Le monde surprenant des atomes froids. Le domaine des atomes froids permet d’explorer une physique extraordinairement riche. En particulier, il existe toute une panoplie d’outils qui ont permis d’accomplir des progrès décisifs dans la compréhension des gaz quantiques. Il est possible, entre autres, de mélanger des atomes de masses ou de statistiques différentes, ou encore de confiner fortement le gaz dans des guides d’onde jusqu’à atteindre des dimensions réduites (1D ou 2D) [1]. Il est également possible de changer les effets des interactions grâce au cadeau de la nature que sont les résonances de Feshbach [2]. Tous ces mécanismes permettent d’explorer une très grande diversité de régimes quantiques dégénérés.
Tour d’horizon des thématiques abordées
Interactions effectives et lois universelles. Grâce à cette séparation d’échelle ainsi qu’à la faible température, les interactions à deux corps peuvent être très bien modélisées par des interactions effectives dépendant de peu de paramètres. Par exemple, le pseudo-potentiel de Fermi-Huang ne possède comme paramètre servant à décrire les interactions que la longueur de diffusion.
L’utilisation de ces interactions effectives permet de faire émerger des lois universelles, dans le sens où elle ne dépendent pas explicitement des détails des interactions. Ce type d’universalité est présent par exemple dans l’approche de champ classique de Gross-Pitaevskii qui régit la dynamique des condensats de Bose-Einstein (BEC) [3], où quelle que soit l’espèce atomique, l’interaction est paramétrée par une seule longueur : la longueur de diffusion. Cette universalité est également présente dans le problème à petit nombre de corps avec, entre autre, l’effet Efimov dans lequel le spectre des états liés suit une loi géométrique [4, 5].
Résonances de Feshbach. En utilisant le mécanisme de Feshbach, il est possible de contrôler expérimentalement, grâce à un champ magnétique, la longueur de diffusion d’une interaction donnée de façon continue et ainsi d’atteindre des régimes de forte corrélation. C’est l’un des précieux outils des expériences d’atomes froids, dont l’un des exemples les plus frappants a été l’étude de la transition BEC-BCS pour un gaz de fermions.
Il est possible de définir pour chaque résonance de Feshbach une longueur caractéristique notée R⋆ [6] proportionnelle à l’inverse de ∆B, ce qui permet de définir deux types de résonances. Si R⋆ est petite par rapport au rayon de van der Waals (∆B grand), on parle de résonance large – c’est le cas d’une grande partie des résonances étudiées à l’heure actuelle. Au contraire, pour des résonances étroites (∆B petit), R⋆ peut prendre des valeurs significativement grandes, ce qui définit une nouvelle échelle d’énergie intermédiaire qui doit être prise en compte [7]. Cette échelle est notamment importante dans le problème à petit nombre de corps. Pour le problème à deux corps, R⋆ est étroitement lié à la portée effective du potentiel. Pour le problème à trois corps, le paramètre à trois corps de l’effet Efimov dépend de cette longueur. Dans le problème à N bosons résonants, son rôle est primordial [8].
Gaz quantique en dimensions réduites. Un gaz tridimensionnel fortement confiné dans un guide d’onde selon une ou deux directions peut se comporter comme un gaz quasi uni- ou bidimensionnel. Cette propriété est très intéressante, car certaines phases corrélées n’existent qu’en dimension réduite, comme le régime de Tonks-Girardeau [9, 10] pour un gaz unidimensionnel de bosons. Ce système se comporte comme un système fermionique, où la forte interaction répulsive remplace le principe d’exclusion de Pauli. Cette phase prédite dans le contexte de la matière condensée a été observée récemment pour la première fois grâce aux atomes froids [11, 12]. Pour une interaction très fortement attractive, on retrouve cette propriété de forte corrélation pour les états d’énergie positive dans le régime de super-Tonks Girardeau [13, 14]. La transition entre deux dimensions différentes présente elle aussi un intérêt physique. Par exemple, la transition à la limite unitaire entre les états liés d’Efimov et les deux états liés universels du même système de trois bosons à deux dimensions a été récemment étudiée [15]. En dimension réduite, les résonances ne se produisent pas à la limite où la longueur de diffusion diverge, mais pour d’autres valeurs dépendant des paramètres du confinement. On les appelle ainsi résonances induites par le confinement [16, 17, 18, 19].
Intégrabilité. Certains systèmes unidimensionnels quantiques sont intégrables et ne peuvent donc pas se thermaliser. Pour un gaz d’atomes froids, l’intégrabilité est liée au fait que l’ansatz de Bethe est solution du problème à N corps. Cet ansatz a été utilisé entre autres par Lieb et Liniger pour étudier un système unidimensionnel intégrable de bosons en interactions de contact répulsives [20, 21]. Les systèmes intégrables sont bien compris et ont été étudiés en détail avec les atomes froids. Les voies de recherche actuelles concernent principalement les écarts à l’intégrabilité et les propriétés de thermalisation ou de réactivité chimique qui en découlent [22]. Puisque cette intégrabilité est une propriété uniquement unidimensionnelle, il est possible d’étudier la transition entre un système intégrable et un système non-intégrable, grâce à la transition entre un gaz tridimensionnel et un gaz unidimensionnel [23].
Développement du viriel. L’un des angles d’attaque naturels pour étudier un gaz quantique est de développer son équation d’état en puissance de sa densité : il s’agit du développement du viriel. Ce développement permet de prendre en compte les interactions entre particules et crée un pont entre la physique du petit nombre de corps et la thermodynamique. Ces coefficients ont été mesurés pour une grande diversité de gaz ultra-froids, ce qui appuie l’intérêt théorique qui leur est porté. Les travaux expérimentaux les plus récents portent sur le gaz de fermions unitaire [24, 25, 26]. De plus, de nombreuses méthodes indépendantes permettent de calculer ces coefficients, par exemple la méthode des déphasages proposée par Beth et Uhlenbeck en 1937 [27] et généralisée avec le formalisme des opérateurs d’Ursell [28, 29, 30, 31] ou celle consistant à calculer les fonctions de partition à N corps, dont les résultats les plus récents concernent le gaz de bosons unitaire [32], de fermions unitaire [33, 34], de fermions unitaire à deux composantes de masses différentes [35], ainsi que le gaz tridimensionnel piégé au voisinage d’une résonance de Feshbach étroite [36]. Une méthode de calcul diagrammatique de ces coefficients du viriel a été développée en 2011 par X. Leyronas [37] afin d’étudier un gaz fermionique. Elle est systématique et permet de calculer les coefficients du viriel pour un ordre donné. Elle a ainsi été appliquée pour analyser un gaz de fermions bidimensionnel [38].
Principaux résultats obtenus
C’est au sein de ces différentes thématiques concernant les gaz d’atomes froids que nous avons cherché à répondre à certaines questions non encore résolues. Un gaz au voisinage d’une résonance de Feshbach étroite n’est souvent pas bien décrit par un modèle effectif qui ne prend en compte que la longueur de diffusion. Nous nous sommes alors demandé s’il existait des régimes similaires, en dimension réduite, où la longueur de diffusion (en dimensions réduites) n’est pas suffisante pour décrire les interactions. Pour répondre à cette question, nous commençons par donner quelques rappels utiles de la théorie de la diffusion (chapitre 1) ainsi qu’une description détaillée du modèle à deux voies qui sera très présent dans ce manuscrit (chapitre 2). Puis nous étudions les propriétés collisionnelles d’un gaz quantique confiné dans un guide d’onde (chapitre 3) où l’interaction tridimensionnelle est représentée par un modèle à deux voies, qui décrit très bien la physique du mécanisme de Feshbach. Ceci permet d’une part d’obtenir les relations entre les propriétés tridimensionnelles du gaz libre et les propriétés uni- et bidimensionnelles du gaz confiné dans un guide d’onde. D’autre part, nous mettons en évidence un régime (pour des bosons ou des fermions non polarisés), au voisinage d’une résonance unidimensionnelle, où le terme de portée effective est essentiel dans les propriétés de basses énergies [39]. Ce régime peut alors être décrit par une interaction effective purement unidimensionnelle possédant deux longueurs caractéristiques : la longueur de diffusion et la portée effective. Ce régime et son analogue pour des fermions totalement polarisés ont déjà été étudiés grâce à l’ansatz de Bethe [40, 41, 42] afin d’obtenir des résultats exacts pour le problème à N corps. Cependant, nous montrons que ces systèmes ne sont pas intégrables. Pour cela, nous examinons en détail le problème à trois corps qui est la clef de voûte des propriétés d’intégrabilité (chapitre 4). Nous étudions en particulier les écarts à l’intégrabilité dans ce système de trois particules [43]. Bien que le développement du viriel ait déjà été étudié aussi bien pour des systèmes strictement en dimension réduite que pour des gaz confinés dans des pièges harmoniques tridimensionnels, l’évolution de ses coefficients lors de la transition entre un gaz tridimensionnel et un gaz en dimension réduite est encore une question ouverte. De plus, ces coefficients n’ont jamais été calculés avec une modélisation du mécanisme de Feshbach prenant en considération la présence de molécules de Feshbach. En collaboration avec Xavier Leyronas, nous adaptons donc la méthode diagrammatique pour le modèle à deux voies afin de calculer le second coefficient du viriel d’un gaz bosonique ou fermionique non polarisé confiné dans un guide d’onde (chapitre 5). Nous trouvons ainsi, pour le second coefficient, une expression de type Beth et Uhlenbeck qui prend en compte le guide d’onde et les contributions des molécules de Feshbach.
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Table des matières
Introduction
1 Éléments de la théorie de la diffusion
1.1 Les interactions
1.2 Collision binaire élastique
1.3 Dimères
1.4 L’approximation de portée nulle et le pseudo-potentiel
1.5 Modèles de Wigner-Bethe-Peierls et de portée effective
1.6 Filtrage en ǫ
2 Le modèle à deux voies
2.1 Présentation du modèle à deux voies
2.2 Pertinence de ce modèle
2.3 Hamiltonien du modèle à deux voies
2.4 Liens entre paramètres du modèle à deux voies et expérimentaux
2.5 Contribution de la voie moléculaire dans le produit scalaire
3 Collisions dans un guide d’onde
3.1 Modèles purement uni- et bidimensionnels
3.2 Limite des modèles purement unidimensionnels
3.2.1 Quelques expériences en dimension réduite
3.2.2 Longueurs de diffusion dans un guide d’onde
3.3 Guide d’onde
3.3.1 Potentiel harmonique
3.3.2 États propres
3.3.3 Régime monomode
3.4 Matrice de transition dans un guide d’onde
3.4.1 Guide d’onde bidimensionnel
3.4.2 Guide d’onde unidimensionnel
3.5 Déphasages dans un guide d’onde
3.5.1 Difficultés pour définir les déphasages
3.5.2 Définition des déphasages
3.6 Paramètres de la diffusion monomode dans un guide d’onde
3.6.1 Lien avec les paramètres 3D
3.6.2 Condition de contact uni- et bidimensionnelle
ii TABLE DES MATIÈRES
3.7 Énergie des dimères
3.7.1 Dimères du modèle à deux voies tridimensionnel
3.7.2 Dimères du modèle à deux voies dans un guide d’onde harmonique
3.7.3 Comparaison entre les dimères prédits par les différents modèles
3.8 Voisinage de la résonance 1D
Article 1 : Ultracold-atom collisions in low dimensions : A two-channel analysis
4 Portée effective 1D et écart à l’intégrabilité
4.1 Introduction
4.2 Diffusion unidimensionnelle
4.2.1 Généralités
4.2.2 Modèles de portée effective
4.2.3 État lié à deux corps
4.2.4 Modèle de contact pour un système de N atomes
4.3 Résultats connus pour les modèles de contact à N corps
4.3.1 Hamiltonien
4.3.2 Diagramme de phase du secteur pair
4.3.3 Mise en correspondance bosons-fermions
4.3.4 Régime de Tonks-Girardeau fermionique
4.4 Intégrabilité des modèles de portées effectives
4.5 Modèles à deux voies unidimensionnels
4.5.1 Hamiltonien
4.5.2 Amplitude de diffusion
4.5.3 Équation intégrale
4.6 Écart à l’intégrabilité
4.6.1 Critère de Yang-Baxter-McGuire
4.6.2 Ansatz de Bethe pour un modèle de portée effective
4.6.3 L’ansatz de Bethe est-il solution de l’équation intégrale ?
4.6.4 Équivalence des modèles pour le problème à trois corps
4.6.5 Étude numérique du spectre des états liés à trois corps
4.7 Diffusion atome-dimère
4.7.1 Ansatz
4.7.2 Équation intégrale pour la diffusion atome-dimère
4.7.3 Lois limites
4.8 États liés dans le secteur pair dans une boite
4.8.1 Filtrage en ǫ
4.8.2 Deux atomes dans une boîte
4.8.3 État fondamental de trois bosons dans une boîte
Annexe
4.A Intégrabilité et ansatz de Bethe
Article 2 : One-dimensional ultracold atomic gases : impact of the effective range on the integrability
TABLE DES MATIÈRES
Conclusion
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