Psychologie individuelle et perception des risques

 Etat de l’art : les signaux faibles, un concept qui se cherche 

Le présent travail, débuté il y a environ trois ans, a commencé avec une simple expression « signal faible » et un terrain « les sites pharmaceutiques français de sanofiaventis ». Le lien entre ces deux entités fut loin d’être évident au départ. Plusieurs raisons à cela, la première fut qu’il n’existe pas de définition univoque des signaux faibles. Comme nous le verrons dans la suite de ce travail il existe une assez grande diversité concernant les définitions que l’on pouvait trouver dans la littérature, et nos études de cas ont encore élargi le périmètre. Ensuite le terrain ne s’est pas ouvert très simplement, aussi bien intellectuellement que physiquement. Là encore nous verrons plus tard d’une part que l’organisation sanofiaventis est assez complexe, aussi bien au niveau de sa documentation, sa hiérarchie, que des différences qu’il existe entre chaque usine. D’autre part nous verrons comment nous avons du « négocier » pour pouvoir nous faire accepter sur ce terrain. Finalement, comme nous allons le voir dans cette partie, les signaux faibles ont été essentiellement abordés dans la littérature scientifique sous l’angle des accidents majeurs, or il n’y a pas eu d’accident majeur ces dernières années sur un site pharmaceutique de sanofi-aventis.

Il nous a donc fallu savoir ce qu’englobait cette notion de signal faible lorsqu’il ne s’agissait pas d’une entreprise à hauts risques. Savoir ce que ce type d’entreprise pouvait attendre de mon travail, c’est-à-dire apporter une réflexion et des résultats suffisamment génériques pour pouvoir être applicables à d’autres activités que celles liées aux métiers de la pharmacie. Les signaux faibles que nous allons étudier, s’ils ne sont pas uniquement liés aux accidents majeurs, ont malgré tout pris naissance au sein de cette problématique. Nous allons donc commencer par présenter les principaux accidents majeurs, et les études réalisées a posteriori qui ont permis l’émergence de cette idée : les signaux faibles.

Les accidents majeurs 

Sous le terme d’accident majeur, nous pouvons regrouper une grande diversité de types d’accidents ; il existe les accidents industriels, les accidents écologiques, les accidents naturels, les accidents économiques… Nous nous intéresserons à ceux relatifs à la santé et la sécurité des salariés. Dans cette première partie nous allons cependant nous focaliser sur les accidents technologiques majeurs.

L’accident de Tchernobyl en 1986 est encore dans tous les esprits. S’il fut très médiatisé, il ne fut pas le seul accident lié au risque radioactif, la centrale nucléaire de Three Mile Island (TMI) aux Etats-Unis (1979), moins présente dans l’esprit du public, fait également partie des grandes catastrophes technologiques. La pétrochimie eu également quelques grands accidents, nous pouvons ainsi citer l’accident de Feyzin en France (1966), celui de Mexico city (1984), Piper Alpha (1988) ou encore La mède (1992). Le nucléaire et la pétrochimie ne sont pas les seules activités à risques, les domaines de l’aviation, de la chimie, des transports terrestres et bien d’autres encore peuvent comporter des risques d’une gravité extrême. L’exemple le plus choquant est sans doute celui de Los Alfaques en Espagne en 1978. L’explosion d’un camion citerne transportant 25 tonnes de propylène, à proximité du terrain de camping « Los Alfaques », situé en contrebas, entre la route et la mer, fit 217 morts et de nombreux blessés. Peu de personnes auraient pu imaginer un tel scénario à cette époque . Le regard du public et des industriels a donc changé par rapport aux risques technologiques majeurs (cf. Lagadec, 1981) C’est pourquoi la plupart de ces grands accidents technologiques ont amené le législateur à réglementer de plus en plus ces activités dites à hauts risques.

Amalberti explique que toute industrie se développe en trois temps au niveau de la sécurité. Tout d’abord le temps de la recherche, où le niveau de sécurité est minimal et n’était d’ailleurs pas forcément dans les objectifs du chercheur. Ensuite le temps  développement industriel, c’est à ce moment là que surviennent les premiers grands accidents.

Et finalement le temps des médias, à ce moment là l’industrie considérée est censée posséder une technologie permettant de prévenir tout accident, elle est « sous les projecteurs » et les médias et par corollaire le public n’accepteront plus d’erreur de sa part. Nous avons repris l’idée de ces trois étapes sous l’angle de l’apprentissage face aux risques. Dans la figure 1 nous avons représenté la courbe ‘normale’ d’une industrie. En vert celle de l’industrie pharmaceutique, qui possède la particularité de ne pouvoir représenter formellement ses origines dans ce schéma. L’action de soigner est très ancienne, et si l’on souhaite regarder plus précisément l’entreprise sanofi-aventis, ses premières officines remontent à plus de deux siècles (cf. partie «4.1.1. Présentation du groupe sanofi-aventis »). C’est pourquoi il nous est difficile de tracer le début de cette courbe. Cependant nous pouvons dire que le temps de l’industrialisation est déjà largement entamé et que le temps médiatique est sans doute déjà amorcé.

A chacun de ces différents temps nous pouvons associer un type de retour d’expérience. Le retour d’expérience après crise, celui après exercice et celui après détection de bonnes pratiques et finalement celui après incidents. Ce schéma n’est pas strict, et certaines industries peuvent avoir des courbes un peu différentes. Par exemple, l’explosion de l’usine d’AZF a fait très rapidement passer l’industrie chimique, en France, au temps médiatique. Il en fut de même aux Etats-Unis avec l’industrie du nucléaire lors de l’accident de TMI.

Les premières avancées sont toujours techniques, puis lorsque ces avancées deviennent de l’ordre de l’ajustement c’est l’organisation et finalement l’humain qui permettent l’amélioration du niveau de sécurité. Ce qui est intéressant de noter sur ce schéma c’est que les médias n’ont pas encore noté que ces avancées sont plus longues car elles touchent justement l’organisation puis l’humain. Il ne s’agit donc quasiment plus d’avancées techniques, plus rapides à mettre en place. Ensuite l’information qui est récupérée après les incidents ou accidents se doit d’être de plus en plus pertinente. Lors d’une crise, la finesse de l’analyse sera généralement à la taille de l’évènement. Il s’agira dans un premier temps de faire une analyse « gros grains » afin de détacher les axes majeurs de l’enquête (à titre d’illustration médiatique, la référence de l’analyse de l’accident d’AZF par Charlie Hebdo : Charlie Hebdo, 2006). Alors que lorsqu’on arrive à l’analyse d’incident, la personne ne pourra pas se satisfaire d’une analyse « gros grains ». Elle devra obligatoirement affiner ses observations et rentrer dans les détails de l’évènement. C’est pourquoi les signaux faibles, dans leur gestion, doivent être suffisamment pertinents pour pouvoir être pris en compte et gardés dans l’analyse de l’évènement. Il s’agit là d’une étape fondamentale dans leur gestion.

En matière de réglementation le point le plus abouti concernant les signaux faibles est noté dans l’arrêté du 10 mai 2000 (cf. annexe III de l’arrêté, qui rend obligatoire la traçabilité des incidents sur les sites à hauts risques). Cet arrêté fait référence aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Il ne s’applique qu’aux sites classés Seveso. Les sites pharmaceutiques que nous avons étudié sont classés ICPE à Déclaration ou à Autorisation (et non à Autorisation avec Servitude ce qui équivaut à Seveso), cependant il n’est pas impossible que cette obligation leur soit aussi un jour demandée. Cette idée vient du fait qu’en amont de la production pharmaceutique se trouve la production chimique, qui est soumise à Autorisation avec Servitude et doit donc mettre en place un système de remontée des incidents (cf. arrêté du 10 mai 2000 cité ci-dessus). Il existe donc une obligation règlementaire pour le métier en amont de la pharmacie. En aval de cette production pharmaceutique se trouvent les établissements de soin, ces établissements n’ont pas d’obligation réglementaire de mettre en place un tel système, mais une obligation normative s’ils souhaitent obtenir l’accréditation (2ème version) donnée par la Haute Autorité de Santé. Cette accréditation n’a pas de valeur règlementaire, mais elle sert de référence, et quasiment tous les établissements de soin demandent à être audités afin de l’obtenir. Il existe donc un consensus des métiers en aval pour mettre en place ce type de système. La pharmacie n’ayant pas de recommandations règlementaires n’est pas tenue de mettre en place un système de remontée et de gestion des incidents en thermes d’HSE. Cependant, elle est déjà tenue de remonter et gérer les incidents et anormalités en thermes de qualité, c’est-à-dire en ce qui concerne la conformité du produit par rapport à son cahier des charges (y compris dans ses étapes de fabrication). Force est donc de constater que les métiers qui encadrent la production pharmaceutique y sont soit obligés règlementairement, soit par consensus. Et la production pharmaceutique a déjà obligation de remonter et gérer les anormalités concernant la qualité. La mise en place d’un tel système, pour améliorer la santé et la sécurité des salariés et pour anticiper la réglementation ou une future norme ne nous parait donc pas aberrante, et il pourrait s’inspirer, pour partie, du système déjà mis en place par la qualité.

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Table des matières

1. INTRODUCTION
1.1. Etat de l’art : les signaux faibles, un concept qui se cherche
1.1.1. Les accidents majeurs
1.1.2. Principaux modèles, principales études
1.1.3. Premières définitions
1.2. Les risques dans l’entreprise
1.2.1. Typologie des risques industriels
1.2.2. Les signaux
1.3. Conclusion
2. VERS UN MODELE DE GESTION DES SIGNAUX FAIBLES
2.1. Méthodologie
2.1.1. Une démarche holistique
2.1.2. Une approche constructiviste
2.1.3. Une recherche-action
2.1.4. Une méthodologie à base d’études de cas
2.2. Notre définition du signal faible
2.3. Le processus de management des signaux faibles
2.3.1. La détection
2.3.2. L’interprétation
2.3.3. La transmission
2.3.4. La priorisation
2.4. Conclusion
3. LA GESTION DES SIGNAUX FAIBLES AU QUOTIDIEN
3.1. L’individu
3.1.1. Psychologie individuelle et perception des risques
3.1.2. Psychologie sociale, relations dans les groupes
3.2. L’organisation
3.2.1. Organisations et santé-sécurité
3.2.2. Les individus et l’organisation
3.2.3. Retour d’expérience, un cycle
3.3. Contexte de terrain
3.3.1. Accidents du Travail et Maladies Professionnelles
3.3.2. La Politique d’entreprise contre les risques professionnels et son Contexte réglementaire
3.3.3. Responsabilité & Délégation de pouvoir, les acteurs de l’entreprise
4. ÉTUDE DE CAS
4.1. L’organisation sanofi-aventis
4.1.1. Présentation du groupe sanofi-aventis
4.1.2. Organisation des métiers
4.1.3. Organisation des documents HSE
4.1.4. Constat
4.2. Etudes de cas
4.2.1. 1ère étude de cas : Découverte des métiers de la pharmacie
4.2.2. 2ème étude de cas : Compréhension du travail d’un HSE de référence, première approche des signaux faibles
4.2.3. 3ème étude de cas : Prise en connaissance des difficultés de terrain, premières interactions avec les services HSE
4.2.4. 4ème étude de cas : La détection des anomalies
4.2.5. 5ème étude de cas : Les flux d’informations HSE
4.2.6. 6ème étude de cas : Les fiches « analyse accident » et « passage infirmerie », une première gestion des signaux faibles ?
4.2.7. 7ème étude de cas : La gestion des signaux faibles au quotidien
4.2.8. 8ème étude de cas : Compréhension des signaux faibles par les manageurs
4.2.9. 9ème étude de cas : Travail à la Direction Centrale HSE et interactions de ma
recherche avec mon terrain
4.2.10. Conclusion
5. CONCLUSION

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