La redécouverte du lien entre urbanisme et santé à travers le prisme de la Mission « Grand Paris » de l’ARS IDF
Si la question des liens entre renouvellement urbain et santé mentale n’a pas encore réellement fait l’objet d’études ou d’ouvrages (à reformuler), elle s’inscrit néanmoins dans une histoire beaucoup plus large qui prend de nouveau de l’ampleur après avoir été mise de côté.
Cette histoire est celle du lien entre urbanisme et santé. Trois grandes périodes sont souvent citées l’urbanisme hygiéniste, l’urbanisme fonctionnaliste et de planification et l’urbanisme durable (EHESP, 2014) . L’urbanisme hygiéniste est apparu dans le courant du XIXème siècle.
Il avait pour principale fonction la lutte contre l’insalubrité et les « miasmes », que l’on pensait à l’origine des épidémies de peste et de choléra. Entre 1832 et 1849 33 000 personnes de l’agglomération parisienne sont mortes des causes du choléra (Charles et al., 2016) , on comprend alors la nécessité des acteurs institutionnels de réagir. Les principales actions menées ont été d’assainir et d’aérer le tissu urbain, et ont principalement été illustrées par la démarche du Baron Haussmann et de ses grands travaux à Paris menant à la destruction des habitats insalubres et à la modernisation de la ville. L’ambition de la ville se concrétisa dès 1852 avec la première percée Haussmannienne ou encore entre 1883-1884 avec les arrêtés du Préfet Poubelle (obligation de mettre les déchets ménagers dans un récipient clos). Cette démarche a été étendue au reste de la France avec notamment la création du parc de la Tête d’Or à Lyon en 1856. Ce mouvement engage aussi des changements au niveau hospitalier par la création de nouveaux hôpitaux par Tenon qui pensait que l’organisation spatiale de ces derniers pouvait aider à guérir les patients (importance de la ventilation, etc.). Dans ce cadre l’hôpital Lariboisière voit par exemple le jour en 1854.
Du début au dernier tiers du XXème siècle émerge l’urbanisme fonctionnaliste et de planification. Il se développe à la suite des épidémies de tuberculose qui sont la cause en 1920 d’1 mort sur 6 dans l’agglomération parisienne (Charles et al., 2016) . Au début du siècle peu de solutions sont trouvées dans la médecine et les médecins utilisent alors en ce temps les sanatoriums (importance de l’air, du soleil et de la lumière qui se matérialise aussi dans l’architecture elle-même avec notamment les réalisations de Le Corbusier qui ouvre l’espace d’habitation et de vie). La population demande aussi un confort plus important et une meilleure qualité de vie. Les actions principalement menées se font dans le but d’une « aseptisation » de la ville, d’un apport du confort dans les logements et du développement de la ville en faveur des déplacements automobiles. Suite à ces deux logiques plusieurs lois ont été abrogées. C’est le cas de la première loi de santé publique en 1902 créant le permis de construire qui deviendra obligatoire sur le territoire en 1943. En 1933 est élaborée et signée la Charte d’Athènes établissant les bases de l’architecture fonctionnaliste.
Pendant cette période, les choses commencent aussi à changer en matière de maladies mentales.
Avant les années 1960, en effet, les malades étaient placés dans des asiles à l’écart du reste de la population, car on pensait que la transmission des maladies mentales était génétique. Après la prise en considération de la psychanalyse et des travaux de Freud, le regard des médecins change. Les asiles s’ouvrent sur la ville, replaçant un certain nombre de malades dans un contexte social réel, et permettant le contact entre eux et le reste de la population. De nouvelles raisons sont trouvées à ces maladies, rendant ainsi possible l’évolution des pratiques thérapeutiques et l’invention des neuroleptiques, changeant la vie de beaucoup de patients.
Cet urbanisme et les progrès de la médecine ont fait reculer la tuberculose, en 1950 la mortalité due à la tuberculose avait diminué de 90% dans l’agglomération parisienne. Cependant, suite à ces progrès les liens entre urbanisme et santé se sont peu à peu distendus. On ne recourt alors plus à l’utilisation de l’espace et de l’environnement pour soigner les populations. Cette séparation se matérialise notamment avec la création progressive de différents ministères (création de 1920 à 1930 du ministère de l’hygiène puis de la santé publique, création en 1944 du ministère de la reconstruction et de l’urbanisme, etc.), qui favorise le cloisonnement progressif des champs de l’urbanisme, de l’environnement et de la santé.
Comme nous l’avons vu, cette thématique est revenue sous la forme de l’urbanisme durable et des études ont été menées mettant en évidence la prépondérance de certains troubles psychiques ou pathologies en ville pour de multiples les raisons. Les modes de vie urbains et la concentration de certaines populations en ville en sont des exemples, comme le montre l’importance des problèmes d’addiction et de consommation de drogues en milieu urbain, qui peuvent s’expliquer par le fait que les villes, par l’anonymat qu’elles offrent, attirent des personnes ayant des problèmes psychiques (sur le plan de la sexualité, des addictions). Il est aussi plus facile de se procurer de la drogue dans cet environnement (Tubiana, 2001).
D’après plusieurs études les troubles de l’humeur ou encore l’anxiété, seraient particulièrement présents en ville. L’une d’elle, menée par le chercheur Andreas Meyer-Lindenberg, directeur de l’Institut central pour la santé mentale à Mannheim, a donné des résultats montrant l’implication du mode de vie citadin sur la santé mentale. Elle montre les effets bénéfiques de la ville mais aussi négatifs aux vues de son impact sur les troubles de l’humeur et de l’anxiété qui prévalent chez les citadins (Hansen, 2016).
« Mais il existe [également d’autres] études […] qui expliquent que les villes enlèvent certains facteurs de protection de la santé mentale comme les espaces verts, l’exercice et particulièrement les interactions sociales. » Par exemple, les phénomènes de migration urbaine obligent les individus à reconstruire leur réseau social, ce qui peut provoquer de la dépression et de l’anxiété (Kirk, 2016).
Les facteurs d’impact sur la santé mentale liés au fonctionnement urbain
La santé mentale des populations citadines peut aussi être conditionnée par l’organisation urbaine et l’appropriation des espaces sensibles. Décider d’organiser un espace de telle ou telle manière n’est pas sans conséquences. Il peut en résulter la création de contextes favorables, ou non, au bien-être des individus et à leur santé mentale en général.
Le milieu urbain est créateur d’un certain nombre de facteurs de vulnérabilités car il peut avoir une influence sur le rapport social. « Il y a des enjeux sur l’espace et l’existence d’espaces de croisement, de rencontre. Le problème est que, souvent, lors de l’élaboration de ces espaces de rencontre, il n’existe pas d’animation visant à voir comment les utiliser. Ce qui a pour résultat un détournement de leur usage. L’appropriation de ces espaces est primordiale pour que les échanges et une cohésion sociale en émergent. C’est dès la conception de ces espaces que les habitants doivent être impliqués. Ces espaces doivent donc être co-construits pour pouvoir ensuite être investis. Les résultats de la co-construction ou non des espaces de rencontre sont très marqués. Lorsqu’il y a implication des habitants, ils sont généralement très positifs. Les habitants du quartier se sentent à l’aise et les rapports entre eux sont souvent très bons.
Lorsqu’au contraire les habitants sont mis de côté et reçoivent ces espaces, ils sont rarement appropriés et sont détournés pour des usages pouvant créer des conflits entre habitants (vente de drogue, rassemblement, etc.). » (Michel Joubert, sociologue).
Ces détournements peuvent créer un sentiment d’insécurité, mais surtout des nuisances comme le bruit, la saleté, et plus généralement la salubrité publique… Les habitants n’ont, de plus, finalement pas accès à un espace de rencontre et peuvent s’isoler. Des tensions peuvent aussi apparaître car ils connaissent moins leurs voisins et ne peuvent plus communiquer avec eux au quotidien.
Les cheminements de certains quartiers peuvent également ne pas être sécurisés, créant là encore un sentiment d’insécurité. « Il est [pourtant] important que les espaces et chemins soient sûrs (en termes de crimes, délits, mais aussi pour les gens qui souffrent de maladies mentales comme l’Alzheimer) » sans qu’ils ne soient pour autant oppressants ou stériles. « Les gens doivent pouvoir choisir quelles routes prendre plutôt que de se la voir imposée pour raison de sécurité. » (Kirk, 2016)
En plus d’un sentiment d’insécurité, certaines personnes se voient donc imposées la manière même d’utiliser la ville et diminue le sentiment d’appropriation de l’espace, ainsi que la possibilité de choisir qui peuvent pourtant apparaitre comme des facteurs psychosociaux de protection.
D’autres facteurs liés à l’organisation urbaine influencent la santé mentale des populations, c’est notamment le cas des transports et de la densité.
Une étude italienne a été menée à Turin, pour savoir comment influencent « l’environnement construit et le fonctionnement des villes sur la santé mentale. » Ils ont utilisé « les données sur la ville en elle-même (sa densité, la localisation des parcs, etc.) et les services présents (les cinémas, théâtres, les transports publics et leur accessibilité selon les quartiers, etc.). » (Melis, 2016).
Ils ont ensuite croisé ces données avec celles de la consommation d’antidépresseurs de la ville. Les résultats indiquent qu’une « bonne accessibilité aux transports publics, comme une structure urbaine dense, pourraient contribuer à réduire le risque de dépression, notamment pour les femmes et les personnes plus âgées, en augmentant les opportunités de se déplacer et de profiter d’une vie sociale active » (Melis, 2016) . « Les femmes et personnes âgées entre 50 et 64 ans se faisaient prescrire moins d’antidépresseurs lors qu’elles vivaient dans des endroits où le bus ou le train étaient rapidement accessibles, et où les immeubles étaient en moyenne plus hauts comparé à leurs équivalents dans des zones plus éloignées et dispersées. » (Melis, 2016).
L’accessibilité des transports publics et la densité, ainsi que l’ambiance d’un quartier ont donc un effet sur la consommation d’antidépresseurs en dehors de tout critère de différenciation sociale, économique ou de statut (caractéristiques sociales, nationalité, niveau d’éducation, emploi).
Les populations vivant dans des territoires éloignés des transports et du tissu urbain se retrouvent en difficulté pour accéder à des services, des activités, des endroits et peuvent se sentir exclues vis-à-vis d’autres territoires et habitants. La forme même du quartier peut renforcer cette impression d’enclavement. En effet, il peut par exemple arriver que la diversité des habitats scinde un quartier en deux.
Ce fut par exemple le cas dans l’un des quartiers d’Aubervilliers, le quartier « Robespierre Cochennec-Péri ». Le diagnostic en santé mentale du le quartier de […] avait révélé une problématique de voisinage à l’échelle du quartier. Les habitants des pavillons ne souhaitaient pas avoir de contact avec ceux des barres alors même qu’ils faisaient partie du même quartier.
En effet, « chaque forme urbaine sous-entendait une appartenance sociale différente [et] les habitants des pavillons ne [voulant] pas […] être associés [aux habitants des barres] qu’ils voyaient comme des « cas sociaux » » avaient fini par les éviter totalement. (Pilar ArcellaGiraux).
La concentration de logements sociaux et de populations fragiles dans certains quartiers peut jouer sur l’impression d’enclavement de ces derniers. Dans ces quartiers les gens se connaissent souvent et des liens de solidarités se développent entre eux, créant ainsi un entre soi. Didier Lapeyronnie explique dans son article « Rénover les quartiers » que l’«interconnaissance » de ces habitants leur permet d’assurer une sécurité collective, mais isole les personnes extérieures au quartier et peut les rendre méfiantes vis-à-vis de ces populations aux liens forts (CES de l’ANRU, 2014).
Certains territoires cumulent ces problèmes avec des nuisances environnementales. Les sols sont parfois pollués, ainsi que les habitats qui peuvent contenir de l’amiante ou encore du plomb. En France, 3 600 000 personnes sont mal logées, dont 600 000 enfants, dont beaucoup sont atteints de saturnisme qui est une intoxication par le plomb (UNICEF, 2015) . Elle peut par exemple engendrer de l’anémie ou des troubles digestifs, mais aussi des retards mentaux et/ou psychomoteurs. Ils peuvent également être fortement exposés au bruit s’ils se trouvent, par exemple, près d’une route, d’un périphérique. Les habitations peuvent, de plus, être mal isolées et laisser d’autant plus passer le bruit. Ce qui peut augmenter les conflits de voisinage.
La thématique des transports et de l’éloignement apparait également lorsque l’on aborde la question de la précarité énergétique. L’INSEE définit un ménage en situation de vulnérabilité énergétique « si son taux d’effort dépasse 8% pour le logement et 4,5 % pour les déplacements. » (ADEME, Région Rhône-Alpes, 2015) . « Ainsi, les individus les plus vulnérables au renchérissement de l’énergie sont ceux qui cumulent un habitat à mauvaise efficacité thermique et un éloignement de leur lieu de travail, des commerces et des services. » (Host et al., 2014).
Les ménages les plus touchés en France métropolitaine ne sont pas ceux vivant dans les pôles urbains mais ils représentent malgré tout « 13,8 %* pour les grands pôles, 24,0 % pour les moyens et petits » (ADEME, Région Rhône-Alpes, 2015).
Les personnes s’en sortant le mieux dans les milieux urbains sont principalement celles ayant moins de contraintes de déplacements et non simplement celles ayant les revenus les plus élevés.
L’Île-de-France est l’une des régions les moins vulnérables concernant les dépenses énergétiques liées au logement des ménages (6,3%) et de transport (moins de 10%) (ADEME, Région Rhône-Alpes, 2015).
Mais la précarité énergétique touche tout de même 360 300 ménages, soit 630 525 personnes dans la région, ce qui représente 7,5% de tous les ménages d’Île-de-France (Host et al., 2014).
Dans la région, aussi bien en maison individuelle qu’en logement collectif, les ménages dont le taux d’effort énergétique dépasse les 10% sont majoritairement ceux dont les revenus sont inférieurs à 1135€ (66% pour les maisons individuelles et 90% pour les logements locatifs) et souvent des ménages composés d’une seule personne (47% pour les maisons individuelles et 68% pour les logements locatifs). En revanche ces ménages sont en grosse partie des jeunes dans les immeubles locatifs. Dans les deux cas, cependant les ménages de plus de 60 ans sont aussi souvent les plus en difficulté (Host et al., 2014).
… et à l’appropriation des espaces sensibles
Comme vu précédemment, la ville a des effets sur la santé mentale des citadins. Elle est vécue et appropriée par les individus de manière différente, certaines zones peuvent apparaitre comme zones de bien-être, de mal être pour telle ou telle raison. L’environnement urbain est défini par trois éléments. Par sa situation, « le lieu, le moment pendant lequel il est investi, traversé, et sa relation à un contexte social, physique, etc. ; [par ses] formes sociales (perçues, vécues, représentées), [ses] formes spatiales (morphologiques, dynamiques) ou encore [ses] formes sensibles (descripteurs physiques, psychologiques ou phénoménologiques) ; [enfin par l’] action de mise en présence, de communication car le monde préexiste en sensibilité avant d’être représenté comme figuration » (Torgue, 2012).
L’importance du vécu et des interactions sociales apparait avec l’exemple des espaces publics.
Un espace apparait comme public lorsqu’il est ouvert à tous, et au contraire comme privé lorsque l’on ne peut pas circuler librement et que son accès est « réservé à certaines populations ». Mais la notion d’accessibilité ne se limite pas à l’accès physique d’un lieu. « En effet, notre corps habite l’espace au moyen de chacun de ses sens, espace visuel bien sûr, mais aussi sonore, tactile ou olfactif. » (Chelkoff & Thibaud, 1992-1993).
Nos différents sens nous permettent d’accéder à des espaces, ainsi entendre une conversation ayant lieu par exemple dans la rue, nous replace dans l’espace public via notre ouïe. De ce fait, la frontière entre privé et public peut être atténuée. Un individu peut parfois autant indirectement qu’en étant à distance, se trouver dans un espace public ou privé. Il est important de ne pas séparer les interactions sociales et le cadre physique de l’espace.
Les raisons d’un mal être ou d’un bien-être peuvent être tout d’abord techniques. Dès les années 1970, des techniques et technologies ont été développées pour prendre en compte les spécificités des terrains et adapter aux mieux les projets devant s’y implanter. L’approche aérodynamique a par exemple permis en 1977 déjà de se rendre compte « « que les bacs [à sable] étaient systématiquement dans les zones exposées au vent » » (Torgue, 2012) « lors de l’évaluation du confort des espaces extérieurs de la cité Bonnevay à Cholet. » (Torgue, 2012).
La seconde raison qui peut être évoquée est celle de l’ambiance et du ressenti qu’elle procure à chacun. L’ambiance se compose de trois dimensions : le groupe, l’évènement et le lieu.
L’ambiance se distingue de l’environnement, et ne peut pas non plus être définie comme purement subjective. En effet, « elle ne peut se passer de la matérialité de l’espace construit et aménagé (on parle alors d’ambiances architecturales et urbaines), elle convoque par ailleurs une dimension anthropologique et collective irréductible à l’expérience individuelle. »(Thibaud, 2012)
Les quartiers ANRU : de forts enjeux en termes de santé mentale liés aux caractéristiques de l’environnement urbain et aux caractéristiques psychosociales des habitants
La dynamique PNRU et NPNRU : éléments clés, objectifs, moyens et temporalités
Pour comprendre ce que sont les quartiers ANRU, il est nécessaire de s’intéresser au Programmes National pour la Rénovation Urbaine (PNRU) dont l’institution fait suite à la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003.
L’ANRU, l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine, est créée dans le même temps pour mettre en place et suivre le programme principalement au travers de directives et de son financement. L’agence est aussi principalement en charge du Programme National de Requalification des Quartiers Anciens Dégradés (PNRQAD) créé par la loi de « Mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion » du 25 mars 2009 qui concerne « la requalification urbaine et sociale des quartiers, la résorption de l’habitat indigne, l’amélioration et la diversification de l’offre de logements, l’amélioration de la performance énergétique des logements et le maintien de la mixité sociale au sein de ces quartiers. » (ANRU, 2012).
Dans le cadre des projets de renouvellement urbain, les principales actions des programmes de renouvellement urbain sont la réhabilitation des habitations, la création de voirie, la réorganisation du quartier, la démolition, la construction/ réhabilitation des espaces communs et d’équipements publics (équipements scolaires, sociaux, culturels, etc.).
Dans le cas de l’expérimentation que j’ai piloté pendant mon stage et dans la thématique de ce mémoire, nous nous sommes intéressés aux quartiers bénéficiant ou ayant bénéficiés du PNRU et NPNRU, moins spécifiques et d’une plus grande ampleur. Le PNRU, premier de ces deux programmes, concernait 490 quartiers de la métropole et de l’outre-mer ce qui représentait près de 4 millions d’habitants concernés (ANRU, 2012).
Les premiers et principaux objectifs de ce programme sont la banalisation des quartiers ANRU qui apparaissent souvent comme spécifiques du fait de la concentration de populations aux caractéristiques socio-économiques similaires et du peu de mixité fonctionnelle créant parfois un entre soi et peu de raisons pour les personnes extérieures d’aller dans ces quartiers. Pour arriver à cette banalisation, le programme vise donc à redonner une attractivité à ces quartiers et à favoriser la mixité via « une transformation des logements, une diversification de l’habitat et des fonctions et le désenclavement. » (ANRU, 2015)
La mixité de population pourrait donc se faire grâce à la diversification de l’habitat en proposant par exemple des logements accessibles à la propriété privée et ainsi réduire le pourcentage de logements sociaux du quartier et attirer des classes sociales plus favorisées, mais aussi en relogeant hors site une partie des habitants dont les immeubles sont voués à la démolition.
Etat des lieux des contraintes urbaines et sociales : les formes d’habitat, de concentration, d’agencement de l’espace public caractéristiques des quartiers ANRU
Le choix de s’intéresser aux quartiers politiques de la ville et plus particulièrement aux quartiers en renouvellement urbain est la conséquence de la constatation d’un mal-être important pouvant résulter de facteurs sociaux et personnels mais aussi de la concentration de populations fragiles et des quartiers en eux-mêmes dans lesquels ces dernières vivent. Comme nous l’avons précédemment expliqué, il est possible que les formes urbaines de ces quartiers entrainent un sentiment d’enclavement. Certains quartiers peuvent être ouverts vers l’extérieur mais d’autres sont bâtis de telle manière qu’ils ne sont traversés que par les habitants du quartier car ce sont les seules personnes ayant une raison de s’y rendre. En effet, la plupart de ces quartiers sont caractérisés par une monofonctionnalité (résidentielle) et peu ou pas de commerces y sont présents. Un « effet village » peut alors se créer et séparer les habitants de ces quartiers et les autres citadins de la ville.
Leur situation joue, de plus, un rôle majeur, car ces quartiers peuvent être présents au centre même d’une ville ou en périphérie de celle-ci, pouvant renforcer le sentiment d’exclusion. De plus, les quartiers et leurs territoires sont différents, il est possible que les transports soient facilement accessibles, ce qui peut contribuer à effacer l’idée d’enclavement d’un quartier, ou au contraire qu’ils en soient éloignés. Une différence peut donc exister sur ce point entre les quartiers, certains ayant un accès plus aisé à l’extérieur. En Ile-de-France, les habitants des quartiers situés aux portes de Paris ont donc une mobilité plus facile, bien que la culture des personnes entre aussi en compte dans les comportements de déplacements.
Les espaces peuvent avoir une influence sur la sécurité, favoriser celle-ci ou non, et de ce fait parfois provoquer du bien-être comme de l’anxiété ou de l’intimidation, ce qui peut expliquer, entre autres raisons, que certains quartiers, notamment les quartiers politique de la ville et ANRU soient investis par le trafic et que cela pèse sur le bien-être des habitants. Eric Amanou, directeur du bureau d’étude La Condition Urbaine, spécialiste des questions de sécurité et d’urbanisme, a par exemple travaillé sur les quartiers Nord de Marseille. Il explique que les habitants subissent la pression des dealers à chaque endroit du quartier car ils sont visibles et surveillés par ces derniers. En Seine-Saint-Denis la situation est différente car cela est moins le cas, mais il y a tout de même une imbrication très forte. « Le trafic est un problème majeur qui ne peut pas se résoudre unilatéralement et par les urbanistes qui peuvent cependant le déplacer et contrarier les stratégies délinquantes. » (Eric Amanou, La Condition Urbaine).
Cette question du deal est prépondérante dans de nombreux quartiers ANRU. « Les personnes les plus exposées au trafic et à ses conséquences sont les 12-15 ans. » (Lolo Tshiala, Association ERA 93)
Il peut avoir des conséquences désastreuses sur le quotidien des familles, par exemple une assistante maternelle du Vieux Saint-Ouen a perdu son travail car les parents avaient peur de laisser leurs enfants chez elle à cause du deal et des méthodes qu’ils emploient parfois. Les parents sont particulièrement exposés à l’angoisse de voir leurs enfants recrutés par les dealers pour surveiller les entrées du quartier, d’autant plus, qu’ils les entraînent de plus en plus jeunes, à partir de 10 ans » (Lolo Tshiala, Association ERA 93). Ils s’approprient les différents espaces du quartier, qui passe d’un statut d’espace public, à celui d’espace privé.
C’est notamment le cas des espaces verts et des jeux pour enfants, souvent déjà peu nombreux dans le quartier et qui jouent pourtant un rôle dans la création de lien social et sur la santé mentale. Les quartiers concernés par le projet de renouvellement urbain, ainsi que les résidences qui le composent ne sont pas touchés de la même manière par les problèmes de mal-être, notamment du fait de la présence du deal dans l’immeuble et de la concentration de pauvreté et de fragilité sociale.
Contextualisation du lien entre quartiers ANRU et santé mentale : une expérimentation dans les communes de Saint Ouen et de l’Ile-Saint Denis
L’ARS a fait le choix de s’intéresser aux quartiers ANRU, via l’expérimentation que nous avons menée, car comme nous venons de le voir, il y existe un mal-être important dû à leurs caractéristiques urbaines et socio-économiques. Cette expérimentation est également le résultat d’une volonté commune de promouvoir avec l’ANRU « une approche exemplaire du renouvellement urbain qui vise à contribuer à l’amélioration de l’état de santé physique et mental des populations, en appréhendant l’impact sanitaire des projets pour en obtenir des bénéfices en termes de santé et d’offre de soins, et en réduire les effets négatifs potentiels (environnementaux, psycho-sociaux, etc.). » Les deux agences ont en effet signé en janvier 2017 un protocole de collaboration pour deux ans.
L’Ile-de-France est particulièrement concernée par la thématique des projets de renouvellement urbain, car 119 des 399 conventions du PNRU et du NPNRU y ont été signées (ANRU, 2016) . La région enregistre de bons résultats en matière de santé avec par exemple le plus faible taux de mortalité en France et le plus fort taux de natalité, ainsi qu’une espérance de vie élevée et en hausse. Néanmoins, c’est une région très contrastée où de fortes inégalités sont présentes. En 2013, elle présentait un taux de pauvreté élevé, 15% avec le rapport inter-décile 9e décile/ 1er décile le plus élevé en France métropolitaine (4,5) (INSEE, 2013) . Ce qui indique des inégalités de niveaux de vie extrêmement élevés entre les populations les plus aisées et les plus pauvres vivant dans la région.
L’expérimentation que nous avons mené, a été réalisée dans le but d’« accompagner les acteurs franciliens de l’urbanisme vers une meilleure prise en compte des enjeux de « santé mentale » dans la dynamique de renouvellement urbain » (ARS IDF, 2017) et donne lieu à la rédaction d’un document cadre. Ce document et l’expérimentation recouvrent « une dimension théorique (grands principes), opérationnelle (modalités concrètes d’aménagement urbain), et donne des pistes de jeu d’acteurs et de coopération interservices notamment pour les collectivités 3) Contextualisation du lien entre quartiers ANRU et santé mentale : une expérimentation dans les communes de Saint Ouen et de l’Ile-Saint Denis L’ARS a fait le choix de s’intéresser aux quartiers ANRU, via l’expérimentation que nous avons menée, car comme nous venons de le voir, il y existe un mal-être important dû à leurs caractéristiques urbaines et socio-économiques. Cette expérimentation est également le résultat d’une volonté commune de promouvoir avec l’ANRU « une approche exemplaire du renouvellement urbain qui vise à contribuer à l’amélioration de l’état de santé physique et mental des populations, en appréhendant l’impact sanitaire des projets pour en obtenir des bénéfices en termes de santé et d’offre de soins, et en réduire les effets négatifs potentiels (environnementaux, psycho-sociaux, etc.). » Les deux agences ont en effet signé en janvier 2017 un protocole de collaboration pour deux ans.
L’Ile-de-France est particulièrement concernée par la thématique des projets de renouvellement urbain, car 119 des 399 conventions du PNRU et du NPNRU y ont été signées (ANRU, 2016) . La région enregistre de bons résultats en matière de santé avec par exemple le plus faible taux de mortalité en France et le plus fort taux de natalité, ainsi qu’une espérance de vie élevée et en hausse. Néanmoins, c’est une région très contrastée où de fortes inégalités sont présentes. En 2013, elle présentait un taux de pauvreté élevé, 15% avec le rapport inter-décile 9e décile/ 1er décile le plus élevé en France métropolitaine (4,5) (INSEE, 2013) . Ce qui indique des inégalités de niveaux de vie extrêmement élevés entre les populations les plus aisées et les plus pauvres vivant dans la région.
L’expérimentation que nous avons mené, a été réalisée dans le but d’« accompagner les acteurs franciliens de l’urbanisme vers une meilleure prise en compte des enjeux de « santé mentale » dans la dynamique de renouvellement urbain » (ARS IDF, 2017) et donne lieu à la rédaction d’un document cadre. Ce document et l’expérimentation recouvrent « une dimension théorique (grands principes), opérationnelle (modalités concrètes d’aménagement urbain), et donne des pistes de jeu d’acteurs et de coopération interservices notamment pour les collectivités.
Les éléments en termes de ressenti des habitants sur la notion de bien-être
Un nombre important de personnes âgées et de nombreux ménages en situation de précarité dans les quartiers
Les trois quartiers ont une population élevée de personnes de plus de 60 ans. Au Vieux-SaintOuen elles représentent 45% des locataires, à Cordon-La Motte-Taupin ce taux est de 50% et à L’Ile-Saint-Denis les plus de 65 ans représentent un tiers des locataires contre 36% pour le total de la ville (LeFrêne, 2017).
Une pauvreté importante qui varie selon les résidences et qui tend à s’accentuer
Ces populations, ainsi que la majorité du reste des locataires sont pour la plupart précaires, et peuvent avoir un mauvais état de santé. « Les personnes de ces quartiers vieillissent plutôt mal » car elles ont eu des conditions de vie difficiles. De plus, « à Saint-Ouen, […] un tiers des prises en charge ne sont pas faites, car cela revient trop cher pour ces personnes (elles ne veulent pas que leurs enfants voient ça, etc.). » (Béatrice Bansart et Chantal Sawuna, CLIC de Saint-Ouen et Clichy/CCAS de Saint-Ouen).
D’un point de vue général, les trois quartiers accueillent des populations fragiles. Au Vieux Saint Ouen, en moyenne, 62% de la population a des ressources inférieures au plafond PLAI (prêt locatif aidé d’intégration), à Cordon-La Motte-Taupin dans certaines résidences ce taux peut atteindre 70% contre 59% pour la ville. Les taux de chômage sont également très élevés, car ils varient dans les trois quartiers entre 15 et 29% chez les actifs (LeFrêne, 2017).
Quels leviers d’action publique pour lutter contre les inégalités de santé et améliorer la vie des habitants des quartiers ANRU ?
Une promotion de la santé nécessaire
La promotion de la santé
Si l’expérimentation sur laquelle je travaille est menée par la direction de la réduction des inégalités et de la promotion de la santé, c’est parce que les projets de renouvellement urbain peuvent avoir un lourd impact sur la santé mentale des populations des quartiers ANRU, déjà soumises à de multiples vulnérabilités. Julie Vallée, chercheuse sur les inégalités sociales et spatiales de santé dans les espaces urbains, a établi avec d’autres chercheurs de l’INSERM un mini diagnostic dans le cadre de l’élaboration du SIRS (Système d’information à Référence Spatiale), dont les résultats montrent que les habitants des quartiers Politiques de la Ville seraient concernés à près de 12% par de la dépression (contre 5,6% en France métropolitaine en 2009 (DRAS PACA, 2009 ). Et, nous l’avons vu, les troubles mentaux toucheront 1 personne sur 4 au cours de sa vie. Nous parlons d’abord ici d’agir en population générale, c’està-dire, l’ensemble de la population (tout âge confondu) résidant sur un territoire donné (région, département, commune ou quartier) (ICARS) ici les quartiers ANRU. La promotion de la santé est donc à privilégier.
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Table des matières
Introduction
I- Les quartiers ANRU, des territoires urbains représentant un défi pour la promotion de la santé mentale
A) La santé mentale et le rôle des déterminants socio-économiques
B) Le lien entre urbanisme et santé, et l’impact de la ville sur la santé mentale
C) Les quartiers ANRU : de forts enjeux en termes de santé mentale liés aux caractéristiques de l’environnement urbain et aux caractéristiques psycho-sociales des habitants
II- Quels leviers d’action publique pour lutter contre les inégalités de santé et améliorer la vie des habitants des quartiers ANRU ?
A) Une promotion de la santé nécessaire
B) L’impact des projets de renouvellement urbain et les interfaces possibles pour la promotion de la santé mentale
C) De premières orientations pour faciliter la prise en compte de la santé mentale dans un projet d’aménagement urbain : étude de cas du projet de renouvellement urbain de Saint-Ouen/ L’Ile-Saint-Denis
Conclusion
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