Que sont les sursauts gamma ?
Les sursauts gamma sont des phénomènes astrophysiques découverts vers la fin des années 60 par les satellites militaires américains VELA, dans le cadre d’un programme de veille sur d’éventuels essais nucléaires atmosphériques clandestins. Les sursauts se présentent sous la forme de bouffées de rayonnement gamma (voir un exemple de sursaut en figure 1.1). Ce sont des évènements très brefs qui peuvent être subdivisés en deux catégories selon leur durée : les sursauts « courts » et les sursauts « longs » qui ont respectivement des durées typiques de 100 ms et 10 s. Au cours d’un sursaut, l’énergie libérée sous forme de rayonnement gamma est colossale, atteignant typiquement 1044J (équivalant à l’énergie rayonnée par notre Soleil pendant 10 milliards d’années). Plusieurs indices observationnels indiquent que les sursauts sont des évènements explosifs liés à la mort de certaines étoiles (plus massives que notre Soleil), ayant lieu dans des galaxies lointaines. Le sursaut gamma proprement dit est suivi d’une émission rémanente (voir une image de rémanence en figure 1.1), détectée dans le domaine des rayons X, de la lumière visible et des ondes radio. Cette rémanence décroit rapidement et s’éteint au bout de quelques jours dans le domaine X, mais peut se prolonger jusqu’à plusieurs années dans le domaine radio. C’est grâce à la rémanence que l’on peut évaluer la distance du sursaut. En effet l’analyse spectroscopique réalisée durant cette phase permet de mesurer le décalage vers le rouge, dû à l’expansion de l’univers. A l’échelle d’une galaxie les sursauts sont des évènements rares mais leur très grande luminosité permet de les détecter de très loin, plusieurs milliards d’années-lumière. Le volume utile correspondant englobe ainsi un très grand nombres de galaxies et le taux de sursaut apparent est d’à peu près 1 par jour. Les sursauts font partie des objets astronomiques connus les plus lointains avec un record de décalage spectral vers le rouge (redshift en anglais) z=8.2 : soit un âge d’Univers de 630 millions d’années après le Big Bang, à comparer avec ses 13.7 milliards d’années actuels. Les sursauts étant des phénomènes très brefs, leur observation met en oeuvre une chaîne instrumentale complexe. Les rayons gamma étant arrêtés par l’atmosphère terrestre, la détection directe d’un sursaut ne peut se faire que depuis l’espace grâce à un télescope gamma à grand champ de vision (citons par exemple les satellites Swift et Fermi). Une estimation de la position dans le ciel de l’évènement est ensuite rapidement (en quelques dizaines de secondes) transmise à la communauté scientifique pour déclencher au plus vite un suivi multi-longueurs d’onde (du domaine des rayons X jusqu’aux ondes radio). Des télescopes dédiés, dans le domaine X (tel que le détecteur XRT à bord du satellite Swift) et le domaine visible (petits télescopes automatisés au sol, tel le télescope français TAROT) se réorientent rapidement (parfois en moins d’une minute) pour commencer la recherche d’une rémanence. En cas de détection, une estimation plus précise de la position peut être obtenue puis communiquée aux grands télescopes généralistes à plus petit champ de vision (tels que le Hubble Space Telescope ou le VLT au Chili) qui peuvent alors réaliser un spectre, et ainsi mesurer le décalage vers le rouge et estimer la distance.
Un cadre théorique général
Bien que les sursauts aient été découverts en 1967, la première mesure de distance (permettant d’estimer l’énergie totale rayonnée) n’a eu lieu qu’en 1997, après la découverte des rémanences. La confirmation de leur origine cosmologique a alors suscité un regain d’intérêt pour ces phénomènes qui devenaient les explosions les plus violentes connues dans l’Univers. Dans les années qui ont suivi, la majorité de la communauté scientifique s’est rapidement accordée sur un scénario théorique général (e.g. Piran 1999). Ce scénario associe les sursauts gamma à des jets de matière ultra-relativiste (facteur de Lorentz supérieur à 100, soit une vitesse au-delà de 99.995 % de celle de la lumière), éjectés depuis l’environnement d’un trou noir nouvellement formé suite à un évènement catastrophique tel que l’effondrement d’une étoile massive ou la coalescence de deux objets compacts (trou noir ou étoile à neutrons). Le rayonnement gamma serait issu d’ondes de choc se développant au sein du jet, tandis que la rémanence serait associée au freinage du jet par le milieu environnant.
Pourquoi étudier les sursauts gamma ?
Le caractère extrême des sursauts gamma suscite un très grand intérêt au sein de la communauté de l’astrophysique des hautes énergies, et même au-delà. En effet :
– Les sursauts gamma représentent les explosions les plus violentes de l’Univers. Avant la confirmation de la distance lointaine de ces phénomènes, de telles puissances restaient difficilement envisageables. Il s’agit alors de développer un schéma global cohérent pour comprendre les mécanismes physiques responsables de ces évènements extrêmes.
– Etant liés à la fin de vie de certaines étoiles massives, les sursauts pourraient nous permettre d’approfondir notre connaissance de l’évolution stellaire, l’une des briques élémentaires sur laquelle repose notre compréhension de l’Univers. Ils peuvent également être utilisés comme sondes de l’Univers très lointain (ou de manière équivalente de l’Univers jeune) et nous renseigner sur la nature de leurs galaxies hôtes à différentes époques (e.g. Wijers et al. 1998; Lamb & Reichart 2000; Savaglio 2006; Le Floc’h et al. 2006; Savaglio et al. 2009). Le sursaut le plus lointain actuellement connu a explosé lorsque l’Univers n’était âgé que de 630 millions d’années. Ceci nous laisse espérer que les sursauts puissent même être un moyen (indirect) de détecter les premières étoiles formées dans l’Univers (Mészáros & Rees 2010), enjeu important de la cosmologie.
– Ce sont également des laboratoires aux conditions physiques extrêmes (formation d’un trou noir, accélération de jets ultra-relativistes) qui peuvent être utilisés pour tester les lois fondamentales de la physique, comme par exemple l’invariance de Lorentz (en vérifiant si deux photons d’énergie différente se propagent à la même vitesse, e.g. Abdo et al. 2009b).
– Les sursauts sont également de très bons accélérateurs de particules. Il a même été proposé qu’ils soient la source des rayons cosmiques d’ultra haute énergie (e.g. Waxman 1995)
– Enfin les sursauts sont de très bons candidats comme sources d’ondes gravitationnelles (e.g. Kobayashi & Mészáros 2003; van Putten et al. 2004; Abadie et al. 2010b) – pas encore détectées de manière directe, mais dont l’existence est prédite par la théorie de la Relativité Générale, et confirmée de manière indirecte grâce au pulsar PSR B1913+16 (Hulse & Taylor 1975). Pour l’étude de ces trois types de messagers non photoniques (rayons cosmiques d’ultra-haute énergie, neutrinos de très haute énergie et ondes gravitationnelles) de grands programmes expérimentaux ambitieux sont actuellement en cours de fonctionnement ou de développement.
Thèmes de recherche
L’étude des sursauts gamma est entrée dans une nouvelle ère depuis le lancement du satellite Swift en 2004 qui montre que la rémanence précoce est bien plus complexe qu’attendu par un modèle simple de décélération du jet par le milieu environnant, puis avec le lancement du satellite Fermi en 2008 qui a permis d’étendre la fenêtre spectrale vers les rayons gamma de plus haute énergie. En parallèle il y a un afflux continu de nouvelles données collectées par des télescopes au sol. Toutes ces nouvelles données permettent de tester plus précisément les idées théoriques. Dans ce cadre, mes travaux sont consacrés à deux principaux thèmes :
– Modélisation de l’émission gamma proprement dite : mes travaux, qui sont présentés en détails dans la partie II de cette thèse, tentent de proposer un schéma global et cohérent permettant d’expliquer les comportements observés pendant l’émission gamma proprement dite, sur une large gamme spectrale (du domaine visible à celui des rayons gamma de haute énergie, soit 10 ordres de grandeur en longueurs d’onde). Je tente également de préciser certaines contraintes sur les conditions physiques dans le jet ultra-relativiste. J’ai par exemple obtenu l’une des limites les plus précise sur le facteur de Lorentz minimal qu’il doit avoir, à partir des contraintes issues des observations du satellite Fermi.
– Modélisation de la rémanence : toujours en tentant de conserver un schéma global cohérent (notamment pour la phase de transition entre l’émission gamma et la rémanence), je discute dans la partie III la diversité phénoménologique observée dans la rémanence (et plus particulièrement la rémanence précoce). Je me place soit dans le cadre du modèle « standard » (i.e. le plus discuté par les spécialistes), mais aussi dans un cadre alternatif proposé par notre équipe (ce modèle novateur donne des prédictions intéressantes et offre notamment une plus grande flexibilité pour expliquer la diversité phénoménologique observée). Ceci me permet de comparer la capacité de chaque modèle à reproduire les observations.
Historique : de la découverte aux premières mesures de distance
Cette partie retrace l’histoire de l’étude des sursauts gamma (Gamma-Ray Bursts, GRBs, en anglais), de leur découverte publiée en 1973 à la première mesure de distance faite en 1997. Cette période pionnière s’achève avec la première preuve observationnelle irréfutable de la distance cosmologique (≃ 1 Gpc) des sursauts. Cette étape importante allait remettre en question la plupart des modèles et susciter un regain d’intérêt pour ces sources aux conditions extrêmes. Dans ce bref résumé seules les missions ayant permis les avancées les plus décisives seront évoquées. Pour un historique plus exhaustif, le lecteur pourra se référer à l’ouvrage très complet de Vedrenne & Atteia (2009).
La surprenante découverte des satellites VELA
La découverte des sursauts gamma s’est faite dans le cadre d’un projet à vocation non astrophysique : le programme américain de veille militaire VELA . Le but de cette mission était de contrôler la mise en application du traité d’interdiction partielle des essais nucléaires, signé le 5 août 1963 à Moscou. Ce traité intervient peu de temps après la crise de Cuba – début de la « détente » – et fut immédiatement ratifié par les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni. Il prévoyait l’interdiction de tout essai nucléaire dans l’atmosphère, dans l’espace ou sous l’eau – seuls les essais sous terrains restaient autorisés. Le dispositif expérimental de VELA reposait sur une constellation de satellites (12 au total) équipés de détecteurs X et gamma, la première paire (voir Fig. 1.2) ayant été lancée le 17 octobre 1963. Le réseau ainsi formé permettait une couverture complète de l’environnement terrestre (aussi bien vers la Terre que vers l’espace), mais surtout rendait possible la localisation d’un évènement. En effet, le temps d’arrivée des photons au niveau des différents satellites, espacés les uns des autres par des dizaines de milliers de kilomètres, permettait de contraindre la direction de la source par méthode de triangulation (précision de l’ordre de la dizaine de degrés). Les données étant toujours classifiées, on ne se sait pas si VELA a effectivement détecté des essais nucléaires – la France n’avait pas signé le traité et poursuivait ses campagnes d’essais atmosphériques, au Sahara, puis en Polynésie jusqu’en 1974. Mais le 2 juillet 1967, un flash intense et très bref (quelques secondes) de photons gamma est détecté en provenance de l’espace, sans aucune similitude avec la signature attendue d’un essai nucléaire (la courbe de lumière est représentée Fig. 1.3). D’autres évènements semblables seront détectés par VELA (73 flashs sur environ 10 ans d’activité), confirmant l’origine naturelle de ces évènements – appelés par la suite gamma-ray bursts ; sursauts gamma en français. Les localisations étaient également suffisamment précises pour pouvoir exclure toute origine terrestre, lunaire ou solaire. La découverte n’est annoncée qu’en 1973 par Ray Klebesadel et son équipe du laboratoire de Los Alamos, et publiée dans un article de l’Astrophysical Journal intitulé « Observations of Gamma-Ray Bursts of Cosmic Origin » (Klebesadel et al. 1973).
Discussion sur l’échelle de distance des sursauts
Une origine galactique semble l’hypothèse la plus raisonnable. La découverte des sursauts gamma, publiée en 1973, suscite rapidement l’intérêt de la communauté scientifique, avec le lancement d’autres satellites gamma (cette fois-ci, à vocation astrophysique), et une grande effervescence quant à l’interprétation théorique de ces phénomènes. Jusqu’en 1997, la distance des sursauts restait inconnue, ce qui donna lieu au développement de deux grandes familles de modèles : ceux qui plaçaient les sursauts au sein de notre galaxie et ceux qui les rejetaient à distance cosmologique. Jusqu’au début des années 1990, les modèles galactiques restaient les plus étudiés, car l’hypothèse d’une origine cosmologique impliquait une énergie totale rayonnée colossale . La plupart des scénarios galactiques reposaient sur des phénomènes explosifs ayant lieu à la surface d’étoiles à neutrons, inspirés des modèles de sursauts X produits par des binaires accrétantes. Ce type de scénario était compatible avec les principales caractéristiques connues à cette époque : (i) une durée brève et des échelles de temps pouvant atteindre 10 ms, en accord avec la petite dimension de la source (ii) les flux observés, étaient bien reproduits par les distances et les énergies invoquées (iii) la détection de raies cyclotron dans le spectre de certains sursauts. Ce dernier point restait controversé mais semblait être clairement confirmé à la fin des années 80 par les résultats de la mission japonaise Ginga. L’interprétation des raies d’absorption détectées entre 10 et 100 keV comme une signature du processus cyclotron nécessitait des champs magnétiques de l’ordre de 10¹³ G, et représentait un argument fort en faveur d’évènements ayant lieu à la surface d’étoiles à neutrons magnétisées. Par contre, les différentes missions également indiquer que les sursauts se répartissaient de manière isotrope sur le ciel. Cette caractéristique plaidait plutôt en faveur des modèles cosmologiques, et conduit B. Paczynski à défendre l’idée d’une origine cosmologique, dès 1986. Cependant l’isotropie restait compatible avec les modèles galactiques, en supposant que seuls les sursauts produits par les étoiles à neutrons suffisamment proches – à une distance inférieure à l’épaisseur du disque galactique – pouvaient être détectés .
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Table des matières
Introduction
1. Contexte général – contraintes observationnelles
1.1. Contexte
1.1.1. Que sont les sursauts gamma ?
1.1.2. Un cadre théorique général
1.1.3. Pourquoi étudier les sursauts gamma ?
1.1.4. Thèmes de recherche
1.2. Historique : de la découverte aux premières mesures de distance
1.2.1. La surprenante découverte des satellites VELA
1.2.2. Discussion sur l’échelle de distance des sursauts
1.2.3. BeppoSAX : premières détections de contreparties en optique
1.3. L’ère actuelle : une approche multi-longueurs d’onde
1.3.1. Observations depuis l’espace
1.3.2. L’émission gamma de haute énergie
1.3.3. Suivi multi-longueurs d’ondes – Chaîne instrumentale
1.3.4. Vers une astronomie multi-messagers
1.4. Bilan des observations
1.4.1. Émission gamma
1.4.2. Émission rémanente
1.4.3. Vers l’identification des galaxies hôtes et des progéniteurs
1.4.4. Le taux de sursauts
1.5. Principales contraintes observationnelles : implications théoriques
1.5.1. Principales contraintes observationnelles
1.5.2. Des évènements liés à la formation d’objets compacts
1.5.3. Nécessité de vitesses ultra-relativistes – problème de compacité
1.5.4. Forte suspicion de jet
2. Discussion autour du scénario standard
2.1. Schéma global
2.2. Bilan énergétique global – efficacité
2.3. Moteur central – Ejection relativiste
2.3.1. Progéniteur
2.3.2. Problème de la pollution baryonique
2.3.3. Annihilation νν¯
2.3.4. Médiation magnétique
2.4. Accélération de l’écoulement – Rayon de transparence
2.4.1. Rayon photosphérique
2.4.2. Accélération thermique
2.4.3. Accélération magnétique
2.5. Émission prompte
2.5.1. Contraction relativiste de l’information
2.5.2. Chocs internes
2.5.3. Reconnexion magnétique
2.5.4. Emission photosphérique
2.6. Émission rémanente
2.6.1. L’environnement extérieur
2.6.2. Dynamique du freinage
2.6.3. Modèle du choc avant
2.6.4. Modèle du choc en retour
2.7. Les chocs non collisionnels : une physique complexe
3. Un modèle global des différentes phases d’émission des sursauts gamma
3.1. Dynamique des chocs internes : modèle à « couches solides »
3.1.1. Différents référentiels
3.1.2. Principe du modèle
3.1.3. Calcul de l’évolution dynamique
3.1.4. Exemple simple : correspondance entre le modèle et la situation physique
3.1.5. Suivi des ondes de choc
3.1.6. Efficacité dynamique
3.2. Freinage par le milieu extérieur
3.2.1. Contexte physique
3.2.2. Prise en compte du freinage dans le modèle à couches solides
3.2.3. Exemple simple de simulation avec prise en compte du milieu extérieur
3.2.4. Structure de milieu extérieur complexe
3.3. Conditions physiques locales dans les régions choquées
3.3.1. Facteur de Lorentz, masse volumique et densité d’énergie
3.3.2. Redistribution de l’énergie dissipée
3.4. Validité du modèle dynamique : avantages et limitations
3.4.1. Validité du modèle dynamique
3.4.2. Limitations sur l’estimation de la densité de matière
3.5. Processus radiatifs dans le référentiel comobile
3.5.1. Efficacité radiative
3.5.2. Spectre phénoménologique
3.5.3. Rayonnement synchrotron
3.5.4. Diffusion Compton inverse
3.5.5. Rayonnement thermique
3.5.6. Annihilation γγ
3.5.7. Suivi des couches de fluide choqué pendant la rémanence
3.6. Rayonnement observé : effets relativistes et géométrie
3.6.1. Une région observable limitée pendant l’émission prompte
3.6.2. Emission de haute latitude
3.6.3. Prise en compte de la géométrie conique du jet
3.6.4. Cas particulier de l’émission photosphérique
Conclusion
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