La prothèse maxillo-faciale (PMF), discipline odontologique, bénéficie pourtant d’un enseignement trop confidentiel dans les facultés d’ici et d’ailleurs et le plus souvent de façon uniquement théorique. C’est en milieu hospitalier qu’elle est la plus exercée en s’incorporant le plus souvent dans une structure multidisciplinaire cervico maxillofaciale. Nous ne pouvons plus dans ce cas parler de prothèse maxillo-faciale mais de réhabilitation et prothèse maxillo-faciale, notion introduite par Benoist et maintenant admise par tous, du fait que l’intervention de la PMF doit s’inscrire du début jusqu’à la fin de la prise en charge du patient tant au niveau pré chirurgical que post et tant au niveau pré radiothérapique que post radiothérapique.
Les progrès de la chirurgie, avec l’apport des lambeaux pédiculés cutanés ou myo cutanés, amenèrent dans un premier temps les chirurgiens à vouloir tout réparer naturellement étant entendu que les indications de lambeaux micro anastomosés permettaient des interventions plus audacieuses. Malheureusement, les résultats fonctionnels et esthétiques de certaines opérations souvent très mutilantes peuvent être moins bons que ceux d’une prothèse ou d’une épithèse. Les séquelles de la chirurgie peuvent rendre parfois impossible tout appareillage post chirurgical surtout quand celui-ci est différé, révélant ainsi l’absence de communication et de prise en charge intégrée.
La PMF a, elle aussi, progressé, en particulier, avec l’introduction de nouveaux matériaux et l’apparition de l’implantologie intra et extra orale ainsi que l’approche chirurgicale de plus en plus soucieuse de l’avenir du patient et du devenir de la lésion. Les pertes de substance des maxillaires posent des problèmes de réhabilitations complexes et l’approche multidisciplinaire entre chirurgiens ORL, plasticiens, odontologistes, radiothérapeutes, psychiatres, orthophonistes, assistants (es) sociaux (les), kinésithérapeutes, prothésistes y est impérative.
DEFINITIONS
PROTHESE MAXILLO-FACIALE (PMF)
La prothèse maxillo-faciale est à la fois l’art et la science de la reconstruction artificielle du massif facial dans les cas de pertes de substance acquises ou de malformations congénitales. Le principal objectif de cette discipline tend vers une réhabilitation à la fois fonctionnelle, esthétique et psychologique. Elle se situe à un carrefour entre des spécialités médico-chirurgicales et odontologiques ayant pour souci principal de redonner au patient une vie relationnelle acceptable et une intégration sociale optimale. Son rôle et sa fonction ne peuvent se concevoir que dans le cadre d’une collaboration avec la chirurgie cervico-faciale, dans les cas fréquents de gestes d’exérèse étendue, laissant des pertes de substance à reconstruire où alternativement chirurgie et prothèse doivent intervenir. Ici, ces deux disciplines ne sont pas en « compétition » ; mais bien au contraire, elles sont mises en œuvre en complémentarité, dans un souci de prise en charge optimale des patients. Dans une autre approche, on ne peut nier son rôle éminemment fonctionnel dans le sens, d’abord, d’une préparation tissulaire au geste chirurgical et ensuite, dans le sens d’une rééducation mettant en œuvre des techniques dynamiques qui ont pour but d’atténuer ou de récupérer une fonction altérée par un geste chirurgical ou par les effets secondaires d’un traitement complémentaire tel la radiothérapie. Ici, apparait la prise en charge des problèmes de brides cicatricielles ou de fibroses post radiques liés aux limitations de l’ouverture buccale dans le cadre des désordres cranio mandibulaires.
PERTE DE SUBSTANCE ACQUISE (PSA)
Les pertes de substance des mâchoires se définissent comme des destructions osseuses acquises aboutissant à une solution de continuité permanente des tissus (cutanés, musculaires, osseux et muqueux) de la mandibule ou des maxillaires . Les étiologies des pertes de substance sont le plus souvent tumorales (malignes, bénignes), traumatiques (balistique et les accidents de la voie publique), infectieuses et toxiques.
PERTES DE SUBSTANCE CONGENITALES (PSC)
Ce sont des malformations congénitales induites par des défauts de coalescence des feuillets embryonnaires. Elles résultent d’un défaut d’accolement des bourgeons faciaux maxillaire et frontonasal pour les fentes labio-alvéolaires et des processus palatins des bourgeons maxillaires et du septum nasal pour les fentes vélopalatines. Ces anomalies de fusion des bourgeons faciaux, toujours très stables topographiquement, se produisent entre les 4e et 7e semaines, au moment de la formation du palais primaire et entre le 6e et 12e semaines pour le palais secondaire.
HISTORIQUE
La prothèse maxillo-faciale est probablement la plus ancienne des disciplines concernant la réhabilitation du corps humain. Ceci ne doit pas étonner puisque le visage, mode d’expression de la personnalité a, de tout temps, été l’objet d’une sollicitude particulière de la part de l’Homme. Pourtant cette spécialité reste une des plus jeunes puisqu’elle est en constant remaniement en raison des progrès techniques qui ne cessent de se développer et de techniques de plus en plus élaborées. L’idée de traiter, ou plus simplement de cacher certaines disgrâces corporelles par des procédés artificiels, doit probablement remonter à la plus haute antiquité. Il semble néanmoins que les premiers témoignages de restauration prothétique datent du troisième millénaire avant notre ère. Le bois, la corne, l’ivoire, l’argile, la peau animale, furent employés pour dissimuler certaines anomalies faciales; le crin le chanvre ou des bandelettes de tissus furent utilisés pour maintenir en place des fragments de maxillaires déplacés. Dans l’antiquité, c’est dans les tombeaux de l’ancienne Egypte que les archéologues découvrirent à la fin du XIXème siècle des pièces cosmétiques en or et en argent ayant manifestement la forme d’un organe de la face. Cependant, la plupart des égyptologues s’accordent à penser que bon nombre de ces pièces furent placées « post mortem », probablement dans un but religieux, lors de l’embaumement des momies. Peut-on dans ce cas parler déjà de prothèse? Probablement pas puisque le terme de prothèse implique l’idée de remplacement. Néanmoins, de nombreuses reconstitutions primitives, pratiquées couramment à cette époque seraient peut-être à l’origine des premières reconstitutions, comme le laisse supposer la découverte d’épithèse, en métal d’or et d’argent. Par contre, des attelles métalliques dentaires en or, que l’on date de 2500 ans avant l’ère chrétienne, ont été retrouvées à Gizeh et formellement identifiées. Le « Susruta Samhitâ », second grand traité de médecine indienne, que l’on date de l’époque védique, c’est-à-dire des premières monarchies, 1500 avant J-C., recueil de copies et d’interprétations des cours et leçons de médecine aryenne, fait état de reconstitutions de la pyramide nasale au moyen d’un lambeau cutané prélevé sur la région frontale. L’inde punissait l’adultère de l’amputation du nez et l’on y coupait couramment les oreilles et les mains en guise de punition. Nul doute que l’échec de telles reconstructions chirurgicales, ou l’impossibilité matérielle de plasties réservées à un petit nombre, aient permis certaines reconstitutions par prothèse. POPP(1939), qui a particulièrement étudié les anciennes dynasties chinoises, relate la découverte de prothèses faciales en bois, cire, terre cuite et même en métal recouvert de laque, qu’il a datées du IIIème siècle avant J-C. Les textes latins restent discrets sur les éventuelles restaurations maxillo-faciales, CELSE dans son traité « De Re Medica », qui date du début de notre ère, mentionne la réduction, puis la contention de la fracture de la mâchoire par la ligature au fil de crin des dents proches du foyer. On y trouve également la description d’opération de remodelage du nez, des lèvres et des oreilles. Ce souci de l’esthétique, comme on peut le constater dans tout l’art romain, devait être une préoccupation majeure de l’époque puisque l’on a retrouvé sur certaines inscriptions les termes de « medicus ocularis » mais aussi ceux de « faber ocularis », c’est-à-dire littéralement fabricant d’yeux, ce qui laisse à penser que cette profession était déjà reconnue dans l’antiquité. PLINE, 167 ans avant J-C., relate le cas d’un certain SERGIUS, porteur d’un bras artificiel et qui combattit pendant le siège de la ville de Crémone.
En fait, ce n’est qu’au XVIème siècle que PETRONIUS(1565), et surtout AMBROISE PARE, décrivirent véritablement les premières prothèses maxillo-faciales. Dans son traité « Dix livres de chirurgie avec le magasin des instruments nécessaires à ICELLE », qui date de 1564, l’auteur rapporte ses expériences et décrit ses propres techniques qui allaient faire sa renommée. Il traite ainsi les fractures de la mandibule en modifiant la fronde de GALIEN, dont il applique la partie inférieure sur une semelle de soulier placée sous le menton et fixe l’extrémité supérieure au bonnet du malade. Il utilise également les ligatures dentaires grâce à un « fil en double ciré », n’oubliant pas d’associer une alimentation de « coulis d’orge, panade, jus, d’éclanches de mouton et autres semblables, aussi lavement et gargarismes astringents ».
La chirurgie, à cette époque, était souvent mutilante, il imagine divers moyens prothétiques pour corriger ces conséquences néfastes. Ainsi trouve-t-on la description de prothèses faciales « par artifice d’or, d’argent, de papiers et de linges collés » et maintenus par de petits lacets; des yeux artificiels en or émaillé et de couleur semblable aux naturels, fixés par un système ingénieux de bandelettes de métal passant de part et d’autre de la tête et cachés par les cheveux.
Il obture les perforations de la voûte palatine par des « instruments appelés couvercles pour couvrir et étouper les trous des os au palais de la bouche, soit de cause de vérole ou autrement. Le dit instrument, de matière d’or et d’argent, de figure courbe et non plus épais qu’un écu auquel sera attaché une éponge ». Il réalise également d’ingénieux membres artificiels : mains, bras, jambes articulés, fonctionnant parfaitement et autres appareils tels que le « dilatatoire à ouvrir la bouche » et même une étonnante langue en bois. Par l’esprit inventif de ses descriptions, par la diversité de ses réalisations, par son humanisme « je le pansay, Dieu le guarit », AMBROISE PARE, qui fut le premier à entrevoir les liens étroits et complémentaires de la prothèse et de la chirurgie, peut être considéré comme le véritable père de la Prothèse Maxillo-Faciale.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
I- DEFINITIONS
I-1 PROTHESE MAXILLO-FACIALE (PMF)
I-2 PERTE DE SUBSTANCE ACQUISE (PSA)
I-3 PERTES DE SUBSTANCE CONGENITALES (PSC)
II- HISTORIQUE
III- ACTIVITES DE LA PROTHESE MAXILLO-FACIALE
IV- PROFIL PSYCHOLOGIQUE ET PRISE EN CHARGE DU PATIENT PRESENTANT UNE PERTE DE SUBSTANCE MAXILLO-FACIALE OU CORPOREL
V- ETIOLOGIE
V-1 PERTES DE SUBSTANCE ACQUISES
V-1-1 CAUSES TUMORALES
V-1-2 CAUSES TRAUMATIQUES
V-1-3 CAUSES INFECTIEUSES
V-1-4 CAUSES IATROGENES
V-2 PERTES DE SUBSTANCE CONGENITALES
V-2-1 FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX
V-2-2 FACTEURS GENETIQUES
VI- CONSEQUENCES DES PERTES DE SUBSTANCE
VI-1 BRIDES CICATRICIELLES ET INTERFERENCES FIBREUSES
VI-2 LESIONS NERVEUSES
VI-3 PERTES DE SURFACES D’APPUI
VI-4 LATERODEVIATIONS ET TROUBLES DE L’ARTICULE DENTAIRE
VI-5 INCIDENCES FONCTIONNELLES
VI-6 INCIDENCES ESTHETIQUES
VI-7 PROBLEMES INFECTIEUX
VI-8 REPERCUSSIONS PSYCHOLOGIQUES ET RELATIONNELLES
VII- EQUIPE SUPPLEANT LA CHIRURGIE ET LA PROTHESE
VII-1 INFIRMIER : RELATION D’AIDE
VII-2 KINESITHERAPEUTE
VII-3 ODONTOLOGISTE ET RADIOTHERAPIE
VII-3-1 SEQUELLES BUCCALES DES IRRADIATIONS
VII-3-2 RÔLE DE L’ODONTOLOGISTE DANS LA PRISE EN CHARGE DU PATIENT IRRADIE
VII-3-2-1Prévention des ostéoradionécroses
VII-3-2-2Soins en terrain irradie
VII-3-2-2-1 L’anesthésie
VII-3-2-2-2 L’endodontie
VII-3-2-2-3 La Prothèse fixée
VII-3-2-2-4 La Prothèse amovible
VII-3-2-2-5 La Chirurgie odontologique en terrain irradié
VII-3-2-2-5-1 L’implantologie
VII-3-2-2-5-2 La parodontologie
VII-3-2-2-5-3 Les extractions dentaires
VII-3-2-3Surveillance
VII-4 SOPHROLOGUE
VIII- PROTOCOLE DE PRISE EN CHARGE DES PERTES DE SUBSTANCE
VIII-1 PERTES DE SUBSTANCE ACQUISES
VIII-2 PERTES DE SUBSTANCE CONGENITALES
DEUXIEME PARTIE : ENQUÊTE AUPRES DES PRATICIENS HOSPITALIERS PRENANT EN CHARGE LES PERTES DE SUBSTANCE MAXILLO-FACIALES DANS LA REGION DE DAKAR
I-JUSTIFICATION ET OBJECTIF DE L’ETUDE
I-1 JUSTIFICATION
I-2 OBJECTIF
II- INTERET
III- MATERIEL ET METHODE
III-1 MATERIEL
III-2 METHODOLOGIE
III-2-1 TYPE ET CADRE DE L’ETUDE
III-2-2 CONSTITUTION DE L’ECHANTILLON
III-2-3 DUREE DE L’ETUDE
III-2-4 CONDUITE DE L’ENQUETE
III-2-5 DESCRIPTION DES VARIABLES
III-2-6 PROCEDURE DE COLLECTE DES DONNEES
III-2-7 ANALYSE DES DONNEES
III-2-8 CONTRAINTES DE L’ETUDE
IV-RESULTATS
V- COMMENTAIRES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE