Problématisation
Pourquoi s’intéresser aux associés dans les partnerships ?
A la fois actionnaires, managers et salariés de la firme, les associés forment la « structure » du cabinet, ce sont eux qui prennent les décisions importantes et qui décident ou au moins, mettent en œuvre la stratégie du réseau. Ils sont garants de la qualité de l’audit en tant que signataires des états financiers. Ils sont les personnages centraux des cabinets d’audit. Malgré cela, la littérature existante, à quelques rares exceptions (Covaleski et al. 1998 ; Carter et Spence 2013) a négligé l’étude des associés, pour leur préférer les auditeurs de terrain ou les managers, ou bien le niveau plus méso ou macro-économique de l’étude de la structure organisationnelle des partnerships (Cooper et al. 1996 ; Greenwood et Suddaby 2006 ; Suddaby et al. 2007). Jusqu’àprésent, les recherches concernant les associés ont essentiellement porté sur leur rôle dans les institutions professionnelles ou dans les organismes de régulation, mais pas directement au sein des cabinets, et dans les cabinets, on étudie essentiellement les auditeurs de terrain. Pourtant les associés, de par leur position atypique et remarquable, constituent également un groupe à étudier, pour compléter les recherches sur l’identité des auditeurs, et c’est précisément ce que cette recherche se propose de faire.
Par ailleurs, notre recherche s’inspire directement de notre expérience professionnelle, au cours des quatre années (2001-2005) que nous avons passées au sein d’un cabinet d’audit Big 4, à Paris, en tant qu’assistante (2 ans) puis senior (2 ans). Le milieu professionnel de l’audit et des cabinets Big nous est donc familier et nous a permis d’avoir une connaissance du fonctionnement interne des cabinets, de l’organisation réelle du travail, et de la réalité des relations hiérarchiques, en mission et au bureau. Pendant ces quatre années, le personnage de l’associé, assez absent du terrain, avec une aura et une présence particulières, et finalement à l’écart de l’équipe d’audit dont il est le « chef », est restée une figure mystérieuse, à la fois adulée et respectée, mais également peu présente et impénétrable. Ces observations empiriques, en tant que salariée de la firme, et sans aucun objectif de recherche à l’époque, nous permettent de confirmer, aujourd’hui, dans un travail de recherche qui leur est consacré, que les associés sont des auditeurs à part, au sommet de la hiérarchie, véritables professionnels diplômés 1 au 1.
En France, seuls les commissaires aux comptes diplômés sont en droit de signer les comptes annuels des sociétés. Pour être inscrit sur la liste de la compagnie nationale des commissaires aux comptes, il faut soit sein d’un monde de professionnels en devenir. Les associés sont très en vue, ils sont les personnages centraux des cabinets, ceux qui détiennent le pouvoir de décision de signer ou non les comptes sociaux des entreprises, et pourtant, on ne les connaît pas, ils restent mystérieux, tant pour les auditeurs de terrain, que pour les chercheurs.
Il apparaît finalement paradoxal de constater d’un côté un très faible nombre de recherches sur les associés d’audit des cabinets Big 4, et d’un autre côté la reconnaissance d’une identité et d’une carrière différentes de celles des auditeurs de terrain, au cœur de la gouvernance du cabinet. Nous avons donc choisi de comprendre qui sont les associés d’audit dans les cabinets Big 4 en France, afin d’apporter un éclairage nouveau sur cette question peu traitée dans la littérature actuelle, et d’en tirer les implications sociologiques et organisationnelles qui en découlent.
Les questions soulevées par un modèle de carrière particulier dans les partnerships
Les cabinets Big 4 appartiennent à des réseaux d’origine anglo-saxonne qui partagent les méthodes de management, la gouvernance sous forme de partnership, et le modèle de gestion des ressources humaines et des carrières. Dans ce business-model des « Classic PSFs » organisées en « Professional Partnerships » (Von Nordenflycht 2010), le capital humain représente la principale ressource, mais également le coût principal. Pour une efficience maximale, les carrières sont alors organisées de façon pyramidale, selon le principe du up-orout.
« Les « sociétés d’audit [sont] organisées le plus souvent sous la forme juridique de sociétés de personnes et dont le marché interne du travail est trop étroit pour pouvoiroffrir une carrière à l’ensemble de leurs salariés. (…) C’est pourquoi ces sociétés organisent très largement la mobilité externe de leurs salariés, par un processus de sélection rigoureux des « meilleurs », c’est-à-dire de ceux qui ont les « dispositions ». La règle du up-or-out y prévaut, une gestion des ressources humaines planifiée à – Etre titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur 2 e ou 3 e cycle ou d’un diplôme d’une grande école et avoir suivi d’un stage professionnel de 3 ans chez un commissaire aux comptes puis obtenir le certificat d’aptitude aux fonctions de commissaire aux comptes (CAFCAC) ;
– Etre titulaire d’un diplôme d’expert-comptable et avoir suivi un stage de 2 ans chez un commissaire aux comptes. froid et de manière transparente, qui aboutit à n’admettre que quelques « élus » au rang d’associé au bout de dix à douze ans, voire plus (Fondeur et Sauviat, 2002). Cette règle se traduit par un taux de turnover relativement élevé (16 % en 2000) ». (Sauviat 2003, p. 21 & 41)
Le recrutement des auditeurs se fait quasiment exclusivement à l’issue de leurs études, généralement au niveau master. Les auditeurs suivent un parcours jalonné de grades qui sont matérialisés par des promotions annuelles au cours de « cérémonies de passage » à la fin de chaque « saison d’audit ». Même si la terminologie peut varier d’un cabinet à l’autre, le parcours classique est donc le suivant :
– Les deux premières années sont les années d’assistant, débutant puis confirmé, où les travaux, essentiellement bilantielles, restent simples et routiniers ;
– Les trois années suivantes sont les années de seniors. On trouve aussi le terme de « chef de mission ». Ce sont des fonctions sur le terrain de gestion de la mission, plus ou moins importantes selon l’expérience. Le senior est l’interlocuteur, sur le terrain, du client et de ses équipes. Il gère la bonne conduite de la mission.
– Après 5 ans « d’apprentissage », les meilleurs ou les plus aptes sont promus au grade de manager, pour environ 3 ans, parfois 4 ou 5. Le manager ne gère plus une mission mais directement les clients. Il est donc moins sur le terrain et supervise les activités du senior, qui lui, est chez le client. Il peut gérer plusieurs missions en même temps, depuis le bureau, même s’il passe régulièrement sur les missions, pour entretenir un contact avec le client et avec les équipes d’audit.
– Le passage au grade de senior manager n’est pas automatique. Il dépend essentiellement des évaluations et des aptitudes du manager à faire preuve de qualités qui laissent présager un potentiel d’association. La durée du grade est indéterminée.
– Le passage à l’association se fait donc à l’issu de ce parcours pyramidal de sélection des compétences, aptitudes et qualités pour être associé. Il se fait par cooptation de l’ensemble de la communauté des associés.
– Il est à noter qu’il existe au sein des cabinets Big 4 un grade de directeur, intermédiaire entre le senior manager et l’associé. Ce grade existe depuis longtemps, et la plupart du temps, il ne permet pas le passage à l’association mais permet de retenir des auditeurs spécialisés dans des niches sectorielles ou techniques particulières. Depuis cinq ans environ, ce grade évolue, ou au moins se modifie avec le grade de directeur associé, où l’auditeur se voit attribuer une part de capital lui permettant de signer les comptes de PME ou les dossiers en référés mais ne l’associe pas au partage des bénéfices réservés aux associés. Dans un des 4 cabinets, ces directeurs associés prennent le nom de « nonequity partners ». Dans tous les cas, ce grade peut permettre plus facilement une association à moyen terme en fonction des opportunités internes.
Objectifs, questions et plan de la recherche
Dans les firmes de services professionnels, la cooptation à l’association est un des points clés de la carrière d’un professionnel. D’après Ibarra (2000), il y a peu de transformations aussi psychologiquement complexes et bouleversantes que le passage à l’association. S’agit-il d’une rupture identitaire ou bien de la construction d’une nouvelle identité de soi, pour soi, et pour autrui ?
« Becoming a partner requires a professional to change not only her skills but also her communication style. But the transition requires a deeper personal transformation too.
And it is here, in the creation of an identity (…).” (Ibarra 2000, p. 149)
Par ailleurs, on se rend vite compte, à l’analyse des carrières de ceux qui sont devenus associés comme de ceux qui ne le sont pas devenus, que tout semble quasiment joué au moment de la cooptation. Il apparaît donc clairement que la décision se construit bien en amont, autour de mécanismes qui sont plus de l’ordre du tacite et de l’informel que de la mise en place de règles du jeu claires et officielles.
De la même façon, au sein de la communauté des associés, il existe une hiérarchie visible entre les associés « lourds » et les associés ayant moins de poids. Tous ne progressent pas à la même vitesse, et tous ne pèsent pas le même poids. Certains sont plus influents, d’autres plus visibles, d’autres plus controversés. Comment se construit cette hétérogénéité et cette inégalité d’influence et de pouvoir ? Pourquoi et comment certains deviennent incontournables ? Et quel pouvoir cela leur procure-t-il ? Comment se construit la carrière des associés, une f ois cooptés ?
Et cette évolution de carrière est-elle en lien avec ce qui s’est passé au moment de la décision de cooptation voire même avant, dans les choix et les opportunités de la trajectoire empruntée ?
L’objectif de notre thèse est donc d’étudier la carrière des auditeurs dans les cabinets Big 4, afin de comprendre le processus de cooptation dans sa globalité et d’analyser la construction identitaire de ces auditeurs devenus associés pour comprendre comment se « fabrique » l’associé, dans une vision dynamique et processuelle de la carrière.
Notre question de recherche peut donc être formulée simplement, avec toutes les implications identitaires et processuelles qui ont été expliquées plus haut :
Qu’est-ce que l’identité ? Définition et mise en oeuvre du concept
“The current popularity and, perhaps, the overconsumption of self and identity in social science (…), as well as the slippery notion of identity means that it is not easy to get an overview of the area(s).” (Alvesson 2010, p. 194)
L’identité, comme nous le rappelle Alvesson dans l’extrait en exergue, est un sujet très vaste et complexe, objet de nombreux travaux dans de diverses disciplines allant de la psychologie, à la psychanalyse, la philosophie ou la sociologie et y compris dans les domaines d’études des sciences de gestion. Afin de ne pas nous nous perdre dans cette littérature foisonnante et parce qu’une revue de la littérature sur le concept d’identité n’est pas directement l’objet de notre recherche, nous proposons dans cette première section, de simplement nous positionner clairement parmi les différents courants sur l’identité en choisissant d’entrée un angle d’étude précis, afin de définir les concepts utilisés, sans rentrer dans les détails subtils et les enjeux nombreux d’un concept irréductible, voire insaisissable (Pezé 2013).
L’identité : un concept en tension
L’identité est une notion complexe et riche, que nous proposons de présenter succinctement, en l’organisant autour de sa dualité intrinsèque (Haynes 2006), entre déterminisme de la structure et autonomie de l’agent, tout en formulant clairement les distinctions théoriques principales qui émergent de l’étude du concept d’identité.
Fondamentalement, l’identité présente une dichotomie qui divise le concept en deux pôles opposés, mais également complémentaires : l’individu autonome, libre de ses choix et actif dans la formation de son soi (self) d’une part, et la structure d’autre part, qui détermine l’individu, le contraint dans ses choix, façonne les discours et impose en normes l’idéologie dominante.
Dans le courant humaniste ou essentialiste, les auteurs font référence à l’agency du sujet : l’individu est considéré comme agent dans sa propre sphère sociale et est capable d’agir et d’influencer la relation sociale dans laquelle il est engagé (Woodward 2000). Giddens (1991) parle de « project of the self » pour évoquer la participation active du sujet dans la formation de son identité. L’individu, rationnel et conscient, construit son identité de façon autonome, en faisant des choix au sein de la structure organisationnelle, en se différenciant des autres, pour exprimer son « soi ». Il est lui-même, et en ça, il se différencie de l’autre (Pezé 2013).
Considérant l’autonomie maximale du sujet, la vision fonctionnaliste de l’identification fait de l’individu l’acteur principal de sa construction identitaire, en s’identifiant à une structure commune, à une identité partagée, qui comble son besoin d’appartenance à un groupe, et à laquelle il choisit librement d’appartenir. Les positivistes considèrent également un individu autonome dont les choix sont gui dés par sa seule raison. L’homo œconomicus est guidé, dans ses décisions, par son self rationnel. Les critiques adressées à ce point de vue sont principalement liées au manque de prise en compte de l’influence de la contrainte organisationnelle et du contexte dans lesquels sont prises les décisions individuelles, ainsi que la négligence des enjeux de pouvoir et l’influence des émotions ou des limites individuelles de la rationalité.
L’associé d’audit dans la littérature comptable
La standardisation identitaire de l’auditeur forgée par la littérature semble en contraste avec la figure identitaire de l’associé qui, bien que peu présente dans la littérature au niveau microsociologique, apparaît comme entrepreneur, libre et décideur (Kornberger et al. 2011). Ce paradoxe semblerait appuyer l’idée selon laquelle l’associé n’est pas un auditeur comme les autres, et qu’à ce titre, il mérite d’être étudié en tant que figure identitaire à part. Ce flou aut our de la question de l’identité de l’associé peut s’expliquer par le fait que les études mentionnées précédemment analysent l’auditeur en général, mais excluent quasi -systématiquement l’associé de l’échantillon étudié, en se focalisant sur les auditeurs de terrain ou bien, plus récemment, sur les managers (Kornberger et al. 2011 ; Mueller et al. 2011).
Il peut paraître paradoxal, alors que la littérature sur les grands cabinets d’audit internationaux soit en pleine croissance ces dernières années, qu’on note un très faible nombre d’articles concernant les associés, à la tête de ces cabinets Big.« Relatively little is known about the identity of partners in accounting firms. » (Kornberger et al. 2011, p. 516)
Revue de la littérature comptable interprétative
Peu d’études se sont confrontées à la figure i dentitaire de l’associé dans les Big 4, sans doute à cause des difficultés d’accès au terrain. Richard Baker, dans son article de 1975 (Baker 1975) distingue les associés entrepreneurs, à la recherche permanente de nouveaux business, les associés techniciens, à la recherche de solutions techniques en comptabilité ou fiscalité, les associés « trouble-shooters » à qui ont fait appel pour résoudre des problèmes de relations conflictuelles avec des clients, les associés actifs dans les organisations internationales, tentant d’influencer au maximum la mise en place et la définition des standards d’audit internationaux, les associés « administratifs » plus impliqués en interne, auprès des équipes d’audit et enfin les associés qui sont « arrivés » et profitent de leur statut sans recherche d’un leadership particulier.
Dans cet article de 1975, Richard Baker s’attache à décrire une journée ordinaire d’un associé de grand cabinet, compilant des informations glanées après plusieurs mois d’observation participante. Bien sûr la description est datée, et les technologies nouvelles au service de l’associé d’aujourd’hui ne sont pas évoquées. Toutefois, il est intéress ant d’observer, dans la reconstitution de cette journée virtuelle, la diversité des problèmes et des situations auxquels un associé est confronté, et les qualités personnelles qu’il doit mettre en œuvre pour y faire face : qualités techniques, relationnell es, promotionnelles et administratives. Par ailleurs on observe avec l’auteur à quel point l’associé est soumis à une pression constante de demandes de services venues de toute part, et de tous les interlocuteurs qui l’entourent (pairs, clients, public, équipes, …). Deux ans plus tard, il précise son approche par un article de recherche dans The Accounting Review (Baker 1977) : un associé se définit par trois dimensions dans l’exercice de sa profession : « Doing », « Representing » and « Being ». Il « fait » quand il gère la relation clients au sein d’un contrat économique : il livre un produit « tangible » (des comptes certifiés, de la confiance, de la légitimité) en échange d’honoraires d’audit. Il « représente » le cabinet à l’extérieur, tant vis-à-vis des tiers (banquiers, avocats, corps professionnels, agences gouvernementales) qu’au sein d’un réseau de relations incroyablement riche. Enfin il « est » l’image de la firme, outil de marketing pour une marque internationale. Ces typologies des actions ou des fonctions des associés des grands cabinets d’audit plaident donc pour une hétérogénéité forte au sein de la population des associés, tant en termes de tâches que concernant leurs rôles et leur profil identitaire, ce qui nous semble invalider l’idée de l’associé comme « produit du moule ». Baker est le premier à analyser en détail les pratiques des associés des grands cabinets d’audit et à mettre en avant un rôle différent du reste des auditeurs, et notamment un rôle plus orienté « business ».
A partir du milieu des années 90, les chercheurs constatent, documentent voire dénoncent la tendance vers un associé des Big de plus en plus orienté business, et réfléchissent à la compatibilité des valeurs professionnelles avec les valeurs commerci ales (Sikka 2008). Covaleski et ses co-auteurs se concentrent pour cela sur les techniques disciplinaires qui façonnent l’identité des associés. En étudiant les pratiques de management par objectifs (Management By Objectives – MBO) et de parrainage (Mentoring), ils montrent que ces techniques visent à transformer des professionnels autonomes en véritables entrepreneurs « by duplicating the organization within the individuals » (Covaleski et al. 1998, p. 294). La structure agit alors comme une technique disciplinaire qui transforment les associés en véritables « corporate clones ». Dans la même idée, Gendron & Spira (2010) étudient le travail identitaire mené par les auditeurs suite à la faillite d’Arthur Andersen et dans ce contexte, mettent en évidence le fait que, dans les cabinets Big 4, les associés sont considérés comme des entrepreneurs individuels, en charge de leur propre centre de profit. Ils inscrivent leur recherche dans le courant qui s’interroge sur la compatibilité entre valeurs professionnelles et valeurs commerciales : « All of the above writings highlight that a key discursive feature of AA is the gradual ascendancy of commercialism, which allegedly undermined auditor professionalism. » (Gendron et Spira 2010, p. 285).
Les cabinets Big 4 sont des Professional Partnerships
La gouvernance privilégiée par les PSF, et notamment les Classic PSFs (Von Nordenflycht 2010) est la « professional partnership », car elle envisage comme une réponse adéquate à leur degré d’expertise extrême (Greenwood et al. 1990), le besoin d’autonomie des professionnels (Greenwood et Empson 2003) et l’asymétrie d’information avec les clients (Gilson et Mnookin 1989) ; toutefois les « professional partnerships » ne constituent pas la totalité des firmes de services professionnels. Toujours dans l’article de Von Nordenflycht (2010), l’auteur déplore que la littérature récente se permette de généraliser à l’ensemble des PSFs, non défini, les caractéristiques étudiées auprès d’un cas précis, citant notamment l’article de Hinings and al. (1991), qui, traitant des professional partnerships, généralise ensuite ses résultats et contributions à l’ensemble des firmes de services professionnels. Nous allons donc analyser cette forme de gouvernance, qui est un cas particulier de PSFs, bien que le cas dominant, en prenant garde de ne pas généraliser nos propos à l’ensemble du secteur, compte tenu de ses spécificités mais en tenant compte des caractéristiques propres de ce format de gouvernance.
La « Professional Partnership » est en quelque sorte « l’idéal -type » de la firme de services professionnels, il en est en tout cas la forme dominante de gouvernance. La littérature organisationnelle s’est intéressée à cette forme particulière d’organisation, dans laquelle les théories classiques de la firme ne s’appliquaient pas, d’abord comme une réponse idéale à leur fort degré d’expertise et à la complexité du travail professionnel mais aussi compte tenu de ses implications managériales pour l’organisation bureaucratique traditionnelle (Gilson et Mnookin 1989 ; Greenwood et Empson 2003 ; Empson et Chapman 2006). Les chercheurs caractérisent les « Professionnal Partnerships » par :
– des processus de gestion informels où tâches administratives et professionnelles sont gérées par les associés directement ;
– une promotion suivant le principe du up-or-out ;
– un actionnariat interne, constitué par une oligarchie d’associés (Von Nordenflycht 2010) ;
– la non séparation du contrôle et de la propriété (Lazega 2001).
Cette gouvernance permet :
– de gérer la complexité du travail professionnel, en donnant de l’autonomie à ses membres, qui par leur culture professionnelle, sont assez réticents au format classique de hiérarchie bureaucratique (Greenwood et al. 1990) ;
– de rassurer le client, par la construction d’une relation personnelle de confiance avec son contact dans le cabinet, par le statut organisationnel de la structure et/ou par la réputation du cabinet avec qui il traite (Podolny 1993 ; Alvesson 2001) ;
– d’inculquer les normes professionnelles à ses membres, par des f ormations intensives et une socialisation informelle (Hall 1968).
Les cabinets d’audit Big 4 que nous étudions dans ce travail de thèse sont donc des firmes de services professionnels, organisés en partnerships. A ce titre, nous nous proposons de nous intéresser à la littérature organisationnelle concernant les firmes de services professionnels et plus particulièrement aux partnerships. En particulier, nous voulons étudier le processus de promotion à l’association, qui, dans ce type d’organisation et sous cette forme de gouvernance, procède par cooptation. Les auditeurs, après un parcours professionnel structuré par le up-orout, atteignent (ou non) le grade de senior-managers. Ils ont alors la possibilité de proposer leur candidature à l’association, c’est-à-dire au partage du capital du cabinet. Pour cela, ils sont « cooptés », c’est-à-dire choisis, par la communauté des associés, qui forment l’ensemble des actionnaires de la firme. Nous souhaitons interroger ce parcours, propre aux partnerships et donc aux firmes de services professionnels, en étudiant la littérature qui traite des PSF, en général, mais également en nous concentrant plus particulièrement sur le promotion-to-partner process et le système du up-or-out, afin de cerner la façon dont est traité l’associé, au cœur de cette gouvernance, et de répondre au moins partiellement à notre question de recherche sur ledevenir associé dans les cabinets Big 4.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
PREAMBULE
INTRODUCTION GENERALE
SECTION 1 : PROBLEMATISATION
SECTION 2 : OBJECTIFS, QUESTIONS ET PLAN DE LA RECHERCHE
SECTION 3 : CONCLUSION ET APPORTS
PREMIER CHAPITRE : L’IDENTITE DES ASSOCIES D’AUDIT
INTRODUCTION
SECTION 1 : QU’EST-CE QUE L’IDENTITE ? DEFINITION ET MISE EN OEUVRE DU CONCEPT
SECTION 2 : QU’EST-CE QU’ETRE UN PROFESSIONNEL DE L’AUDIT DANS LA LITTERATURE ?
SECTION 3 : LA SOCIALISATION, OUTIL DE CONTROLE D’UNE IDENTITE STANDARDISEE DES AUDITEURS
SECTION 4 : L’ASSOCIE EST-IL UN AUDITEUR COMME LES AUTRES ?
CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE
ANNEXES DU PREMIER CHAPITRE
DEUXIEME CHAPITRE : L’ASSOCIE DANS LES FIRMES DE SERVICES PROFESSIONNELS
INTRODUCTION
SECTION 1 : S’INTERESSER A LA LITTERATURE ORGANISATIONNELLE POUR COMPRENDRE LA PROFESSION ET SON ORGANISATION : QUELLE PLACE POUR L’ASSOCIE ?
SECTION 2 : LA PARTNERSHIP, MALGRE SES EVOLUTIONS DE FORME, CONTINUE DE PLACER L’ASSOCIE AU CŒUR
DE SA GOUVERNANCE
SECTION 3 : LE PROMOTION-TO-PARTNER PROCESS
CONCLUSION DU SECOND CHAPITRE
ANNEXES DU SECOND CHAPITRE
TROISIEME CHAPITRE : CADRAGE EPISTEMOLOGIQUE ET CONCEPTUEL : UNE PERSPECTIVE INTERACTIONNISTE DE LA CARRIERE COMME PROCESSUELLE ET DE L’IDENTITE COMME NARRATIVE
INTRODUCTION
SECTION 1 : UNE ANALYSE MICROSOCIOLOGIQUE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE DES PROFESSIONNELS
SECTION 2 : UNE ANALYSE PROCESSUEL DU DEVENIR PAR L’OPERATIONNALISATION DU CONCEPT INTERACTIONNISTE DE CARRIERE
SECTION 3 : LE TRAVAIL DE TERRAIN CHEZ LES INTERACTIONNISTES
SECTION 4 : L’IDENTITE NARRATIVE DE PAUL RICOEUR ET LE DEBAT SUR L’ILLUSION BIOGRAPHIQUE (BOURDIEU 1986)
CONCLUSION DU TROISIEME CHAPITRE
QUATRIEME CHAPITRE : LA MISE EN ŒUVRE DE LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE DANS UNE PERSPECTIVE INTERACTIONNISTE
INTRODUCTION
SECTION 1 : ORIGINALITE DE LA RECHERCHE ET RAPPORT DU CHERCHEUR A SON OBJET
SECTION 2 : PRESENTATION DU DESIGN DE RECHERCHE
SECTION 3 : OPERATIONNALISATION DE LA METHODOLOGIE
CONCLUSION DU QUATRIEME CHAPITRE
ANNEXES DU QUATRIEME CHAPITRE
CINQUIEME CHAPITRE : COMMENT DEVIENT-ON ASSOCIE D’AUDIT ? UNE VISION
PROCESSUELLE DU DEVENIR PAR L’ETUDE APPROFONDIE DU PROCESSUS DE COOPTATION
A L’ASSOCIATION DANS UN CABINET BIG 4 EN FRANCE
INTRODUCTION
SECTION 1 : LE PROCESSUS DE COOPTATION DANS LES CABINETS BIG 4 EN FRANCE
SECTION 2 : ANALYSE DES CRITERES DE COOPTATION A L’ASSOCIATION DANS LES BIG 4 EN FRANCE
SECTION 3 : LES ECURIES, UNE STRUCTURE HIERARCHIQUE TRANSVERSALE ET INFORMELLE
CONCLUSION DU CINQUIEME CHAPITRE : IMPACT DES ECURIES POUR COMPRENDRE L’ORGANISATION
STRUCTURELLE DES CABINETS BIG 4
SIXIEME CHAPITRE : QUAND DEVIENT-ON ASSOCIE D’AUDIT ? LA CONSTRUCTION DE L’IDENTITE DE L’ASSOCIE D’AUDIT DANS LES BIG 4 EN FRANCE
INTRODUCTION
SECTION 1 : DEVENIR ASSOCIE D’AUDIT : SE RECONNAITRE SOI-MEME COMME UN PROFESSIONNEL
SECTION 2 : DEVENIR ASSOCIE D’AUDIT : ETRE RECONNU PAR AUTRUI COMME UN PROFESSIONNEL
SECTION 3 : L’ORGANISATION DE LA PARTNERSHIP : UNE VISION DE « L’APRES »
CONCLUSION DU SIXIEME CHAPITRE
DISCUSSION – CONCLUSION GENERALE
SECTION 1 : DISCUSSION DES IMPLICATIONS THEORIQUES DE NOTRE RECHERCHE ET CONTRIBUTIONS PRINCIPALES A LA LITTERATURE EXISTANTE
SECTION 2 : REPONSES A LA QUESTION DE RECHERCHE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES FIGURES
TABLE DES MATIERES