Physiopathologie
Les troubles cognitifs post-AVC dépendent de mécanismes multiples. Avant la survenue d’un AVC, la présence de facteurs de risque vasculaire associés à un surrisque de troubles cognitifs ultérieurs (11). Cela pourrait s’expliquer par une accélération de la progression de l’atrophie cérébrale et de l’extension des anomalies de la substance blanche (12) ainsi que de la promotion des dépôts amyloïdes (13). Une proportion significative (souvent estimée aux alentours de 20–25 %) de patients admis pour un premier AVC a déjà des lésions vasculaires anciennes découvertes sur l’imagerie d’urgence. Ces lésions vasculaires sont souvent appelées des « AVC silencieux » car elles n’ont pas engendré d’épisodes aigus de signes cliniques localisés ou globaux de dysfonction cérébrale. Tout de même, ce terme reste impropre car elles contribuent significativement aux troubles cognitifs (14). Les lésions vasculaires liées à l’AVC-index, ont un rôle majeur dans l’émergence des troubles cognitifs. Ainsi, des études portant sur les démences post-AVC avaient conclu que ces dernières étaient liées essentiellement aux lésions vasculaires dans la moitié des cas (15).
Aspects épidémiologiques
L’AVC est la première cause de handicap acquis de l’adulte jeune, la deuxième cause de démence après la maladie d’Alzheimer et la troisième cause de mortalité (16). Aux Etats-Unis, les altérations cognitives sans ou avec perte de l’autonomie fonctionnelle, après un AVC étaient très fréquentes (15 % à 70 %) (17,18). En France, Jacquin et al en 2013 évaluaient les facteurs associés aux troubles cognitifs survenant après un AVC. Dans cette étude, les troubles cognitifs post-AVC étaient diagnostiqués pour un score au MMSE ou au MOCA inférieur ou égal à 26/30 ou si le bilan neuropsychologique était anormal. La prévalence des TCP était égale à 45,5 %, alors que celle des démences était de 7,7 % (19). Pechenot et al (20) en 2019 retrouvaient 28,6 % de patients en postAVC présentant une atteinte cognitive globale. Les troubles cognitifs étaient majoritairement représentés par les troubles attentionnels (51%), les troubles exécutifs (58,5 %) et les troubles mnésiques (47,9 %). Un total de 35,7 % des patients victimes d’AIT présentaient des troubles cognitifs.
Quelques rappels des différentes fonctions cognitives
Les fonctions exécutives et attention
Les fonctions exécutives sont souvent considérées comme représentant un «construit » rassemblant plusieurs fonctions cognitives. Elles constituent un ensemble de processus permettant à un individu de réguler de façon intentionnelle sa pensée et ses actions afin d’atteindre des buts, notamment lorsque la tâche est nouvelle ou complexe (21).
Elles comprennent :
● L’inhibition de la réponse : les processus d’inhibition ont pour but d’empêcher des informations non pertinentes de venir perturber la tâche en cours. L’inhibition met en jeu des « mécanismes permettant d’empêcher à des informations non pertinentes de rentrer dans la mémoire de travail (stockage à court terme et manipulation des informations) et de supprimer des informations précédemment pertinentes mais devenues obsolètes ».
● La flexibilité cognitive représente la capacité de déplacer volontairement le foyer attentionnel d’une catégorie de stimuli à une autre, comme le passage volontaire d’un processus cognitif à un autre. Cette fonction exécutive, considérée comme complexe entretient des liens très étroits avec l’inhibition, la mise à jour et l’orientation attentionnelle. Elle se développe sur leur base tout en étant bien distincte. La flexibilité mentale est nécessaire pour pouvoir adapter son plan d’action en fonction des contingences environnementales.
● La planification de l’action concerne la capacité de construire mentalement un plan et de séquencer ses actions en vue de la réalisation d’un objectif spécifique. La planification permet l’agencement et l’ordonnancement temporel en termes de priorité des différentes étapes nécessaires à la mise en place de la stratégie.
● La fluidité mentale (générativité/créativité) concerne la capacité de créativité, c’est-à-dire la capacité de générer différent(e)s mots, dessins, idées, etc.
● Autocritique est la capacité à évaluer convenablement ses propres capacités et comportements et à être conscient de ses forces et ses difficultés.
● Le jugement est la capacité à évaluer la meilleure alternative face à un problème en fonction des buts à atteindre, des valeurs et des règles sociales. Ceci permet de prendre des décisions appropriées et d’adopter des comportements adaptés aux situations.
● La conceptualisation est la capacité d’aller au-delà des éléments immédiatement perceptibles afin d’élaborer des concepts ou de mettre en place une stratégie. C’est trouver les moyens les plus appropriés pour atteindre un but, ce qui nécessite un raisonnement abstrait. Les troubles de la conceptualisation peuvent être testés par des épreuves de catégorisation « Quel est le point commun entre une orange et une banane ? » Elles seraient associées aux aires frontales dorso-latérales. La Batterie Rapide d’Evaluation des Fonctions Frontales (BREF) a été développée pour évaluer les différentes fonctions exécutives.
● L’attention,
L’attention est la prise de possession par l’esprit, sous une forme claire et vive, d’un objet ou d’une suite de pensées parmi plusieurs qui sont présents simultanément […]. Elle implique le retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les autres (22). Le trouble de l’attention cause une distractibilité pouvant aller jusqu’à l’adhérence à l’environnement : le patient porte son regard et son attention sur chaque événement perturbateur de l’environnement, sans réussir à focaliser son attention sur une tâche.
Les fonctions instrumentales
Langage
Les fonctions langagières comprennent un ensemble d’habiletés qui sont généralement divisées en deux catégories, soit les habiletés réceptives (comprendre le langage parlé et écrit) et les habiletés expressives (parler et écrire).
➤ Le langage Oral
Les habilités réceptives correspondent au décodage des mots ainsi qu’à la compréhension de phrases. Les habilités expressives correspondent à la dénomination, l’articulation, la fluence verbale, l’intonation, et la gestion de la syntaxe et de la grammaire.
➤ Le langage écrit
Dans le langage écrit, on différencie les capacités de lecture des capacités d’écriture
● La lecture correspond à la capacité à décoder des mots grâce à deux voies distinctes :
– La lecture par découpage en syllabes que nous traduisons en sons. Elle permet de décoder les nouveaux mots ;
– La reconnaissance du mot par sa forme globale et le contexte (la phrase). C’est la voie qui est utilisée par le lecteur compétent et qui permet une lecture fluide et rapide par reconnaissance instantanée du mot lu.
● L’écriture correspond à la maîtrise de l’orthographe et des règles de grammaire. Elle concerne également la maîtrise de la syntaxe, de la ponctuation, l’organisation du texte, et l’utilisation d’un vocabulaire adéquat.
Praxies
Ce sont les fonctions qui régulent l’exécution des gestes à un niveau élaboré et permettent l’organisation d’un geste dirigé vers un but. Le trouble qui résulte de la perturbation de ces fonctions est l’apraxie. Il correspond à un trouble de la réalisation du geste en l’absence de déficit sensitivomoteur, de trouble de la coordination, de trouble de la compréhension ou de la reconnaissance, et de déficit intellectuel important.
Fonction visuo-spatiale
Les fonctions visuo-spatiales permettent de s’orienter dans l’espace, de percevoir les objets de notre environnement et de les organiser en une scène visuelle cohérente. Ces fonctions permettent aussi d’imaginer mentalement un objet absent et de le manipuler (on parle alors d’imagerie mentale).
La mémoire
Capacité à retenir des informations visuelles, verbales à court et long terme.
➤ Mémoire à court terme et mémoire de travail La mémoire de travail est la capacité à manipuler, à réaliser « un travail » avec cette information maintenue en mémoire à court terme.
➤ Mémoire à long terme La mémoire à long terme correspond à la capacité à retenir des informations sur de longues périodes
● Sémantique concerne les connaissances acquises (culture générale, vocabulaire). Ces dernières sont stockées sans référence à un contexte précis, donc sans référence à un événement particulier de la vie de l’individu.
● Procédurale : ce sont des « savoir-faire », des habiletés perceptives, motrices ou cognitives qui ont été acquises par la pratique et qui sont graduellement devenues automatisées grâce à la mémoire procédurale que nous apprenons par exemple à conduire une voiture ou à jouer d’un instrument de musique. Une fois l’habileté acquise, son exécution devient automatisée, et il n’est alors plus nécessaire de réfléchir pour exécuter cette action.
● La mémoire épisodique permet de mémoriser des informations avec leur contexte d’acquisition, c’est-à-dire que l’on se souvient à la fois de l’information elle-même, mais aussi du moment, de l’endroit et de tous les éléments de contexte. Il peut s’agir là aussi de souvenirs personnels mais également d’informations ne nous concernant pas directement. Le fonctionnement de la mémoire épisodique se décompose en trois principaux processus : l’encodage, le stockage et la récupération de l’information.
Troubles cognitifs post-AVC
Les déficiences cognitives constituent une conséquence fréquente des accidents vasculaires cérébraux. Elles surviennent chez environ 45 % à 83 % des sujets selon le temps de suivi, les caractéristiques neurologiques et les instruments utilisés (23,24). Notamment, une déficience cognitive est observée dans plus de 50 % des patients à six mois après un AVC (23,25). Elles peuvent être très sévères et réaliser des tableaux de démences vasculaires. Ces derniers altèrent à la fois l’autonomie fonctionnelle et la qualité de vie (26,27). Les déficiences cognitives d’origine vasculaire comprennent un ralentissement de la vitesse de traitement de l’information, un dysfonctionnement exécutif, une héminégligence visuo-spatiale, des troubles attentionnels, des aphasies, apraxies et amnésies (25,28,29). Il n’y a pas de consensus sur les tests neuropsychologiques à utiliser pour évaluer les fonctions cognitives de patients ayant subi un AVC (30). Le choix des outils dépend généralement de la disponibilité d’un instrument et de la préférence et la familiarité du neuropsychologue avec les tests. Les troubles cognitifs après accident vasculaire cérébral sont une conséquence préoccupante à plusieurs titres : ils peuvent conduire à une perte d’autonomie, à un surrisque de récurrence d’AVC et de mortalité. Leur prévalence est très variable dans la littérature selon le type de population étudiée et les tests neuropsychologiques utilisés. Une étude française récente, menée en milieu hospitalier fait état de 50 % de troubles cognitifs à 3 mois post-AVC. Ces troubles cognitifs étaient légers dans 2/3 des cas et majeurs chez le 1/3 restant. Les critères diagnostiques Vascog (31) ont été récemment proposés pour le diagnostic des troubles cognitifs légers et majeurs d’origine vasculaire. Brièvement, ils sont composés de 2 modules : la démonstration du déclin cognitif et la démonstration de son origine vasculaire. La démonstration du déclin cognitif repose sur la conjonction d’une préoccupation (du patient, d’un proche ou d’un soignant) concernant les aptitudes cognitives (ou une modification comportementale) et l’objectivation d’un déficit dans au moins un domaine cognitif. La distinction entre trouble léger et majeur repose principalement sur la perte d’autonomie dont la présence indique un trouble majeur. Rappelons que la perte d’autonomie doit être spécifiquement engendrée par le trouble cognitif et non pas par les déficits physiques de l’AVC. La démonstration de l’origine vasculaire du déclin sépare les cas sans et avec AVC clinique, cette dernière seule concernant ce chapitre. Il est nécessaire que le déclin cognitif s’installe de façon concomitante à l’AVC et qu’il persiste après 3 mois. L’AVC doit être documenté cliniquement et radiologiquement avec ≥ 1 lésion vasculaire (infarctus territorial, hémorragie) et en cas d’infarctus lacunaire, celui-ci doit siéger en dehors du tronc cérébral. La prévalence des troubles cognitifs post-AVC est principalement étudiée pour les troubles majeurs (ou démence). Concernant les troubles légers, pourtant plus fréquents et accessibles à la remédiation cognitive et/ou à une rééducation orthophonique, sont moins connus. Ces derniers constituent cependant un handicap « invisible ». Une méta-analyse récente montrait que la moitié des patients évalués, à l’aide d’une batterie neuropsychologique après la phase aiguë d’un AVC, souffrait de troubles cognitifs. Cela se présentait, pour deux tiers d’entre eux, sous forme de troubles cognitifs légers et de troubles majeurs pour le tiers restant (32). Ainsi, au moins, un survivant sur deux présente des troubles cognitifs légers dans 2 cas sur 3.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
1. Définitions
2. Rappels anatomiques
3. Physiopathologie
4. Aspects épidémiologiques
5. Quelques rappels des différentes fonctions cognitives
5.1. les fonctions exécutives et attention
5.2. Les fonctions instrumentales
5.2.1. Langage
5.2.2. Praxies
5.2.3. Fonction visuo-spatiale
5.3. La mémoire
6. Troubles cognitifs post-AVC
DEUXIEME PARTIE
1. Hypothèse de recherche et critère de jugement
2. Objectifs
2.1. Objectif Général
2.2. Objectifs Spécifiques
3. Méthodologie
3.1. Cadre de l’étude
3.2. Type d’étude
3.3. Période d’étude
3.4. Population d’étude
3.4.1. Echantillonnage
3.4.2. Critères d’inclusions
3.4.3. Critères d’exclusions
3.5. Déroulement pratique
3.6. Outils de collecte et d’analyse des données
3.6.1. Outils de collecte de données
3.6.1.1. Questionnaire
3.6.1.2. La batterie d’évaluation neuropsychologique
3.6.1.3. La sévérité de l’AVC et l’autonomie fonctionnelle du patient
3.7. Considération éthiques
3.8. Difficultés et limites de l’étude
RESULTATS
1. Résultats descriptifs
1.1. Caractéristiques sociodémographiques de la population d’étude
1.2. Caractéristiques cliniques et paracliniques de la population d’étude
1.3. Données neuropsychologiques
1.3.1. Test du Sénégal
1.3.2. Le Mini Mental Status
1.3.3. Le MoCA
1.3.4. La figure de REY
1.3.5. TMT
1.3.6. Test des cloches
1.3.7. Test de la BREF
1.3.8. LAST
1.4. Fréquence et distribution des Troubles cognitifs
2. Étude analytique
2.1. Efficience cognitive globale
2.2. Fonctions exécutives
2.3. Mémoire
2.4. Langage
2.5. les autres fonctions cognitives
DISCUSSION
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
REFERENCES
ANNEXES