Protection de l’enfance et régulation sociale

La Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1989, marque un tournant décisif dans la politique internationale concernant l’enfance : depuis cette date, les enfants sont reconnus comme étant des sujets de droits, dont la protection est une obligation pour les États. La CIDE est par ailleurs l’instrument légal international le plus largement ratifié de l’histoire : à l’exception des États-Unis, de la Somalie et du Soudan du Sud, celle-ci fait force de loi dans tous les autres pays du monde. La communauté internationale se saisit ainsi à l’unisson de la cause de la protection de l’enfance dont le principe – la vulnérabilité de l’enfant par rapport à l’adulte et le besoin de protection qui en découle – est consensuel.

L’adoption de la CIDE a généré une véritable organisation politique à l’échelle planétaire – une gouvernance globale, selon Gilles Andréani (2011) – autour de la protection de l’enfance. Le fait que celle-ci devienne une obligation pour les États déclenche en effet toute une série d’actions politiques touchant institutions et individus au niveau local, national et international : la révision des législations nationales sur l’enfance afin de les rendre cohérentes avec les principes contenus dans la CIDE ; la création et/ou la réforme d’institutions publiques permettant d’effectuer un suivi de la mise en application de la CIDE ; la multiplication de programmes et de projets, à la fois publics et privés, visant le renforcement de la protection des droits de l’enfant.

En 1990 se tient le Sommet mondial pour les enfants au siège des Nations Unies à New York, avec la participation de 159 gouvernements : c’est un rassemblement sans précédent afin de promouvoir la protection des droits de l’enfant au niveau planétaire. Pour la première fois dans l’histoire, la communauté internationale s’accorde sur un plan d’action à atteindre avant l’an 2000, énonçant des objectifs précis de développement humain autour de la protection de l’enfance. Il est recommandé aux pays en voie de développement un investissement prioritaire dans des programmes destinés à la petite enfance, sur la base de trois arguments. Le premier est macroéconomique : les interventions concernant la petite enfance ont un impact social et un rendement économique plus important que celles visant d’autres groupes d’âge (de sept à quinze dollars pour chaque dollar investi). Le deuxième argument, de type sociologique, est que les interventions concernant la petite enfance constituent une étape fondamentale vers l’éducation primaire universelle et la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales. Le troisième argument relève de la psychologie : les premières années de vie de l’enfant sont fondamentales pour le développement de ses aptitudes cognitives, sociales, affectives et sensorielles ; ce que l’enfant ne développe pas pendant la petite enfance ne pourra plus être rattrapé par la suite.

Que cet objectif ambitieux soit réalisable, malgré les faibles ressources financières des États les plus pauvres, nul n’en doute. En effet, impliquer les communautés et la société civile dans la protection des droits des enfants les plus défavorisés permettrait de réduire les coûts au maximum  . Ainsi, les États seraient en mesure de répondre pleinement aux besoins fondamentaux des enfants vivant dans la pauvreté en mobilisant très peu de ressources. En d’autres termes, depuis les années 1990, les institutions internationales défendent l’idée selon laquelle ériger la protection de l’enfant en priorité politique constitue un levier pour le développement social, et par conséquent pour le développement économique d’un pays. Depuis, cette idée s’est renforcée au sein de la communauté internationale et constitue de nos jours un des piliers du « développement durable » ainsi que de l’agenda international du développement post-2015.

Au nom des innombrables bénéfices que tout pays en voie de développement devrait pouvoir tirer de la protection des enfants appartenant à ses populations les plus vulnérables, d’importantes ressources humaines, financières et matérielles sont mobilisées de nos jours partout dans le monde – et tout particulièrement à destination des pays du Sud. Les projets de développement et les fonds disponibles pour la recherche sur le sujet se multiplient. Il s’agit là d’un véritable marché global de biens et de services destinés à l’enfance auquel participent de nombreux acteurs, à tous les niveaux de la chaîne de gouvernance : adultes comme enfants, institutions internationales comme gouvernements nationaux, hommes politiques comme défenseurs des droits de l’enfant, et chercheurs comme praticiens.

Si, à l’ère de la CIDE, les sciences sociales continuent d’analyser l’objet « protection de l’enfance » essentiellement avec les outils conceptuels et méthodologiques relevant de leur discipline, c’est parce que le droit, et plus précisément le droit international public, est une discipline avec laquelle elles ont noué peu de liens et qui demeure donc mal connue.

Le terrain permet certes aux socio-anthropologues d’accéder à l’étude de pratiques sociales relevant de la mise en œuvre de la CIDE au niveau local mais, sans l’éclairage du droit, les enjeux de pouvoir dans lesquels sont prises les institutions, ainsi que leurs acteurs, échappent à la discipline. En effet, indépendamment de son efficacité dans chaque contexte particulier (à savoir, l’effectivité ou non de la protection des droits des enfants) la CIDE instaure, pour les États, un système d’obligations qui gouverne la circulation des ressources humaines et matérielles et donc, du moins partiellement, les pratiques des acteurs institutionnels.

Créés en 1986 afin d’assurer la « protection intégrale » de la petite enfance au sein des populations les plus vulnérables de la Colombie, et greffés sur des initiatives communautaires déjà existantes, les foyers communautaires sont des crèches sociales cogérées par l’État colombien et par les communautés, fonctionnant au sein de maisons de famille du quartier. La maîtresse de maison prend en charge une quinzaine d’enfants âgés de 0 à 6 ans et devient ainsi « mère communautaire » (madre comunitaria). La présence des enfants en journée au sein du foyer communautaire permet à l’État d’intervenir, grâce à une multitude d’actions concrètes, et d’assurer ainsi leur « protection intégrale ». Le programme est porté par l’Institut Colombien pour le Bienêtre de la Famille (Instituto Colombiano de Bienestar Familiar, ICBF), l’instance de l’État colombien chargée depuis 1968 de la protection de l’enfance et de la famille au sein des populations pauvres du pays.

Les parents des enfants bénéficiaires du programme et les mères communautaires sont organisés en associations de quartier regroupant une vingtaine de foyers communautaires, dont le rôle est de gérer les ressources mises à disposition par l’État. Afin de pouvoir exister juridiquement et de bénéficier de ces ressources, ces associations doivent être agréées par l’ICBF. Ses statuts doivent notamment prévoir un système de représentation pyramidale assurant la représentation des parents de chaque foyer communautaire dans les instances décisionnelles. Une fois l’association créée, l’ICBF surveille son activité moyennant un suivi effectué par des fonctionnaires basés à proximité, dans les bureaux locaux de l’institut. Les agents de cette administration supervisent la bonne gestion des ressources de l’État par l’association et la qualité de l’attention prêtée aux enfants au sein de chaque foyer communautaire. Afin de devenir membres d’une association, les parents doivent simplement inscrire leur enfant à un foyer communautaire. Quant aux mères communautaires, leur candidature est proposée par les membres de l’association et soumise à l’approbation de l’ICBF. Si les critères de sélection des mères communautaires ont évolué au fil du temps, leur motivation de fournir un service bénévole à la communauté et leur bonne réputation restent des exigences essentielles.

Depuis son lancement en 1986, le programme foyers communautaires n’a cessé de croître et reste l’initiative phare de l’État colombien en matière de protection de la petite enfance. Les économistes colombiens José Luis González et Iván Mauricio Durán recensent en 2011, lors du début de notre travail de terrain, 77.377 mères communautaires qui prennent en charge 1.219.098 enfants colombiens âgés entre 0 et 6 ans, au sein de 70.825 foyers communautaires parmi des populations les plus « vulnérables »; du pays (González & Durán, 2012). Ces foyers sont situés en zones urbaines et en zones rurales densément peuplées. À ce moment précis, le programme était présent dans 1.089 des 1.103 municipalités colombiennes. Selon les mêmes auteurs, il couvrait 13% de la population totale colombienne âgée de 0 à 6 ans. Les auteurs estiment ce chiffre exceptionnel et soulignent qu’aucun autre État latino-américain, à l’exception de Cuba, dont le programme national de protection intégrale de la petite enfance couvre 97% de la population nationale, n’aurait réussi une telle couverture. Dans un pays dont l’histoire récente est traversée par de nombreuses crises sociales, politiques et institutionnelles, et où la plupart des programmes sociaux disparaissent avec les administrations qui les ont mis en place, la longévité du programme foyers communautaires est tout à fait remarquable.

En 2011, lors du début de notre travail de terrain, un contrat administratif appelé le «contrat d’apports » (contrato de aporte) régissait la relation entre l’ICBF et les associations de parents. L’ICBF avait l’obligation de verser à l’association les ressources nécessaires afin que celle-ci puisse faire fonctionner les foyers communautaires. Quant aux mères communautaires, elles prêtaient un service bénévole à la communauté et elles n’étaient employées ni par l’État, ni par l’association de parents. En échange de leur service à la communauté elles recevaient uniquement une bourse mensuelle équivalente à 70% du salaire minimum légal. En complément de cette bourse, les mères communautaires touchaient un certain nombre d’aides destinées notamment l’achat de la nourriture et des outils pédagogiques pour les enfants et, en général, à assurer le bon fonctionnement des foyers communautaires.

Les mères communautaires ont rapidement compris que le régime du « contrat d’apports » n’était pas à leur avantage. Dès 1988 – deux ans seulement après le lancement du projet pilote des foyers communautaires –, elles commencent à se mobiliser pour que leur activité soit reconnue juridiquement comme étant un emploi. Ainsi est fondée, en 1991, AMCOLOMBIA, l’Association de Mères et Pères Communautaires pour une Colombie Meilleure (Asociación de Madres y Padres Comunitarios por une Colombia Mejor). Créée à l’initiative d’un groupe de mères communautaires de Bogotá souhaitant réunir leurs homologues de tout le pays afin de trouver des solutions à des problèmes communs, la mission de AMCOLOMBIA est double : premièrement, défendre les intérêts collectifs des mères communautaires et exiger de l’État colombien la reconnaissance de leurs droits afin d’améliorer leur qualité de vie ainsi que celle de leurs familles ; et deuxièmement, exercer une influence sur les politiques publiques de l’enfance et de la famille. AMCOLOMBIA se veut un mouvement social visant l’exercice de la citoyenneté, sans affiliation politique. Plusieurs ONG préoccupées par la défense des droits des femmes, telles que la Commission Colombienne de Juristes (Comisión Colombiana de Juristas), l’Institut Latinoaméricain pour une Société et un Droit Alternatifs (ILSA), la Fondation Femmes pour la Colombie (FUNDAC) et le Collectif d’Avocats « José Alvear Restrepo » (Colectivo de Abogados « José Alvear Restrepo »), soutiennent les mères communautaires dans leur combat. AMCOLOMBIA comprend actuellement vingt associations municipales et départementales de mères communautaires.

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Table des matières

I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION  
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME

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