La Loire, bien que connue sous l’appellation de « dernier fleuve sauvage », n’a pas été épargnée par les grands travaux d’aménagements des cours d’eau du 19 et 20ème siècle. Le chenal de navigation entre les Ponts-de-Cé et Nantes en est un vestige. Les conséquences directes telles que l’incision importante du lit principal ou l’abaissement de la ligne d’eau entrainent une fragilisation des ponts et des berges mais aussi une déconnexion du lit principal avec ses bras secondaires, ses boires et zones humides adjacentes. La prise de conscience des problèmes sociétaux et environnementaux causés a engendré la mise en place du Contrat pour la Loire et ses Annexes 2015-2020 ayant pour principales missions de rééquilibrer le lit mineur et de restaurer les fonctions hydro-écologiques des annexes hydrauliques.
Le programme de recherche R-TEMUS (Restauration du lit et Trajectoires Ecologiques, Morphologiques et d’USages en Basse-Loire), porté par l’université de Tours, s’inscrit également dans ce contrat. Il présente dans son volet fonctionnement biotique une étude sur les larves de Gomphidae, famille d’Anisoptères reconnue vulnérable dans une grande partie des fleuves européens suite à l’aménagement des cours d’eau des siècles derniers. Cette famille est tout particulièrement intéressante car son micro-habitat larvaire optimal est lié à des zones de profondeur peu importante où le courant est ralenti (Gouraud, 2015). Nous les retrouvons notamment derrière les épis. La destruction de ceux-ci dans le cadre du programme de rééquilibrage du lit de la Loire pourrait avoir des conséquences néfastes à la survie des espèces de gomphes. Gomphus flavipes (Charpentier, 1825) et Ophipogomphus cecilia, (Geoffroy in Fourcoy, 1785) présents sur le secteur, sont particulièrement importants à protéger de par leur intérêt patrimonial. L’étude des variables environnementales influençant la répartition de ces deux espèces en Loire apparait comme un préalable nécessaire pour mieux estimer les conséquences des travaux de restauration sur leur dynamique et ainsi de mieux orienter les mesures de conservation pouvant s’appliquer.
La répartition des communautés écologiques sur le territoire et les variables environnementales qui régissent leurs interactions sont évaluées depuis de nombreuses années par des méthodes statistiques. Avec le temps, de nouvelles méthodes d’analyse ont émergé permettant notamment de modéliser spatialement la distribution des populations. La méthode du maximum d’entropie, dite MaxEnt, en est un exemple. Ce logiciel fait actuellement partie des outils de modélisation spatiale les plus performants. Néanmoins est-il aussi accessible que ne le sont les tests statistiques ? Chaque outil d’analyse présente des avantages, des inconvénients et des conditions d’utilisation bien spécifiques. Il apparaît nécessaire d’étudier ces différents outils afin de déterminer le plus pertinent d’entre eux pour expliquer la répartition des Gomphidae en Loire.
Ecologie des Gomphidae et menaces
Description des espèces
La famille des Gomphidae appartient au sous-ordre des Anisoptères. Elle présente ainsi les caractéristiques spécifiques aux Odonates, c’est-à-dire quatre ailes membraneuses, de tailles égales, ainsi que de courtes antennes. Les individus sont reconnaissables par leurs gros yeux globuleux, qui, à l’exception des autres familles d’Anisoptères, ne se rejoignent pas en un point (OPIE, PNA Odonates). Quatre genres et neuf espèces sont observables sur le territoire national. Parmi elles, Gomphus flavipes et Ophiogomphus cecilia présentent un enjeu patrimonial et sont considérées comme « prioritaires » selon le Plan National d’Actions en faveur des Odonates. Ces espèces ont subi une forte régression sur la grande majorité des cours d’eau français et européens au cours du siècle dernier induite notamment par la pollution des eaux et les grands travaux de recalibrage des fleuves. La Loire a néanmoins été préservée des activités humaines sur certains secteurs de son cours et conserve une morphodynamie favorable aux Gomphidae (Gouraud, 2015). Ainsi, Gomphus flavipes et Ophiogomphus cecilia sont particulièrement inféodées au bassin ligérien (Figure 1). Elles y concentrent l’essentiel de leur population. Bien que Bensettiti et al. (2004) estiment que les populations présentent en Loire ne sont pas actuellement directement menacées, elles peuvent, d’après Gouraud (2015) être considérées comme des espèces patrimoniales de par leur rareté et leur association au paysage ligérien. Il apparaît donc très important d’approfondir les connaissances sur la répartition des espèces sur le bassin de la Loire afin d’améliorer les mesures de conservation à leur égard.
Le gomphe à pattes jaunes (Gomphus flavipes) et le gomphe serpentin (Ophiogomphus cecilia) sont particulièrement intéressants à étudier de par leur caractère sténoèce. Ces derniers ont des niches écologiques à faible amplitude signifiant que les perturbations de leur milieu ont des conséquences directes sur leur survie. Les individus sont particulièrement sensibles à l’altération de leur habitat (Gouraud, 2015). De plus, leur cycle de vie est dit amphibiotique (Figure 2). Leur phase larvaire, longue de 2 à 5 ans et segmentée de 11 à 15 stades se fait dans le milieu aquatique. Pendant cette période, les individus vivent dans le sédiment grâce à leur corps aplati et aux éperons de leurs tibias atrophiés leur permettant de s’enfouir dans un substrat à granularité relativement fine. Afin d’être le moins visible possible des proies et des prédateurs, la stratégie adoptée par les individus est de s’enfouir dans le sédiment en ayant seulement la tête et le dernier segment abdominal à la surface. Les larves se nourrissent principalement d’autres invertébrés tels que les Chironomidae, les Oligochètes et les Amphipodes (Merlet & Houard, 2012). Après l’émergence, les individus vivent en milieu terrestre. Ainsi leur présence est représentative d’une bonne qualité de l’écosystème en général : de la qualité de l’eau à la qualité des sédiments en passant par un bon maintien de l’intégrité des berges et de la ripisylve. D’après Burcher & Smock, 2002, les larves fouisseuses sont de bons bio-indicateurs de la qualité du substrat.
Les larves de Gomphus flavipes vivent dans les courants lents dans un sédiment à granularité fine : sableux, vaseux ou argileux. Elles affectionnent les bancs de sable et zones de ralentissement où un dépôt de sédiments fins se produit (PNA Gomphus flavipes, 2014). Elles sont donc souvent observables derrière des zones d’encombres ou d’aménagements dans le lit mineur du cours d’eau tels que les épis (Figure 3) (Heidemann & Seidenbusch, 2002 in Gouraud, 2015). Les larves sont sensibles à des phénomènes de variation de température. Elle doit être supérieure à 17°C pour permettre une éclosion des œufs. Des modifications de la composition chimique de l’eau peuvent également avoir des influences négatives sur la phase larvaire ; le faible pouvoir de dispersion de l’espèce la rendant d’autant plus sensible à la modification de ces paramètres. Il faut néanmoins noter des phénomènes de dérive larvaire passive, au gré des crues, assez importants chez les larves de gomphes à pattes jaunes (PNA Gomphus flavipes, 2014). Au moment des émergences, le maintien de l’intégrité des berges et la présence de haies et de prairies à proximité directe des cours d’eau sont essentielles pour la phase de maturation et d’alimentation des adultes.
Le gomphe serpentin préfère des eaux courantes, de bonne qualité et bien oxygénée (Suhling & Müller, 1996 in Merlet F. & Houard X., 2012). Les zones de micro-habitats favorables pour les larves sont caractérisées par un substrat meuble, à granularité plus grossière, allant de sables à graviers (Merlet F. & Houard X., 2012) et une eau peu profonde. Ophiogomphus cecilia semble un peu moins exigeant dans le choix de ses milieux de développement que Gomphus flavipes (Gouraud, 2015). Par exemple, la largeur des cours d’eau ne semble pas être un facteur influençant le développement de l’espèce. Elle pourrait aussi bien être présente dans le cours principal des fleuves que sur ses bras secondaires. Néanmoins, dans le bassin de la Loire, malgré de nombreuses observations d’exuvies sur les affluents du fleuve, les populations connues seraient essentiellement observées sur la Loire elle-même (Lett et al., 2001). La végétation aquatique ne serait également pas un facteur très explicatif de leur présence selon Dommanget, (2004, in Merlet & Houard, 2012).
Menaces et statuts de protection
De manière générale, les principales menaces affectant les gomphes sont liées d’une part à la pollution de l’eau et aux modifications de sa composition chimique et d’autre part à la rectification des cours d’eau avec la canalisation ou encore la chenalisation. Les Gomphidae ont souffert de ces perturbations les deux siècles derniers (Grand & Boudot, 2006) ; leurs effectifs ont drastiquement chutés. Ainsi, la disparition croissante des espèces de Gomphidae a été prise en considération et des statuts de protection leur ont été affectés. Gomphus flavipes et Ophiogomphus cecilia étaient auparavant considérés comme « en danger » en Europe et en France sur les listes rouges des Libellules (UICN). Les deux espèces sont aujourd’hui classées comme « préoccupation mineure » au nom de cette liste ; l’UICN considérant que les populations sont désormais stables à l’échelle européenne. Elles bénéficient néanmoins d’un statut de protection sur l’ensemble du territoire national au nom de l’article 2 de l’arrêté du 23 avril 2007, intitulé « les insectes protégés sur le territoire et les modalités de leur protection », et figurent aux annexes II et IV de la directive européenne Habitats-Faune-Flore.
Etant particulièrement sensibles aux altérations de leurs habitats, les populations de Gomphidae peuvent être menacées dès la réalisation de travaux dans le lit mineur du cours d’eau. Sur le bassin ligérien, dans le cadre du Contrat pour la Loire et ses Annexes (CLA), la restauration de plus d’une vingtaine d’annexes hydrauliques situées en Loire aval est prévue. Les épis de navigation seront retirés permettant une remobilisation des sédiments piégés derrière ceux-ci et dans les bras secondaires (Rodrigues, 2016). Néanmoins, ces zones sont favorables au développement des individus de Gomphidae. La destruction de ces ouvrages peut alors être une véritable menace pour la survie de l’espèce dans le secteur aval de la Loire. A contrario, la reconnexion du lit avec ses annexes hydrauliques pourrait être un point positif pour les individus qui finissent parfois leur croissance dans ces zones après une crue. Il est donc intéressant d’avoir plus de connaissances quant aux exigences des individus afin d’estimer si une compensation est envisageable entre les zones d’habitats favorables au développement larvaire des Gomphidae, qui vont être détruites par les travaux, et les nouveaux créés à leur issue, via la reconnexion des annexes hydrauliques. L’étude des variables environnementales influençant le plus leur répartition en milieu naturel est donc un élément clé pour anticiper au mieux les conséquences engendrées par les futures modifications du lit mineur.
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Table des matières
Lexique
Sigles
Introduction
1. Ecologie des Gomphidae et menaces
2. Utilisation du logiciel Maxent
3. Tests statistiques multivariés
4. Quel outil est le plus approprié pour expliquer la répartition des Gomphidae en Loire ?
Conclusion
Bibliographie
Table des figures
Table des tableaux
Annexe 1 : Exemple d’une fiche de données présentant les variables environnnementales
mesurées et le comptage des invertébrés
Annexe 2 : Présentation de l’interface de travail du logiciel MaxEnt
Annexe 3 : Résultats pouvant être obtenus par le logiciel MaxEnt
Annexe 4 : Tableau brut des données à charger dans R (avec la variable qualitative substrat)
Annexe 5 : Tableau brut des données à charger dans R (avec les sous-variables quantitatives
subs_sgr et subst_s)
Annexe 6 : Script langage R
Annexe 7 : Démarche générale de l’étude
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