XIXÈME 1.1.1.2 SIÈCLE, APPROCHE HYGIÉNISTE ET DÉBUT DE L’ASSAINISSEMENT PAR RÉSEAU
À partir des années 1850, la logique d’un réseau d’assainissement s’impose en France portée par le mouvement hygiéniste. À la suite des deux grandes épidémies de choléra de 1832 et 1848 les principes fondateurs du réseau d’assainissement moderne sont posés autour de l’idée de circulation incessante de l’eau et des déchets qui doivent être évacués le plus vite possible et surtout ne pas stagner (Bertrand-Krajewski, 2006). Cette approche voit l’eau comme un désordre à évacuer (Région Rhône Alpes, 2006; Zhou, 2014). En France, la mise en œuvre technique de ces réseaux est assurée par les ingénieurs du corps des Ponts et Chaussés, pour la ville de Paris. Jules DUPUIS propose en 1830 de retenir une précipitation de 41 mm en une heure pour le dimensionnement des égouts (Bertrand-Krajewski, 2006). Ce choix sera confirmé par Eugène BELGRAND et ne tarde pas à devenir une quasi-norme sur l’ensemble du territoire français (Petrucci, 2012). L’assainissement a alors pour principes : pas d’infiltration, pas de stockage, seulement une évacuation la plus rapide possible. L’eau de pluie, considérée comme propre, se retrouve mélangée avec les eaux usées pour les diluer. En parallèle, le XIXème siècle marque aussi l’arrivée en France du bitume, inventé en Écosse entre 1820 et 1830 et rapporté en France par Henri NAVIER. Le goudronnage des rues commencera réellement au début du XXème siècle (Bertrand-Krajewski, 2006) entraînant une imperméabilisation rapide des villes.
DÉGRADATION DE LA QUALITÉ DE L’EAU, DES SOLS ET DE L’ENVIRONNEMENT, APPROCHE QUALITATIVE
Les rejets urbains en eaux polluées peuvent être décomposés entre les rejets par temps secs, dus à la seule évacuation des eaux domestiques et industrielles, et les rejets par temps de pluie où s’ajoutent aux premiers rejets la pollution transportée par la pluie (Bertrand-Krajewski, 2006). Si l’impact des rejets par temps sec est de plus en plus maîtrisé, notamment avec la généralisation des stations d’épuration, celle des rejets par temps de pluie reste problématique compte tenu des volumes d’eau en jeu (Chocat, 2014). Dans la suite de ce travail, seule la pollution par temps de pluie sera considérée. L’urbanisation s’accompagne d’une augmentation des sources de polluants et d’une concentration de la pollution dans les rejets vers les milieux récepteurs. Ce phénomène de concentration est dû au ruissellement des eaux pluviales et à la structure ramifiée des réseaux (Barraud, 2009; Faleyeux, 2015). Il peut être aggravé par les mécanismes de mobilisation des polluants, notamment le phénomène dit de « lessivage » qui mobilise lors de la première pluie, les polluants accumulés sur le sol lors de l’épisode sec précédent. En effet si la mobilisation des polluants est discontinue, leur production est quant à elle chronique, saisonnière et accidentelle (Abdo, 2007; Chocat, 2015). L’eau douce est considérée unanimement comme une ressource rare à protéger. Plus cette ressource est proche des villes plus elle est précieuse. Dans le cas d’un unique réseau d’assainissement, au lieu d’être valorisée l’eau de pluie est utilisée pour diluer les eaux usées, la transformant ainsi en déchet. Déchet qui doit être ensuite évacué et traité en station d’épuration. Cette solution est coûteuse et conduit inévitablement à des débordements. Ces débordements ont des conséquences sur les milieux récepteurs et sont source d’inondations en ville (Chocat, 2014). Dans le cas d’un réseau séparatif, l’eau de pluie n’est pas ou peu traitée. Les exutoires du réseau reçoivent alors des pics de débits et de polluants lors des épisodes pluvieux conduisant à la dégradation du bon état écologique des milieux récepteurs (Astaraie-Imani et al., 2012). Après l’eau, les sols sont une autre ressource précieuse des territoires. Le sol est la dénomination donnée à la partie meuble de la lithosphère, autrement appelée la couverture pédologique. Il est à l’interface entre différents milieux, la roche (lithosphère), l’eau (hydrosphère), l’air (atmosphère) et les êtres vivants (biosphère) (Robert, 1996). En tant qu’interface, il assure un rôle de système épurateur important pour l’environnement, ce qui le rend particulièrement sensible à la pollution. Le sol est un espace qui offre des ressources importantes pour la construction de la ville (Guiraud, 2013). C’est le sol qui est le support principal des ouvrages de génie urbain. Ses propriétés, notamment sa capacité d’infiltration ou sa portance, sont des paramètres clefs pour la conception des infrastructures. Le sol et le sous-sol offrent un espace, ou plus exactement un volume, pour les réseaux, le transport et la production de l’énergie (géothermie), ainsi que des matériaux pour la construction et l’aménagement de la ville. Or, il faut compter au minimum quelques centaines d’années voire des millénaires pour qu’un sol se développe, ce qui en fait une ressource non renouvelable à l’échelle humaine. Cette ressource est également limitée, les sols cultivables ne représenteraient que 22 % de la surface des terres émergées (Robert, 1996). De plus, la ressource en sol est inégalement répartie entre les zones géographiques et n’est pastoujours exploitable dans de bonnes conditions. Tout comme l’eau, les sols sont donc une ressource précieuse qu’il convient de protéger en évitant les principales causes de dégradation. Ces dégradations peuvent être classées en trois catégories :
les dégradations physiques : la compaction, l’érosion, la disponibilité de l’eau (déficit ou excès) et la salinisation (liée à l’abaissement des nappes par exemple) ;
les dégradations chimiques : appauvrissement en éléments nutritifs, acidification, excès de nutriments et d’éléments minéraux toxiques et excès ou déficit de composés organiques ;
les dégradations biologiques : dégradation microbiologique, impact sur la faune et la flore, désertification.
En milieu urbain, la diminution de l’infiltration, la pollution ou encore la perturbation des écosystèmes contribuent fortement à dégrader la qualité des sols (Schirmer et al., 2013).
La lutte contre les inondations
Il convient de rappeler ici qu’un risque est la confrontation d’un aléa et d’un enjeu (Meylan et al., 2008). Aussi face à un risque naturel la société doit déterminer le niveau de risque acceptable pour définir le degré de protection souhaité (Bigand et al., 2012). Les mesures de gestion des inondations sont à la fois structurelles et non structurelles (Jha et al., 2012). Les premières comprennent les ouvrages d’ingénierie tels que : les digues, les bassins, les barrages et écluses, les berges. Ces techniques peuvent s’avérer efficaces quand elles sont bien adaptées au site mais comportent toujours une limite (hauteur de digue, capacité de stockage, etc.) pouvant être dépassée et provoquer alors des dégâts considérables (Bigand et al., 2012). Les techniques alternatives d’assainissement urbain rentrent dans cette première catégorie qui cherche à diminuer la « probabilité » du risque. Les mesures non structurelles regroupent l’ensemble des actions de prévention, sensibilisation et action pendant et après l’évènement pour en limiter l’ampleur (Jha et al., 2012). Ces mesures visent à réduire les « conséquences » du risque (Meylan et al., 2008).
LES RISQUES ET LIMITES DE L’UTILISATION DES STRUCTURES PERMÉABLES
L’utilisation de structures à revêtements perméables peut présenter certains risques qui sont également abordés dans la littérature (Moura et al., 2007). Certains de ces risques sont avérés et demandent une prise en considération adaptée, d’autres relèvent plus de l’ordre du « fantasme » ou d’une exagération comme le montre CHOCAT à propos des risques supposés des techniques d’infiltration (Chocat, 2015). Les principaux risques avérés et leur prise en considération sont développés ici.
La pollution des eaux souterraines et du sol. Le risque est que l’ouvrage n’assure pas une filtration satisfaisante de l’eau et que son infiltration dans le sol entraîne une pollution du site voire une pollution des eaux souterraines (Abdo, 2007; Fletcher et al., 2013). Les méthodes de prévention et de réduction de ce risque mises en avant dans la littérature se concentrent sur la prise en compte de l’environnement de l’ouvrage, la proximité de la nappe (avec comme critère communément admis un toit de la nappe à plus d’un mètre de profondeur), la vulnérabilité de la nappe et son importance, enfin, la proximité de sources de polluants (station-service, trafic routier, etc.) (CERTU, 2003; Chocat et al., 2012). Ce risque est probablement l’un des enjeux de recherche majeurs pour favoriser et sécuriser la diffusion de l’utilisation des structures à revêtements perméables. Ce travail se limitant aux aspects quantitatif, cet aspect ne sera pas plus développé par la suite.
Le colmatage des structures perméables. Cet aspect représente l’une des limites majeures de l’usage des revêtements perméables (Fletcher et al., 2013). En effet, le colmatage de la couche de surface par les particules et polluants contenus dans l’eau de ruissellement contribue à terme à réduire considérablement la perméabilité et donc la capacité de la couche de surface à absorber l’eau (Agouridis et al., 2011; Bean et Bidelspach, 2004; Hunt, 2011; Kamali et al., 2017; Nguyen, 2014). Des études montrent que la taille des particules est le paramètre qui influence le plus le colmatage (Lin et al., 2016; Nguyen, 2014). En fonction du diamètre des particules, le colmatage peut intervenir dans les premiers centimètres de la structure (Lin et al., 2016) ou en bas de la couche de surface (Coleri et al., 2013). D’autres travaux soulignent l’importance de la localisation de l’ouvrage et des conditions locales sur le colmatage (Kamali et al., 2017). Par ailleurs, différents auteurs montrent qu’un bon dimensionnement (notamment de la porosité de la couche de surface) et surtout qu’une maintenance adaptée permettent de réduire et de gérer ce risque de colmatage (Agouridis et al., 2011; Hunt, 2011; Lin et al., 2016). Il faut noter également que même s’il est important de lutter contre le colmatage par des actions de maintenance adaptées, l’existence de ce phénomène est le signe visible du rôle de filtration de la couche de surface. En effet, en piégeant les particules en suspension la structure piège aussi les polluants qui sont liés à ces particules, contribuant ainsi à filtrer l’eau qui entre dans la structure (Kamali et al., 2017).
La perturbation du sous-sol. L’infiltration de l’eau peut être à proscrire en fonction de la nature du sol et du sous-sol pour éviter les phénomènes de gonflement/retrait (sols argileux) ou d’affaissement qui pourraient déstabiliser l’ouvrage et/ou les ouvrages à proximité (Bean et Bidelspach, 2004). Cette limite est liée au contexte géologique. Un usage de structures à revêtements perméables peut alors être envisagé à la condition d’empêcher l’infiltration par l’usage d’une membrane imperméable. Cette solution offre toujours certains avantages (stockage, évaporation) mais peut s’avérer inadaptée en fonction des volumes d’eau à gérer.
L’impact de la présence d’eau sur les propriétés mécaniques. La gestion de l’eau dans une structure de voirie est un enjeu majeur. Le drainage est considéré comme l’un des éléments les plus importants pour le bon fonctionnement mécanique d’une voirie (Dawson, 2009). En effet, l’eau présente dans un milieu poreux réduit sa capacité de portance (Dawson, 2009). Traditionnellement, le drainage de l’eau dans la voirie a donc pour objectif de l’évacuer le plus vite possible (Liu, 2005). Dans le cas des structures à revêtements perméables, les enjeux hydrologiques amènent à favoriser à l’inverse le stockage de l’eau dans la couche de fondation. Pour éviter que ce stockage soit préjudiciable aux propriétés mécaniques de la structure, le stockage de l’eau doit s’effectuer seulement dans la partie basse de la fondation, souvent appelée sous-fondation (Beeldens et al., 2008).
Le risque de gel/dégel. Ce risque est lié à la durabilité des propriétés de la couche de surface. En effet, des cycles de gel/dégel répétés vont endommager la structure et réduire ses performances mécaniques. Cet endommagement est encore plus marqué en présence d’eau dans la structure (Nguyen, 2014). Une conception adaptée (taux d’infiltration, granulométrie) permet de lutter efficacement contre ce risque en renforçant les matériaux de surface (Dawson, 2009). Ce risque est également à apprécier en fonction du climat local. À Caen par exemple, Météo France donne un nombre moyen de 14 jours de chute de neige et de 4 jours sans dégel par an, ce qui reste limité comparé à la résistance du béton perméable qui varie de 83 à 153 cycles de gel/dégel (Nguyen, 2014).
Le surcoût de ces structures. Même si la question économique a été présentée précédemment comme un bénéfice, le surcoût direct lié aux matériaux et à la mise en œuvre des structures à revêtements perméables peut être un frein à leur utilisation (Barraud et al., 2010). En effet certains avantages économiques apportés par ces structures (réduction du coût de gestion du ruissellement et de la dépollution de l’eau, etc.) qui viennent compenser leur surcoût initial peuvent être difficiles à quantifier.
Les contraintes d’usages. L’usage des revêtements perméables n’est pas adapté aux chaussées à fort trafic ou aux zones giratoires en raison de leurs propriétés mécaniques ou dans des zones sensibles à la pollution en raison du risque de diffusion des polluants, ce qui limite leur mise en œuvre (Barraud et al., 2010).
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Table des matières
Introduction générale
Contexte général de la thèse
Objectifs de la thèse
Quantifier le comportement et les bénéfices des revêtements perméables
Des objectifs déclinés en deux étapes
Organisation du manuscrit
Chapitre 1 – Contexte du travail et état de l’art
Chapitre 2 – Données au service de la modélisation
Chapitre 3 – Modélisation physique à l’échelle de la structure
Chapitre 4 – Modélisation multi-agent à l’échelle du bassin versant
1 Contexte du travail et état de l’art
1.1 Le cycle de l’eau et les sols en milieu urbain
1.1.1 Contexte historique de l’assainissement pluvial en France
1.1.2 Les conséquences du contexte actuel sur l’hydrologie urbaine
1.1.3 Défis et opportunités des villes actuelles
1.2 Les structures à revêtements perméables
1.2.1 Définition des structures à revêtements perméables
1.2.2 État des connaissances sur les structures à revêtements perméables
1.2.3 Enjeux de recherche concernant les structures à revêtements perméables
1.3 Modélisation numérique des revêtements perméables
1.3.1 La modélisation numérique en hydrologi urbaine
1.3.2 Les enjeux de la modélisation des revêtements perméables
1.3.3 Une problématique déclinée en deux étapes
1.3.4 Un ancrage contextuel et régional
Conclusion du chapitre
Principes de recherche
Synthèse du chapitre 1
2 Données au service de la modélisation
2.1 Propriétés des matériaux et de la structure
2.1.1 Propriétés des matériaux
2.1.2 Description des courbes de rétention d’eau des matériaux utilisés
2.1.3 Description de la structure retenue et de son environnement
2.2 Expériences quantitatives sur banc d’essai en laboratoire
2.2.1 Présentation du banc d’essai
2.2.2 Présentation des essais réalisés
2.2.3 Analyse des résultats expérimentaux
2.3 Riva Bella, site d’application du modèle PorousCity
2.3.1 La commune de Ouistreham et son quartier de Riva Bella
2.3.2 Données utilisées dans le modèle PorousCity
2.4 Caractérisation des conditions climatiques locales
2.4.1 Présentation générale du climat de l’ex Basse-Normandie
2.4.2 Caractérisation de la pluviométrie
Conclusion du chapitre
3 Modélisation à l’échelle de la structure
3.1 Présentation et construction du modèle PermeAble
3.1.1 Modélisation par la méthode des éléments finis avec FlexPDE
3.1.2 Paramètres, hypothèses et conditions aux limites
3.1.3 Sorties du modèle et indicateurs
3.2 Calage et vérification du modèle PermetAble
3.2.1 Calage « expérimental » du modèle
3.2.2 Vérification « expérimentale » du modèle
3.3 Exploration du modèle PermetAble
3.3.1 Analyse de sensibilité
3.3.2 Quantification des performances des structures perméables
3.4 Synthèse du chapitre 3 et discussion
3.4.1 Synthèse des résultats principaux
3.4.2 Discussion sur les limites du modèle PermetAble
4 Modélisation multi-agents à l’échelle du bassin versant
4.1 Présentation et construction du modèle PorousCity
4.1.1 La modélisation multi-agents avec Netlogo
4.1.2 Vue d’ensemble du modèle PorousCity
4.1.3 Les concepts de modélisation de PorousCity
4.1.4 Détails du modèle PorousCity
4.2 Calage et vérification du modèle PorousCity
4.2.1 Calage des variables de génération des agents drops et waters
4.2.2 Vérification de la modélisation des structures à revêtements perméables
4.2.3 Analyse de l’influence de la description du bassin versant
4.2.4 Vérification des résultats du modèle
4.3 Exploration du modèle PorousCity
4.3.1 Scénario de référence
4.3.2 Scénarios d’aménagement des trottoirs
4.3.3 Scénarios ‘RP puits’
4.3.4 Scénarios ‘RP bas et haut’
4.3.5 Influence du placement des revêtements perméables
4.3.6 Influence des propriétés des revêtements perméables
4.4 Synthèse du chapitre 4 et discussions
4.4.1 Synthèse des résultats principaux
4.4.2 Discussion sur la modélisation multi-agents
Conclusion générale et perspectives
Réflexion et perspectives sur la modélisation en hydrologie urbaine
Performances et optimisation des structures perméables
Bénéfices et implantation des structures perméables
Perspectives de recherche sur les revêtements perméables
Références
Glossaire
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