Quelques définitions relatives à la formation d’ettringite différée
La formation d’ettringite différée peut se produire dans le béton durci de deux manières différentes, la source de sulfate qui va engendrer cette pathologie pouvant être d’origine externe ou interne :
– dans le premier cas, les sulfates sont amenés par le milieu extérieur (sols, eaux usées, eau de mer, …). Cette pathologie, souvent appelée « DEF by ESA » (Delayed Ettringite Formation by External Sulfate Attack) dans la bibliographie, a très largement été étudiée depuis plusieurs décennies. Ses causes et ses conséquences sont donc, à présent, bien maîtrisées et les maîtres d’ouvrage disposent de moyens efficaces permettant de se protéger contre cette agression ;
– dans le second type de formation différée d’ettringite, il n’y a pas d’apport extérieur de sulfate, les sulfates nécessaires à la formation d’ettringite sont déjà à l’intérieur du béton. L’étude de cette pathologie, dénommée « DEF by ISA » (Delayed Ettringite Formation by Internal Sulfate Attack) dans la bibliographie [COLLEPARDI, 2003], est plus récente que celle sur l’attaque sulfatique externe et de nombreuses recherches sont toujours en cours sur cette pathologie.
L’ensemble des études menées jusqu’à présent a montré que la réaction sulfatique interne pouvait être due :
– à la libération tardive de sulfates piégés dans les grains de clinker lors de l’hydratation du ciment,
– à la présence de sulfates dans les granulats (la plupart du temps sous forme de pyrite),
– mais, surtout, et c’est ce à quoi nous nous intéresserons durant cette thèse, à un échauffement excessif du béton durant sa prise qui empêche l’ettringite initiale de se former normalement. Cette situation peut se produire lors des traitements par étuvage du béton ou au cœur de pièces massives de béton (exothermie naturelle du matériau) ou même par échauffement tardif du béton durci [BARBARULO, 2002].
D’autres nomenclatures, telles que celles présentées dans le projet GranduBé [GRANDUBE, 2006], ont été adoptées pour distinguer les différentes catégories d’ettringite. On y distingue quatre catégories principales d’ettringite dépendant du moment où le minéral se forme et de son processus de formation dans le béton :
– l’ettringite de formation primaire (précoce) résultant de l’hydratation des aluminates de calcium en présence de gypse, qui ne provoque pas d’expansion ;
– l’ettringite de formation secondaire (tardive) provoquant de l’expansion qui peut résulter d’un apport important de sulfates venant du milieu extérieur mais également (plus rarement) par un excès de sulfates internes. Les dégradations se traduisent par une formation d’ettringite massive dans la pâte de ciment durcie ;
– l’ettringite de formation secondaire (tardive) ne provoquant pas d’expansion qui est due à la cristallisation de l’ettringite (primaire ou par formation différée) dans les espaces libres du béton (pores, fissures, interfaces pâte-granulats) à partir de la solution interstitielle. Cette ettringite ne possède pas un caractère expansif mais elle peut accompagner les phénomènes d’expansion par un processus de dissolution et de recristallisation dans les fissures d’ettringite ayant provoqué un gonflement ;
– l’ettringite de formation différée consécutive à une élévation de température subie par le béton au cours de son histoire. Cette ettringite doit être distinguée des autres formes d’ettringite par le fait qu’elle est obtenue par des processus de formation complexe : décomposition thermique (et/ou non formation) de l’ettringite primaire, (re)précipitation différée de microcristaux d’ettringite dans la pâte de ciment hydratée générant des gonflements et une fissuration de celle-ci.
La précision des appellations données aux différentes pathologies liées à la formation d’ettringite différée a souvent été source de discussions, voire de tensions… Aussi, lors de la dernière conférence sur le sujet (congrès de la RILEM sur la réaction sulfatique interne en 2002 [RILEM, 2002]), les organisateurs ont souhaité clarifier la situation. Ainsi, dans les conclusions de ce colloque, il a été proposé que l’appellation donnée à la pathologie qui nous intéresse dans ce mémoire de thèse soit « heat induced internal sulfate attack » du fait que l’attaque sulfatique interne soit engendrée par un échauffement. Cette dénomination a le mérite d’être précise et de parfaitement correspondre au cas qui nous intéresse. Cependant, dans la suite de ce travail, nous continuerons par habitude à utiliser le terme plus général de DEF sachant que, dans notre cas, cela ne concerne que les attaques d’origine interne dues à des températures excessives aux jeunes âges.
Ayant défini le cas d’étude qui nous intéresse, nous allons dans les paragraphes suivants présenter une synthèse des connaissances relatives à ce thème, collectées dans la documentation scientifique.
Particularités des essais relatifs à l’étude de la DEF
Avant de présenter les données disponibles dans la bibliographie, qui sont issues pour la plupart d’essais expérimentaux, il nous a paru intéressant de nous pencher de plus près sur ces essais. En effet, la plupart des résultats obtenus sur les études relatives à la DEF présentent des particularités que ce soit sur le type des matériaux étudiés, sur la variabilité des résultats obtenus en laboratoire et, enfin, sur la lenteur de l’apparition des phénomènes qui a poussé les chercheurs à chercher des solutions pour la mise en place d’essais accélérés.
Types de matériaux étudiés
Jusqu’à aujourd’hui, la majorité des études de laboratoire concernant la formation différée de l’ettringite a été menée sur des échantillons de mortier [FAMY, 1999 ; YANG et al., 1999 ; TAYLOR et al., 2001 ; ESCADEILLAS et al., 2007]. Celles menées sur des échantillons de bétons [PETROV, 2003 ; PAVOINE, 2003 ; BRUNETAUD, 2005 ; GranDuBé, 2007], ou sur des échantillons de pâtes de ciment [ODLER et al., 1995 ; BARBARULO, 2002], sont plutôt rares. Il est difficile également de rencontrer des études comparatives entre des échantillons de béton et de mortier [LAWRENCE, 1999 ; PETROV, 2003] et les conclusions tirées lors d’études sur mortier sont souvent généralisées au béton. Or, Petrov durant sa thèse [PETROV, 2003] a montré, par une étude comparative impliquant plus de 1000 échantillons de mortier et de béton, que les conclusions tirées d’une étude sur mortier ont de fortes chances de ne pas être applicables au béton.
Variabilité des résultats d’expansion
Dans les différentes études répertoriées dans la bibliographie, une particularité liée aux résultats obtenus semble récurrente : il s’agit de la dispersion importante des expansions observées sur des éprouvettes pourtant identiques atteintes de la DEF. Nous allons illustrer cela par la présentation des résultats d’études menées récemment à grande échelle en France. En 2007, des travaux sur la DEF utilisant des échantillons de béton ont été réalisés dans le cadre d’un projet national appelé « Grandubé ». Ce projet national de l’AFGC, soutenu par le RGCU, a mis en collaboration plusieurs laboratoires (CEBTP, CERIB, EDF, LERM, CTG, HOLCIM, LAFARGE, VICAT, LNEC (Portugal), LCPC, LRPC Bourget, LRPC Lille, LMDC). Il a eu pour objectif principal de définir des modes opératoires pour un ensemble de grandeurs jugées décisives à l’égard de la durabilité des ouvrages et pour la prise en compte d’une démarche performantielle. Le projet GranDuBé a été réparti en quatre thèmes, ce qui a conduit à une organisation en quatre sous-groupes : ciment, microstructure, chlorures et réactions endogènes. La partie qui nous intéresse porte sur les travaux effectués par le groupe « Réactions Endogènes » et plus particulièrement l’étude sur la reproductibilité du projet de méthode d’essai LCPC n°59 « Réactivité d’une formule de béton vis-à-vis d’une réaction sulfatique interne ».
Plusieurs campagnes d’essais croisés ont été réalisées avec la confection d’éprouvettes prismatiques (7cm x 7cm x 28cm) et cylindriques (Ø 11cm x H 22cm) en béton fabriquées à partir de deux ciments (un ciment réactif « A » et un ciment non-réactif « C ») et d’un type de granulat siliceux provenant des carrières Palvadeau « Les Douèmes ». Pour ne pas alourdir ce mémoire, nous ne présenterons que les résultats issus de la première campagne d’essais.
Pour cette campagne, un seul et même laboratoire a réalisé toutes les éprouvettes de béton en leur faisant subir le traitement thermique retenu pour l’étude (palier de 10h à 80°C) puis les a envoyées à chaque laboratoire. Ceux-ci devaient alors faire subir aux éprouvettes reçues des cycles d’humidification (immersion) – séchage (40°C) durant un mois, chaque cycle durant une semaine. Ce traitement par cycles successifs d’humidification-séchage des éprouvettes, qui a été étudié durant la thèse de Pavoine au LCPC [PAVOINE, 2003], avait pour objectif d’accélérer l’apparition des expansions (nous y reviendrons plus précisément dans la prochaine section). Ensuite, chaque laboratoire a suivi les variations longitudinales et massiques des éprouvettes conservées dans l’eau.
Les causes possibles proposées [GranDuBé, 2007] et qui seraient à l’origine des écarts entre laboratoires sont les suivantes :
– les conditions de réalisation des cycles de séchage/humidification (différentes) ;
– le volume d’eau dans lequel sont immergées les éprouvettes lors de la phase d’immersion (variable) ;
– les échéances pour le démarrage des essais (différentes) ;
– la nature même des mécanismes à l’origine du gonflement ;
– l’influence de la forme des éprouvettes (cylindrique ou prismatique).
Ce dernier point concernant la forme des éprouvettes semble s’avérer déterminant sur la dispersion des gonflements car, si l’on observe la figure I-1, on constate que la dispersion entre laboratoire pour les éprouvettes prismatiques est plus faible que celle observée pour les éprouvettes cylindriques (mais les déformations sont aussi plus faibles). Les principales différences induites par la forme des éprouvettes et qui sont mises en avant lors du projet GranDuBé sont :
– l’élancement, car les prismes 7cm x 7cm x 28cm ont un élancement de 4, au lieu de 2 pour les cylindres Ø11cm x H22cm, ce qui peut favoriser une déformation en courbe des éprouvettes et donc une sous-estimation de l’allongement ;
– la mise en place du béton dans les moules prismatiques qui pourrait générer une hétérogénéité du béton et ainsi accentuer une déformation en courbe ;
– le nombre et les caractéristiques des plots de mesure (une seule mesure axiale pour les éprouvettes prismatiques contre 3 mesures latérales pour les éprouvettes cylindriques).
Même si les raisons ne sont pas clairement élucidées, ces observations confirment la grande variabilité des résultats obtenus lorsque l’on étudie cette pathologie. Il convient donc de réaliser ces mesures sur un nombre minimal d’éprouvettes (au moins trois). Cependant, même en travaillant sur des éprouvettes identiques, qui ont subi les mêmes traitements et qui ont été conservées dans les mêmes conditions, la dispersion des résultats reste importante, ce qui serait davantage à mettre au crédit de la nature même des mécanismes à l’origine du gonflement.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : Revue des connaissances Problématique
I ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
I.1 QUELQUES DEFINITIONS RELATIVES A LA FORMATION D’ETTRINGITE DIFFEREE
I.2 PARTICULARITES DES ESSAIS RELATIFS A L’ETUDE DE LA DEF
I.3 PRINCIPAUX FACTEURS INFLUENÇANT LA DEF
I.4 MECANISMES D’EXPANSION
II PROBLEMATIQUE ET PROGRAMME DE RECHERCHE
II.1 BILAN SUR L’ETAT DES CONNAISSANCES
II.2 PROBLEMATIQUE ET OBJECTIFS POURSUIVIS DURANT LA THESE
II.3 DESCRIPTION DU PLAN DE LA THESE
CHAPITRE II : Matériaux – Procédures
I MATERIAUX
I.1 CIMENTS
I.2 GRANULATS
I.3 COMPOSITIONS DES MELANGES ETUDIES
II PREPARATION DES EPROUVETTES DE MORTIERS ET BETONS
II.1 FABRICATION
II.2 TRAITEMENT THERMIQUE UTILISE
II.3 CONSERVATION DES EPROUVETTES
II.4 EXTRACTION ELECTROCHIMIQUE DES ALCALINS
III PROCEDURES EXPERIMENTALES
III.1 METHODE DE SUIVI DES EPROUVETTES DE MORTIER ET DE BETON
III.2 SUIVI IONIQUE DANS L’EAU DE CONSERVATION
III.3 ETUDE AU MICROSCOPE ELECTRONIQUE A BALAYAGE
III.4 SUIVI MINERALOGIQUE DE PATES DE CIMENT PAR DIFFRACTION DE RAYONS X
III.5 ETUDES SUR EPROUVETTES MIXTES
IV REFERENCES DES EPROUVETTES ET PRESENTATION SCHEMATIQUE DU PLAN EXPERIMENTAL
V CONCLUSIONS
CHAPITRE III : Etude macro-micro de la DEF
I ETUDE SUR MORTIERS ET BETONS DE DIFFERENTS PARAMETRES
I.1 EFFET DE LA NATURE DU LIANT (ESSAIS SUR MORTIER)
I.2 EFFET DU RAPPORT E/C (ESSAIS SUR MORTIER)
I.3 EFFET D’UN TRAITEMENT DE PREENDOMMAGEMENT
I.4 EFFET DES CONDITIONS DE CONSERVATION (ESSAIS SUR MORTIER)
I.5 EFFET DU TYPE DE MATERIAU : COMPARAISON MORTIER/BETON
II SUIVI DE LA FORMATION D’ETTRINGITE DIFFEREE AU MEB LORS DE L’EXPANSION
II.1 ETUDE SUR MORTIER
II.2 ETUDE SUR BETON
II.3 DISCUSSION SUR LES OBSERVATIONS FAITES AU MEB AU COURS DE L’EXPANSION
III CONCLUSIONS
CHAPITRE IV : Essais spécifiques pour la compréhension des phénomènes
I INTRODUCTION
II SUIVI IONIQUE AU COURS DE LA CONSERVATION DES MORTIERS
II.1 CONTEXTE EXPERIMENTAL
II.2 SUIVI DES EXPANSIONS
II.3 ETUDE DU LESSIVAGE DES ELEMENTS MAJEURS
II.4 CONCLUSIONS
III ETUDE DE PATES DE CIMENT PAR DIFFRACTION DE RAYONS X
III.1 INTRODUCTION
III.2 CONDITIONS EXPERIMENTALES
III.3 EFFETS DE LA NATURE DU CIMENT (ESSAIS A 80°C)
III.4 EFFET DE LA TEMPERATURE DE TRAITEMENT (60°C ET 80°C)
III.5 EFFET DES SULFATES ALCALINS
III.6 CONCLUSIONS
IV ETUDE DES EPROUVETTES MIXTES (PATES MIXTES)
IV.1 ETUDE PAR D.R.X DE LA PATE DE CIMENT
IV.2 ETUDE AU M.E.B COUPLEE AVEC L’EDS
V CONCLUSIONS
CONCLUSION GENERALE