon les trois définitions précédemment exposées, l’ajonc est déclaré comme une espèce invasive.

Dichotomie entre espèce native et exotique introduite 

Selon certains écologues, la dichotomie entre espèces natives et espèces exotiques permet de prendre en compte le réseau d’interactions biologiques existant entre les espèces indigènes. Ce réseau, qui résulte d’un long processus de coévolution peut être altéré, voire détruit par l’arrivée de nouvelles espèces (Colautti & MacIsaac 2004 ; Sih et al. 2010 ; Soubeyran et al. 2014). De plus, les espèces exotiques se retrouvent dans des zones aux conditions bioclimatiques différentes de leur région d’origine et sans leurs ennemis naturels (prédateurs, parasites, pathogènes, compétiteurs) qui régulent leur croissance et développement. Toutefois, les espèces exotiques peuvent aussi être introduites sans leurs agents mutualistes, ce qui peut tout aussi bien limiter ou réduire leur potentiel d’expansion géographique (Mitchell et al. 2006; Alpert 2006). Selon Brown et Sax (2004, 2005) et Vermeij (2005) les invasions biologiques ne correspondent à aucun phénomène nouveau : de tout temps, les espèces se sont déplacées, adaptées et ont modifié les milieux nouvellement occupés ; cela correspond même à une importante force de sélection.

Alpert et al. (2000) considèrent que les effets des espèces invasives sur les espèces précédemment présentes dans le dit espace sont conceptuellement indépendant de l’ordre d’arrivée des espèces dans la zone, devenir invasif est indépendant du fait d’être « non-natif » (définit par les auteurs comme transporté dans une région par les humains à travers une barrière qui ne permettait pas la dispersion naturelle si loin). Aussi, il est théoriquement possible d’avoir des espèces non natives invasives et non-invasives et des espèces natives invasives et noninvasives. Dans la définition qu’ils proposent, Valéry et al. (2008) ne font pas non de différence entre espèce native et exotique puisque selon ces auteurs c’est l’avantage compétitif acquis par une espèce suite à la disparition d’obstacles naturels à sa prolifération qui rentre en compte, permettant de conquérir de nouveaux espaces (voir aussi Valéry, 2006 ; Davis et Thompson, 2000 ; Davis, 2009). Pour ces auteurs en effet, une invasion biologique est un phénomène écologique et non un phénomène biogéographique ; l’étape de dispersion et l’étape de prolifération sont distinctes (Valéry et al. 2009).

Débats sur l’intégration ou non des impacts dans la définition

Les impacts causés par les espèces invasives dans les milieux où elles sont introduites, sur la santé, l’économie, la biodiversité (voir encadré In-1) sont au centre de la définition des espèces invasives la plus utilisée. Avant de présenter les argumentaires en faveur et en défaveur de la prise en compte des impacts dans la définition des espèces invasives, il convient de revenir sur ce qui est entendu par le mot « impact ».

Le terme « impact » est-il le synonyme de « changement », de « modification » ou a-t-il une indéniable connotation négative ? Les rares chercheurs qui définissent cette notion ne sont pas tous d’accord. Selon Beiseil et Lévêque, 2010, une espèce présente avec un fort effectif, qu’elle soit exotique ou pas, a nécessairement des « effets » sur le milieu et sur les espèces avec lesquelles elle cohabite. Ceci correspond plus ou moins à la définition que donne Pysek et al (2012), repris par Simberloff et al. (2013) du mot « impacts ». En effet, pour eux, un « impact » correspond à tout changement significatif (augmentation ou réduction) d’une propriété, d’un pattern écologique ou d’un processus, peu importe les valeurs perçues par les humains. Ils considèrent à partir de cette définition des impacts négatifs et d’autres positifs. Cette synonymie entre « effet » et « impact » n’est pas partagée par d’autres scientifiques qui considèrent le dernier terme comme foncièrement subjectif et anthropocentrique (Burdick 2005 ; Brown & Sax 2005 ; Tassin & Kull 2015). Un passage par les dictionnaires généraux est une première étape pour voir ce qui se cache, dans le sens commun, derrière cette notion. Le dictionnaire Cambridge (2015, US) définit la notion d’impact comme “the force with which one thing hits another or with which two things hit each other; the strong effect or influence that something has on a situation or person”. Même si cela n’est pas explicite dans la définition, les exemples donnés sont souvent connotés de façon négative : “The environnemental impact of this project will be enormous”. Dans l’Encyclopædia Britannica Company, la définition est plus explicite “to have a strong and often bad effect on (something or someone)”. Les définitions trouvées dans les dictionnaires et encyclopédies françaises apportent des résultats similaires. Il apparait ainsi qu’il est loin d’être anodin d’employer la notion « impact» dans la définition des espèces invasives, encore moins quand elle n’est pas clairement définie .

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1 : CONTRIBUTION A L’ETUDE DES DIFFERENCES BIOLOGIQUES DE L’AJONC D’EUROPE ENTRE ZONES D’ORIGINE ET ZONES ENVAHIES
Chapitre 1 : Présentation de l’ajonc d’Europe et des variabilités des traits d’histoire de vie entre zone d’origine et zones envahies
Chapitre 2 : Evolution de la stratégie de germination de l’espèce invasive Ulex europaeus dans une région envahie
Chapitre 3 : Etudes complémentaires des graines d’ajonc d’Europe : masse et téguments
Chapitre 4 : Augmentation de la taille de la banque de graines d’ajonc dans les zones envahies par rapport à la zone d’origine
Synthèse des différences observées entre la France et La Réunion
PARTIE 2 : SYNERGIE DE FACTEURS NATURELS ET HUMAINS DANS L’EXPANSION GEOGRAPHIQUE DE L’AJONC D’EUROPE A LA REUNION
Chapitre 5 : Evolution des usages de l’ajonc en zones native et envahie : quels sont les impacts sur sa dynamique et sa gestion ?
Chapitre 6 : Histoire naturelle et humaine d’une invasion biologique : l’ajonc d’Europe sur l’île de La Réunion
PARTIE 3 : CONSTRUCTION DU STATUT SOCIAL PUBLIC DE PLANTE INVASIVE ET CONDITIONS DE SON ATTRIBUTION A L’AJONC D’EUROPE A LA REUNION
Définition du concept de « statut social public »
Chapitre 7 : Comment l’ajonc a-t-il obtenu le statut social public d’invasive majeure à La Réunion ?
Chapitre 8 : L’ajonc ‘plante invasive’, un statut public inscrit dans la succession des lectures du monde
SYNTHESE ET DISCUSSION GENERALE
CONCLUSION GENERALE
PERSPECTIVES
SIGLES ET ACRONYMES
GLOSSAIRE INTERDISCIPLINAIRE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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