Psychopathologie de la dรฉpendance
Il est retrouvรฉ, surtout chez les femmes, un sentiment de honte, de dรฉni et de tabou social trรจs fort (ยซ jโรฉtais pas alcoolique, pas une poche-tronc ยป (E1), ยซ je nโai pas une tรชte dโalcoolique, moi ยป (E6), ยซ je bois moins que dโautres ยป (E4)). Le dรฉni de la consommation, ยซ รงa ne peut pas รชtre que lโalcool ยป (E4), ยซ tout le monde boit du vin ยป (E4), ยซ je ne buvais pas vraiment ยป (E7), intervient au cours de lโentretien au moment oรน on รฉvoque la relation et les รฉchanges avec leur mรฉdecin traitant avant le sevrage. Ils ont eu au cours de leur histoire des รฉchanges vรฉcus comme difficiles, entrainant la rupture avec ces derniers. Ils dรฉcrivent un sentiment trรจs intrusif, agressif, voire blessant ou humiliant. Il y a celui qui ยซ nโaime pas les alcooliques ยป (E9, E3), celui qui ยซ ne donne pas dโexplications ยป (E2), celui qui nโen parle pas et donne le sentiment ยซ dโabandon, de mรฉpris ยป, celui qui questionne lโaddiction afin dโessayer de la diminuer pour en contrรดler les risques. Lโinjustice apparaรฎt dans les entretiens, ยซ je ne bois pas plus que les autres ยป (E4), ยซ pourquoi moi ยป (E8). Ce sentiment sert de levier au sevrage, en permettant de retrouver du contrรดle et de rรฉduire le sentiment de culpabilitรฉ, en cherchant ร obtenir lโaide de lโautre pour lutter contre cette injustice. Le patient alcoolique sevrรฉ est trรจs attentif ร la consommation des autres. Allant mรชme jusquโร agir en vidant les bouteilles des autres en cachette pour ยซ aider ยป. ยซ Cโest un poison ยป, ยซ je le sens ร 10 mรจtres ยป (E6), il reste lโennemi ร combattre.
Rapport aux proches: La consommation est domestique, en partie cachรฉe et sue de lโentourage mais non dite. On sait mais on nโose pas dire, par peur de briser le lien familial, conjugal ou encore amical, ยซ รงa ne servait ร rien dโen parler, je nโรฉtais pas prรชte ยป (E5). Au contraire, cette parole familiale se dรฉlie aprรจs le sevrage, ยซ on en parle maintenant ยป, parfois de maniรจre plus insistante, oรน le patient est testรฉ par son entourage sur ses capacitรฉs ร rรฉsister ร la tentation, notamment lors des repas de famille et le temps de lโapรฉritif. Le lieu de vie familial, oรน les discussions sur lโaddiction รฉtaient รฉvitรฉes, devient celui oรน lโon en parle le plus, ยซ je nโai plus de problรจme ร en parler avec mes enfants ยป (E5), ยซ je vois plus souvent ma fille et elle me pose la question ยป (E7).
Rapport ร la maladie hรฉpatique: La maladie alcoolique, ici au stade de cirrhose du foie, ne se voit pas ยซ physiquement ยป, de lโextรฉrieur du corps, raison pour laquelle il est difficile dโaccepter de parler dโune maladie quโil faut traiter. Ils expliquent avoir besoin du suivi, en gรฉnรฉral tous les 6 mois avec le mรฉdecin spรฉcialiste du foie, mais on ne parle, pendant cette consultation, que de prise de sang, dโรฉchographie, de la vie de tous les jours mais pas dโalcool. Il nโest pas nรฉcessaire dโen 10 parler car cela nโest ยซ quโune question de volontรฉ ยป (E3), et le sevrage est espรฉrรฉ ou vรฉcu comme un fait รฉtabli mais rarement symbolisรฉ (verbalisรฉ), รฉlaborรฉ ou รฉnoncรฉ.
Retrouver de lโestime: Au mรชme titre que les ยซ tests ยป proposรฉs par leurs enfants, les malades alcooliques parlent de combat, de lutte, de rรฉsistance. Il ressort une problรฉmatique de la faiblesse, de lโimpuissance dรฉcrite ร postรฉriori sur leur addiction, puis celle du rachat, de la force, du contrรดle de ses actions, ยซ moi, le vin, je lโai choisi, il ne sโest jamais imposรฉ ยป (E3). Cโest une des raisons pour lesquelles le lieu privilรฉgiรฉ de la parole libรฉrรฉe semble รชtre le lieu familial, expliquรฉ par le besoin de prouver ร ses proches que lโon a repris le dessus sur le produit, que lโon est capable de faire autrement. Sur le plan psychique, ces patients apparaissent dรฉprimรฉs, cherchant par lโalcool un effet rรฉconfortant, anxiolytique et amnรฉsiant, ยซ on finit par se droguer, รงa fait tenir le coup ยป (E2), ยซ รงa me servait ร oublier mes problรจmes ยป (E1).
On ressent dans leur histoire une perte de lโestime de soi, une impression dโ ยซ inutilitรฉ sociale ยป, sโaccompagnant pour une dโentre eux dโidรฉes suicidaires sans passage ร lโacte. Le moment du dรฉclenchement du processus de sevrage vient rรฉactiver cette estime et cette place au sein de la sociรฉtรฉ, de la famille et des amis. La notion de risque mรฉdical sur le corps ยซ objet ยป nโa que peu ou pas dโimpact sur lโaddiction. Ces derniers sont connus des patients, au mรชme titre que ceux liรฉs aux autres addictions comme le tabac par exemple. En effet, ces patients nโรฉvoquent que trรจs peu cette notion au cours de leur histoire, que cela soit avec leurs proches ou avec leur mรฉdecin traitant.
Approche sociologique du sevrage Sur le plan social, lโalcool joue un rรดle de lien plutรดt que de rupture avec lโautre. Il apparaรฎt, surtout chez les hommes interrogรฉs, comme le lien essentiel ร la constitution du groupe dโamis, celui qui permet de se voir, de se rencontrer, ยซ dans les villages, on faisait le tour des caves ยป, ยซ on faisait 3 ou 4 bistrots le dimanche matin aprรจs la marchรฉ ยป (E3). Celui qui ne prenait pas le petit coup ร boire nโรฉtait pas intรฉgrรฉ au sein du groupe, รฉtait mis ร lโรฉcart. Lโabstinence nโest pas dรฉcrite comme une rupture de ce lien. Il faut, au contraire, รชtre capable de continuer ร accueillir ses amis, de leur ยซ payer un coup ร boire ยป, dโaller mรชme au bistrot avec eux, mais de ยซ commander un ou plusieurs Perriers ยป (E3). Dans ces situations, lโaddiction nโest pas ressentie et vรฉcue comme nocive ou pathologique, puisquโelle est partagรฉe par la majoritรฉ. Il nโy a donc pas lieu de la questionner.
Les retentissements physiques de cette consommation ne sont que temporaires et fluctuants, liรฉs immรฉdiatement ร la prise du produit, dont lโeffet visible sโestompe rapidement. Quand bien mรชme cette addiction est alors vรฉcue comme problรฉmatique, il est difficile de le dire, au risque de casser le lien au sein du groupe. De faรงon quasi systรฉmatique, les conditions de travail sont prรฉsentรฉes comme le mode dโentrรฉe dans la maladie alcoolique, ยซ jโai attrapรฉ รงa au boulot ยป (E2), ยซ on finit par se droguer, รงa fait tenir le coup ยป (E8), ยซ il fallait bien tenir ยป (E8). A lโinverse, la retraite, correspondant au moment de dรฉcouverte de la maladie hรฉpatique (รขge moyen de dรฉcouverte de 57 ans et 3 mois), est un levier pour le sevrage. Ce moment de la vie coรฏncide avec lโarrivรฉe des petits-enfants, en somme de retrouver une dynamique familiale, une responsabilitรฉ oรน la place de modรจle familial prise par les grands-parents jouerait un rรดle important pour le bien-รชtre des plus jeunes. Lโutilitรฉ antรฉrieure du produit ne ferait plus sens et viendrait ร รชtre remplacรฉe par le lien familial retrouvรฉ.
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Table des matiรจres
RESUME
METHODES
RESULTATS
PSYCHOPATHOLOGIE DE LA DEPENDANCE
Vรฉcu de lโaddiction
Rapport aux proches
Rapport ร la maladie hรฉpatique
Retrouver de lโestime
APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU SEVRAGE
Fonction sociale du produit
Relation intime au produit
Fonction familiale
LE PARCOURS DE SOINS : DE LโERRANCE A LA RENCONTRE
Temps de lโannonce
Temps de la rencontre
Lโรฉchec utile
Place du soignant
DISCUSSION ET CONCLUSION
THEORIE DU LIEN ET DE LโATTACHEMENT
ROLE DU SOIGNANT ET EN PARTICULIER DU MEDECIN GENERALISTE
LโECHEC DU SEVRAGE : VERS UNE REDUCTION DES RISQUES ; UN CHANGEMENT DE PARADIGME
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES
ANNEXES
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