Les récifs coralliens
Les récifs coralliens sont des écosystèmes majoritairement côtiers (Figure 1), complexes et très diversifiés (Moberg and Folke 1999, Knowlton et al. 2010) apportant des services écosystémiques majeurs.
Tout d’abord, les récifs coralliens protègent plus de 150 000 km de côte (Bruke et al. 2012) en formant une barrière physique réduisant notamment l’érosion due à l’action des vagues. Cette capacité à réduire l’énergie des vagues permet la création de lagons et de dépôts sédimentaires dans ces lagons (Birkeland and Grosenbaugh 1985, Ogden 1988) favorisant la formation des mangroves et des herbiers qui sont d’autres écosystèmes majeurs (Pollard 1984, Parrish 1989, Robertson and Blaber 1992, Nagelkerken et al. 2001). Les récifs coralliens constituent un atout économique important de par leur attractivité touristique (qui constitue jusqu’à 25% du PIB de certains pays) et leurs stocks de poissons. En effet, les récifs coralliens très riches en poissons permettent à plusieurs millions de personnes de subsister et tout particulièrement en région Indo-Pacifique où plus de 25 % des zones de pêches sont au niveau des récifs (Cesar 1996).
Les récifs sont construits principalement par des coraux scléractiniaires et des algues encroûtantes capables de produire des structures en trois dimensions de forte complexité créant une multitude d’habitats hétérogènes. Cette hétérogénéité d’habitats facilite la diversification des niches écologiques et l’évolution des espèces (Birkeland 1997, Paulay 1997). Alors que les récifs coralliens ne couvrent que 0,1 à 0,5 % de la surface océanique (Figure 1) ils présentent plus de 60 000 espèces vivantes, dont 1/3 de la biodiversité des poissons, et possèdent plus d’espèces par unité de surface que tout autre écosystème marin (McAllister 1991, Pandolfi 1992, Reaka-kudla 1994, Done et al. 1996). Ces écosystèmes présentent une production primaire importante due à la forte abondance des algues présentes (benthiques, planctoniques et symbiotiques). Les récifs coralliens sont également des sources trophiques pour de nombreux prédateurs naturels comme l’étoile de mer Acanthaster sp. ou certains gastéropodes comme Drupella sp. mais également certains poissons corallivores (Done et al. 1996, Paulay 1997, Rotjan and Lewis 2006, Mumby 2009a, Rotjan and Dimond 2010).
Le bilan des carbonates et le maintien des récifs coralliens
En plus des divers rôles écosystémiques des récifs coralliens, ceux-ci ont une importance dans les processus biogéochimiques liés au cycle des carbonates. En effet, ils jouent un rôle majeur dans ce cycle en précipitant, via le processus de calcification, plus d’un tiers des carbonates apportés à l’océan (Milliman 1993). La calcification dans les récifs est principalement réalisée par les coraux scléractiniaires (appelés aussi coraux durs) (Hubbard et al. 1990). D’autres organismes tels que les algues corallines, les bivalves, les foraminifères ou encore les serpulidés réalisent également la calcification pour des contributions plus faibles (Hallock 1981, Martindale 1992, Rasser and Riegl 2002, Harney and Fletcher 2003). La calcification corallienne constitue la principale force de construction des récifs (force positive) ; elle est en moyenne de 4 kg m-2 an-1 (calcification nette, voir Kinsey 1985) mais peut atteindre des valeurs plus élevées dans certaines zones comme l’ont observé Perry et al. (2014) dans les Caraïbes avec une calcification nette de plus de 8 kg m-2 an-1 . Néanmoins, il existe un certain nombre de forces de destructions des récifs (Figure 2).
Une des forces de destruction des récifs est celle exercée par les vagues, tout particulièrement durant les tempêtes ou cyclones (Hubbard 1992, Harmelin-vivien 1994). En effet, un récif en bonne santé peut être totalement détruit après ces événements climatiques extrêmes (Woodley et al. 1981, Harmelin-Vivien and Laboute 1986, Gardner et al. 2005). Une dissolution chimique impacte également les récifs coralliens dans des zones où le pH est faible à proximité de zones de résurgences volcaniques par exemple (Hall-Spencer et al. 2008, Rodolfo-Metalpa et al. 2011) mais également via la reminéralisation des sédiments carbonatés récifaux due à l’activité bactérienne (Andersson et al. 2003, Andersson and Gledhill 2013). En plus de cette destruction mécanique ponctuelle et localisée et de la dissolution chimique considérée comme négligeable, une érosion due à des organismes vivants, appelée bioérosion, (Figure 2) impacte continuellement les récifs coralliens et est donc la principale force de destruction de ceux-ci (Scoffin et al. 1980, Harney and Fletcher 2003, Tribollet and Golubic 2011, Perry et al. 2014). Le maintien des récifs coralliens dépend alors d’un équilibre entre la calcification et l’ensemble des forces de destruction citées ci-dessus (Stearn and Scoffin 1977, Scoffin et al. 1980, Hutchings 1986, Hubbard et al. 1990, Glynn 1997, Tribollet and Golubic 2011, Perry et al. 2012, voir Figure 2). Ainsi, pour qu’un récif se maintienne, les forces de destruction ne doivent pas excéder celles de construction.
Les récifs coralliens semblent de plus en plus fragilisés par le changement climatique et les pressions anthropiques tels que la surpêche, le tourisme intensif, l’urbanisation, l’eutrophisation, l’acidification des océans ou encore l’augmentation de la température des Océans. Ainsi sous l’effet de facteurs du changement global la calcification et la croissance des coraux semblent diminuer et la mortalité corallienne croître (Brown 1987, Rogers 1990, Done 1992, Richmond 1993, Wilkinson 1993, Roberts 1995, Mumby et al. 2006, Hoegh-Guldberg et al. 2007, Hughes et al. 2007, Anthony et al. 2008, Mumby 2009b, Pandolfi et al. 2011, Huang 2012, Andersson and Gledhill 2013, Howes et al. 2015a). A ce jour, 20% des récifs ont d’ores et déjà disparu et 20% supplémentaires montrent des signes d’extinction imminente (Wilkinson 2008). En parallèle d’un affaiblissement des forces de construction des récifs il a été démontré à plusieurs reprises une stimulation de la bioérosion récifale, la principale force de destruction des récifs, sous l’effet de l’acidification, de l’eutrophisation ou encore de l’augmentation de la température de l’eau (Tribollet et al. 2009, Carreiro-Silva et al. 2012, Fang et al. 2013, Reyes-Nivia et al. 2013, Reyes Nivia et al. 2014, Wisshak et al. 2014) ce qui pourrait conduire à un bilan négatif des carbonates dans les récifs et donc à un déclin de ceux-ci. Bien que toutes les forces impliquées dans le bilan des carbonates des récifs soient impactées par le changement climatique et les pressions anthropiques, les processus de bioérosion restent à ce jour beaucoup moins étudiés que la calcification récifale.
La bioérosion récifale et l’importance du processus de microbioérosion
Neumann (1966) a été le premier à définir la bioérosion comme l’érosion et l’élimination de substrats carbonatés par action directe d’organismes vivants. La bioérosion est réalisée par trois types d’organismes (voir les review de Glynn 1997 et Tribollet et Golubic 2011) :
➤ les brouteurs, ou agents externes de la bioérosion, avec par exemple les poissons du genre Scarus sp. (poissons perroquets), les oursins ou encore certains mollusques comme les chitons (Figure 3).
➤ les macrobioérodeurs (ou macroperforants), agents internes de la bioérosion, comme certaines éponges marines du genre Cliona sp., bivalves du genre Lithophaga sp. ou polychètes (Figure 3).
➤ les microbioérodeurs (ou microperforants ou euendolithes, voir définition par Golubic et al. 1981), autres agents de la bioérosion interne, qui comprennent des cyanobactéries, des microalgues chlorophycées et rhodophycées, et des filaments mycéliens (Figure 3).
Les brouteurs abrasent mécaniquement la surface des substrats pour se nourrir des algues qui s’y développent en surface (appelées épilithes, Figure 4) et à l’intérieur (appelées endolithes qui comprennent les microbioérodeurs, Figure 4). Les macro- et microbioérodeurs se développent à l’intérieur des substrats par des moyens mécaniques et/ou chimiques (Lazar and Loya 1991, Bruggemann et al. 1994, Pari et al. 1998, Tribollet and Golubic 2005, Zundelevich et al. 2007, Garcia-Pichel et al. 2010).
La plupart des études concernant la bioérosion récifale a concerné les organismes brouteurs et les macrobioérodeurs car la microbioérosion peut facilement être considérée comme négligeable du fait sans doute de la taille microscopique des microperforants (diamètre allant de 1 à 20-30 µm) et de leur mode de vie cryptique les rendant difficiles à étudier (Figure 4). Pourtant, plusieurs études ont montré l’importance des microperforants dans le processus de bioérosion récifale. Les microperforants se fixent à la surface des substrats puis se développent sous forme principalement de filaments et peuvent coloniser chaque micromètre carré de substrat carbonaté exposé à la lumière présent dans les récifs coralliens (Tribollet 2008a). Tous les types de substrats carbonatés sont d’ailleurs concernés par la microbioérosion, que ce soit les grains de sable (Perry 1998) ou les squelettes d’organismes vivants ou morts comme les coraux, les algues corallines mais aussi les coquilles de mollusques (Le Campion-Alsumard et al. 1995a, Le Campion Alsumard et al. 1995b, Mao Che et al. 1996, Tribollet and Payri 2001, Fine et al. 2005, Radtke and Golubic 2005, ReyesNivia et al. 2014). La colonisation des substrats carbonatés par les microperforants résulte de leur activité métabolique (photosynthèse-respiration) au niveau de la cellule apicale des filaments perforants formant ainsi un front de dissolution (Figure 5, Le Campion-Alsumard 1979, GarciaPichel 2006). Les mécanismes qui entrent en jeu dans ce processus de dissolution restent néanmoins peu connus. Ce processus de dissolution des carbonates par les microbioérodeurs est appelé dissolution biogénique (Tribollet et al. (2009).
La première étude qui a estimé la quantité de carbonate dissous par les microperforants a été réalisée par Tudhope and Risk (1985) dans des sédiments carbonatés lagonaires. Cette première étude a mis en avant l’importance de la microbioérosion dans la dissolution des sables carbonatés en montrant que cela représente 18-30% de l’afflux de sédiments dans les lagons (moyenne sur 9000 ans). Plus tard, Tribollet and Golubic (2005) ont observé une dissolution par les microperforants pouvant aller jusqu’à plus de 1 kg m-2 an -1 dans des squelettes coralliens sur la Grande Barrière de Corail et celle-ci représenté entre 61 et 91% de la bioérosion totale (broutage + macrobioérosion + microbioérosion). En réalisant une partie significative de la bioérosion récifale les microbioérodeurs jouent un rôle important dans les processus de sédimentation et de stabilisation des récifs (Glynn 1997, Tribollet 2008a). En effet, ils fragmentent la surface des substrats en fines particules qui vont être facilement abrasées ou dissoutes (Schneider and Le Campion-Alsumard 1999). Ces particules fines pourront être exportées en partie hors des récifs mais également participer à la formation des zones sableuses et à la cimentation des récifs (Hubbard et al. 1990, Hubbard 1992, Perry 2000).
La microbioérosion est une force majeure dans la dissolution des substrats carbonatés en milieu récifal et joue donc un rôle important dans le cycle des carbonates .
Les communautés microperforantes et la microbioérosion
La microbioérosion est d’autant plus importante qu’elle agit dès qu’un nouveau substrat est disponible à la colonisation par les organismes microperforants. Quelques jours seulement sont, en effet, suffisant aux microperforants pour commencer leur colonisation sur un substrat nouvellement disponible. Le Campion-Alsumard (1975) a été la première à étudier la colonisation par des microperforants de morceaux de calcite exposés en Méditerranée. Elle a observé une colonisation dès 8 jours d’exposition par une cyanobactérie Mastigocoleus testarum. Trois études complémentaires ont été réalisées plus tard par Kiene et al. (1995), Gektidis (1999) et Vogel et al. (2000), au Bahamas et sur la Grande Barrière de Corail, sur différents types de substrats calcaires (squelette coralliens du genre Porites, blocs de calcite, coquille de Stombus sp. et Tridacna sp.) exposés durant 1, 3, 6, 12 et 24 mois à la colonisation par les microperforants. Ils ont observé la succession de deux types de communautés microperforantes : tout d’abord une communauté dite « immature » qui est dominée par des espèces pionnières photophiles à cycle de vie court qui comprennent des chlorophycées à filaments larges telles que Eugomontia sacculata et Phaeophila sp. ainsi que des cyanobactéries comme Mastigocoleus testarum. Les communautés immatures sont ensuite remplacées, après 1 ou 2 ans d’exposition, par des communautés dites « matures » dominées essentiellement par la chlorophycée siphonale du genre Ostreobium sp.. Trois études réalisées par Chazottes et al. (1995), Tribollet et al. (2006) et Tribollet (2008b) ont montré qu’Ostreobium pouvait être dominante dans des squelettes coralliens après une exposition de 6 à 12 mois seulement. La dominance de cette espèce induisait alors les taux de dissolution biogénique les plus élevés. Ces études ont montré la forte dépendance de l’intensité des taux de dissolution biogénique à la composition spécifique des communautés microperforantes à 2, 6, 12 et 24 mois en Polynésie française (Chazottes et al. 1995) et à 12 et 36 mois sur la Grande Barrière de Corail (Tribollet 2008b).
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Table des matières
CHAPITRE I-INTRODUCTION GENERALE
1.1 Les récifs coralliens
1.2 Le bilan des carbonates et le maintien des récifs coralliens
1.3 La bioérosion récifale et l’importance du processus de microbioérosion
1.4 Les communautés microperforantes et la microbioérosion
1.5 Influence des paramètres biotiques et abiotiques sur la microbioérosion
1.6 Les objectifs de la thèse
1.7 Organisation du manuscrit
CHAPITRE II-MATERIEL ET METHODES
2.1 Le site d’étude
2.1.1 Le contexte de la Nouvelle-Calédonie
2.1.2 Le climat Néo-Calédonien
2.1.3 L’île aux Canards et son récif
2.1.3.1 La localisation de la zone d’étude et son contexte
2.1.3.2 Hydrologie du site
2.2 Plan de l’expérience
2.2.1 Fabrication des blocs expérimentaux
2.2.1.1 Prélèvement d’une colonie corallienne vivante
2.2.1.2 Découpe de la colonie corallienne
2.2.1.3 Nettoyage des blocs
2.2.2 Installation des blocs sur des grilles à l’île aux Canards
2.2.3 Exposition et collecte des blocs
2.3 Préparation et analyse des blocs de corail
2.3.2 Détermination du couvert épilithique et du broutage sur les blocs
2.3.3 Découpe des blocs en trois sous-échantillons
2.3.4 Traitement des premiers sous-échantillons
2.3.4.1 Imprégnation en résine
2.3.4.2 Découpe et polissage des lames minces
2.3.4.3 Coloration des lames minces
2.3.5 Analyse des sous-échantillons 1
2.3.5.1 La pression de broutage
2.3.5.2 Identification des microperforants
2.3.5.2.1 Cyanophycées
2.3.5.2.2 Chlorophycées
2.3.5.2.3 Filaments mycéliens
2.3.5.3 Abondance relative des microperforants
2.3.5.4 Profondeurs de pénétration des filaments microperforants
2.3.6 Traitement des sous-échantillons 2
2.3.6.1 Elimination des algues épilithiques non calcifiantes et des filaments microperforants
2.3.6.2 Préparation des échantillons pour les observations
2.3.7 Analyse des sous-échantillons
2.3.7.1 Observation des blocs au Microscope Electronique à Balayage
2.3.7.2 Traitement des photos prise au MEB et calcul de la surface bioérodée
2.3.8 Calcul de la dissolution biogénique
2.4 Suivi environnemental
2.4.1 Suivi mensuel par sonde multiparamétrique : Température, Salinité, Turbidité, Fluorescence
2.4.2 Suivi mensuel par prélèvements d’eau : Chlorophylle a, Nutriments, Système des carbonates, Métaux lourds
2.4.2.1 Chlorophylle a
2.4.2.2 Nutriments : Nitrites, Nitrates, Phosphates
2.4.2.3 Système des carbonates
2.4.2.4 Métaux lourds
2.4.3 Suivi continu : Température, Salinité, Turbidité, Fluorescence
2.4.4 Traitement des données environnementales
2.5 Analyses statistiques
2.5.1 Tests réalisés
2.5.1.1 Comparaison de moyennes
2.5.1.2 Comparaison de pentes
2.5.1.3 Corrélations
2.5.2 Modèle
2.5.3 Analyses multivariées
2.5.3.1 non-Metric multiDimentional Scaling
2.5.3.2 Analyse en Composantes Principales
CHAPITRE III-LES TROIS ETAPES DE LA DISSOLUTION BIOGENIQUE AU COURS D’UNE ANNEE
Résumé
3.1 Introduction
3.2 Material and Methods
3.2.1 Site and experimental design description
3.2.2 Sample analyses
3.2.3 Statistical analysis
3.3 Results
3.3.1 Euendolithic species
3.3.2 Successions of communities: abundance and distribution of euendoliths
3.3.3 Surface area bioeroded and depth of penetration (P80)
3.3.4 Biogenic dissolution rates
3.3.5 Grazing pressure
3.4 Discussion
CHAPITRE IV-VARIABILITE TEMPORELLE DES SUCCESSIONS DE COMMUNAUTES MICROPERFORANTES : INFLUENCE DES PARAMETRES BIOTIQUES ET ABIOTIQUES
Résumé
4.1 Introduction
4.2 Material and Methods
4.2.1 Study site
4.2.2 Environmental monitoring
4.2.3 Experimental design
4.2.4 Coral block analyses
4.2.5 Data analysis
4.3 Results
4.3.1 Environmental characteristics of the study site
4.3.2 Epilithic cover
4.3.2.1 Summer series
4.3.2.2 Winter series
4.3.3 Microborer biodiversity
4.3.4 Succession of microboring communities
4.3.4.1 Summer series
4.3.4.2 Winter series
4.3.5 External erosion
4.3.5.1 Summer series
4.3.5.2 Winter series
4.3.5.3 Comparisons among seasons
4.4 Discussion
CHAPITRE V- CONCLUSION GENERALE
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