La théorie des systèmes dynamiques fournit une description qualitative des phénomènes naturels. L’évolution de ces phénomènes est modélisée par une transformation de l’espace des états possibles du système. La théorie est dite déterministe au sens où lorsque la loi d’évolution est connue, le futur du système est parfaitement déterminé dès lors que l’on connait son état initial. Certains phénomènes présentent cependant un comportement erratique et imprévisible dû à une très forte sensibilité aux conditions initiales, cette propriété est appelée chaos. Typiquement deux états initialement très proches auront dans ce cas des comportements exponentiellement divergents dans le temps. La théorie des systèmes dynamiques trouvent alors ses limites dans l’impossibilité de connaitre parfaitement l’état d’un système physique à un moment donné (mesures de précisions finies) et dans la simplification qu’impose la modélisation mathématique des lois de la nature. Ruelle illustre cette démarche de simplification dans [98] « si vous demandez à un physicien des équations d’évolution pour tel ou tel phénomène, il vous demandera avec quelle précision vous les voulez. Dans l’exemple de la dynamique du système solaire, suivant la précision requise, on tiendra compte ou non du ralentissement de la rotation de la Terre par effet de marée, ou du déplacement du périhélie de Mercure dû à la relativité générale. Il faudra d’ailleurs bien s’arrêter quelque part : on ne peut pas tenir compte, vous en conviendrez, des déplacements de chaque vache dans sa prairie, ou de chaque puceron sur son rosier. Même si, en principe, les déplacements de la vache et du puceron perturbent quelque peu la rotation de la Terre. En bref, la physique répond aux questions qu’on lui pose avec une précision qui peut être remarquable, mais pas absolument parfaite. »
Ainsi l’inévitable incertitude sur l’état exact d’un système grandit inexorablement en présence de chaos jusqu’à devenir inacceptable et rendre toute prédiction rapidement impossible ; le chaos introduit le hasard dans les descriptions des systèmes naturels. Poincaré avait déjà souligné ce point dans son ouvrage Science et Méthode [93] : « Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. Si nous connaissons exactement les lois de la nature et la situation de ce même Univers à l’instant initial, nous pourrions prédire exactement la situation de ce même Univers à un instant ultérieur. Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrions connaître la situation initiale qu’approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c’est tout ce qu’il nous faut, nous disons que le phénomène a été prévu. Il peut arriver que des petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons un phénomène fortuit. »
Cette extrême sensibilité aux infimes variations rend ainsi inutile une étude au cas par cas de l’évolution de chaque état initial dans un but de prédiction. La théorie ergodique propose une solution à ce problème en étudiant statistiquement les comportements, elle remplace la question d’une prévision à court terme d’un état précis par celle d’une description globale à long terme. « Le niveau fondamental est maintenant celui des probabilités » (Prigogine [96]).
Poincaré est le fondateur de la théorie des systèmes dynamiques. Dès la fin du XIXième siècle, il introduit une étude qualitative des solutions d’équations différentielles qu’il ne pouvait résoudre explicitement, en particulier celles des équations régissant le mouvement des planètes. Dans son travail de 1890 « Sur le problème des trois corps et les équations de la dynamique » [94] il fait remarquer une propriété des trajectoires de ces corps célestes qui est à la base de la théorie de la récurrence dans les systèmes en évolution : « Je n’ai pu résoudre rigoureusement et complètement le problème de la stabilité du système solaire, en entendant ce mot dans un sens strictement mathématique. L’emploi des invariants intégraux m’a cependant permis d’atteindre certains résultats partiels, s’appliquant surtout au problème dit restreint où les deux corps principaux circulent dans des orbites sans excentricité, pendant que le corps troublé a une masse négligeable. Dans ce cas, si on laisse de côté certaines trajectoires exceptionnelles, dont la réalisation est infiniment peu probable, on peut démontrer que le système repassera une infinité de fois aussi près que l’on voudra de sa position initiale. » Pour un exposé complet de cette partie sur la récurrence déterministe, on pourra consulter la thèse de Benoît Saussol [105].
Une autre classe intéressante d’applications de l’intervalle est celle des applications uniformément dilatantes du type Lorenz (voir [56, 111, 47] pour leur introduction), dont les caractéristiques sont la présence de points pour lesquels la dérivée n’est pas bornée et l’absence de structure de Markov. Dans ce cas, il est possible de construire des tours et de trouver différents taux de convergence pour la décroissance des corrélations, dépendants de la queue de la fonction de retour et de la base de la tour (voir par exemple [40] et [41]). Ce dernier article traite en particulier des applications unidimensionnelles admettant des points critiques et éventuellement des points à dérivée non bornée, mais laisse ouvert le cas où des points fixes neutres sont présents.
Dans ce travail nous nous intéressons aux dynamiques qui présentent les deux caractéristiques précédentes. Elles ont été introduites dans la littérature physique par Grossmann et Horner en 1985 dans [52] ; entre autre ils obtiennent numériquement une décroissance polynomiale des corrélations. Une autre contribution est celle de Pikovsky [91], qui montre heuristiquement que ces applications engendrent un processus de diffusion anomale avec des écarts quadratiques croissant plus vite que linéairement. Artuso et Cristadoro dans [6] ont amélioré ce résultat. Récemment, les applications de Lorenz avec un cusp ont été utilisées pour décrire la distribution du maximum de Casimir dans le modèle de Kolmogorov-Lorenz de dynamique des géofluides [90]. Malgré ces intérêts physiques, nous n’avons pas trouvé d’étude mathématique rigoureuses de telles applications .
Les applications de Grossmann et Horner sont en réalité quelque peu différentes de celles étudiées dans [91] et [6]. La différence principale résidant dans le fait que ces dernières sont définies sur le cercle et non sur l’intervalle. Nous étudierons en détails la version définie sur le cercle dans les sections 2 à 5 et nous montrerons dans la section 6 comment généraliser ces résultats au cas de l’intervalle. Puisque les deux versions présentent une structure de Markov, l’information primordiale, en particulier dans le calcul de la distorsion, vient du comportement local autour des points fixes neutres et des points à dérivée non bornée. Ces comportements ne différent pas, que l’on se place sur le cercle ou sur l’intervalle. Il y a cependant une différence intéressante ; la version du cercle introduite dans la section 1, rend la mesure de Lebesgue automatiquement invariante alors que ce n’est pas le cas de la version de l’intervalle introduite en section 6. La stratégie que nous adoptons (tours de Young) nous donnera néanmoins l’existence d’une mesure invariante absolument continue. Nous compléterons en donnant des informations sur le comportement de la densité de cette mesure.
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Table des matières
INTRODUCTION
I Théorie Ergodique Déterministe
1 Rappels
1.1 Préliminaires
1.2 Théorie ergodique et analyse fonctionnelle
1.3 L’opérateur de Perron-Frobenius
1.4 Les espaces quasi-Hölder
1.5 Analyse spectrale
1.6 Récurrence
2 Dynamique Intermittente
2.1 Introduction
2.2 Distorsion
2.3 Décroissance des corrélations
2.4 Théorèmes limites
2.5 Récurrence
2.6 Généralisation aux applications du type Lorenz
2.7 Appendice
II Systèmes Dynamiques Aléatoires
3 Généralités et Définitions
3.1 Les systèmes dynamiques aléatoires
3.2 Les systèmes dynamiques aléatoires : le cas i.i.d
3.3 Les systèmes i.i.d comme perturbation
3.4 Décomposition spectrale aléatoire
4 Attracteurs, Pseudo-orbites et Mesures Stationnaires
4.1 Introduction
4.2 Hypothèses et Résultats
4.3 Dynamiques dilatantes par morceaux de l’intervalle
4.4 Dynamiques dilatantes par morceaux multidimensionnelles
5 Récurrence Aléatoire
5.1 Introduction
5.2 Définitions des quantités
5.3 Récurrence Aléatoire à réalisation fixée
5.4 Récurrence Aléatoire Moyennée
5.5 Preuves des Théorèmes
5.6 Automorphismes aléatoires du tore
5.7 Applications aux perturbations aléatoires
CONCLUSION
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