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Comment l’entreprise parle-t-elle ?
Les débuts de l’entreprise communicante peuvent être situés au début du XXème siècle, et il s’agit d’opérations purement commerciales. Lors de notre entretien, Assaël Adary a ainsi très justement rappelé que l’inventeur des relations “publics”30 n’est autre qu’Edward Bernays31, ce publicitaire qualifié par l’interviewé de “penseur historique des parties prenantes.”32 De fait, Bernays est à l’origine de l’orchestration d’une influence commerciale particulièrement performante car inscrite dans une vision uniquement mercantile. Pour prendre l’exemple d’influence le plus connu, Bernays a mis au point une méthode d’incitation à la consommation de tabac pour Lucky Strike à destination des jeunes femmes américaines. Ayant constaté que ces dernières fumaient peu en raison de la connotation qui a fait de la cigarette un symbole du pénis, rendant par-là la pratique interdite et tabou pour les femmes, Bernays a monté une campagne extrêmement médiatisée où de jeunes et jolies femmes affirmaient leur indépendance et leur émancipation par la cigarette. Progressivement, de plus en plus de femmes ont commencé à fumer en public en reprenant le slogan publicitaire selon lequel elles allumaient “les torches de la liberté.”33
De la sorte, nous voyons que les premières prises de parole de l’entreprise, loin de se limiter aux pures relations presse, pouvaient être extrêmement organisées et sophistiquées, en plaçant un produit au cœur de la société et de la politique pour engager le consommateur et le placer sous une influence pérenne. Néanmoins, cette remise en perspective historique concerne principalement des communications commerciales, un périmètre généralement confié aux directions marketing dans le monde d’aujourd’hui. Les directions de la communication d’entreprises se concentrent sur d’autres messages, notamment ceux qui ont trait au fait que l’entreprise a commencé à s’exprimer en tant qu’entreprise.
Toujours dans Les promesses de la communication, d’Almeida évoque ce moment : “du déplacement de l’entreprise qui s’inscrit désormais dans l’espace public conçu ici comme espace d’apparition et de visibilité. La publicisation de l’entreprise renvoie tout d’abord à un soigneux travail de construction de soi auprès de l’opinion, de présentation et exposition de soi orchestré par des directions de communication nées en France dans les années 1970. (…) La visibilité des agents économiques n’est pas une donnée nouvelle mais le résultat d’un travail de présentation de soi, de citation de soi auprès de publics plus larges que les seuls salariés.”34 En d’autres termes, dans le cadre d’une redistribution des pouvoirs qui structurent l’espace public, dont la nouvelle place des médias est un révélateur, la communication devient pour l’entreprise une fonction-support grâce à laquelle elle peut trouver et prendre sa place. “L’entreprise se raconte en racontant le monde”35, et la communication devient rapidement une fonction globale au périmètre facilement adaptable selon les besoins.
Dans son ouvrage Directeurs de communication, Les avatars d’un modèle professionnel36, Jacques Walter37 analyse ces évolutions dans les prises de parole en s’attardant sur la transition qu’ont opérée les entreprises entre information et communication. Il écrit : “En 1920-1930, le passage de relations publiques défensives à des relations “offensives” s’accentue : les patrons veulent susciter l’adhésion du public aux projets de l’entreprise en utilisant une logique d’information (l’un des fondements de leur argumentation est que le public n’adhère pas parce qu’il n’est pas informé).”38 Mais l’usage de l’information authentique, qui montre l’entreprise sous son vrai visage, se situant par-là à l’origine des relations publiques traditionnelles, est progressivement pénétré par d’autres messages. Le rapport à l’information mute. Il “quitte la logique de l’énoncé se voulant strictement dénotatif et s’engage dans la voie du message communicationnel, comportant une dimension vocative et prescriptive”39. Si, selon Walter, ces informations sont dissociées de la promotion commerciale dans la mesure où “c’est au professionnel de la publicité d’intervenir pour motiver les achats”40, la construction du message communicationnel s’accompagne des premiers achats d’espace dans les médias par les professionnels de la communication dans le but de parfaire, par exemple, l’image globale du groupe. La communication assume dès lors une dimension marchande indissociable du reste de ses activités.
Walter poursuit son décryptage de la mise en place d’une entreprise qui parle en rappelant la date de 1973, soit la création du Syndicat national des professionnels de l’information et de la communication (SNPIC). Ce syndicat avait pour objectif de placer la communication au centre de l’entreprise, en construisant des politiques de communication totale, pour contrer les crises notamment. La communication interne y est définie comme un outil de management, tandis que la communication externe endosse une finalité sociale qui confère à l’entreprise son rôle citoyen et annonce par-là les dynamiques RSE progressivement assurées par la communication.
La naissance du directeur de la communication
Dans l’introduction de son ouvrage sur les Directeurs de communication, Walter annonce que les années 1980 ont été celles de l’émergence des directeurs de la communication, parvenus à atteindre une position dominante dans la hiérarchie des entreprises et à être défenseurs d’une conception de la communication comme élément essentiel du management stratégique. Cette fonction a été progressivement “confiée à un corps d’experts. La communication est donc non seulement une idéologie, mais aussi un espace professionnel et un marché du travail. Ce qui suppose un investissement dans la légitimation de l’activité et des professionnels qui s’y consacrent.”49 A la description du processus d’émergence de la fonction, Walter associe un terme bien spécifique : cristallisation. La cristallisation permet selon lui de rendre compte d’un modèle dont le processus est toujours en cours. Elle est un “moyen de gérer le flou du monde professionnel autour de cette fonction” et de saisir que “son mode de gestion est toujours un objet d’investigation.”50
Cependant, en dépit d’une cristallisation certaine, Walter parvient à situer quelques dates-clefs dans l’émergence de la fonction ainsi que quelques grands principes intégrés à cette professionnalisation du métier. Il évoque notamment une publication de l’Union des Annonceurs en 1982, intitulée L’image de l’entreprise. Initialement tournée vers la publicité et le produit, cette association, rappelons-le, s’est ensuite intéressée aux questions de promotion de l’image d’une marque et a défini dans cet ouvrage la politique d’image comme un “synonyme de communication institutionnelle en intégrant la dimension marchande.”51 L’image construite concerne dès lors toutes les facettes de l’entreprise (financière, industrielle, sociale) et est formée par de multiples composantes, ce qui entraîne une communication “fondée non sur une action au coup par coup mais, comme pour la finance ou la gestion, sur une véritable politique : une volonté, des objectifs, du temps.”52 L’image devient par ailleurs “une partie non négligeable du fonds de commerce”53, actant la valeur marchande du capital immatériel de l’entreprise permis et valorisé par la communication, et validant le levier de noblesse souligné par Florence Paris au sujet du nécessaire impact business de la communication. La communication devient progressivement holiste, et la publicité commerciale cède le pas à la publicité institutionnelle incarnée par un directeur.
Une presse professionnelle se met en place et contribue à l’émergence du modèle directeur de la communication, à l’image de Communication CB News, un ensemble de publications professionnelles à l’origine de la création du Top-Com, le salon des directeurs de la communication54. La constitution et la visibilité du modèle se poursuivent aussi avec la création55 d’Entreprises et Médias, cette association que Walter qualifie d’“omniprésente dès qu’il s’agit des directeurs de la communication.” Ses membres forment selon lui la quintessence de la profession, et sont une référence pour la définition de cette dernière. En 1985, année de sa création, Entreprises et Médias a d’ailleurs pour ambition de conduire la démarche de stabilisation de la profession56.
Le directeur de la communication aujourd’hui au cœur d’un enjeu stratégique spécifique : la prise en compte des parties prenantes dans leur globalité.
Comme nous l’avons vu en introduction, l’expression “parties prenantes” est le fruit d’un figement sous forme de formule d’une chaîne de mots dont la signification demeure flottante77. Les parties prenantes sont tantôt les partenaires de l’entreprise, tantôt ses concurrents, ses soutiens, ses opposants, ou encore ses composantes internes. Si nous adopterons pour le bon traitement de cette hypothèse la définition générique selon laquelle les parties prenantes sont toutes les entités faisant partie de l’écosystème de l’entreprise78, il nous semble important d’insister sur le fait qu’il existe autant de cartographies de parties prenantes que d’entreprises. Les interactions entre ces dernières sont à chaque fois spécifiques, répondant à des contextes et des modalités uniques. Pourtant, cet enjeu si particulier pour les entreprises, et a fortiori pour les directeurs de la communication chargés de s’adresser aux parties prenantes, est commun à toutes dans la mesure où chacune s’y confronte à un moment donné. Il s’agit d’un enjeu à la fois unique et partagé.
Pour certains des interlocuteurs rencontrés dans le cadre de la rédaction de ce mémoire, les directions de la communication sont concernées par les parties prenantes, mais le sujet demeure compliqué dans la mesure où les directeurs de la communication ne mesurent pas toujours l’importance de considérer ces parties prenantes dans leur ensemble. Si les parties prenantes pourraient avoir toujours existé, bien que nous nous poserons la question en ouverture de réflexion79, elles ne sont aujourd’hui plus segmentées et une séparation des sujets est impossible. Les parties prenantes ne peuvent plus être isolées les unes des autres et exigent une communication à 360 degrés, globale et responsable.
Les parties prenantes ont-elles toujours existé ?
Face à la soudaine émergence de l’expression “parties prenantes”, il nous a semblé opportun d’aborder notre deuxième hypothèse en soulevant cette question, si naïve soit-elle. De fait, si l’entreprise a sûrement conscience depuis longtemps qu’elle n’évolue pas hors-sol, la prise en compte des parties prenantes relève d’un défi présenté comme tel plus récemment.
Dans L’entreprise à responsabilité illimitée. La citoyenneté d’entreprise en question, Nicole d’Almeida80 écrit : “Les projets d’entreprises étaient autant de tentatives de construction d’un sens. Les entreprises sont aujourd’hui amenées à rendre compte de leurs activités auprès de publics sans cesse plus nombreux : outre les actionnaires, il convient désormais d’informer les salariés, les clients, les pouvoirs publics, la presse, l’opinion publique etc. A la multiplicité des publics s’ajoute la multiplicité des enjeux et des objectifs – souvent contradictoires – ainsi que la diversité des choix possibles.”81 En d’autres termes, les missions et visions de l’entreprise s’inscrivent dans un écosystème de grande ampleur, qui rassemble des acteurs aussi diversifiés que les collaborateurs en interne et le rapport aux pouvoirs publics en externe. Selon la chercheuse, cette prise en compte de l’écosystème se fait dans un double mouvement, alternant les phases centripètes où l’entreprise se replie sur elle-même et sa mission, et les phases centrifuges où elle s’expose sur la scène publique et interagit avec ses parties prenantes. Ce moment de “présentation de soi”82 appelle la création d’une fonction communication, institutionnalisée en direction, pour mener à bien des adresses en bonne et due forme.
Mais plutôt que de chercher à savoir qui, de la communication ou des parties prenantes, a entraîné la considération de l’autre, notons que dès le départ, les deux univers sont en interaction dans l’objectif “de créer un climat de confiance envers l’entreprise, de lui conférer auprès des différents partenaires (clients, pouvoirs publics, milieux financiers et journalistiques) un crédit, capital immatériel nécessaire au fonctionnement du capital réel.”83 Dans l’ouvrage d’Almeida, cette forte interaction aboutit à la co-construction d’une notion, voire d’une définition pour l’entreprise : être citoyenne84. Effectivement, à partager des problématiques avec la société, à l’écouter et à lui répondre après la période peut-être trop monologale durant laquelle elle avait appris à s’exprimer, l’entreprise affirme sa place profondément citoyenne et élabore sa communication en fonction. Cette naturalisation de l’entreprise qui devient citoyenne s’opère dans un contexte particulier, où cette dernière demeure en quête d’un adoubement par le monde qui l’entoure, à tous points de vue. Dans un documentaire produit par ELEPHANT en octobre 2019, en partenariat avec Entreprises et Médias, se profile une enquête pour trouver Le chemin de la confiance85 par des entreprises soucieuses de se (ré)insérer à un moment où les parties prenantes les convoquent, souvent davantage pour les attacher au pilori que pour leur remettre une médaille.
Dans le propos d’ouverture du documentaire, Michel Eltchaninoff86 dresse le portrait d’une crise de la confiance généralisée dans le monde contemporain. Cette défiance, originellement tournée vers les pouvoirs publics et les institutions, concerne désormais également les entreprises. Autrefois crues sur parole, elles sont désormais scrutées. Avec Myriam Revault d’Allones87, Eltchaninoff revient sur l’exigence de transparence88, une valeur démocratique, devenue une injonction à la transparence, soit un impératif social. Cette injonction à la transparence a entraîné l’élaboration d’un monde surveillé, surveillance que nous acceptons même si elle limite la liberté des hommes, à l’image du modèle chinois par exemple. Néanmoins, alors même que nous l’exigeons, nous maintenons un rapport ambivalent à cette transparence qui n’est pas tant garante de vérité que génératrice de soupçons89 et figement dans l’instantanéité et l’observation de soi et des autres sans possibilité de regard de l’avenir. En un mot, la transparence est un leurre, une fausse promesse que sont amenés à prononcer politiques, institutions, entreprises, pour répondre à l’urgence de la défiance manifestée à grand bruit par leurs partenaires devenus détracteurs.
Dès lors, les deux philosophes recommandent de préférer la sincérité à la transparence, au nom de l’absence de construction totale et de l’humilité qu’elle permet, deux garanties pour être entendu. Pour les entreprises, une adresse efficace aux parties prenantes serait d’adopter le langage commun, d’entrer dans le quotidien des gens, d’assumer une part d’incertitude et de risque qui n’empêche d’ailleurs pas d’avancer et d’aller vers l’avenir. Pour Eltchaninoff et Revault d’Allones, l’idéal de l’avenir se trouve ainsi dans la raison d’être des entreprises, laquelle doit s’élaborer dans une démarche de sincérité en étant tirée de l’ADN de l’entreprise pour fonctionner sur la force de l’évidence. Peu importe la formulation, seules comptent la sincérité et l’authenticité du manifeste pour affronter sereinement le premier ralentissement ou la première difficulté. Si le Purpose90 n’est que paroles, la défiance se maintiendra, tandis que s’il est raison d’agir, la confiance pourra être accordée par un écosystème enfin considéré avec cohérence, dans son intégralité.
Le documentaire se clôt sur l’idée que la langue parfaite de la communication idéale n’est peut-être pas tant celle de la transparence et de la surveillance de ce qui est, mais plutôt celle de la promesse qui engage celui qui la tient tout en engageant celui à qui elle est destinée pour préférer, à la temporalité de la surveillance, celle de la prise de risque en commun91.
Du côté de notre terrain des directeurs de la communication, une convergence des propos s’organise autour du constat que les parties prenantes ont toujours existé mais que leur considération par l’entreprise a évolué. Pour Denis Berthu, le rôle du directeur de la communication, notamment lors de la période d’émergence des premières directions de la communication et de la construction des discours des entreprises, a toujours été de s’adresser aux différents publics et relais d’opinion. Simplement, “ceux-ci ont évolué, sont plus nombreux, exigent davantage de transparence, et ne sont pas touchés de la même manière, on est passé du fax aux réseaux sociaux.”92 Pour le dire autrement, les parties prenantes ont toujours existé, mais sous d’autres appellations et dans une inscription différente au cœur de l’écosystème.
Séverine Lèbre-Badré est venue compléter ce propos en soulignant que, comme elle a pu l’observer durant ses différentes expériences professionnelles, les choix d’organisation dans les entreprises sont très différents pour faire face et travailler avec les parties prenantes93. Les débuts de la communication d’entreprise étant très liés à la communication personnelle des dirigeants, le directeur de la communication se retrouvait à proximité immédiate de la présidence et concentrait sa communication autour des relations presse, sur des sujets étroitement liés aux directions et, par la force des choses, très centrés sur la vie autonome de l’entreprise. Se sont opérées ensuite une extension et une intégration progressives de nombreuses thématiques, sans que cela soit homogène dans toutes les entreprises puisque certaines directions de la communication jouent encore le rôle de service de presse pour le dirigeant. Dans le communiqué d’Entreprises et Médias sur l’évolution de la fonction, on peut lire : “Les missions du directeur de la communication ont évolué : d’un rôle porté sur l’émission et la maîtrise des contenus, il est passé à un rôle de facilitateur et d’animateur de liens, d’une logique de production de discours planifiés à une logique de conversation et de partage, de communication de masse à la communication de proximité…”.94
Néanmoins, pour la directrice de la communication actuellement en poste chez Citeo, la formule “parties prenantes” demeure liée à des enjeux de développement durable et de RSE. Contrairement aux cibles et aux publics, vocabulaire de la communication à l’origine, les parties prenantes désignent les entités avec lesquelles l’entreprise a intérêt à interagir. Alors que Denis Berthu invalidait d’emblée la possibilité que les parties prenantes aient pu émerger récemment, Séverine Lèbre-Badré vient nuancer la cartographie, à l’image des échanges que nous avons eus avec Florence Paris.
Pour la directrice de la communication et de la marque de Sodexo France, “le rôle du directeur de la communication, face aux parties prenantes, est d’anticiper.”95 Dans le secteur des services, Florence Paris explique effectivement que les problématiques sont nombreuses et parfois incompatibles. Alors que Sodexo réalisait une transition écologique d’ampleur en privilégiant au maximum des contenants lavables et réutilisables pour l’alimentation dans les EHPAD et en cantines scolaires, la crise du Covid-19 et la promotion systématique des gestes-barrières ont balayé d’un revers de main la démarche écoresponsable amorcée par le leader mondial des services. Sodexo opère depuis début avril un retour radical au “tout plastique jetable”, que notre interlocutrice commente de la sorte : “on ne peut pas répondre à tout, il faut une priorisation.”96 Elle ajoute que, si les parties prenantes identifiées de l’entreprise sont attentives en permanence aux actions et décisions de la firme, la direction de la communication a la charge de saisir les opportunités avec le bon ton, les bons messages, au bon moment97. Autrement dit, les parties prenantes s’inscrivent dans un panorama sur le temps long pour l’entreprise mais, en période de crise ou d’accompagnement de choix stratégiques forts, il est impérieux de choisir ses messages et orienter sa communication selon certaines priorités. Florence Paris ajoute : “il faut se caler en permanence avec toutes les parties prenantes, allier par exemple les lobbies écologiques et environnementaux avec ce que les fournisseurs alimentaires sont en mesure de fournir dans le secteur de la restauration collective”98. Avant de conclure : “une entreprise ne peut plus se contenter de faire du business, les marques qui restent concentrées sur leur activité, comme Amazon, avant de prioriser d’autres objectifs, comme la santé et la sécurité des collaborateurs, vont droit dans le mur.”99
L’exigence d’une communication responsable
Dans L’entreprise à responsabilité illimitée119 de Nicole d’Almeida, nous trouvons quelques sources et ancrages historiques à même de nous aider à définir ce que pourrait être la communication responsable. L’auteure rappelle que, dès les années 1980, les entreprises sont en mesure de signer des chartes intitulées “Bien entreprendre” ou “Ethique de la responsabilité” et d’endosser par-là un engagement social prenant appui sur leur performance économique. Pour cette chercheuse, la question environnementale a précédé toutes les autres et, après une période de fuite de l’entreprise face à ses responsabilités, est devenue une réelle opportunité de discours mais aussi d’actions : “L’intériorisation de la contrainte environnementale précède de peu l’intégration de la préoccupation envers la société. Dans les deux cas, il s’agit d’un même défi : répondre à une contrainte nouvelle entretenue par la pression de l’opinion publique et des pouvoirs publics, contrainte extérieure à l’entreprise et pesant sur son développement, voire sa survie dans un contexte économique marqué par de nouvelles formes de concurrentialité. La pression environnementale est pour beaucoup d’entreprises plus forte que la préoccupation sociétale car elle participe de la réorganisation des échanges internationaux. Elle n’échange pas seulement la création d’une nouvelle fonction (une direction de l’environnement) mais suppose une réorientation du métier de l’entreprise vers de nouveaux produits, de nouveaux modes de fabrication, de distribution et de communication.”120
Ce nouveau mode de communication est d’ailleurs moins tourné vers les produits que vers l’institution. D’Almeida écrit : “Les entreprises sont conduites à une discrétion qui les incite à développer une communication institutionnelle basée sur une vocation plutôt que sur un avantage produit. L’argumentation écologique étant complexe et difficile à maîtriser, elle sera progressivement abandonnée au profit d’un mode de communication présentant moins de risque. Faute de preuve, les entreprises ont développé un discours engageant l’institution à laquelle est assignée une mission. La cible des destinataires s’élargit du même coup : outre l’opinion publique, il s’agit de créer un climat de confiance sinon de sympathie auprès des publics spécifiques (politiques, élus locaux, partenaires financiers, etc). L’objectif est avant tout économique, il s’agit moins de vendre ou faire vendre que d’acquérir une crédibilité auprès de cibles institutionnelles.”121
Néanmoins, il nous semble que ces entreprises responsables, citoyennes, voire militantes, ne représentent peut-être pas la majeure partie des stratégies de communication responsables contemporaines. Face à la montée du poids de l’opinion et des contraintes allant dans le sens d’une protection de l’environnement et d’une répartition plus égale des richesses, de nombreuses entreprises adaptent leur communication a posteriori, parfois pour le meilleur.
En janvier 2013, Entreprises et Médias fait paraître un “Guide du directeur de communication responsable”, résultat d’un groupe de travail mené pendant plusieurs mois par les membres de l’association122. Le document présente une synthèse des modalités et difficultés pour intégrer les enjeux RSE à la communication, à une époque où plus de 25% des 170 membres d’Entreprises et Médias ont officiellement la charge de ce périmètre. Pour ces derniers, les directeurs de la communication, garants de la réputation de l’entreprise et de la cohérence de la communication avec la réalité des engagements et performances RSE, sont légitimes pour intervenir sur ce sujet. La RSE étant un angle majeur, qui structure de plus en plus les stratégies et pratiques des entreprises, le directeur de la communication, agent de transformation privilégié, doit s’associer à cette évolution pour l’accompagner au cœur de l’entreprise. Il est effectivement en mesure d’identifier des leviers d’action, et de mettre en place des dispositifs de gouvernance efficaces qui pourront ensuite prendre racine dans les processus opérationnels de l’entreprise, à l’image de la fonction à la fois support et stratégique qu’est la communication. Enfin, pour les participants à ce groupe de travail, le directeur de la communication a une responsabilité toute particulière dans la promotion d’un certain nombre de bonnes pratiques RSE dans la mesure où, s’il les repère, les impulse, les fait partager par tous au sein de l’entreprise tout en faisant connaître les progrès accomplis, c’est à lui que revient de communiquer avec prudence, en s’inscrivant dans la durée. Une fois ce constat établi, les membres de l’association, en poste dans de grandes entreprises et organisations françaises comme internationales, ont identifié les leviers d’action et le rôle du directeur de la communication pour accélérer le déploiement de la démarche RSE. Ils se définissent par exemple en pilotes de la gestion du risque de réputation, en identifiant notamment les très fortes attentes des Français sur des thèmes en prise directe avec l’activité de l’entreprise ou son périmètre d’action immédiat, autour de sujets comme la qualité de vie au travail ou l’insertion professionnelle, alors que leurs expectatives sont moins fortes sur des enjeux sociétaux plus généraux. Si le degré d’exposition au risque de réputation varie en fonction du secteur123, et que les directeurs de la communication ne sont pas mobilisés de façon comparable en fonction de ces écosystèmes, tous s’accordent à dire qu’ils sont à l’origine de recommandations cruciales pour garantir la santé de l’entreprise. Une bonne politique RSE permet par exemple d’engager les collaborateurs en développant une fierté d’appartenance et en donnant du sens à leurs actions. C’est pourquoi, alors que les dispositifs de gouvernance.
RSE varient selon les entreprises, le périmètre pouvant être aussi bien rattaché à la direction générale qu’à la communication ou toute autre direction fonctionnelle, son pilotage doit être transversal et le directeur de la communication doit y participer de manière active124.
Dans un éloquent paragraphe du Communicator, nous pouvons d’ailleurs lire : “Comment faire accepter par toute la planète (ou presque), en une vingtaine d’années, une boisson à base de taurine que certains disent dangereuse pour la santé ? En investissant comme le fait Red Bull massivement dans le sponsoring et le mécénat : 600 événements par an et 600 athlètes sponsorisés par la marque, qui dit mieux ? (…) Aujourd’hui, les actions de mécénat et de sponsoring constituent des briques importantes de l’engagement RSE des entreprises, mais seulement des briques. La stratégie RSE d’une entreprise ne saurait se résumer à ses actions de mécénat ou de sponsoring, aussi nobles soient-elles. La fonction communication doit accompagner la globalité des politiques RSE. Plus encore, depuis quelques années, un mouvement puissant se met en place pour exiger de la fonction communication elle-même une exemplarité RSE dans ses méthodes et processus : c’est ce que l’on nomme la communication responsable. La communication n’est pas seulement une fonction-support qui accompagne la stratégie RSE mais bien une composante majeure de la stratégie RSE !”125
Ce “Guide du directeur de communication responsable”, paru en 2013, pourrait être actualisé depuis 2019 avec le sujet de la raison d’être des entreprises, mis sur le devant de la scène avec la loi PACTE que nous avons déjà évoquée. De la même manière que la RSE n’est pas un pur sujet de communication, la raison d’être est un engagement global de l’entreprise que la communication vient soutenir et déployer, affichant par-là son ambition d’être une fonction responsable.
Lors du colloque triennal organisé par Entreprises et Médias en février 2019, intitulé Com-Mutations, une table-ronde sur le thème de “L’entreprise en mission” est venue commenter les résultats de l’étude réalisée par l’association en partenariat avec le Boston Consulting Group sur “La raison d’être : levier de performance pour les entreprises ?”126. Les intervenantes, Adeline Challon-Kemoun, directrice des marques, du développement durable, de la communication et des affaires publiques de Michelin, Caroline Guillaumin, directrice de la communication et des ressources humaines de la Société Générale, et Christel Heydemann, présidente-directrice générale de Schneider Electric France, ont partagé l’idée selon laquelle la raison d’être n’est pas un sujet de communication mais de dirigeants, devant être porté au plus haut niveau et relayé par une fonction communication qui apparaît ici comme un support. Adeline Challon-Kemoun précise : “Si la raison d’être n’est pas un sujet de communication, c’est un sujet de communicants. Leur rôle est de contribuer à son infusion au sein de l’entreprise afin que chacun s’y retrouve, et de la nourrir par les preuves des activités et des actions de l’entreprise. Ils doivent se charger de l’exprimer de façon à ce que chacun ait le bon discours et les bons outils pour la diffuser auprès de ses communautés. Mais surtout, il faut que les actes suivent les discours. La raison d’être n’est pas une formule magique : sans action concrète, elle n’est pas légitime.”127
Nous avons soumis ces quelques analyses à nos interlocuteurs dans le cadre des entretiens semi-directifs. Si ces derniers s’accordent à reconnaître que la communication responsable devient un enjeu de taille et prioritaire pour les entreprises, nous avons remarqué que les cheminements et moyens mis en œuvre diffèrent en fonction des secteurs et des personnalités interrogées.
Pour Thomas Barbelet, alors directeur prospective, marketing et communication du groupe Keolis, les parties prenantes ne sont plus des cibles mais des propriétaires et des bénéficiaires de la raison d’être, laquelle doit se transformer en raison d’agir pour les satisfaire. “Les parties prenantes ne sont pas qu’une étape mais des partenaires. La raison d’être est un vrai mouvement de fond, où tout le monde demain devra être redevable. Ce n’est pas un sujet de communication, la RSE non plus : nous pouvons travailler avec, mais pas à la place de.”128, ajoute-t-il.
Séverine Lèbre-Badré va également dans ce sens en soulignant que, si un flottement demeure autour de la communication, ce sont les directions développement durable qui intègrent les parties prenantes et leur répondent sur les sujets d’engagement et de responsabilité. Néanmoins, la directrice de la communication de Citeo intègre dans son spectre la mobilisation et la RSE.
Elle explique que, dans son entreprise, “la communication et la RSE sont au même endroit autant que possible, l’interaction est très forte car ce sont les deux directions en charge de la réputation de l’entreprise.”129 Selon elle, pour une communication efficace, “tous les leviers de la réputation desquels on a besoin doivent avoir un seul pilotage, notamment pour les entreprises en crise.”130 Cependant, pour construire correctement cette communication globale et responsable, Séverine Lèbre-Badré souligne la nécessité pour le directeur de la communication d’être responsable des études lui permettant d’écouter ces parties prenantes. Elle déplore le manque de technicité supposé de la communication, qui entraîne des carences en savoir-faire techniques et écoute des parties prenantes, par contraste avec le marketing par exemple131.
Assaël Adary vient en quelques mots conclure sur ce sujet de la communication responsable. Selon lui, il n’est pas simplement question de communication sur la RSE, mais bien de contribution de la communication en elle-même à la RSE de l’entreprise : “en quoi les pratiques du communicant se transforment pour être responsables ? Communiquer sur un sujet responsable ne suffit pas.”132, explique-t-il. “Le directeur de la communication n’est pas que le passeur d’un contenu, mais il doit incarner le changement en lui-même : charte graphique, traitement des fournisseurs, droit à la déconnexion… Ce n’est pas en esquivant ces sujets qu’on peut les résoudre, surtout pour le coup d’après.”, complète-t-il133. Il ajoute que cette position du directeur de la communication contribue à la création de valeur motivée par une fonction en mesure d’influencer l’opinion. A être un acteur d’engagements responsables visibles, le directeur de la communication gonfle la valeur immatérielle de l’entreprise, une survaleur qui n’a pas de prix134.
Directeur de la communication : une fonction appelée à se réinventer dans un écosystème de plus en plus foisonnant
Cette troisième hypothèse est l’aboutissement, sous forme de recommandation prospective, des analyses effectuées en hypothèses une et deux dans la logique de la recherche appliquée. Nous sommes en mesure d’opérer une synthèse alliant les conclusions théoriques tirées de nos recherches, et les observations pratiques issues du terrain, pour dessiner les grands contours du directeur de la communication de demain. Effectivement, par l’essence de sa fonction, aussi bien support que stratégique, son périmètre sans cesse redéfini, et sa matière à communiquer toujours mouvante, le directeur de la communication est le pilote d’une fonction appelée à se réinventer dans un écosystème de plus en plus foisonnant. S’il demeure impossible de prédire l’avenir et que là n’est pas notre but, encore moins en période de crise Covid-19, il nous est apparu pertinent de creuser quelques aspects et d’en tirer des enseignements, notamment à propos de la définition des frontières de la communication, de la montée en puissance des directions de l’engagement, et des compétences prérequises pour être le directeur de la communication de demain.
Les frontières de la communication sont redéfinies en permanence
Comme l’a soutenu Denis Berthu alors que nous cherchions ensemble à qualifier les évolutions et la redéfinition des frontières de la communication, “l’écosystème n’est pas complexe, mais foisonnant.”140 Sophie Duhamel141 est venue compléter le propos en rappelant que de nouvelles priorités se font jour en permanence, comme la montée du poids de l’opinion qui vient renouveler une cartographie des parties prenantes déjà laborieuse à établir. Parmi les évolutions de grande ampleur, relevons bien sûr l’usage massifié du digital.
Lors de son discours d’investiture à la présidence d’honneur du Master Executive Communication de Sciences Po Paris en janvier 2020, Jacques-Emmanuel Saulnier, directeur de la communication du groupe Total et président d’Entreprises et Médias depuis 2015, soutient que “le digital a fait voler en éclats toutes les frontières entre les divers aspects de la communication d’entreprise, interne et externe, information et communication, on-line et off-line…”142 Une révolution qui, selon lui, est davantage une fenêtre d’opportunité pour le métier qu’une inquiétude. Il explique : “Une réputation est aussi rapide à détruire qu’elle a été longue à construire et, dans ce contexte, la communication est désormais intégrée comme un des éléments du pilotage stratégique de l’entreprise. (…) Le directeur de la communication et ses équipes ont un rôle majeur : s’assurer de la cohérence du lien de ce qui est émis, au service de la réputation et de la performance économique, sociale et sociétale de l’entreprise. Il est une sorte de “connecteur en chef” qui orchestre les échanges entre l’entreprise et ses publics internes et externes. (…) Cela implique qu’il soit associé en amont aux sujets qui contribuent au développement du business de l’entreprise et de sa réputation, afin de pouvoir apporter aux dirigeants un conseil de proximité, avec un éclairage permanent et pertinent sur les risques et les opportunités en matière de communication.”143 Autrement dit, le digital a fait partie des opportunités de la fonction communication pour se présenter en actif stratégique au service des performances business de l’entreprise.
Quant au directeur de la communication, il se retrouve pilote d’une stratégie qui, si elle demeure au service des réussites de l’entreprise, est garante d’enjeux proprement communicationnels comme ce capital immatériel que nous avons déjà évoqué autour de la réputation et de la marque.
Les propos tenus par Entreprises et Médias en 2015 sur “Le rôle du directeur de la communication dans l’entreprise” viennent confirmer cette hypothèse d’une redéfinition des frontières de la communication, propre aux mutations génériques de l’entreprise mais considérablement accélérée voire motivée par le digital. On peut y lire que, disposant désormais des outils lui permettant une approche globale fondée sur une veille et une écoute de qualité, le directeur de la communication est “le dirigeant responsable de la lisibilité et du rayonnement de l’entreprise au service de sa performance durable”144. Les frontières de sa fonction évoluent, en ajoutant aux conseils de proximité auprès des dirigeants la garantie de l’identité et des fondamentaux de la marque, à la dynamique de décloisonnement des différentes activités de l’entreprise l’exploration de nouveaux territoires et des compétences managériales pointues, notamment en termes de définition de nouveaux indicateurs et d’anticipation des besoins sur les métiers issus du digital. Un membre de l’association précise: “Peut-on encore parler d’un périmètre de la communication d’entreprise ? Si c’est le cas, il est très variable d’une entreprise à l’autre : relations médias, communication interne et externe, la marque, la communication du président, de crise, de recrutement, RSE et financière, le lobbying et le mécénat…”, et son confrère de compléter : “Pour faire ce métier avec les exigences d’aujourd’hui, il faut avoir une compréhension globale de l’entreprise. Le directeur de la communication sert de courroie de transmission pour plein d’autres sujets que des sujets de communication.”145 En bref, à mesure que les évolutions se succèdent, c’est tout un métier qui se transforme.
Lors de notre entretien146, Séverine Lèbre-Badré a partagé sa vision de la fonction au travers de quelques observations fondatrices. Selon elle, il faudrait préférer l’expression de communication intégrée et cohérente à celle de communication globale, même si de nombreuses entreprises séparent encore la communication globale de celle de leur firme. De fait, il lui apparaît prioritaire “d’établir un cadre de cohérence par la marque entreprise, pour que chacun puisse s’y référer en dépit des changements d’organisation ou de nouveaux positionnements.”147 La directrice de la communication fonde sa recommandation sur trois constats. Tout d’abord, le champ des parties prenantes s’est considérablement déployé en s’ouvrant sur la communication, soudainement mise en avant. Ensuite, le déplacement du champ a entraîné un dialogue avec les parties prenantes. L’entreprise est entrée en interaction avec son environnement, en sortant d’une logique de pure émission pour entrer dans la consultation et le dialogue, en s’accordant aussi bien sur des lieux de parole communs que sur des objets148. Cette ouverture sur le monde peut aller jusqu’à une traduction juridique, où la raison d’être intègre les statuts pour transformer l’entreprise en “entreprise à mission”149. Enfin, une dernière grande évolution se trouve dans une forme d’injonction paradoxale, où l’entreprise doit nécessairement avoir une vision systémique de son action et de son expression, tout en assurant une segmentation fine de ses messages.
Ces nouvelles lignes structurelles font du directeur de la communication celui le mieux à même de définir le projet commun pour ensuite le conduire dans l’entreprise. Pour Séverine Lèbre-Badré, la marque est l’outil et le levier de mise en cohérence le plus efficace pour l’ensemble de l’entreprise, c’est pourquoi le directeur de la communication devrait en endosser systématiquement la charge, prenant par-là sa place de responsable de la valeur immatérielle. Notre interlocutrice poursuit son propos en des termes qui ne sont pas sans nous rappeler les nombreuses analyses de Nicole d’Almeida sur l’entreprise qui se pense et les promesses de la communication : “le directeur de la communication est un pourvoyeur de récits, d’alliances, de contenus et de solutions. La communication est un métier de solutions, qui allie vision stratégique de long-terme avec des moyens de court et moyen-terme. L’enjeu est : comment répondre à la circonstance sans affaiblir la cohérence totale du message ou du récit ?”150 Cette problématique amène à centrer la communication sur une vision d’intégration, avec des actions à 360 degrés permettant de construire une influence151 durable sans cantonner la communication à un pur outil d’opportunité. Un autre bouleversement à l’origine d’une redéfinition des frontières et des objectifs de la communication est ce que Bruno Patino152 a défini lors du Colloque Com-Mutations153 d’“effondrement de l’espace public.” La fin des mass media s’étant accompagnée de la fin du mécanisme d’organisation de l’espace public et de la prolifération des fake news, qui ne sont rien d’autre que l’incarnation de cette anarchie, les publics ne sont plus atteints par des messages en circulation dans un espace public unique duquel les médias seraient les principaux architectes. En d’autres termes, avec la reconfiguration de l’ère médiatique, est né un espace conversationnel154 qui rebat les cartes pour les émetteurs de contenus, à commencer par les entreprises155.
Invité de la table-ronde, Pierre Duprat, directeur de la communication du groupe VINCI, vient appuyer cette analyse en rapportant le cas d’école du faux communiqué de presse qui, par une usurpation d’identité, avait annoncé le licenciement du directeur financier du groupe. Ce faux communiqué, probablement créé dans le but de produire un simple coup d’éclat, a été repris, sans vérification, par des dizaines de dépêches presse en quelques minutes entraînant une chute vertigineuse du cours de l’action VINCI en bourse. Si le groupe est parvenu à limiter les dégâts liés à cette affaire et à remonter le long de la faille en interne pour éviter qu’un tel cataclysme ne se reproduise, Pierre Duprat s’inquiète du rôle et du devenir du directeur de la communication dans cette aréna. Il constate que : “on ne peut pas décréter autoritairement ce qu’est la vérité. S’il y a des rumeurs, c’est-à-dire des fake news, en interne, la direction aura beau donner la vérité, elle ne sera pas forcément crue”, avant d’évoquer une sortie possible de cette impasse : “il faut donner les moyens aux gens de s’auto-désintoxiquer, c’est le rôle de l’entreprise apprenante156.”157 Le communiqué produit par Entreprises et Médias sur l’évolution de la fonction met en exergue des témoignages de directeurs de la communication allant dans ce sens. On peut lire que : “Sur la Toile, bien des acteurs, comme les éditeurs ou autres community managers, ne sont pas journalistes. Ils captent l’information et la diffusent, sans la vérifier. Difficile de maîtriser la façon dont les contenus sont répercutés. Jadis, nous étions censés contrôler l’information. Aujourd’hui, nous sommes davantage pilotes de flux et de leur impact que contrôleurs de contenus.”
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Table des matières
Introduction
I. La fonction directeur de la communication : réponse à une mutation de l’entreprise dans son rapport au monde
Quelles sont les promesses de la communication en entreprise ?
Comment l’entreprise parle-t-elle ?
La naissance du directeur de la communication
II. Le directeur de la communication aujourd’hui au coeur d’un enjeu stratégique spécifique : la prise en compte des parties prenantes dans leur globalité
Les parties prenantes ont-elles toujours existé ?
Comment mettre en place une communication globale ?
L’exigence d’une communication responsable
III. Directeur de la communication : une fonction appelée à se réinventer dans un écosystème de plus en plus foisonnant
Les frontières de la communication sont redéfinies en permanence
Des directions de la communication aux directions de l’engagement ?
Le directeur de la communication de demain ?
Conclusion
Bibliographie
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