Le dioxyde de carbone (CO2), ou gaz carbonique, est une molรฉcule trรจs stable dans lโatmosphรจre. Grรขce ร la photosynthรจse, les vรฉgรฉtaux terrestres et ocรฉaniques brisent cette molรฉcule pour utiliser lโatome de carbone en lโincorporant ร leur matiรจre vivante. Le carbone ainsi assimilรฉ est transformรฉ en carbone organique. En prรฉsence dโoxygรจne, il redonne du CO2 et de la chaleur. Ainsi depuis plusieurs dรฉcennies, les produits de la photosynthรจse โณfraรฎcheโณ: le bois et โณancienneโณ: la houille, le pรฉtrole et le gaz (appelรฉs รฉnergies fossiles), sont brรปlรฉs afin de rรฉcupรฉrer lโรฉnergie nรฉcessaire au dรฉveloppement de lโactivitรฉ humaine.
Or le CO2 est un des principaux gaz ร effet de serre, un des composรฉs chimiques de lโatmosphรจre qui absorbe les infrarouges terrestres et qui en rรฉรฉmet une partie vers la surface de la Terre. Les gaz ร effet de serre assurent ร la surface du globe une tempรฉrature moyenne de 15ยฐC au lieu de -18ยฐC en leur absence, cโest lโeffet de serre โณnaturelโณ. Avant lโรจre industrielle, la concentration de CO2 atmosphรฉrique รฉtait relativement stable et proche de 280 ppm mais, dรจs 1800 et surtout vers 1950, elle a fortement augmentรฉ (0,5% par an), hausse essentiellement provoquรฉe par les activitรฉs humaines. En effet, ces 20 derniรจres annรฉes, les ยพ environ du CO2 atmosphรฉrique anthropique sont ร mettre sur le compte de la combustion de carburants fossiles et le ยผ restant sur le compte de la dรฉforestation et de lโรฉvolution des pratiques agricoles. En 2004, la concentration moyenne de CO2 dans lโatmosphรจre a atteint la valeur record de 380 ppm. Ce surplus de CO2 dโorigine humaine dans lโatmosphรจre entraรฎne un effet de serre anthropique ou โณadditionnelโณ (parce quโil se rajoute ร celui dโorigine naturelle). En effet, de 1750 ร 2000, le CO2 รฉmis par lโhomme dans lโatmosphรจre aurait รฉtรฉ responsable dโun forรงage radiatif – une modification du bilan radiatif terrestre – de 0,4% de lโรฉnergie solaire reรงue (IPCC, 2001). Cela peut paraรฎtre peu, pourtant, compte tenu des รฉnergies considรฉrables qui sont en jeu, de la fragilitรฉ de certains รฉquilibres naturels, et du fait que ces effets agissent sur de longues pรฉriodes, cette quantitรฉ est trรจs significative pour notre avenir. La premiรจre consรฉquence, dรฉjร observable, est le rรฉchauffement de la surface de la planรจte, dont les 2/3 sont imputables au CO2. Ainsi des nรฉgociations internationales sur les รฉmissions de gaz ร effet de serre ont pris place, depuis la Convention de Rio sur le climat, signรฉe en 1992 par ร peu prรจs tous les pays du monde lors du Sommet de la Terre. L’une des conclusions essentielle de cette convention sur le climat รฉtait qu’il fallait ยซย stabiliser les concentrations de gaz ร effet de serre dans l’atmosphรจre ร un niveau qui empรชche toute perturbation anthropique dangereuse du systรจme climatiqueย ยป. La convention sโest dรฉchargรฉe sur les โณprotocolesโณ des points concernant les mesures concrรจtes permettant dโatteindre le but fixรฉ. Le protocole de Kyoto, adoptรฉ en 1997, et ratifiรฉ de 1997 ร 2004, est l’un dโeux.
Le CO2 est prรฉsent dans lโatmosphรจre (750Gt) et lโaugmentation actuelle de ce rรฉservoir est de lโordre de 3Gt de carbone par an. Lorsque le surplus de CO2 atmosphรฉrique accumulรฉ depuis 1850 est mesurรฉ et comparรฉ au stock de carbone brรปlรฉ depuis cette date, la moitiรฉ seulement de ce stock est retrouvรฉ. Donc une partie de ce CO2 anthropique est absorbรฉ par les systรจmes naturels que sont la biosphรจre continentale et lโocรฉan. Il reste ร savoir comment ces deux rรฉservoirs rรฉagissent face ร cette perturbation des flux naturels. Lโocรฉan, en contenant 40.000Gt de carbone, soit 50 fois plus que le rรฉservoir atmosphรฉrique et 20 fois plus que la biosphรจre continentale, est au cลur de ce problรจme.
GENERALITES
Lโocรฉan Austral
Sur les planisphรจres usuels lโimportance gรฉographique et climatologique de lโocรฉan Austral nโest pas triviale mais elle peut รชtre rapidement saisie dโun coup dโลil jetรฉ sur un globe terrestre ร la verticale du pรดle sud. Lโocรฉan Austral fait le tour du continent Antarctique รฉtablissant ainsi une connexion entre les ocรฉans Atlantique, Pacifique et Indien . De ce fait lโensemble de ses caractรฉristiques prรฉsente une symรฉtrie de rรฉvolution remarquable sur une vaste รฉtendue, sa superficie reprรฉsentant environ 21% de celle de lโocรฉan mondial pour une extension moyenne en latitude de seulement 30ยฐ.
Lโocรฉan Austral est limitรฉ au sud par le continent Antarctique. Cette limite sโavรจre particuliรจrement fluctuante en raison des variations de lโรฉtendue de la couverture des glaces. En effet, pendant lโhiver austral, la formation de banquise sโรฉtend jusquโaux environs de 60ยฐS, reprรฉsentant 20 millions de kmยฒ. La superficie de la rรฉgion couverte de glace est ainsi approximativement doublรฉe. La lente formation de glace de mer joue un rรดle majeur dans la circulation ocรฉanique car elle est ร lโorigine de la production dโeau de fond antarctique (AABW) qui entraรฎne probablement du CO2 anthropique au cลur de lโocรฉan pour des siรจcles.
Un autre paramรจtre nรฉcessaire pour comprendre la circulation de lโocรฉan Austral est le vent. Des vents dรฉviรฉs vers la gauche par la rotation de la Terre soufflent de la partie sud de lโanticyclone subtropical situรฉ entre 35ยฐ et 40ยฐS en direction dโun fossรฉ de basses pressions situรฉ entre 60ยฐ et 70ยฐS . Lโocรฉan Austral entre 35 et 60ยฐS est, par consรฉquent, soumis ร un rรฉgime rรฉgulier de vents forts (13-17 nลuds) ร composante ouest-est dominante : les vents dโouest (westerlies) dont la violence augmente avec la latitude. Du nord au sud, les marins croisent les โณquarantiรจmes rugissantsโณ entre 40ยฐ et 50ยฐS, les โณcinquantiรจmes hurlantsโณ entre 50ยฐ et 60ยฐS et les โณsoixantiรจmes sifflantsโณ entre 60ยฐ et 70ยฐS. Une telle circulation zonale des vents (complรจte, intense et constante) nโest observรฉe nulle part ailleurs dans lโocรฉan mondial car la distribution des terres et des mers ainsi que celle des hautes et basses pressions ne le permet pas.
Lโhydrologie du secteur australien de lโocรฉan Australย
Avant 1930, les seules personnes ร sโaventurer sur lโocรฉan Antarctique รฉtaient les chasseurs de grands cรฉtacรฉs et de phoques et quelques explorateurs tels que Drake en 1578, Kerguelen-Trรฉmarec et Cook en 1772, Dumont DโUrville en 1840. Puis, afin de rรฉglementer et de contrรดler la chasse, des ocรฉanographes anglais ont recueilli des observations physiques et biologiques (campagne circumpolaire en ocรฉan Austral par Deacon ร bord du Discovery dans les annรฉes 30). Ces donnรฉes constitueront les premiรจres connaissances de lโhydrologie de lโocรฉan Austral, notamment au sud de lโAustralie. Par la suite, les techniques modernes utilisรฉes lors du programme WOCE (World Ocean Circulation Experiment) ont permis une observation plus adรฉquate de la circulation, tant au niveau des rรฉsolutions spatiales que temporelles.
Dans la rรฉgion dโรฉtude (secteur indien-est), lโocรฉan Austral est limitรฉ au sud par le continent Antarctique et au nord par le front subtropical (STF). Sur une route mรฉridienne, lโhydrologie superficielle se caractรฉrise par une sรฉrie de discontinuitรฉs: les fronts. Par dรฉfinition un front hydrologique correspond ร la frontiรจre entre deux masses dโeaux de natures et dโorigines diffรฉrentes. Trois fronts prรฉsentant des gradients en tempรฉrature et salinitรฉ importants sont rencontrรฉs au niveau de lโACC:
– le front subtropical se situant habituellement vers 47ยฐ-48ยฐS
– le front subantarctique (SAF) vers 51ยฐS
– le front polaire (PF) autour de 53ยฐS .
La plupart de ces fronts sont circumpolaires (Belkin et Gordon, 1996), sโรฉtendent presque ร la verticale jusquโau fond de lโocรฉan (Rintoul et Bullister, 1999) et, en consรฉquence, sont trรจs fortement influencรฉs par la topographie. De faรงon gรฉnรฉrale ils sont distincts mais peuvent รฉgalement se confondre ou se subdiviser en plusieurs branches (Rintoul et Bullister, 1999; Rintoul et Sokolov, 2001; Sokolov et Rintoul, 2002).
En rรจgle gรฉnรฉrale les dynamiciens dรฉfinissent les principaux fronts par des critรจres prรฉcis de tempรฉrature en subsurface. Ils proposรจrent diffรฉrents critรจres dont lโensemble des dรฉfinitions fut rรฉpertoriรฉ par Belkin et Gordon en 1996. Or, rรฉcemment, Chaigneau et Morrow (2002) proposรจrent un nouveau critรจre permettant une identification aisรฉe de lโexpression de surface des fronts, basรฉe principalement sur lโobservation de la salinitรฉ de surface (SSS) .
Quels processus modifient les flux de CO2 ?ย
La distribution des flux de CO2 est contrรดlรฉe par la solubilitรฉ du CO2 et des processus physiques et biologiques .
โข La pompe de solubilitรฉ
La dissolution du CO2 dans lโeau de mer dรฉpend de la tempรฉrature, elle est facilitรฉe par la coexistence de plusieurs formes inorganiques dissoutes contenant du carbone. La solubilitรฉ du CO2 augmente lorsque lโeau se refroidit et, par consรฉquent, la fCO2 ocรฉanique diminue. La tempรฉrature de la couche de surface de lโocรฉan a donc un rรดle dรฉterminant sur le flux de CO2 entre lโocรฉan et lโatmosphรจre. Nรฉanmoins, lโocรฉan de surface en contact avec lโatmosphรจre ne reprรฉsente que 2% de la masse ocรฉanique totale ce qui nโoffre quโune trรจs faible capacitรฉ de dilution. Le CO2 pรฉnรจtre dans lโocรฉan profond grรขce ร la pompe physique.
โข La pompe physique
Le stockage du carbone dans les eaux profondes est assurรฉ par la circulation ocรฉanique : les plongรฉes dโeau en profondeur et les mรฉlanges entre masses dโeau. Lorsque les eaux tropicales superficielles chaudes sont entraรฎnรฉes vers les hautes latitudes, elles se refroidissent et sโenrichissent en CO2. Une fois les latitudes polaires atteintes, ces eaux refroidies, plus denses, plongent vers les profondeurs et entraรฎnent avec elles du carbone. Il nโest pas rare de trouver dans les diverses dรฉfinitions, la pompe de solubilitรฉ intรฉgrรฉe ร la notion de pompe physique. Le CO2 est รฉgalement transportรฉ ou plutรดt utilisรฉ par la pompe biologique.
โข La pompe biologique et la contre-pompe
Le phytoplancton synthรฉtise le carbone organique indispensable ร son dรฉveloppement par la photosynthรจse. Cette production primaire, maximale lors des floraisons printaniรจres, a lieu dans la couche euphotique de lโocรฉan car elle nรฉcessite de la lumiรจre et consomme des sels nutritifs et du CO2 (CT carbone total ou carbone inorganique dissous) pour former de la matiรจre organique. Quand le phytoplancton meurt ou excrรจte des dรฉtritus, les tissus morts se dรฉcomposent dans lโeau sous forme de carbone organique dissous (COD) ou sโaccumulent sous forme dโagrรฉgats le carbone organique particulaire (COP). Ces deux formes du carbone organique, COD et COP, sont reminรฉralisรฉes sous forme de carbone inorganique dissous (CT) par deux processus : la dรฉgradation par les rayonnements ultraviolets et la respiration. Dans la couche de surface de lโocรฉan la photosynthรจse domine le bilan net entre photosynthรจse et respiration. En consรฉquence lโactivitรฉ biologique fait baisser la fCO2 dans la couche de surface.
En parallรจle, certaines espรจces de phytoplancton fabriquent des squelettes externes (ou tests) en carbonate de calcium CaCO3. Ceci entraรฎne une diminution des carbonates dans la couche de surface et, par voie de consรฉquence, une diminution de la quantitรฉ totale de carbone inorganique dissous en surface. Lโรฉquilibre du systรจme des carbonates est modifiรฉ et entraรฎne une augmentation de fCO2 en surface. On appelle ce phรฉnomรจne la contre-pompe des carbonates. En moyenne globale, cโest lโeffet de pompe biologique qui lโemporte, diminuant la quantitรฉ de carbone dissous en surface.
La couche de surface nโest pas le seul lieu de lโocรฉan oรน se trouve le carbone organique. En effet le carbone organique dissous et particulaire (COD et COP) nโest pas totalement reminรฉralisรฉ dans la couche euphotique. La part de ce carbone organique non reminรฉralisรฉ en surface coule vers les profondeurs de lโocรฉan et est soit reminรฉralisรฉe pendant sa chute, soit reste intacte jusquโau fond. Ce flux de carbone descendant de la surface vers le fond est appelรฉ la production exportรฉe. Ce carbone est ainsi isolรฉ de lโatmosphรจre pour des dรฉcennies voire des siรจcles. Ces eaux profondes, riches en carbone, sont ensuite transportรฉes vers la surface par les processus dynamiques.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
CHAPITRE I. Gรฉnรฉralitรฉs
A. Lโocรฉan Austral
B. Quels processus modifient les flux de CO2 ?
C. Les donnรฉes et les outils
C.1. Les donnรฉes in situ
C.2. Les donnรฉes satellitaires
C.3. Le calcul de flux de CO2
D. Lโรฉtat des connaissances des donnรฉes de CO2 rรฉcoltรฉes dans le secteur sudest indien
CHAPITRE II. Variations saisonniรจres en 1996/1997 : annรฉe โณrรฉfรฉrenceโณ
A. Distribution saisonniรจre de SST, SSS, chlorophylle-a, AT/CT, โfCO2 et des flux de CO2
A.1. SST et SSS
A.2. La chlorophylle-a
A.3. LโAT/CT
B. Confrontation avec la climatologie de Takahashi et al. et un modรจle dโinversion atmosphรฉrique
B.1. Comparaison avec les pCO2 de la climatologie de Takahashi et al., 2002
B.2. Comparaison avec les flux de CO2 issus du modรจle dโinversion atmosphรฉrique du projet FLAMENCO2
CHAPITRE III. Variations saisonniรจres en 2002/2003 : annรฉe โณatypiqueโณ
A. Distribution des paramรจtres hydrologiques
B. Distribution des paramรจtres biogรฉochimiques, de โfCO2 et des flux de CO2 dans la SAR
C. Distribution des paramรจtres biogรฉochimiques, de โfCO2 et des flux de CO2 au sud de 61,5ยฐS
D. Distribution des paramรจtres biogรฉochimiques, de โfCO2 et des flux de CO2 dans la POOZ
CHAPITRE IV. Processus ร lโorigine du puits intense de CO2 dans la POOZ en fรฉvrier 2003
A. Lโanomalie de SST
B. La lumiรจre
B.1. Le rรฉgime mรฉlange/lumiรจre (rayonnements actifs photosynthรฉtiquement, PAR)
B.2. Les rayonnements ultraviolets (UVR)
C. Les micronutriments et en particulier le fer
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXE